The Project Gutenberg EBook of La Belle-Nivernaise: Histoire d'un vieux bateau et de son equipage, by Alphonse Daudet This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org Title: La Belle-Nivernaise: Histoire d'un vieux bateau et de son equipage Also contains: Legendes et recits: Jarjaille chez le bon Dieu; La figue et le paresseux; Premier habit; Les trois messes basses; Le nouveau maitre Author: Alphonse Daudet Release Date: March 22, 2004 [EBook #11650] [Date last updated: September 14, 2004] Language: French Character set encoding: ASCII *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA BELLE-NIVERNAISE *** Produced by Tonya Allen, Renald Levesque and PG Distributed Proofreaders. This file was produced from images generously made available by the Bibliotheque nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr. ALPHONSE DAUDET LA BELLE-NIVERNAISE Histoire d'un vieux bateau et de son equipage CHAPITRE I UN COUP DE TETE La rue des Enfants-Rouges, au quartier du Temple. Une rue etroite comme un egout, des ruisseaux stagnants, des flaques de boue noire, des odeurs de moisi et d'eau sale sortant des allees beantes. De chaque cote, des maisons tres hautes, avec des fenetres de casernes, des vitres troubles, sans rideaux, des maisons de journaliers, d'ouvriers en chambre, des hotels de macons et des garnis a la nuit. Au rez-de-chaussee, des boutiques. Beaucoup de charcutiers, de marchands de marrons; des boulangeries de gros pain, une boucherie de viandes violettes et jaunes. Pas d'equipages dans la rue, de falbalas, ni de flaneurs sur les trottoirs,--mais des marchands de quatre saisons criant le rebut des Halles, et une bousculade d'ouvriers sortant des fabriques, la blouse roulee sous le bras. C'est le huit du mois, jour ou les pauvres payent leur terme, ou les proprietaires, las d'attendre, mettent la misere a la porte. C'est le jour ou l'on voit passer dans des carrioles des demenagements de lits de fer et de tables boiteuses, entasses les pieds en l'air, avec les matelas eventres et la batterie de cuisine. Et pas meme une botte de paille pour emballer tous ces pauvres meubles estropies, douloureux, las de degringoler les escaliers crasseux et de rouler des greniers aux caves! La nuit tombe. Un a un les becs de gaz s'allument, refletes dans les ruisseaux et dans les devantures de boutiques. Le brouillard est froid. Les passants se hatent. Adosse au comptoir d'un marchand de vin, dans une bonne salle bien chauffee, le pere Louveau trinque avec un menuisier de la Villette. Son enorme figure de marinier honnete, toute rougeaude et couturee, s'epanouit dans un large rire qui secoue ses boucles d'oreilles. "Affaire conclue, pere Dubac, vous m'achetez mon chargement de bois au prix que j'ai dit. --Topez la. --A votre sante! --A la votre!" On choque les verres, et le pere Louveau boit, la tete renversee, les yeux mi-clos, claquant la langue, pour deguster son vin blanc. Que voulez-vous! personne n'est parfait, et le faible du pere Louveau, c'est le vin blanc. Ce n'est pas que ce soit un ivrogne.--Dieu non!--La menagere, qui est une femme de tete, ne tolererait pas la ribote; mais quand un vit comme le marinier, les pieds dans l'eau, le crane au soleil, il faut bien avaler un verre de temps en temps. Et le pere Louveau, de plus en plus gai, sourit au comptoir de zinc qu'il apercoit au travers d'un brouillard et qui le fait songer a la pile d'ecus qu'il empochera demain en livrant son bois. Une derniere poignee de main, un dernier petit verre et l'on se separe. "A demain, sans faute? --Comptez sur moi." Pour sur il ne manquera pas le rendez-vous, le pere Louveau. Le marche est trop beau, il a ete trop rondement mene pour qu'on trainasse. Et le joyeux marinier descend vers la Seine, roulant les epaules, bousculant les couples, avec la joie debordante d'un ecolier qui rapporte un bon point dans sa poche. Qu'est-ce qu'elle dira la mere Louveau,--la femme de tete,--quand elle saura que son homme a vendu le bois du premier coup, et que l'affaire est bonne? Encore un ou deux marches comme celui-la et on pourra se payer un bateau neuf, planter la la _Belle-Nivernaise_ qui commence a faire par trop d'eau. Ce n'est pas un reproche, car c'etait un fier bateau dans sa jeunesse; seulement voila, tout pourrit, tout vieillit, et le pere Louveau lui-meme sent bien qu'il n'est plus aussi ingambe que dans le temps ou il etait "petit derriere" sur les flotteurs de la Marne. Mais qu'est-ce qui se passe la-bas? Les commeres s'assemblent devant une porte; on s'arrete, on cause et le gardien de la paix, debout au milieu du groupe, ecrit sur son calepin. Le marinier traverse la chaussee par curiosite, pour faire comme tout le monde. "Qu'est-ce qu'il y a?" Quelque chien ecrase, quelque voiture accrochee, un ivrogne tombe dans le ruisseau, rien d'interessant... Non! c'est un petit enfant assis sur une chaise de bois, les cheveux ebouriffes, les joues pleines de confitures, qui se frotte les yeux avec les poings. Il pleure. Les larmes, en coulant, ont trace des dessins bizarres sur sa pauvre mine mal debarbouillee. Imperturbable et digne comme s'il interrogeait un prevenu, l'agent questionne le marmot et prend des notes. "Comment t'appelles-tu? --Totor. --Victor quoi?" Pas de reponse. Le mioche pleure plus fort et crie: "Maman! maman!" Alors une femme qui passait, une femme du peuple, tres laide, tres sale, trainant deux enfants apres elle, sortit du groupe et dit au gardien: "Laissez-moi faire." Elle s'agenouilla, moucha le petit, lui essuya les yeux, embrassa ses joues poissees. "Comment s'appelle ta maman, mon cheri?" Il ne savait pas. Le sergent de ville s'adressa aux voisins: "Voyons, vous, le concierge, vous devez connaitre ces gens-la?" On n'avait jamais su leur nom. Il passait tant de locataires dans la maison! Tout ce qu'on pouvait dire, c'est qu'ils habitaient la depuis un mois, qu'ils n'avaient jamais paye un sou, que le proprietaire venait de les chasser, et que c'etait un fameux debarras. "Qu'est-ce qu'ils faisaient? --Rien du tout." Le pere et la mere passaient leur journee a boire et leur soiree a se battre. Ils ne s'entendaient que pour rosser leur enfants, deux garcons qui mendiaient dans la rue et volaient aux etalages. Une jolie famille, comme vous voyez. "Croyez-vous qu'ils viendront chercher leur enfant? --Surement non." Ils avaient profite du demenagement pour le perdre. Ce n'etait pas la premiere fois que cette chose-la arrivait, les jours du terme. Alors l'agent demanda: "Personne n'a donc vu les parents s'en aller?" Ils etaient partis depuis le matin, le mari poussant la charrette, la femme un paquet dans son tablier, les deux garcons les mains dans leurs poches. Et maintenant, rattrape-les. Les passants se recriaient indignes, puis continuaient leur chemin. Il etait la depuis midi, le malheureux mioche! Sa mere l'avait assis sur une chaise et lui avait dit: "Sois sage." Depuis, il attendait. Comme il criait la faim, la fruitiere d'en face lui avait donne une tartine de confiture. Mais la tartine etait finie depuis longtemps, et le marmot avait recommence a pleurer. Il mourait de peur, le pauvre innocent! Peur des chiens qui rodaient autour de lui; peur de la nuit qui venait; peur des inconnus qui lui parlaient, et son petit coeur battait a grands coups dans sa poitrine, comme celui d'un oiseau qui va mourir. Autour de lui le rassemblement grandissait et l'agent ennuye l'avait pris par la main pour le conduire au poste. "Voyons, personne ne le reclame? --Un instant!" Tout le monde se retourna. Et l'on vit une grosse bonne figure rougeaude qui souriait betement jusqu'aux oreilles chargees d'anneaux en cuivre. "Un instant! si personne n'en veut, je le prends, moi." Et comme la foule poussait des exclamations: "A la bonne heure! --C'est bien, ce que vous faites la. --Vous etes un brave homme." Le pere Louveau, tres allume par le vin blanc, le succes de son marche et l'approbation generale, se posa les bras croises au milieu du cercle. "Eh bien! quoi? C'est tout simple." Puis les curieux l'accompagnerent chez le commissaire de police, sans laisser refroidir son enthousiasme. La, selon l'usage en pareil cas, on lui fit subir un interrogatoire. "Votre nom? --Francois Louveau, monsieur le commissaire, un homme marie, et bien marie, j'ose le dire, avec une femme de tete. Et c'est une chance pour moi, monsieur le commissaire, parce que je ne suis pas tres fort, pas tres fort, he! he! voyez-vous. Je ne suis pas un aigle. "Francois n'est pas un aigle", comme dit ma femme." Il n'avait jamais ete si eloquent. Il se sentait la langue deliee, l'assurance d'un homme qui vient de faire un bon marche et qui a bu une bouteille de vin blanc. "Votre profession? --Marinier, monsieur le commissaire, patron de la _Belle-Nivernaise_, un rude bateau, monte par un equipage un peu chouette. Ah! ah! fameux, mon equipage!... Demandez plutot aux eclusiers, depuis le pont Marie jusqu'a Clamecy... Connaissez-vous ca, Clamecy, monsieur le commissaire?" Les gens souriaient autour de lui, le pere Louveau continua, bredouillant, avalant les syllabes. "Un joli endroit, Clamecy, allez! Boise du haut en bas; du beau bois, du bois ouvrable; tous les menuisiers savent ca... C'est la que j'achete mes coupes. He! he! je suis renomme pour mes coupes. J'ai le coup d'oeil, quoi! Ce n'est pas que je sois fort;--bien sur je ne suis pas un aigle, comme dit ma femme;--mais enfin, j'ai le coup d'oeil. Ainsi, tenez je prends un arbre, gros comme vous,--sauf votre respect, monsieur le commissaire,--je l'entoure avec une corde comme ca..." Il avait empoigne l'agent et l'entortillait avec une ficelle qu'il venait de tirer de sa poche. L'agent se debattait. "Laissez-moi donc tranquille. --Mais si... Mais si... C'est pour faire voir a monsieur le commissaire... Je l'entortille comme ca, et puis, quand j'ai la mesure, je multiplie, je multiplie... Je ne me rappelle plus par quoi je multiplie... C'est ma femme qui sait le calcul. Une forte tete, ma femme." La galerie s'amusait enormement, et M. le commissaire lui-meme daignait sourire derriere sa table. Quand la gaiete fut un peu calmee, il demanda: "Que ferez-vous de cet enfant-la? --Pas un rentier, pour sur. Il n'y a jamais eu de rentier dans la famille. Mais un marinier, un brave garcon de marinier, comme les autres. --Vous avez des enfants? --Si j'en ai! Une qui marche, une qui tette et un qui vient. Pas trop mal, n'est-ce pas, pour un homme qui n'est pas un aigle? Avec celui-la ca fera quatre, mais bah! quand il y en a pour trois, il y en a pour quatre. On se tasse un peu. On serre sa ceinture, et on tache de vendre son bois plus cher." Et ses boucles d'oreilles remuaient, secouees par son gros rire, tandis qu'il promenait un regard satisfait sur les assistants. On poussa devant lui un gros livre. Comme il ne savait pas ecrire, il fit une croix, au bas de la page. Puis le commissaire lui remit l'enfant trouve. "Emmenez le petit, Francois Louveau, et elevez-le bien. Si j'apprends quelque chose a son sujet, je vous tiendrai au courant. Mais il n'est pas probable que ses parents le reclament jamais. Quant a vous, vous m'avez l'air d'un brave homme, et j'ai confiance en vous. Obeissez toujours a votre femme. Et au revoir! Ne buvez pas trop de vin blanc." La nuit noire, le brouillard froid, la presse indifferente des gens qui se hatent de rentrer chez eux, tout cela est fait pour degriser vivement un pauvre homme. A peine dans la rue, seul avec son papier timbre en poche et son protege par la main, le marinier sentit tout d'un coup tomber son enthousiasme; et l'enormite de son action lui apparut. Il serait donc toujours le meme? Un niais? Un glorieux? Il ne pouvait point passer son chemin comme les autres, sans se meler de ce qui ne le regardait pas. Il voyait d'ici la colere de la mere Louveau! Quel accueil, bonnes gens, quel accueil! C'est terrible une femme de tete pour un pauvre homme qui a le coeur sur la main. Jamais il n'oserait rentrer chez lui. Il n'osait pas non plus retourner chez le commissaire. Que faire? Que faire? Ils cheminaient dans le brouillard. Louveau gesticulait, parlait seul, preparait un discours. Victor trainait ses souliers dans la crotte. Il se faisait tirer comme un boulet. Il n'en pouvait plus. Alors le pere Louveau s'arreta, le prit a son cou, l'enveloppa dans sa vareuse. L'etreinte des petits bras serres lui rendit un peu de courage. Il reprit son chemin. Ma foi, tant pis! il risquerait le paquet. Si la mere Louveau les mettait a la porte, il serait temps de reporter le marmot a la police; mais peut-etre bien qu'elle le garderait pour une nuit, et ce serait toujours un bon diner de gagne. Ils arrivaient au pont d'Austerlitz, ou la _Belle-Nivernaise_ etait amarree. L'odeur fade et douce des chargements de bois frais emplissait la nuit. Toute une flottille de bateaux grouillait dans l'ombre de la riviere. Le mouvement du flot faisait vaciller les lanternes et grincer les chaines entre-croisees. Pour rejoindre son bateau, le pere Louveau avait a traverser deux chalands relies par des passerelles. Il avancait a pas craintifs, les jambes flageolantes, gene par l'enfant qui lui etranglait le cou. Comme la nuit etait noire! Seule une petite lampe etoilait la vitre de la cabine, et une raie lumineuse, qui filtrait sous la porte, animait le sommeil de la _Belle-Nivernaise_. On entendait la voix de la mere Louveau qui grondait les enfants en surveillant sa cuisine. "Veux-tu finir Clara?" Il n'etait plus temps de reculer. Le marinier poussa la porte. La mere Louveau lui tournait le dos, penchee sur le poelon, mais elle avait reconnu son pas et dit sans se deranger: "C'est toi, Francois? Comme tu rentres tard!" Les pommes de terre sautaient dans la friture crepitante et la vapeur qui s'envolait de la marmite vers la porte ouverte troublait les vitres de la cabine. Francois avait pose le marmot par terre, et le pauvre mignon, saisi par la tiedeur de la chambre, sentait se deraidir ses petits poings rougis. Il sourit et dit d'une voix un peu flutee: "Fait chaud..." La mere Louveau se retourna. Et montrant a son homme l'enfant deguenille debout au milieu de la chambre, elle cria d'un ton courrouce. "Qu'est-ce que c'est que ca?" Non! Il y a de ces minutes, dans les meilleurs menages. "Une surprise, he! he! une surprise!" Le marinier riait jusqu'aux oreilles pour se donner une contenance; mais il aurait bien voulu etre encore dans la rue. Et comme sa femme, attendant une explication, le regardait d'un air terrible, il begaya l'histoire tout de travers, avec des yeux suppliants de chien qu'on menace. Ses parents l'avaient abandonne, il l'avait trouve pleurant sur le trottoir. On avait demande: "Qu'est-ce qui en veut?" Il avait repondu: "Moi." Et le commissaire lui avait dit: "Emportez-le. --Pas vrai, petit?" Alors la mere Louveau eclata: "Tu es fou, ou tu as trop bu! A-t-on jamais entendu parler d'une betise pareille? "Tu veux donc nous faire mourir dans la misere? "Tu trouves que nous sommes trop riches? "Que nous avons trop de pain a manger? Trop de place pour coucher?" Francois considerait ses souliers sans repondre. "Mais, malheureux, regarde-toi, regarde-nous! Ton bateau est perce comme mon ecumoire! "Et il faut encore que tu t'amuses a ramasser les enfants des autres dans les ruisseaux." Il s'etait deja dit tout cela, le pauvre homme. Il ne songeait pas a protester. Il baissait la tete comme un condamne qui entend le requisitoire. "Tu vas me faire le plaisir de reporter cet enfant-la au commissaire de police. "S'il fait des facons pour le reprendre, tu lui diras que ta femme ne veut pas. "Est-ce compris?" Elle marchait sur lui, son poelon a la main, avec un geste menacant. Le marinier promit tout ce qu'elle voulut. "Voyons, ne te fache pas. "J'avais cru bien faire. "Je me suis trompe. "Ca suffit. "Faut-il le ramener tout de suite?" La soumission du bonhomme adoucit la mere Louveau. Peut-etre aussi eut-elle la vision d'un de ses enfants a elle perdu tout seul dans la nuit, la main tendue vers les passants. Elle se detourna pour mettre son poelon sur le feu et dit d'un ton bourru: "Ce n'est pas possible ce soir, le bureau est ferme. "Et maintenant que tu l'as pris, tu ne peux pas le reporter sur le trottoir. "On le gardera cette nuit, mais demain matin..." Et la mere Louveau etait si en colere qu'elle tisonnait le feu a tour de bras... "Mais demain matin, je te jure bien que tu m'en debarrasseras!" Il y eut un silence. La menagere mettait le couvert brutalement, heurtant les verres, jetant les fourchettes. Clara, effrayee, se tenait coite dans un coin. Le bebe grognait sur le lit, et l'enfant trouve regardait avec admiration rougir la braise. Lui qui n'avait peut-etre jamais vu de feu depuis qu'il etait ne! Ce fut bien une autre joie quand il se trouva a table, une serviette au cou, un monceau de pommes de terre dans son assiette. Il avalait comme un rouge-gorge a qui l'on emiette du pain un jour de neige. La mere Louveau le servait rageusement, au fond un brin touchee par cet appetit d'enfant maigre. La petite Clara, ravie, le flattait avec sa cuillere. Louveau, consterne, n'osait plus lever les yeux. La table desservie, ses enfants couches, la mere Louveau s'assit pres du feu, le petit entre les genoux, pour lui faire un peu de toilette. "On ne peut pas le coucher, sale comme il est. "Je parie qu'il n'a jamais vu ni l'eponge ni le peigne." L'enfant tournait comme une toupie entre ses mains. Vraiment, une fois lave et demele, il n'avait pas trop laide mine, le pauvre petit gosse, avec son nez rose de caniche et ses mains rondes comme des pommes d'api. La mere Louveau considerait son oeuvre avec une nuance de satisfaction. "Quel age peut-il avoir?" Francois posa sa pipe, enchante de rentrer en scene. C'etait la premiere fois qu'on lui parlait de la soiree, et une question valait presque un retour en grace. Il se leva, tira ses ficelles de sa poche. "Quel age, he! he! On va te dire ca." Il prit le marmot a bras le corps. Il l'entortilla de ses cordes comme les arbres de Clamecy. La mere Louveau le regardait avec stupefaction. "Qu'est-ce que tu fais donc? --Je prends la mesure, bedame!" Elle lui arracha la corde des mains, et la jeta a l'autre bout de la chambre. "Mon pauvre homme, que tu es bete avec tes manies! "Un enfant n'est pas un baliveau." Pas de chance ce soir, le malheureux Francois! Il bat en retraite, tout penaud, tandis que la mere Louveau couche le petit dans le dodo de Clara. La fillette sommeille les poings fermes, tenant toute la place. Elle sent vaguement que l'on glisse quelque chose a cote d'elle, etend les bras, refoule son voisin dans un coin, lui fourre les coudes dans les yeux, se retourne et se rendort. Maintenant on a souffle la lampe. La Seine, qui clapote autour du bateau, balance tout doucement la maison de planches. Le petit enfant perdu sent une douce chaleur l'envahir, et il s'endort avec la sensation inconnue de quelque chose comme une main caressante qui a passe sur sa tete, lorsque ses yeux se fermaient. CHAPITRE II LA BELLE-NIVERNAISE. Mlle Clara se reveillait toujours de bonne heure. Elle fut tout etonnee, ce matin-la, de ne pas voir sa mere dans la cabine et de trouver cette autre tete a cote d'elle sur l'oreiller. Elle se frotta les yeux avec ses petits poings, prit son camarade de lit par les cheveux et le secoua. Le pauvre Totor se reveilla au milieu des supplices les plus bizarres, tourmente par des doigts malins qui lui chatouillaient le cou et l'empoignaient par le nez. Il promena autour de lui des yeux surpris, et fut tout etonne de voir que son reve durait toujours. Au-dessus d'eux, des pas craquaient. On debarquait des planches sur le quai, avec un bruit sourd. Mlle Clara semblait fort intriguee. Elle eleva le petit doigt en l'air et montra le plafond a son ami avec un geste qui voulait dire: "Qu'est-ce que c'est que ca?" C'etait la livraison qui commencait. Dubac, le menuisier de la Villette, etait arrive a six heures, avec son cheval et sa charrette, et le pere Louveau s'etait mis a la besogne, d'un entrain qu'on ne lui connaissait pas. Il n'avait pas ferme l'oeil de la nuit, le brave homme, a la pensee qu'il faudrait reporter au commissaire cet enfant qui avait si froid et si faim. Il s'attendait a une nouvelle scene au reveil; mais la mere Louveau avait d'autres idees en tete, car elle ne lui parla pas de Victor. Francois croyait gagner beaucoup en reculant l'heure de l'explication. Il ne songeait qu'a se faire oublier, qu'a echapper a l'oeil de sa femme, travaillant de tout son coeur, de peur que la mere Louveau, le voyant oisif, ne lui criat: "Dis donc, toi, puisque tu ne fais rien, reconduis le petit ou tu l'as pris." Et il travaillait. Les tas de planches diminuaient a vue d'oeil. Dubac avait deja fait trois voyages, et la mere Louveau, debout sur la passerelle, son nourrisson dans les bras, avait tout juste le temps de compter les livraisons au passage. Dans sa bonne volonte, Francois choisissait des madriers longs comme des mats, epais comme des murs. Quand la solive etait trop lourde, il appelait l'equipage a son secours, pour charger. L'equipage, c'etait un matelot a jambe de bois qui composait a lui tout seul le personnel de la _Belle-Nivernaise_. On l'avait recueilli par charite et garde par habitude. L'invalide s'arc-boutait sur sa quille, on soulevait la poutre avec de grands efforts, et Louveau, ployant sous le faix, la ceinture tendue sur les reins, descendait lentement le pont volant. Le moyen de deranger un homme si occupe? La mere Louveau n'y pensait pas. Elle allait et venait sur la passerelle, absorbee par Mimile, qui tetait. Toujours altere, ce Mimile! Comme son pere. Altere, lui, Louveau!... pas aujourd'hui, bien sur. Depuis le matin qu'on travaille, il n'a pas encore ete question de vin blanc. On n'a pas seulement pris le temps de souffler, de s'eponger le front, de trinquer sur le coin d'un comptoir. Meme, tout a l'heure, quand Dubac a propose d'aller boire un verre, Francois a repondu heroiquement: "Plus tard, nous avons le temps." Refuser un verre! La menagere n'y comprend plus rien, on lui a change son Louveau. On a change Clara aussi, car voila onze heures sonnees, et la petite, qui ne veut jamais rester au lit, n'a pas bouge de la matinee. Et la mere Louveau descend quatre a quatre dans la cabine pour voir ce qui se passe. Francois reste sur le pont, les bras ballants, suffoque comme s'il venait de recevoir une solive dans l'estomac. Cette fois, ca y est. Sa femme s'est souvenue de Victor; elle va le remonter avec elle, et il faudra se mettre en route pour le bureau du commissaire. Mais non; la mere Louveau reparait toute seule, elle rit, elle l'appelle d'un signe. "Viens donc voir, c'est trop drole!" Le bonhomme ne comprend rien a cette gaiete subite, et il la suit comme un automate, les jambes roides de son emotion. Les deux marmots etaient assis au bord du lit, en chemise, les pieds nus. Ils s'etaient empares du bol de soupe que la mere, en se levant, avait laisse a la portee des petits bras. N'ayant qu'une cuillere pour deux bouches, ils s'empataient a tour de role, comme des oisillons dans un nid, et Clara, qui faisait toujours des facons pour manger sa soupe, tendait son bec a la cuillere, en riant. On s'etait bien mis un peu de pain dans les yeux et dans les oreilles, mais l'on n'avait rien casse, rien renverse, et les deux bebes s'amusaient de si bon coeur, qu'il n'y avait pas moyen de rester fache. La mere Louveau riait toujours. "Puisqu'ils s'entendent si bien que cela, nous n'avons pas besoin de nous occuper d'eux." Francois retourna vite a sa besogne, enchante de la tournure que prenaient les choses. D'ordinaire, les jours de livraison, il se reposait, dans la journee, c'est-a-dire qu'il roulait tous les cabarets de mariniers, du Point-du-Jour au quai de Bercy. Aussi le dechargement trainait pendant une grande semaine, et la mere Louveau ne decolerait pas. Mais, cette fois, pas de vin blanc, pas de paresse, une rage de bien faire, un travail fievreux et soutenu. De son cote, comme s'il eut compris qu'il fallait gagner sa cause, le petit faisait bien tout ce qu'il pouvait pour amuser Clara. Pour la premiere fois de sa vie, la fillette passa la journee sans pleurer, sans se cogner, sans trouer ses bas. Son camarade l'amusait, la mouchait. Il etait toujours dispose a faire le sacrifice de sa chevelure pour arreter les larmes de Clara, au bord des cils. Et elle tirait a pleines mains dans la tignasse embrouillee, taquinant son grand ami comme un roquet qui mordille un caniche. La mere Louveau voyait tout cela de loin. Elle se disait que cette petite bonne d'enfant etait tout de meme commode. On pouvait bien garder Victor jusqu'a la fin de la livraison. Il serait temps de le rendre apres, au moment de partir. C'est pourquoi, le soir, elle ne fit pas d'allusion au renvoi du petit, le gorgea de pommes de terre, et le coucha comme la veille. On aurait dit que le protege de Francois faisait partie de la famille et, a voir Clara le serrer par le cou en s'endormant, on devinait que la fillette l'avait pris sous sa protection. Le dechargement de la _Belle-Nivernaise_ dura trois jours. Trois jours de travail force, sans une distraction, sans un ecart. Sur le midi, la derniere charrette fut chargee, le bateau vide. On ne pouvait prendre le remorqueur que le lendemain, et Francois passa toute la journee cache dans l'entrepont, radoubant le bordage, poursuivi par cette phrase qui, depuis trois jours, lui bourdonnait aux oreilles: "Reporte-le chez le commissaire." Ah! ce commissaire! Il n'etait pas moins redoute dans la cabine de la _Belle-Nivernaise_ que dans la maison de Guignol. Il etait devenu une espece de croquemitaine dont la mere Louveau abusait pour faire taire Clara. Toutes les fois qu'elle prononcait ce nom redoute, le petit attachait sur elle ses yeux inquiets d'enfant qui a trop tot souffert. Il comprenait vaguement tout ce que ce mot contenait de perils a venir. Le commissaire! Cela voulait dire: plus de Clara, plus de caresses, plus de feu, plus de pommes de terre. Mais le retour a la vie noire, aux jours sans pain, aux sommeils sans lit, aux reveils sans baisers. Aussi, comme il se cramponna aux jupes de la mere Louveau la veille du depart, quand Francois demanda d'une voix tremblante: "Voyons, le reportons-nous, oui ou non?" La mere Louveau ne repondit pas. On aurait dit qu'elle cherchait une excuse pour garder Victor. Quant a Clara, elle se roulait sur le parquet, suffoquee de larmes, decidee a avoir des convulsions si on la separait de son ami. La femme de tete parla gravement. "Mon pauvre homme, tu as fait une betise, comme toujours. "Maintenant il faut la payer. "Cet enfant-la s'est attache a nous, Clara s'est toquee de lui, et ca peinerait tout le monde de le voir partir. "Je vais essayer de le garder, mais je veux que chacun y mette du sien. "La premiere fois que Clara aura ses nerfs ou que tu te griseras, je le reporterai chez le commissaire." Le pere Louveau rayonnait. C'etait dit. Il ne boirait plus. Il riait jusqu'a ses boucles d'oreilles et chantait sur le pont, en roulant son cable, tandis que le remorqueur entrainait la _Belle-Nivernaise_ avec toute une flottille de bateaux. CHAPITRE III EN ROUTE. Victor etait en route. En route pour la campagne de banlieue, mirant dans l'eau ses maisonnettes et ses potagers. En route pour le pays blanc des collines crayeuses. En route le long des chemins de halage sonores et dalles. En route pour la montagnette, pour le canal de l'Yonne endormi dans son lit d'ecluses. En route pour les verdures d'hiver et les bois du Morvan. Adosse a la barre de son bateau, et entete dans sa volonte de ne pas boire, Francois faisait la sourde oreille aux invitations des eclusiers et des marchands de vins etonnes de le voir passer au large. Il fallait se cramponner a la barre pour empecher la _Belle-Nivernaise_ d'accoster les cabarets. Depuis le temps que le vieux bateau faisait le meme voyage, il connaissait les stations, et s'arretait tout seul comme un cheval d'omnibus. A l'avant, juche sur une seule patte, l'equipage manoeuvrait melancoliquement une gaffe immense, repoussait les herbes, arrondissait les tournants, accrochait les ecluses. Il ne faisait pas grande besogne, bien qu'on entendit jour et nuit sur le pont le clabaudement de sa jambe de bois. Resigne et muet, il etait de ceux pour qui tout a mal tourne dans la vie. Un camarade l'avait eborgne a l'ecole, une hache l'avait estropie a la scierie, une cuve l'avait ebouillante a la raffinerie. Il aurait fait un mendiant, mourant de faim au bord d'un fosse, si Louveau--qui avait toujours eu du coup d'oeil--ne l'eut embauche a la sortie de l'hopital pour l'aider a la manoeuvre. C'avait meme ete l'occasion d'une fiere querelle, autrefois, exactement comme pour Victor. La femme de tete s'etait fachee. Louveau avait baisse le nez. Et l'equipage avait fini par rester. A present il faisait partie de la menagerie de la _Belle-Nivernaise,_ au meme titre que le chat et le corbeau. Le pere Louveau gouverna si droit, et l'equipage manoeuvra si juste, que douze jours apres son depart de Paris, la _Belle-Nivernaise,_ ayant remonte le fleuve et les canaux, vint s'amarrer au pont de Corbigny pour dormir en paix son sommeil d'hiver. De decembre a la fin de fevrier, les mariniers ne naviguent pas. Ils radoubent leurs bateaux et parcourent les forets pour acheter sur pied les coupes de printemps. Comme le bois n'est pas cher, on brule beau feu dans les cabines, et, si la vente d'automne a bien reussi, ce temps de chomage est un repos joyeux. On disposa la _Belle-Nivernaise_ pour l'hivernage, c'est-a-dire que l'on decrocha le gouvernail, que l'on cacha le mat de fortune dans l'entrepont et que toute la place resta libre pour jouer et pour courir sur la tillac. Quel changement de vie pour l'enfant trouve! Pendant tout le voyage, il etait demeure abasourdi, effarouche. On aurait dit un oiseau eleve en cage que la liberte etonne, et qui oublie du coup sa roulade et ses ailes. Trop jeune pour etre charme du paysage, deroule sous ses yeux, il avait subi pourtant la majeste de cette montee du fleuve entre deux horizons fuyants. La mere Louveau, qui le voyait sauvage et taciturne, repetait du matin au soir: "Il est sourd-muet!" Non, il n'etait pas muet, le petit Parisien du faubourg du Temple! Quand il eut bien compris qu'il ne revait pas, qu'il ne retournerait plus dans sa mansarde, et que malgre les menaces de la mere Louveau, on n'avait plus grand chose a craindre du commissaire, sa langue se delia. Ce fut l'epanouissement d'une fleur de cave, que l'on porterait sur une croisee. Il cessa de se blottir dans les coins avec une sauvagerie de furet traque. Ses yeux enfonces sous son front bombe perdirent leur mobilite inquiete, et, bien qu'il restat palot et de mine reflechie, il apprit a rire avec Clara. La fillette aimait passionnement son camarade, comme on aime a cet age-la, pour le plaisir de se quereller et de se raccommoder. Bien qu'elle fut tetue comme une petite bourrique, elle avait un coeur tres tendre, et il suffisait de parler du commissaire pour la faire obeir. On etait a peine arrive a Corbigny qu'une nouvelle soeur vint au monde. Mimile avait tout juste dix-huit mois, et cela fit bien des berceaux dans la cabine, bien de la besogne aussi; car, avec toutes les charges que l'on avait, il n'etait pas possible de payer une servante. La mere Louveau bougonnait a faire trembler la jambe de bois de l'equipage. Personne ne la plaignait dans le pays. Meme, les paysans ne se generent pas pour dire leur facon de penser a M. le cure qui proposait le marinier pour exemple. "Tout ce que vous voudrez, monsieur le cure, ca n'a pas de bon sens, quand on a trois enfants a soi, d'aller ramasser ceux des autres. "Mais les Louveau ont toujours ete comme cela." "C'est la gloriole qui les tient, et tous les conseils qu'on leur donnera ne les changeront pas." On ne leur souhaitait pas de mal, mais on n'aurait pas ete fache qu'ils recussent une lecon. M. le cure etait un brave homme sans malice, qui devenait aisement de l'avis des autres, et finissait par se rappeler un passage de l'Ecriture ou des Peres pour se rassurer lui-meme sur ses revirements. "Mes paroissiens ont raison, se disait-il en passant la main sous son menton mal rase. "Il ne faut pas tenter la divine Providence." Mais, comme a tout prendre, les Louveau etaient de braves gens, il leur fit, a l'ordinaire, sa visite pastorale. Il trouva la mere taillant des culottes pour Victor dans une vieille vareuse, car le mioche etait arrive sans bagage et la menagere ne pouvait souffrir des loques autour d'elle. Elle donna un banc a M. le cure, et comme il lui parlait de Victor, insinuant que, peut-etre, avec la protection de Monseigneur, on pourrait le faire entrer a l'orphelinat d'Autun, la mere Louveau, qui avait son franc-parler avec tout le monde, repondit brusquement: "Que le petit soit une charge pour nous autres, ca c'est sur, monsieur le cure; m'est avis que, en me l'apportant, Francois a prouve une fois de plus qu'il n'etait pas un aigle. "Je n'ai pas le coeur plus dur que le pere; si j'avais rencontre Victor, ca m'aurait fait de la peine, pourtant je l'aurais laisse ou il etait. "Mais maintenant qu'on l'a pris, ce n'est pas pour s'en defaire, et, si, un jour, nous nous trouvons dans l'embarras a cause de lui, nous n'irons pas demander la charite a personne." A ce moment Victor entra dans la cabine, portant Mimile a son cou. Le marmot, furieux d'avoir ete sevre, se vengeait en refusant de poser le pied a terre. Il faisait ses dents et mordait le monde. Emu de ce spectacle, M. le cure etendit la main sur la tete de l'enfant trouve, et dit solennellement: "Dieu benit les grandes familles." Et il s'en alla, enchante d'avoir trouve dans ses souvenirs une sentence si appropriee a la situation. Elle n'avait pas menti, la mere Louveau, en disant que Victor etait maintenant de la famille. Tout en bougonnant, tout en parlant sans cesse de reporter le petit chez le commissaire, la femme de tete s'etait attachee au pauvre palot qui ne quittait pas ses jupes. Quand Louveau trouvait qu'on en faisait trop, elle repondait invariablement: "Il ne fallait pas le prendre." Des qu'il eut sept ans, elle l'envoya a l'ecole avec Clara. C'etait toujours Victor qui portait le panier et les livres. Il se battait vaillamment pour defendre le gouter contre l'appetit sans scrupules des jeunes Morvandiaux. Il n'avait pas moins de courage au travail qu'a la bataille, et, bien qu'il ne suivit l'ecole qu'en hiver, quand on ne naviguait pas, il en savait plus, a son retour, que les petits paysans, lourds et bruyants comme leurs sabots, qui baillaient douze mois de suite sur l'abecedaire. Victor et Clara revenaient de l'ecole par la foret. Les deux enfants s'amusaient a regarder les bucherons saper les arbres. Comme Victor etait leger et adroit, on le faisait grimper a la cime des sapins pour attacher la corde qui sert a les abattre. Il paraissait plus petit a mesure qu'il montait, et quand il arrivait en haut, Clara avait tres peur. Lui, brave, se balancait tout expres pour la taquiner. D'autres fois, ils allaient voir M. Maugendre a son chantier. Le charpentier etait un homme maigre et sec comme une douve. Il vivait seul, en dehors du village, en pleine foret. On ne lui connaissait pas d'amis. La curiosite villageoise avait ete longtemps intriguee par la solitude et le silence de cet inconnu qui etait venu, du fond de la Nievre, monter un chantier a l'ecart des autres. Depuis six ans, il travaillait par tous les temps, sans jamais chomer, comme un homme a la peine, bien qu'il passat pour avoir beaucoup de "denree", fit de gros marches et allat souvent consulter le notaire de Corbigny sur le placement de ses economies. Un jour il avait dit a M. le cure qu'il etait veuf. On n'en savait pas plus. Quand Maugendre voyait arriver les enfants, il posait sa scie, et laissait la sa besogne pour causer avec eux. Il s'etait pris d'affection pour Victor. Il lui enseignait a tailler des coques de bateau dans des eclats de bois. Une fois, il lui dit: "Tu me rappelles un enfant que j'ai perdu." Et, comme s'il eut craint d'en avoir trop conte, il ajouta: "Oh! il y a longtemps, bien longtemps." Un autre jour, il dit au pere Louveau: "Quand tu ne voudras plus de Victor, donne-le moi. "Je n'ai pas d'heritiers, je ferai des sacrifices, je l'enverrai a la ville, au college. Il passera des examens, il entrera a l'ecole forestiere." Mais Francois etait encore dans le feu de sa belle action. Il refusa, et Maugendre attendit patiemment que l'accroissement progressif de la famille Louveau, ou quelque embarras d'argent, degoutat le marinier des adoptions. Le hasard parut vouloir exaucer ses voeux. En effet, on eut pu croire que le guignon s'etait embarque sur la _Belle-Nivernaise_ en meme temps que Victor. Depuis ce moment-la, tout allait de travers. Le bois se vendait mal. L'equipage se cassait toujours quelque membre la veille des livraisons. Enfin, un beau jour, au moment de partir pour Paris, la mere Louveau tomba malade. Au milieu des hurlements des marmots, Francois perdait la tete. Il confondait la soupe et les tisanes. Il impatientait si fort la malade par ses sottises qu'il renonca a la soigner et laissa faire Victor. Pour la premiere fois de sa vie, le marinier acheta son bois. Il avait beau entortiller les arbres avec ses ficelles, prendre trente-six fois de suite la meme mesure, il se trompait toujours dans le calcul,--vous savez le fameux calcul: Je multiplie, je multiplie... C'etait la mere Louveau qui savait ca! Il executa la commande tout de travers, se mit en route pour Paris avec une grosse inquietude, tomba sur un acheteur malhonnete, qui profita de la circonstance pour le rouler. Il revint au bateau le coeur bien gros, s'assit au pied du lit, et dit d'une voix desolee: "Ma pauvre femme, tache de te guerir ou nous sommes perdus." La mere Louveau se remit lentement. Elle se debattit contre la mauvaise chance, fit l'impossible pour joindre les deux bouts. S'ils avaient eu de quoi acheter un bateau neuf, ils auraient pu relever leur commerce, mais on avait depense toutes les economies pendant les jours de maladie, et les benefices passaient a boucher les trous de la _Belle-Nivernaise_ qui n'en pouvait plus. Victor devint une lourde charge pour eux. Ce n'etait plus l'enfant de quatre ans qu'on habillait dans une vareuse et que l'on nourrissait par-dessus le marche. Il avait douze ans, maintenant; il mangeait comme un homme, bien qu'il fut reste maigrichon, tout en nerfs et qu'on ne put encore songer a lui faire manoeuvrer la gaffe,--quand l'Equipage se cassait quelque chose. Et tout allait de mal en pis. On avait eu grand'peine au dernier voyage, a remonter la Seine jusqu'a Clamecy. La _Belle-Nivernaise_ faisait eau de toutes parts; les raccords ne suffisaient plus, il aurait fallu radouber toute la coque, ou plutot mettre la barque au rancart et la remplacer. Un soir de mars, c'etait la veille de l'appareillage pour Paris, comme Louveau tout soucieux prenait conge de Maugendre, apres avoir regle son compte de bois, le charpentier lui offrit de venir boire une bouteille dans sa maison. "J'ai a te causer, Francois." Ils entrerent dans la cabane. Maugendre remplit deux verres et ils s'attablerent en face l'un de l'autre. "Je n'ai pas toujours ete isole comme tu vois, Louveau. "Je me rappelle un temps ou j'avais tout ce qu'il faut pour etre heureux; un peu de bien et une femme qui m'aimait. "J'ai tout perdu. "Par ma faute." Et le charpentier s'interrompit; l'aveu qu'il avait dans la gorge l'etranglait. "Je n'ai jamais ete un mechant homme, Francois. Mais j'avais un vice. --Toi? --Je l'ai encore. "J'aime la "denree" par-dessus tout. "C'est ce qui a cause mes malheurs. --Comment ca, mon pauvre Maugendre? --Je vais te le dire. "Sitot marie, quand nous avons eu notre enfant, l'idee m'est venue d'envoyer ma femme a Paris, chercher une place de nourrice. "Ca rapporte gros, quand le mari a de l'ordre et qu'il sait conduire sa maison tout seul. "Ma femme ne voulait pas se separer de son moutard. "Elle me disait: "Mais mon homme, nous gagnons assez d'argent comme ca! "Le reste serait de l'argent maudit! "Il ne nous profiterait pas. "Laisse ces ressources-la aux pauvres menages deja charges d'enfants, et epargne-moi le chagrin de vous quitter. "Je n'ai rien voulu ecouter, Louveau, et je l'ai forcee a partir. --Eh bien? --Eh bien, quand ma femme a eu trouve une place, elle a donne son enfant a une vieille pour le ramener au pays. "Elle les a accompagnes au chemin de fer. "Depuis on n'en a plus jamais entendu parler. --Et ta femme, mon pauvre Maugendre? --Quand on lui a appris la nouvelle, ca a fait tourner son lait. "Elle est morte." Ils se turent tous deux, Louveau emu de ce qu'il venait d'entendre, Maugendre accable par ses souvenirs. Ce fut le charpentier qui parla le premier: "Pour me punir, je me suis condamne a l'existence que je mene. "J'ai vecu douze ans a l'ecart de tous. "Je n'en peux plus. J'ai peur de mourir seul. "Si tu as pitie de moi, tu me donneras Victor, pour me remplacer l'enfant que j'ai perdu." Louveau etait tres embarrasse. Victor leur coutait cher. Mais, si on se separait de lui au moment on il allait pouvoir se rendre utile, tous les sacrifices qu'on s'etait imposes pour l'elever seraient perdus. Maugendre devina sa pensee: "Il va sans dire, Francois, que, si tu me le donnes, je te dedommagerai de tes frais. "Ca serait aussi une bonne affaire pour le petit. Je ne peux jamais voir les eleves forestiers dans les bois sans me dire: J'aurais pu faire de mon garcon un monsieur comme ces messieurs-la. "Victor est laborieux et il me plait. Tu sais bien que je le traiterai comme mon fils. "Voyons, est-ce dit?" On en causa le soir, les enfants couches dans la cabine de la _Belle-Nivernaise_. La femme de tete essaya de raisonner. "Vois-tu, Francois, nous avons fait pour cet enfant-la tout ce que nous avons pu. "Dieu sait qu'on desirait le garder! "Mais, puisqu'il s'offre une occasion de nous separer de lui sans le rendre malheureux, il faut tacher d'avoir du courage." Et, malgre eux, les yeux se tournerent vers le lit, ou Victor et Mimile dormaient d'un sommeil d'enfants, calme et abandonne. "Pauvre petit!" dit Francois d'une voix douce. Ils entendaient la riviere clapoter le long du bordage, et, de temps en temps, le sifflet du chemin de fer dechirant la nuit. La mere Louveau eclata en sanglots: "Dieu aie pitie de nous, Francois, je le garde!" CHAPITRE IV LA VIE EST RUDE. Victor touchait a ses quinze ans. Il avait pousse tout d'un coup, le petit palot, devenant un fort gars aux epaules larges, aux gestes tranquilles. Depuis le temps qu'il naviguait sur la _Belle-Nivernaise_, il commencait a connaitre son chemin comme un vieux marinier, nommant les bas-fonds, flairant les hauteurs d'eau, passant des manoeuvres de la perche a celles du gouvernail. Il portait la ceinture rouge et la vareuse bouffante autour des reins. Quand le pere Louveau lui abandonnait la barre, Clara, qui se faisait grande fille, venait tricoter a cote de lui, eprise de sa figure calme et de ses mouvements robustes. Cette fois-la, la route de Corbigny a Paris avait ete rude. Grossie par les pluies d'automne, la Seine avait fait tomber les barrages, et se ruait vers la mer comme une bete echappee. Les mariniers inquiets hataient leurs livraisons, car le fleuve roulait deja au ras des quais, et les depeches, envoyees d'heure en heure par les postes d'eclusiers annoncaient de mauvaises nouvelles. On disait que les affluents rompaient leurs digues, inondaient la campagne, et la crue montait, montait. Les quais etaient envahis par une foule affairee, grouillement d'hommes, de charrettes et de chevaux; au-dessus les grues a vapeur manoeuvraient leur grand bras. La Halle aux vins etait deja deblayee. Des camions emportaient des caisses de sucre. Les loueurs quittaient leurs cabines; les quais se vidaient; et la file des charrois, gravissant la pente des rampes, fuyait la crue comme une armee en marche. Retardes par la brutalite des eaux et les relaches des nuits sans lune, les Louveau desesperaient de livrer leur bois a temps. Tout le monde avait mis la main a la besogne, et l'on travaillait fort tard dans la soiree a la lueur des becs de gaz du quai et des lanternes. A onze heures, toute la cargaison etait empilee au pied de la rampe. Comme la charrette de Dubac, le menuisier, ne reparaissait pas, on se coucha. Ce fut une terrible nuit, pleine de grincements de chaines, de craquements de bordages, de chocs de bateaux. La _Belle-Nivernaise_, disloquee par les secousses, poussait des gemissements comme un patient a la torture. Pas moyen de fermer l'oeil. Le pere Louveau, sa femme, Victor et l'Equipage se leverent a l'aube, laissant les enfants dans leur lit. La Seine avait encore monte dans la nuit. Houleuse et vaguee comme une mer, elle coulait verte sous le ciel bas. Sur les quais, pas un mouvement de vie. Sur l'eau, pas une barque. Mais des debris de toits et de clotures charries au fil du courant. Au dela des ponts, la silhouette de Notre-Dame, estompee dans le brouillard. Il ne fallait pas perdre une seconde, car le fleuve avait deja franchi les parapets du bas port, et les vaguettes, lechant le bout des planches, avaient fait ecrouler les piles de bois. A mi-jambes dans l'eau, Francois, la mere Louveau et Dubac chargeaient la charrette. Tout d'un coup, un grand bruit, a cote d'eux, les effraya. Un chaland, charge de pierres meulieres brisant sa chaine, vint couler bas contre le quai, fendu de l'etrave a l'etambot. Il y eut un horrible dechirement suivi d'un remous. Et, comme ils restaient immobiles, terrifies par ce naufrage, ils entendirent une clameur derriere eux. Dechainee par la secousse, la _Belle-Nivernaise_ se detachait du bord. La mere Louveau poussa un cri: "Mes enfants!" Victor s'etait deja precipite dans la cabine. Il reparut sur le pont, le petit dans les bras. Clara et Mimile le suivaient, et tous tendaient les mains vers le quai. "Prenez-les! --Un canot! --Une corde!" Que faire? Pas moyen de les passer tous a la nage. Et l'Equipage qui courait d'un bordage a l'autre, inutile, affole! Il fallait accoster a tout prix. En face de cet homme egare et de ces petits sanglotants, Victor improvise capitaine se sentit l'energie qu'il fallait pour les sauver. Il commandait: "Allons! Jette une amarre! "Depeche-toi! --Attrape!" Ils recommencerent par trois fois. Mais la _Belle-Nivernaise_ etait deja trop loin du quai, le cable tomba dans l'eau. Alors Victor courut au gouvernail, et on l'entendit qui criait: "Ayez pas peur! Je m'en charge!" En effet, d'un vigoureux coup de barre il redressa l'embarcation qui s'en allait, prise de flanc, a la derive. Sur le quai, Louveau perdait la tete. Il voulait se jeter a l'eau pour rejoindre ses enfants, mais Dubac l'avait saisi a bras-le-corps, pendant que la mere Louveau se couvrait la figure avec les mains pour ne pas voir. Maintenant la _Belle-Nivernaise_ tenait le courant et filait avec la vitesse d'un remorqueur sur le pont d'Austerlitz. Tranquillement adosse a la barre, Victor gouvernait, encourageait les petits, donnait des ordres a l'Equipage. Il etait sur d'etre dans la bonne passe, car il avait manoeuvre droit sur le drapeau rouge pendu au milieu de la maitresse-arche pour indiquer la route aux mariniers. Mais aurait-on la hauteur de passer, mon Dieu! Il voyait le pont se rapprocher tres vite. "A ta gaffe, l'Equipage! Toi, Clara, ne lache pas les enfants." Il se cramponnait au gouvernail. Il sentait deja le vent de l'arche dans ses cheveux. On y etait. Emportee par son elan, la _Belle-Nivernaise_ disparut sous la travee, avec un bruit epouvantable, mais non pas si vite, que la foule, amassee sur le pont d'Austerlitz, n'apercut le matelot a la jambe de bois manquer son coup de gaffe, et tomber a plat ventre, tandis que l'enfant criait du gouvernail: "Un grappin! un grappin!" La _Belle-Nivernaise_ etait sous le pont. Dans l'ombre de l'arche, Victor distinguait nettement les enormes anneaux scelles dans l'assise des piles, les joints de la voute au-dessus de sa tete, et, dans la perspective, l'enfilade des autres ponts encadrant des pans de ciel. Puis ce fut comme un elargissement d'horizon, un eblouissement de plein air au sortir d'une cave, un bruit de hourras au-dessus de sa tete, et la vision de la cathedrale, ancree sur le fleuve comme une fregate. Le bateau s'arreta net. Des pontiers avaient reussi a lancer un croc dans le bordage. Victor courut a l'amarre et enroula solidement le cable autour de la corde. On vit la _Belle-Nivernaise_ virer de bord, pivoter sur l'amarre et, cedant a l'impulsion nouvelle qui la halait, accoster lentement le quai de la Tournelle, avec son equipage de marmots et son capitaine de quinze ans. Oh! quelle joie, le soir, de se compter tous autour du fricot fumant, dans la cabine du bateau--cette fois bien ancre, bien amarre. Le petit heros a la place d'honneur,--la place du capitaine. On n'avait pas beaucoup d'appetit, apres la rude emotion du matin, mais les coeurs etaient dilates, comme a la suite des angoisses. On respirait largement. On clignait de l'oeil au travers de la table pour se dire: "Hein! tout de meme, si nous l'avions reporte chez le commissaire?" Et le pere Louveau riait jusqu'aux oreilles, promenant un regard mouille sur sa couvee. On aurait dit qu'il leur etait arrive une bonne fortune, que la _Belle-Nivernaise_ n'avait plus un trou dans les cotes, qu'ils avaient gagne le gros lot a la loterie. Le marinier assommait Victor de coups de poings. Une facon de lui temoigner sa tendresse. "Matin de Victor! "Quel coup de barre! "As-tu vu ca, l'Equipage? "Je n'aurais pas mieux fait, he! he! moi, le patron." Le bonhomme en eut pour quinze jours a pousser des exclamation, a courir les quais pour raconter le coup de barre. "Vous comprenez: "Le bateau drossait. "Alors lui: "Vlan!" Et il faisait un geste pour indiquer la manoeuvre. Pendant ce temps la Seine baissait et le moment approchait de repartir. Un matin, comme Victor et Louveau pompaient sur le tillac, le facteur apporta une lettre. Il y avait un cachet bleu derriere. Le marinier ouvrit la lettre d'une main un peu tremblante, et, comme il n'etait pas beaucoup plus fort sur la lecture que sur le calcul, il dit a Victor: "Epelle-moi ca, toi." Et Victor lut: BUREAU DU COMMISSAIRE DE POLICE XIIe ARRONDISSEMENT "Monsieur Louveau (Francois), patron-marinier est invite a passer dans le plus bref delai au cabinet du commissaire de police." "C'est tout? --C'est tout." Louveau s'absenta toute la journee. Quand il rentra, le soir, toute sa gaiete avait disparu... Il etait sombre, hargneux, taciturne. La mere Louveau n'y comprenait rien, et, comme les petits etaient montes sur le pont pour jouer, elle lui demanda: "Qu'est-ce qui se passe? --J'ai des ennuis. --A cause de ta livraison? --Non, a propos de Victor." Et il conta sa visite au commissaire. "Tu sais, cette femme qui l'a abandonne? Ce n'etait pas sa mere. --Ah! bah! --Elle l'avait vole. --Comment le sait-on? --C'est elle-meme qui l'a avoue au commissaire avant de mourir. --Mais alors on t'a dit le nom de ses parents?" Louveau tressaillit. "Pourquoi veux-tu qu'on me l'ait dit! --Dame! puisqu'on t'a fait demander." Francois se facha. "Si je le savais, je te le dirais peut-etre?" Il etait tout rouge de colere, et il sortit en claquant la porte. La mere Louveau resta interdite. "Qu'est-ce qu'il a donc?" Oui, qu'est-ce qu'il avait donc, Francois? A partir de ce jour, ses facons, ses paroles, son caractere, tout fut change en lui. Il ne mangeait plus, il dormait mal, il parlait la nuit. Il repondait a sa femme! Il querellait l'Equipage, rudoyait tout le monde, et Victor plus que les autres. Quand la mere Louveau, etonnee, lui demandait ce qu'il avait, il repondait brutalement: "Je n'ai rien. "Est-ce que j'ai l'air d'avoir quelque chose? "Vous etes tous conjures contre moi." La pauvre femme y perdait sa peine: "Il devient fou, ma parole!" Elle le crut tout a fait toque, lorsque, un beau soir, il leur fit une scene epouvantable a propos de Maugendre. On etait au bout du voyage et l'on allait arriver a Clamecy. Victor et Clara causaient de l'ecole, et le garcon ayant dit qu'il aurait du plaisir a revoir Maugendre, le pere Louveau s'emporta: "Laisse-moi tranquille avec ton Maugendre. "Je ne veux plus avoir affaire a lui." La mere intervint: "Qu'est-ce qu'il t'a fait? --Il m'a fait... Il m'a fait... Ca ne te regarde pas. Je suis le maitre, peut-etre!" Helas! il etait si bien le maitre maintenant, que, au lieu de relacher a Corbigny, comme a l'habitude, il remonta deux lieues plus haut, en pleine foret. Il declara que Maugendre ne songeait qu'a le rouler dans tous ses marches, et qu'il ferait de meilleures affaires avec un autre vendeur. On etait trop loin du village pour songer a aller en classe. Victor et Clara couraient les bois toute la journee pour faire du fagot. Quand ils etaient las de porter leur charge, ils la deposaient au dos d'un fosse et s'asseyaient par terre au milieu des fleurs. Victor tirait un livre de sa poche et faisait lire Clara. Ils aimaient a voir le soleil, filtrant au travers des branches, jeter des lumieres tremblantes sur leur page et sur leurs cheveux. Autour d'eux, le bourdonnement des milliers de petites betes; au loin, le calme des bois. Quand on s'etait attarde, il fallait revenir bien vite tout du long de la grande avenue, barree par l'ombre des troncs. Au bout on apercevait dans une eclaircie le mat de la _Belle-Nivernaise_ et la lueur d'un feu dans le brouillard leger qui montait de la riviere. C'etait la mere Louveau qui cuisinait en plein vent au bord de l'eau, sur un feu de bourree. Pres d'elle, Mimile ebouriffe comme un plumeau, sa chemise crevant les culottes, surveillait amoureusement la marmite. La petite soeur se roulait par terre. L'Equipage et Louveau fumaient leurs pipes. Un soir, a l'heure de la soupe, ils virent quelqu'un sortir du bois et venir a eux. "Tiens, Maugendre!" C'etait le charpentier. Bien vieilli, bien blanchi. Il avait un baton a la main, et semblait oppresse en parlant. Il vint a Louveau et lui tendit la main. "Eh bien! Tu m'as donc quitte, Francois?" Le marinier bredouilla une reponse embarrassee. "Oh! je ne t'en veux pas." Il avait l'air si las que la mere Louveau en fut touchee. Sans prendre garde a la mauvaise humeur de son mari, elle lui offrit un banc pour s'asseoir. "Vous n'etes pas malade au moins, monsieur Maugendre? --J'ai pris un mauvais froid." Il parlait lentement, presque bas. La peine l'avait adouci. Il conta qu'il allait quitter le pays pour aller vivre au fond de la Nievre. "C'est fini; je ne ferai plus le commerce. "Je suis riche maintenant; j'ai de l'argent, beaucoup d'argent. "Mais a quoi bon? "Je ne peux pas racheter le bonheur que j'ai perdu." Francois ecoutait, les sourcils fronces. Maugendre continua: "Plus je vieillis, plus je souffre d'etre seul. "Autrefois, j'oubliais encore en travaillant; mais a present, je n'ai plus le coeur a la besogne. "Je n'ai plus de gout a rien. "Aussi, je vais me depatrier, ca me distraira peut-etre." Et, comme malgre lui, ses yeux se tournaient vers les enfants. A ce moment Victor et Clara deboucherent de l'avenue avec leur charge de ramee. En apercevant Maugendre, ils jeterent leurs fagots et coururent a lui. Il les accueillit amicalement comme toujours, et dit a Louveau, qui restait sombre: "Tu es heureux, toi, tu as quatre enfants. Moi, je n'en ai plus." Et il soupira: "Je n'ai rien a dire, c'est de ma faute." Il s'etait leve. Tout le monde l'imita. "Adieu, Victor. Travaille bien et aime tes parents, tu le dois." Il lui avait pose la main sur l'epaule, il le regardait longuement: "Dire que si j'avais un enfant, il serait comme lui." En face, Louveau, la bouche colere, avait un air de dire: "Mais va-t-on donc!" Pourtant au moment ou le charpentier s'en allait, Francois eut un elan de pitie et l'appela: "Maugendre, tu ne manges pas la soupe avec nous?" C'etait dit comme malgre soi, d'un ton brusque qui decourageait d'accepter. Le vieux secoua la tete. "Merci, je n'ai pas faim. "Le bonheur des autres, vois-tu, ca fait mal quand on est bien triste." Et il s'eloigna, courbe sur sa canne. Louveau ne prononca pas une parole de la soiree. Il passa la nuit a marcher sur le pont et, le matin, sortit sans rien dire a personne. Il se rendit au presbytere. La maison du cure etait voisine de l'eglise. C'etait une grande batisse carree avec une cour par devant et un potager derriere. Des poules picoraient sur le seuil. Une vache a l'attache beuglait dans l'herbage. Louveau se sentait le coeur allege par sa resolution. En ouvrant la barriere, il se dit avec un soupir de satisfaction qu'il serait debarrasse de son souci quand il sortirait. Il trouva M. le cure assis au frais dans sa salle a manger. Le pretre avait fini son repas et sommeillait legerement, la tete inclinee sur son breviaire. Reveille par l'entree de Louveau, il marqua la page, et ayant ferme le livre, fit asseoir le marinier qui tournait sa casquette entre ses doigts. "Voyons, Francois, que me voulez-vous?" Il voulait un conseil, et il demanda la permission de conter tout du long son histoire. "Parce que, vous savez, monsieur le cure, je ne suis pas bien fort. Je ne suis pas un aigle, he! he! comme dit ma femme." Et mis a l'aise par ce preambule, il narra son affaire, tres essouffle, tres rouge, en considerant obstinement la visiere de sa casquette. "Vous vous souvenez, monsieur le cure, que Maugendre vous a dit qu'il etait veuf? "Il y a quinze ans de ca; sa femme etait venue a Paris pour faire une nourriture. "Elle avait montre son enfant au medecin comme c'etait l'usage, elle lui avait donne a teter une derniere goutte, et puis elle l'avait confie a une meneuse." Le pretre l'interrompit: "Qu'est-ce que c'est qu'une meneuse, Francois? --C'est une femme, monsieur le cure, que l'on charge de reconduire au pays les enfants des nourrices. "Elle les emporte a la hotte, dans un panier, comme de pauvres petits chats. --Drole de metier! --Il y a des honnetes gens pour le faire, monsieur le cure. "Mais la mere Maugendre etait tombee sur une femme qu'on ne connaissait pas, une sorciere qui volait les enfants et les louait a d'autres faineantes, pour les trimbaler dans la rue et faire pitie au monde. --Qu'est-ce que vous me contez la, Francois? --La verite toute pure, monsieur le cure. "Cette coquine de femme-la a enleve un tas d'enfants, et le mioche de Maugendre avec les autres. "Elle l'a garde jusqu'a quatre ans. "Elle voulait lui apprendre a mendier, mais c'etait le fils d'un brave homme, il refusait de tendre la main. "Alors, elle l'a abandonne dans la rue, et puis, deviens ce que tu peux! "Mais voila que, il y a six mois, a l'hopital, au moment de mourir, un remords l'a prise. "Je sais ce que c'est, monsieur le cure, ca fait diablement souffrir." Et il leva les yeux au plafond, comme pour jurer qu'il ne mentait pas, le pauvre homme. "Alors, elle a demande le commissaire. "Elle lui a dit le nom de l'enfant. "Le commissaire me l'a repete. "C'est Victor." M. le cure laissa tomber son breviaire. "Victor est le fils de Maugendre? --C'est sur." L'ecclesiastique n'en revenait pas. Il balbutia une phrase ou l'on distinguait les mots de... pauvre enfant... doigt de Dieu... Il se leva, marcha dans la chambre, s'approcha de la fenetre, se versa un verre d'eau, et finit par s'arreter en face de Louveau les mains enfoncees dans sa ceinture. Il cherchait une sentence qui s'appliquat a l'evenement, et, comme il n'en trouvait pas, il dit simplement: "Eh bien! mais il faut le rendre a son pere." Louveau tressaillit. "Voila justement mon ennui, monsieur le cure. "Depuis six mois que je sais ca, je n'ai eu le courage de rien dire a personne, pas meme a ma femme. "Nous nous sommes donne tant de mal pour elever cet enfant-la; nous avons eu tant de misere ensemble, que, aujourd'hui, je ne sais plus comment je ferais pour m'en separer." Tout ca, c'etait vrai, et si Maugendre semblait a plaindre, on pouvait bien avoir aussi pitie du pauvre Francois. Pris entre ces attendrissements contradictoires, M. le cure suait a grosses gouttes, appelait mentalement les lumieres d'en haut. Et, oubliant que Louveau etait venu lui demander un avis, il articula d'une voix etouffee: "Voyons, Francois, mettez-vous a ma place, que conseilleriez-vous?" Le marinier baissa la tete. "Je vois bien qu'il faudra rendre Victor, monsieur le cure. "J'ai senti ca l'autre jour quand Maugendre est venu nous surprendre, il m'a fendu le coeur a le voir si vieux, si triste et si casse. "J'etais honteux comme si j'avais eu de l'argent a lui, de l'argent vole, dans ma poche. "Je ne pouvais plus porter mon secret tout seul, je suis venu vous le dire. --Et vous avez bien fait, Louveau, dit M. le cure, enchante de voir le marinier lui fournir une solution. "Il n'est jamais trop tard pour reparer une faute. "Je vais vous accompagner chez Maugendre. "Vous lui avouerez tout. --Demain, monsieur le cure! --Non, Francois, tout de suite." Et, voyant la douleur du bonhomme, le tortillement convulsif de sa casquette, il implora d'une voix faible: "Je vous en prie, Louveau, pendant que nous sommes decides tous les deux! CHAPITRE V LES AMBITIONS DE MAUGENDRE. Un fils! Maugendre a un fils! Il le couve des yeux, assis en face de lui, sur la banquette du wagon, qui les emporte en bourdonnant sur Nevers. C'est un veritable enlevement. Le vieux a emporte son fils presque sans dire merci, comme un manant qui a gagne le gros lot, et se sauve avec. Il n'a pas voulu laisser son enfant ouvert a toutes les affections anciennes. Il a l'avarice de la tendresse, comme il a eu celle de l'or. Pas d'emprunt! pas de partage! Mais son tresor a lui tout seul, sans yeux autour pour le guigner. Les oreilles de Maugendre bourdonnent comme l'express. Sa tete est chauffee comme la locomotive. Et son reve roule plus vite que toutes les locomotives et que tous les express, franchissant d'un elan les jours, les mois, les annees. Ce qu'il reve c'est un Victor de vingt ans, boutonne d'argent, habille de vert sombre. Un eleve de l'ecole forestiere! On dirait meme que l'eleve Maugendre a l'epee au cote et le bicorne sur l'oreille,--comme un polytechnicien;--car toutes les ecoles et tous les uniformes sont un peu meles dans le reve de Maugendre. Et qu'importe! Les galons et les dorures ne coutent pas au charpentier. On a de la "denree" pour payer tout ca... Et Victor sera un "monsieur" chamarre des pieds a la tete. Les hommes lui parleront chapeau bas. Les belles dames en seront folles. Et, dans un coin, il y aura un vieux aux mains calleuses qui dira en se rengorgeant: "Voila mon fils! "Allons, mon fils!" Il songe aussi, "mon fils", son petit beret sur les yeux,--en attendant le tricorne dore. Il ne voudrait pas que son pere le vit pleurer. Ca ete si brusque la separation! Clara lui a donne un baiser qui lui brule encore la joue. Le pere Louveau s'est detourne. La mere Louveau etait toute pale. Et Mimile lui a apporte son ecuelle de soupe, pour le consoler. Tous! jusqu'a Mimile! Oh! comment vivront-ils sans lui? Comment vivra-t-il sans eux? Et le futur eleve de l'ecole forestiere est si trouble qu'il repond: "Oui, monsieur Maugendre." Toutes les fois que son pere lui parle. Et il n'est pas au bout de ses tribulations, le petit marinier de la _Belle-Nivernaise_. Cela ne coute pas seulement de l'argent de devenir un "monsieur", mais bien des sacrifices et des tristesses. Victor en a le sentiment, tandis que le train rapide passe en sifflant, sur les ponts, au-dessus du faubourg de Nevers. Il lui semble qu'il les a deja vues quelque part, dans un passe eloigne et douloureux, ces rues etroites, ces fenetres etranglees comme des soupiraux de prisons, d'ou pendent des loques effilochees. Maintenant ils ont le pave sous les pieds. Autour d'eux circule et bourdonne la cohue des debarcaderes, presse de curieux, bousculade de gens charges de colis, roulement des fiacres et des lourds omnibus du chemin de fer, que des voyageurs, charges de couvertures serrees dans des courroies, prennent bruyamment d'assaut. Victor et son pere sortent en voiture des grilles de la gare. Le charpentier ne lache pas son idee. Il lui faut une transformation subite. Et il conduit "son fils" tout droit chez le tailleur du college. La boutique est neuve, les comptoirs luisants, des messieurs bien mis, qui ressemblent a ceux que l'on voit dans les gravures coloriees, appendues aux murailles, ouvrent la porte aux clients avec un petit sourire protecteur. Ils mettent sous les yeux du pere Maugendre une prime des _Modes illustrees_, ou un collegien fume en compagnie d'une amazone, d'un gentleman en complet de chasse, et d'une mariee vetue de satin blanc. Justement, le tailleur a sous la main la _tunique type_ rembourree devant et derriere, a basques carrees, a boutons d'or. Il l'etale sous les yeux du charpentier, qui s'ecrie rayonnant d'orgueil. "Tu auras l'air d'un militaire la-dedans!" Un monsieur en bras de chemise, qui porte un metre autour du cou, s'approche de l'eleve Maugendre. Il lui mesure le tour des cuisses, la taille et la colonne vertebrale. Cette operation rappelle au petit marinier des souvenirs qui lui noient les yeux de larmes! Les tics du pauvre pere Louveau, les coleres de la femme de tete, tout ce qu'il a laisse derriere lui. C'est bien fini, maintenant. Le jeune homme correct que Victor apercoit en pantalon d'uniforme, dans la grande glace d'essayage, n'a plus rien de commun avec le "petit derriere" de la _Belle-Nivernaise_. Le tailleur pousse dedaigneusement du bout du pied, sous l'etabli, la vareuse humiliee, comme un paquet de loques. Victor sent que c'est tout son passe qu'on lui a fait quitter la. Qu'est-ce a dire, quitter! Voici qu'on lui defend meme de se souvenir! "Il faut rompre avec les vices de votre education premiere", dit severement M. le principal, qui ne dissimule pas sa mefiance. Et, pour faciliter cette regeneration, on decide que l'eleve Maugendre ne sortira du college que tous les premiers dimanches des mois. Oh! comme il pleure, le premier soir, au fond du dortoir triste et froid, tandis que les autres ecoliers ronflent dans leurs lits de fer, et que le pion devore un roman, en cachette, a la lueur d'une veilleuse! Comme il souffre pendant l'heure maudite de recreations, tandis que les camarades le bousculent et le houspillent! Comme il est triste en etude, le nez dans son pupitre, tremblant aux coleres du pion qui tape a tour de bras sur la chaire en repetant toujours la meme phrase: "Un peu de silence, messieurs." Cette voix criarde remue toute la lie des mauvais souvenirs, empoisonne sa vie. Elle lui rappelle les jours noirs de la premiere enfance, le taudis du faubourg du Temple, les coups, les querelles, tout ce qu'il avait oublie. Et il se raccroche desesperement aux images de Clara, de la _Belle-Nivernaise_, comme a une eclaircie de soleil, dans le sombre de sa vie. Et c'est sans doute pour cela que le pion trouve avec stupefaction des dessins de bateaux a toutes les pages des livres de l'eleve Maugendre. Toujours la meme chaloupe reproduite a tous les feuillets avec une obstination d'obsede. Tantot, elle gravit lentement, resserree comme dans un canal, l'echelle etroite des marges. Tantot, elle vient s'echouer en plein theoreme, eclaboussant les figures intercalees et les corollaires en petit texte. Tantot, elle navigue a pleines voiles sur les oceans des planispheres. C'est la qu'elle se carre a l'aise, qu'elle deploie ses voiles, qu'elle fait flotter son drapeau. M. le principal, lasse des rapports circonstancies qu'on lui adresse a ce sujet, finit par en parler a M. Maugendre le pere. Le charpentier n'en revient pas. "Un garcon si doux! --Il est tetu comme un ane. --Si intelligent! --On ne peut rien lui apprendre." Et personne ne peut comprendre que l'eleve Maugendre a appris a lire en plein bois, par-dessus l'epaule de Clara, et que ce n'est pas la meme chose que d'etudier la geometrie, sous la ferule d'un pion hirsute. Voila pourquoi l'eleve Maugendre degringole de l'etude des "moyens" dans l'etude des "petits". C'est qu'il y a une singuliere difference entre les lecons du Magister de Corbigny et celles de MM. les professeurs du college de Nevers. Toute la distance qui separe un enseignement en bonnet de peau de lapin d'un enseignement en toque d'hermine. Le pere Maugendre se desespere. Il lui semble que le forestier en bicorne s'eloigne a grandes enjambees. Il gronde, il supplie, il promet. "Veux-tu des lecons? "Veux-tu des maitres? "Je te donnerai les meilleurs. "Les plus chers!" En attendant, l'eleve Maugendre devient un cancre, et les "bulletins trimestriels" constatent impitoyablement sa "turpitude". Lui-meme, il a le sentiment de sa sottise. Il s'enfonce tous les jours davantage dans l'ombre et dans la tristesse. Si Clara et les autres pouvaient voir ce qu'on a fait de leur Victor! Comme ils viendraient ouvrir toutes grandes les portes de sa prison! Comme ils lui offriraient de bon coeur de partager avec lui leur dernier morceau de pain, leur dernier bout de planche! Car ils sont malheureux eux aussi, les autres. Les affaires vont de mal en pis. Le bateau est de plus en plus vieux. Victor sait cela par les lettres de Clara, qui lui arrivent de temps en temps marquees d'un "vu" au crayon rouge, enorme, furieux, griffonne par M. le principal, qui deteste ces "correspondances interlopes". "Ah! Quand tu etais la! disent les epitres de Clara, toujours aussi tendres, mais de plus en plus affligees... Ah! si tu etais avec nous!" Ne dirait-on pas, vraiment, que tout allait bien dans ce temps-la, et que tout serait sauve si Victor revenait? Eh bien! Victor sauvera tout. Il achetera un bateau neuf. Il consolera Clara. Il relevera le commerce. Il montrera qu'on n'a pas aime un ingrat et recueilli un inutile. Mais, pour cela, il faut devenir un homme. Il faut gagner de l'argent. Il faut etre savant. Et Victor rouvre les livres a la bonne page. A present, les fleches peuvent voler, le pion peut frapper a tour de bras sur la chaire en lancant sa phrase de perroquet: "Messieurs, un peu de silence!" Victor ne leve plus le nez. Il ne dessine plus de bateaux. Il meprise les boulettes qui s'aplatissent sur sa figure. Il buche... il buche... "Une lettre pour l'eleve Maugendre." C'est une benediction que ce souvenir de Clara qui vient le surprendre en pleine etude, pour l'encourager et lui apporter un parfum de liberte et de tendresse. Victor se cache la tete dans son pupitre pour baiser l'adresse zigzagante, peniblement tracee, tremblee, comme si un perpetuel tangage de bateau balancait la table sur laquelle Clara ecrit. Helas! ce n'est pas le tangage, c'est l'emotion qui a fait trembler la main de Clara. "C'est fini, mon cher Victor, la _Belle-Nivernaise_ ne naviguera plus. "Elle est bien morte, et, en mourant, elle nous ruine. "On a suspendu un ecriteau noir a l'arriere: BOIS A VENDRE Provenant de demolitions. "Des gens sont venus, qui ont tout estime, tout numerote, depuis la gaffe de l'Equipage jusqu'au berceau ou dormait la petite soeur. Il parait que l'on va tout vendre, et nous n'avons plus rien. "Qu'allons-nous devenir? "Maman est capable d'en mourir de chagrin, et papa est si change..." Victor n'acheva pas la lettre. Les mots dansaient devant ses yeux; il avait comme un coup de feu sur la face, un bourdonnement dans les oreilles. Ah! il etait bien loin de l'etude, maintenant. Epuise par le travail, le chagrin et la fievre, il delirait. Il croyait s'en aller a la derive, en pleine Seine sur le beau fleuve frais. Il voulait tremper son front dans la riviere. Puis, il entendit vaguement un son de cloche. Sans doute, un remorqueur qui passait dans le brouillard;--puis, ce fut comme un bruit de grandes eaux, et il cria: "La crue! La crue!" Un frisson le prit, rien qu'a penser a l'ombre accumulee sous l'arche du pont; et, au milieu de toutes ces visions, la figure du pion lui apparut tout pres de lui, sous l'abat-jour, hirsute et effaree: "Vous etes malade, Maugendre?" L'eleve Maugendre est bien malade. M. le docteur a beau secouer la tete, quand le pauvre pere, qui le reconduit jusqu'a la porte du college, lui demande d'une voix etranglee d'angoisse: "Il ne va pas mourir, n'est-ce pas?" On voit bien que M. le docteur n'est pas rassure. Ses cheveux gris ne sont pas rassures non plus. Ils disent "non" mollement, comme s'ils avaient peur de se compromettre. On ne parle plus d'habit vert ni de bicorne. Il s'agit seulement d'empecher l'eleve Maugendre de mourir. M. le docteur a dit nettement qu'on ferait bien de lui rendre la clef des champs, s'il en rechappait... S'il en rechappait! La pensee de perdre l'enfant qu'il vient de retrouver aneantit tous les desirs ambitieux du pere enrichi. C'est fini, il renonce a son reve. Il est tout pret a enterrer de ses propres mains l'eleve de l'ecole forestiere. Il le clouera dans la biere, si l'on veut. Il ne portera pas son deuil. Mais, au moins, que l'autre consente a vivre. Qu'il lui parle, qu'il se leve, qu'il lui jette les bras au cou, qu'il lui dise: "Console-toi, mon pere. "Je suis gueri." Et le charpentier se pencha sur le lit de Victor. C'est fini. Le vieil arbre est fendu jusqu'a l'aubier. Le coeur de Maugendre est devenu tendre. "Je te laisserai partir, mon gars. "Tu retourneras avec eux, tu navigueras encore. "Et ce sera trop bon pour moi de te voir quelquefois en passant." A present, la cloche ne sonne plus les heures de la recreation, du refectoire et de l'etude. On est en vacances et le grand college est desert. Pas d'autre bruit que celui du jet d'eau dans la cour d'honneur et des moineaux piaillant sur les preaux. Le roulement des rares voitures arrive lointain et assourdi, car on a mis de la paille dans la rue. C'est au milieu de ce silence et de cette solitude que l'eleve Maugendre revient a lui. Il est tout surpris de se retrouver dans un lit bien blanc, entoure de grands rideaux de percale qui mettent tout autour un isolement de demi-jour et de paix. Il voudrait bien se soulever sur l'oreiller, les ecarter un peu pour voir ou il est; mais, bien qu'il se sente delicieusement repose, il n'en a pas la force, et il attend. Mais des voix chuchotent autour de lui. On dirait, sur le plancher, un bruit de pieds marchant sur la pointe, et meme un clabaudement connu: quelque chose comme la promenade d'un manche a balai sur des planches. Victor a deja entendu cela autrefois. Ou donc? Eh! sur le tillac de la _Belle-Nivernaise_. C'est cela! C'est bien cela! Et le malade, reunissant toute sa force, d'une voix faible, qu'il croit bien grosse: "Ohe! L'Equipage! ohe!" Les rideaux se tirent, et, dans un eblouissement de lumiere, il apercoit tous les etres cheris qu'il a tant appeles dans son delire. Tous. Oui, tous! Ils sont tous la, Clara, Maugendre, le pere Louveau, la mere Louveau, Mimile, la petite soeur, et le vieux heron ebouillante, maigre comme sa gaffe, qui sourit demesurement de son rire silencieux. Et tous les bras sont tendus, et toutes les tetes sont penchees, et il y a des baisers pour tout le monde, des sourires, des poignees de main, des questions. "Ou suis-je? --Comment etes-vous la?" Mais les ordres de M. le docteur sont formels.--Les cheveux gris ne plaisantaient pas en commandant cela.--Il faut rentrer les bras sous les couvertures, se taire, ne pas s'exciter. Et, pour empecher l'enfant de causer, Maugendre parle tout le temps. "Figure-toi qu'il y a dix jours,--le jour ou tu es tombe malade,--je venais justement voir le principal pour lui parler de toi. "Il me dit que tu faisais des progres, que tu travaillais comme un manoeuvre... "Tu juges si j'etais content! "Je demande a te voir. "On t'envoie chercher, et, juste, ton pion tombe dans le cabinet du principal tout effare. "Tu venais d'avoir un acces de fievre chaude. "Je cours a l'infirmerie; tu ne me reconnais pas. Des yeux comme des chandelles, et un delire! "Ah! mon pauvre petit gars, comme tu as ete malade! "Je ne t'ai plus quitte d'une minute. "Tu battais la campagne... Tu parlais de la _Belle-Nivernaise_, de Clara, de bateau neuf. Est-ce que je sais? "Alors je me suis rappele la lettre, la lettre de Clara; on te l'avait trouvee dans les mains, on me l'avait donnee. Et, moi, je l'avais oubliee, tu comprends? "Je la tire de ma poche, je la lis, je me cogne la tete, je me dis: "Maugendre, il ne faut pas que ton chagrin te fasse oublier la peine des amis." "J'ecris a tous ces gens-la de venir nous retrouver. "Pas de reponse. "Je profite d'un jour ou tu vas mieux, je vais les chercher, je les amene chez moi ou ils habitent, et ou ils habiteront jusqu'a ce qu'on ait trouve moyen d'arranger les affaires. "Pas vrai, Louveau?" Tout le monde a la larme a l'oeil, et, ma foi! tant pis pour les cheveux gris du docteur, les deux bras de Victor sortent de la couverture. Et Maugendre est embrasse comme il ne l'a jamais ete, un vrai baiser d'enfant tendre. Puis, comme il n'est pas possible d'emmener Victor a la maison, on arrange la vie. Clara restera pres du malade pour sucrer ses tisanes et faire la causette. La mere Louveau ira tenir la maison, Francois surveillera une batisse que le charpentier a entreprise dans la Grande-Rue. Quant a Maugendre, il part pour Clamecy. Il va voir des connaissances qui ont une grande entreprise de trains de bois. Ces gens-la seront enchantes d'employer un fin marinier comme Louveau. Non! non! pas de recriminations, pas de resistance. C'est une affaire entendue, une chose toute simple. Certes, ce n'est pas Victor qui recrimine. On le leve maintenant et l'on roule son grand fauteuil contre la fenetre. Il est tout seul avec Clara, dans l'infirmerie silencieuse. Et Victor est ravi. Il benit sa maladie. Il benit la vente de la _Belle-Nivernaise_. Il benit toutes les ventes et toutes les maladies du monde. "Te souviens-tu, Clara, quand je tenais la barre, et que tu venais t'asseoir aupres de moi, avec ton tricot?" Clara se souvient si bien qu'elle baisse les yeux, qu'elle rougit, et qu'ils restent tous les deux embarrasses. Car maintenant il n'est plus le petit gars en beret rouge dont les pieds ne touchaient pas le tillac quand il grimpait sur la barre a califourchon. Et, elle, quand elle arrive le matin, et qu'elle ote son petit chale pour le jeter sur le lit, elle a l'air d'une vraie jeune fille, tant ses bras sont ronds dans ses manches, sa taille elancee. "Viens de bonne heure, Clara, et reste le plus tard possible." Il fait si bon dejeuner et diner en tete-a-tete tout pres de la fenetre, a l'abri des rideaux blancs. Ils se rappellent la petite enfance, les panades mangees au bord du lit, avec la meme cuillere. Ah! les souvenirs d'enfance! Ils voltigent dans l'infirmerie du college comme des oiseaux en voliere. Sans doute ils font leur nid dans tous les coins des rideaux, car il y en a de nouveaux chaque matin, frais eclos, qui prennent leur vol. Et vraiment l'on dirait, a entendre ces conversations du passe, un couple d'octogenaires, ne regardant plus qu'au loin derriere eux. N'y a-t-il donc pas un avenir, qui pourrait bien etre interessant, lui aussi? Oui, il y a un avenir, et l'on y pense souvent, si l'on n'en parle jamais. D'ailleurs, il n'est pas indispensable de faire des phrases pour causer. Certaine facon de se prendre la main et de rougir a tout propos en dit plus long que la parole. Victor et Clara causent dans cette langue-la toute la journee. C'est probablement pour cela qu'ils sont souvent silencieux. Et c'est pour cela aussi que les jours passent si vite, que le mois s'ecoule a petit bruit sans qu'on l'entende. C'est pour cela que M. le docteur est oblige de herisser ses cheveux gris et de mettre son malade a la porte de l'infirmerie. Justement, le pere Maugendre revient de voyage a cette epoque. Il trouve tout le monde reuni a la maison. Et quand le pauvre Louveau, tout inquiet, lui demande: "Eh bien! veut-on de moi, la-bas?..." Maugendre ne peut se tenir de rire. "Si on veut de toi, mon vieux!... "Ils avaient besoin d'un patron pour un nouveau navire, et ils m'ont remercie du cadeau que je leur faisais." Qui ca "ils"? Le pere Louveau est si enchante qu'il n'en demande pas davantage. Et tout le monde se met en route pour Clamecy, sans en savoir plus long. Quelle joie, en arrivant au bord du canal! La, a quai, pavoise du haut en bas, un magnifique bateau, flambant neuf, dresse son mat verni au milieu des verdures. On lui donne le dernier coup d'astic, et l'etambot, ou le nom de l'embarcation est ecrit, demeure couvert d'une toile grise. Un cri sort de toutes les bouches: "Ah! le beau navire!" Louveau n'en croit pas ses yeux. Il a une emotion de tous les diables qui lui picote les paupieres, lui fend la bouche d'un pied, et secoue ses boucles d'oreilles comme des paniers a salade. "C'est trop beau! "Je n'oserai jamais conduire un bateau comme ca. C'est pas fait pour naviguer. "On devrait mettre ca sous globe." Il faut que Maugendre le pousse de force sur la passerelle, d'ou l'Equipage leur fait des signes. Comment! L'Equipage lui-meme est restaure? Restaure, radoube, calfate a neuf. Il a une gaffe et une jambe de bois toutes fraiches. C'est une gracieusete de l'entrepreneur, un homme entendu qui a bien fait les choses. Voyez plutot: Le tillac est en bois cire entoure d'une balustrade. Il y a un banc pour s'asseoir, une tente pour s'abriter. La cale est de taille a porter cargaison double. Et la cabine!... oh! la cabine! "Trois chambres! --Une cuisine!" --Des glaces! Louveau entraine Maugendre sur le pont. Il est emu, secoue d'attendrissement,--comme ses boucles d'oreilles. Il begaye: "Mon vieux Maugendre... --Qu'est-ce qu'il y a? --Tu n'as oublie qu'une chose... --Voyons? --Tu ne m'as pas dit pour le compte de qui je naviguerais. --Tu veux le savoir? --Bedame! --Eh bien! pour ton compte! --Comment... mais alors... le bateau. --Est a toi!". Quel coup, mes enfants! Quel abordage en pleine poitrine! Heureusement que l'entrepreneur,--qui est un homme entendu,--a eu l'idee de mettre un banc sur le pont. Louveau tombe dessus comme assomme. "Ce n'est pas possible... on ne peut pas accepter..." Mais Maugendre a reponse a tout: "Allons donc? "Tu oublies notre vieille dette, les depenses que tu as faites pour Victor! "Sois tranquille, Francois, c'est encore moi qui te dois le plus." Et les deux compagnons s'embrassent comme des freres. Cette fois, ca y est, on a pleure. Decidement Maugendre a tout dispose pour que la surprise soit complete, car tandis qu'on s'embrasse sur le pont, voila M. le cure qui debouche du bois, banniere au vent, musique en tete. Qu'est-ce encore? La benediction du bateau, parbleu! Tout Clamecy est venu en procession pour assister a la fete. Et la banniere flotte au vent. Et la musique joue. Zim-boum-boum! Et les figures sont joyeuses. Et il y a sur tout cela un joli soleil qui fait flamber l'argent de la croix et les cuivres des musiciens. La jolie fete! On vient de decouvrir la toile qui masquait l'etambot; le nom du bateau se detache en belles lettres d'or sur un fond d'azur: _La Nouvelle-Nivernaise_. Hurrah! pour la _Nouvelle-Nivernaise_! Qu'elle ait longue vie comme l'ancienne et plus heureuse vieillesse! M. le cure s'est approche du bateau. Derriere lui, les chantres et les musiciens sont ranges sur une seule ligne. La banniere fait fond. "_Benedicat Deus_..." C'est Victor qui est le parrain et Clara qui est la marraine. M. le cure les a fait avancer au bord du quai, tout pres de lui. Ils se tiennent par la main, ils sont tout timides, tout tremblants. Ils bredouillent de travers les phrases que l'enfant de choeur leur souffle, tandis que M. le cure secoue le goupillon sur eux: "_Benedicat Deus_..." Ne dirait-on pas un jeune couple a l'autel? Cette pensee-la vient a tout le monde. Peut-etre bien qu'elle leur vient a eux aussi, car ils n'osent pas se regarder et se troublent de plus en plus a mesure que la ceremonie avance. C'est fini. La foule se retire et la _Nouvelle-Nivernaise_ est benie. Mais on ne peut laisser partir les musiciens, comme cela, sans les rafraichir. Et, tandis que Louveau verse une rasade aux musiciens, Maugendre cligne de l'oeil a la mere Louveau, prend par la main le parrain et la marraine, et se tournant vers M. le cure: "Voila le bapteme fini, monsieur le cure; a quand le mariage?" Victor et Clara deviennent rouges comme des coquelicots. Mimile et la petite soeur battent des mains. Et au milieu de l'enthousiasme general, le pere Louveau, tres allume, se penche sur l'epaule de sa fille. Il rit jusqu'aux oreilles, le brave marinier, et, rejoui d'avance de sa plaisanterie, il dit d'un ton goguenard: "Dis donc, Clara, v'la le moment... si nous reportions Victor chez le commissaire?" LEGENDES ET RECITS JARJAILLE CHEZ LE BON DIEU LEGENDE PROVENCALE _Imitee de Louis Roumieux_. Jarjaille, un portefaix de Saint-Remy, s'est laisse mourir un beau matin et le voila tombant dans l'eternite... Roule que rouleras! L'eternite est vaste, noire comme la poix, profonde et demesuree a faire peur. Jarjaille ne sait ou aller: il erre dans la nuit, claquant des dents, tirant des brassees a l'aveuglette. A la fin, a la longue, il apercoit une petite lumiere la-haut, tout en haut. Il y va. C'etait la porte du bon Dieu. Jarjaille frappe: Pan! pan! "Qui est la? crie saint Pierre. --C'est moi. --Qui, toi? --Jarjaille. --Jarjaille de Saint-Remy? --Tout juste. --Mais, galopin, lui dit saint Pierre, tu n'as pas honte de vouloir entrer au Paradis, toi qui depuis vingt ans n'es pas une seule fois alle a la messe! Toi qui mangeais gras le vendredi quand tu pouvais, et le samedi quand tu en avais!... Toi qui, par moquerie, appelais le tonnerre le tambour des escargots, parce que les escargots viennent pendant l'orage...! Toi qui, aux saintes paroles de ton pere: "Jarjaille, le bon Dieu te punira", repondais le plus souvent: "Le bon Dieu? Qui l'a vu? quand on est mort, on est bien mort." Toi, enfin, qui le reniais et blasphemais a faire fremir; se peut-il que tu te presentes ici, abandonne de Dieu?" Le pauvre Jarjaille repondit: "Je ne dis pas le contraire. Je suis un pecheur, un miserable pecheur. Mais qui se serait doute, qu'apres la mort, il y aurait encore tant de mysteres? Enfin, je me suis trompe, et voila le vin tire; maintenant il faut le boire. Mais au moins, grand saint Pierre, laissez-moi voir un peu mon oncle, pour lui conter ce qui se passe a Saint-Remy. --Quel oncle? --Mon oncle Materi, qui etait penitent blanc. --Ton oncle Materi? Il est au purgatoire pour cent ans. --Pour cent ans!... Et qu'est-ce qu'il avait fait? --Tu te rappelles qu'il portait la croix aux processions... Un jour, quelques joyeux copains se donnerent le mot, et il y en eut un qui se mit a dire: "Vois Materi, qui porte la croix!" Un peu plus loin, un autre recommence: "Vois Materi, qui porte la croix!" Finalement, un troisieme le montre en disant: "Vois, vois Materi ce qu'il porte!..." Materi, depatiente, repliqua: "Ce que je porte?... si je te portais, toi, je porterais bien sur un fier viedaze..." La-dessus, il eut un coup de sang et mourut sur sa colere. --Pauvre Materi... Alors faites-moi voir ma tante Dorothee, qui etait si... si devote... --Elle doit etre au diable, je ne la connais pas. --Oh! ben! si celle-la est au diable ca ne m'etonne pas. Figurez-vous qu'avec ses grands airs devotieux... --Jarjaille, je n'ai pas le temps. Il faut que j'aille ouvrir la porte a un pauvre balayeur des rues que son ane, d'un coup de pied, vient d'envoyer en Paradis. --O grand saint Pierre, d'abord que vous avez tant fait et que la vue n'en coute rien, laissez-moi le voir un peu votre paradis. On dit que c'est si beau... --Te! pardi!... Plus souvent que je vais laisser entrer un vilain huguenot comme toi... --Allons, grand saint! songez que mon pere, qui est marinier du Rhone, porte votre banniere aux processions... --Eh bien! soit, dit le saint. Pour ton pere, je te l'accorde... mais tu sais, collegue, c'est bien convenu. Tu passeras seulement le bout du nez, juste ce qu'il faut pour voir. --Pas davantage." Donc le celeste porte-clefs entre-baille la porte, et dit a Jarjaille: "Tiens! regarde..." Mais tout d'un temps virant l'echine, voila mon Jarjaille qui entre a reculons dans le Paradis. "Qu'est-ce que tu fais? lui dit saint Pierre. --La grande lumiere m'aveugle, repond l'homme de Saint-Remy, il faut que j'entre de dos. Mais, soyez tranquille, selon votre parole, quand j'aurai mis le nez je n'irai pas plus loin. --Allons! pensa le bienheureux, je me suis pris le pied dans ma musette. Et mon gredin est dans le Paradis. --Oh! dit Jarjaille, comme vous etes bien ici! Comme c'est beau! Quelle musique!" Au bout d'un moment, le saint portier lui dit: "Quand tu auras assez regarde... puis apres tu sortiras, je suppose... C'est que je n'ai pas le temps, moi, de rester la. --Ne vous genez pas, repondit Jarjaille, si vous avez quelque chose a faire, allez-y. Moi, je sortirai... quand je sortirai. Rien ne presse. --Ouais! mais ce n'est pas cela qui avait ete convenu. --Mon Dieu! saint homme, vous voila bien emu! C'est different, si vous n'aviez pas de large ici... mais je rends graces a Dieu! ce n'est pas la place qui manque. --Et moi je te dis de sortir, que si le bon Dieu passait... --Oh! puis arrangez-vous comme vous voudrez. J'ai toujours entendu dire: "Qui est bien, qu'il s'y tienne!" Je suis ici, j'y reste." Saint Pierre branlait la tete, frappait du pied... Il va trouver saint Yves. "Yves, lui dit-il, toi qui es avocat, il faut que tu me donnes un conseil. --Deux, si tu es as besoin, repond saint Yves. --Tu sais qu'il m'en arrive une bonne? Je me trouve dans tel cas, comme ca... comme ca... maintenant qu'est-ce qu'il faut que je fasse? --Il te faut, dit saint Yves, prendre un bon avoue, et faire comparaitre par huissier ledit Jarjaille devant Dieu." Ils cherchent un avoue; mais des avoues en Paradis, jamais personne n'en a vu. Ils cherchent un huissier; encore moins. Saint Pierre ne savait plus de quel bois faire fleche. Vient a passer saint Luc. "Qu'est-ce que tu as, mon pauvre Pierre? Comme tu fais la lippe. Est-ce que Notre-Seigneur t'aurait encore saboule? --Oh! dit-il, mon homme, tais-toi. Il m'arrive un cas de la malediction. Il y a un certain nomme Jarjaille qui est entre par surprise en Paradis, et je ne sais plus comment le mettre dehors. --Et d'ou est-il celui-la? --De Saint-Remy. --De Saint-Remy! dit saint Luc. Eh! mon Dieu! que tu es bon! Pour le faire sortir ce n'est rien du tout... Ecoute: Je suis, comme tu sais, l'ami des boeufs et le patron des bouviers; a ce titre, je cours la Camargue, Arles, Nimes, Beaucaire, Tarascon, et je connais tout ce brave peuple, et je sais comme il faut le prendre. Ces gens-la, vois-tu, sauteraient dans le feu pour voir une course de taureaux... Attends un peu. Je me charge de l'expedier, ton Jarjaille." A ce moment passait par la un vol de petits anges tout joufflus. "Petits! leur fait saint Luc, pst! pst!..." Les angelots descendent. "Allez-vous en doucement dehors du Paradis, et quand vous serez devant la porte, vous passerez en courant et vous crierez comme a Saint-Remy aux courses de taureaux: Les boeufs! les boeufs!... Oh! te! Oh! te! Les fers! les fers!..." C'est ce que font les anges. Ils sortent du Paradis, et quand ils sont devant la porte, ils se precipitent en criant: "Les boeufs!... Oh! te!... Oh! te!..." En entendant cela, Jarjaille, mon bon Dieu! se retourne stupefait: "Tron de l'er! "Ici, aussi, on fait courir les boeufs! Vite... vite..." Et il se lance vers la porte comme un fou, et il sort du Paradis, le pauvre! Saint Pierre vitement pousse la porte sur lui, met la barre, et passant ensuite la tete au fenestron: "Eh bien! Jarjaille, lui dit-il en riant, comment te trouves-tu, maintenant? --Oh! replique Jarjaille, c'est egal! si c'avait ete les boeufs, je n'aurais pas regrette ma part de Paradis." Et, ce disant, il pique une tete dans l'eternite. LA FIGUE ET LE PARESSEUX LEGENDE ALGERIENNE Dans l'indolente et voluptueuse petite ville de Blidah, quelques annees avant l'invasion des Francais, vivait un brave Maure qui, du nom de son pere, s'appelait Sidi Lakdar et que les gens de sa ville avaient surnomme le Paresseux. Vous saurez que les Maures d'Algerie sont les hommes les plus indolents de la terre, ceux de Blidah surtout; sans doute a cause des parfums d'oranges et des limons doux dont la ville est noyee. Mais, en fait de paresse et de nonchaloir, entre tous les Blidiens, pas un ne venait a la ceinture de Sidi Lakdar. Le digne seigneur avait eleve son vice a la hauteur d'une profession. D'autres sont brodeurs, cafetiers, marchands d'epices. Sidi Lakdar, lui, etait paresseux. A la mort de son pere, il avait herite d'un jardinet sous les remparts de la ville, avec de petits murs blancs qui tombaient en ruines, une porte embroussaillee qui ne fermait pas, quelques figuiers, quelques bananiers et deux ou trois sources vives luisant dans l'herbe. C'est la qu'il passait sa vie, etendu de tout son long, silencieux, immobile, des fourmis rouges plein sa barbe. Quand il avait faim, il allongeait le bras et ramassait une figue ou une banane ecrasee dans le gazon pres de lui; mais s'il eut fallu se lever et cueillir un fruit sur sa branche, il serait plutot mort de faim. Aussi, dans son jardin, les figues pourrissaient sur place, et les arbres etaient cribles de petits oiseaux. Cette paresse effrenee avait rendu Lakdar tres populaire dans son pays. On le respectait a l'egal d'un saint. En passant devant son petit clos, les dames de la ville qui venaient de manger des confitures au cimetiere, mettaient leurs mules au pas et se parlaient a voix basse sous leurs masques blancs. Les hommes s'inclinaient pieusement, et, tous les jours, a la sortie de l'ecole, il y avait sur les murailles du jardin toute une volee de gamins en vestons de soi rayee et bonnets rouges, qui venaient essayer de deranger cette belle paresse, appelaient Lakdar par son nom, riaient, menaient du train, lui jetaient des peaux d'orange. Peine perdue! Le paresseux ne bougeait pas. De temps en temps on l'entendait crier du fond de l'herbe: "Gare, gare tout a l'heure, si je me leve!" mais il ne se levait jamais. Or, il arriva qu'un de ces petits droles, en venant comme cela faire des niches au paresseux, fut en quelque sorte touche par la grace, et, pris d'un gout subit pour l'existence horizontale, declara un matin a son pere qu'il entendait ne plus aller a l'ecole et qu'il voulait se faire paresseux. "Paresseux, toi?... fit le pere, un brave tourneur de tuyaux de pipe, diligent comme une abeille et assis devant son tour des que le coq chantait... Toi, paresseux?... En voila une invention!" --Oui, mon pere, je veux me faire paresseux... comme Sidi Lakdar... --Point du tout, mon garcon. Tu seras tourneur comme ton pere, ou greffier au tribunal du Cadi comme ton oncle Ali, mais jamais je ne ferai de toi un paresseux... Allons, vite, a l'ecole; ou je te casse sur les cotes ce beau morceau de merisier tout neuf... Arri, bourriquot!" En face du merisier, l'enfant n'insista pas et feignit d'etre convaincu; mais, au lieu d'aller a l'ecole, il entra dans un bazar maure, se blottit a la devanture d'un marchand, entre deux piles de tapis de Smyrne, et resta la tout le jour, etendu sur le dos, regardant les lanternes mauresques, les bourses de drap bleu, les corsages a plastrons d'or qui luisaient au soleil, et respirant l'odeur penetrante des flacons d'essence de rose et des bons burnous de laine chaude. Ce fut ainsi desormais qu'il passa tout le temps de l'ecole... Au bout de quelques jours, le pere eut vent de la chose: mais il eut beau crier, tempeter, blasphemer le nom d'Allah et frotter les reins du petit homme avec tous les merisiers de sa boutique, rien n'y fit. L'enfant s'entetait a dire: "Je veux etre paresseux... je veux etre paresseux", et toujours on le trouvait etendu dans quelque coin. De guerre lasse, et apres avoir consulte le greffier Ali, le pere prit un parti. "Ecoute, dit-il a son fils, puisque tu veux etre paresseux a toute force, je vais te conduire chez Lakdar. Il te passera un examen, et, si tu as reellement des dispositions pour son metier, je le prierai de te garder chez lui, en apprentissage. --Ceci me va", repondit l'enfant. Et, pas plus tard que le lendemain, ils s'en allerent tous les deux, parfumes de verveine et la tete rasee de frais, trouver le paresseux dans son petit jardin. La porte etait toujours ouverte. Nos gens entrerent sans frapper, mais, comme l'herbe montait tres touffue et tres haute, ils eurent quelque peine a decouvrir le maitre du clos. Ils finirent pourtant par apercevoir, couche sous les figuiers du fond, dans un tourbillon de petits oiseaux et de plantes folles, un paquet de guenilles jaunes qui les accueillit d'un grognement. "Le Seigneur soit avec toi, Sidi Lakdar, dit le pere en s'inclinant, la main sur la poitrine. Voici mon fils qui veut absolument se faire paresseux. Je te l'amene pour que tu l'examines, et que tu voies s'il a la vocation. Dans ce cas, je te prie de le prendre chez toi comme apprenti. Je paierai ce qu'il faudra. Sidi Lakdar, sans repondre, leur fit signe de s'asseoir pres de lui, dans l'herbe. Le pere s'assit, l'enfant se coucha, ce qui etait deja un fort bon signe. Puis tous les trois se regardaient sans parler. C'etait le plein midi du jour; il faisait une chaleur, une lumiere!... Tout le petit clos avait l'air de dormir. On n'entendait que le crepitement des genets sauvages crevant leurs cosses au soleil, les sources chantant sous l'herbe et les oiseaux alourdis qui voletaient entre les feuilles avec un bruit d'eventail ouvert et referme. De temps en temps, une figue trop mure se detachait et degringolait de branche en branche. Alors, Sidi Lakdar tendait la main, et, d'un air fatigue, portait le fruit jusqu'a sa bouche. L'enfant, lui, ne prenait pas meme cette peine. Les plus belles figues tombaient a ses cotes sans qu'il tournat seulement la tete. Le maitre, du coin de l'oeil, observait cette magnifique indolence; mais il continuait a ne souffler mot. Une heure, deux heures se passerent ainsi... Pensez que le pauvre tourneur de tuyaux de pipe commencait a trouver la seance un peu longue. Pourtant il n'osait rien dire, et demeurait la, immobile, les yeux fixes, les jambes croisees, envahi lui-meme par l'atmosphere de paresse qui flottait dans la chaleur du clos avec une vague odeur de banane et d'orange cuites. Tout a coup, voila une grosse figue qui tombe de l'arbre et vient s'aplatir sur la joue de l'enfant. Belle figue, par Allah! rose, sucree, parfumee comme un rayon de miel. Pour la faire entrer dans sa bouche, l'enfant n'avait qu'a la pousser du doigt; mais il trouvait cela encore trop fatigant, et il restait ainsi, sans bouger, avec ce fruit qui lui embaumait la joue. A la fin, la tentation devint trop forte; il cligna de l'oeil vers son pere et l'appela d'une voix dolente: "Papa, dit-il, papa... mets-la-moi dans la bouche..." A ces mots, Sidi Lakdar qui tenait une figue a la main la rejeta bien loin, et s'adressant au pere avec colere: "Et voila l'enfant que tu viens m'offrir pour apprenti! Mais c'est lui qui est mon maitre! C'est lui qui doit me donner des lecons!" Puis, tombant a genoux, la tete contre terre, devant l'enfant toujours couche: "Je te salue, dit-il, o pere de la paresse!..." PREMIER HABIT SOUVENIR DE JEUNESSE Comment l'avais-je eu, cet habit? Quel tailleur des temps primitifs, quel inespere Monsieur Dimanche s'etait, sur la foi de fantastiques promesses, decide a me l'apporter, un matin, tout flambant neuf, et artistement epingle dans un carre de lustrine verte? Il me serait bien difficile de le dire. De l'honnete tailleur, je ne me rappelle rien--tant de tailleurs depuis ont traverse ma vie!--rien, si ce n'est, dans un lumineux brouillard, un front pensif avec de grosses moustaches. L'habit, par exemple, est la, devant mes yeux. Son image, apres vingt ans, reste encore dans ma memoire comme sur l'imperissable airain. Quel collet, jeunes gens, et quels revers! Quels pans, surtout, tailles en bec de flute! Il participait a la fois des graces troubadouresques de la Restauration et de la severite spartiate du premier Empire. Il me sembla, quand je l'endossai, que, reculant d'un demi-siecle, j'endossais la peau doctrinaire de l'illustre Benjamin Constant. Mon frere, homme d'experience, avait dit: "Il faut un habit quand on veut faire son chemin dans le monde!" Et le cher garcon comptait beaucoup sur cette defroque pour ma gloire et mon avenir. Quoi qu'il en soit de mon habit, Augustine Brohan en eut l'etrenne! Voici dans quelles circonstances dignes de passer a la posterite: Mon premier livre venait d'eclore, virginal et frais dans sa couverture rose. Quelques journaux avaient parle de mes rimes. L'_Officiel_ lui-meme avait imprime mon nom. J'etais poete, non plus en chambre, mais edite, lance, s'etalant aux vitres. Je m'etonnais que la foule ne se retournat pas lorsque mes dix-huit ans vaguaient par les rues. Je sentais positivement sur mon front la pression douce d'une couronne en papier faite d'articles decoupes. On me proposa, un jour, de me faire inviter aux soirees d'Augustine.--Qui, ON?--ON, parbleu! Vous le voyez d'ici: l'eternel quidam qui ressemble a tout le monde, l'homme aimable, providentiel, qui, sans rien etre par lui-meme, sans etre bien connu nulle part, va partout, vous conduit partout, ami d'un jour, ami d'une heure, dont personne ne sait le nom, un type essentiellement parisien. Si j'acceptai, vous pouvez le croire! Etre invite chez Augustine, Augustine, l'illustre comedienne, Augustine, le rire aux dents blanches de Moliere, avec quelque chose du sourire plus modernement poetique de Musset; car,--si elle jouait les soubrettes au Theatre Francais, Musset avait ecrit sa comedie de _Louison_ chez elle; Augustine Brohan enfin, dont Paris celebrait l'esprit, citait les mots, et qui deja portait au chapeau non encore trempee dans l'encre, mais toute prete et taillee d'un fin canif, la plume d'oiseau bleu couleur du temps dont elle devait signer les _Lettres de Suzanne_. "Chancard, me dit mon frere en m'enfournant dans le vaste habit, maintenant, ta fortune est faite." Neuf heures sonnaient, je partis. Augustine Brohan habitait alors rue Lord-Byron, tout en haut des Champs-Elysees, un de ces coquets petits hotels dont les pauvres diables provinciaux a l'imagination poetique revent d'apres les romanciers. Une grille, un petit jardin, un perron de quatre marches sous une marquise, des fleurs plein l'antichambre, et tout de suite le salon, un salon vert tres eclaire, que je revois si bien... Comment je montai le perron, comment j'entrai, comment je me presentai, je l'ignore. Un domestique annonca mon nom, mais ce nom, bredouille d'ailleurs, ne produisit aucun effet sur l'assemblee. Je me rappelle seulement une voix de femme qui disait: "--Tant mieux, un danseur!" Il parait qu'on en manquait. Quelle entree pour un lyrique! Terrifie, humilie, je me dissimulai dans la foule. Dire mon effarement!... Au bout d'un instant, autre aventure: mon etrange habit, mes longs cheveux, mon oeil boudeur et sombre provoquaient la curiosite publique. J'entendais chuchoter autour de moi: "Qui est-ce?... regardez donc..." et l'on riait. Enfin quelqu'un dit: "C'est le prince valaque! --Le prince valaque?... ah! oui, tres bien..." Il faut croire que, ce soir-la, on attendait un prince valaque. J'etais classe, on me laissa tranquille. Mais c'est egal, vous ne sauriez croire combien, pendant toute la soiree, ma couronne usurpee me pesa. D'abord danseur, puis prince valaque. Ces gens-la ne voyaient donc pas ma lyre? Enfin, les quadrilles commencerent. Je dansai, il le fallut! Je dansai meme assez mal, pour un prince valaque. Le quadrille fini, je m'immobilisai, sottement bride par ma myopie, trop peu hardi pour arborer le lorgnon, trop poete pour porter lunettes, et craignant toujours au moindre mouvement de me luxer le genou a l'angle d'un meuble ou de planter mon nez dans l'entre-deux d'un corsage. Bientot la faim, la soif s'en melerent; mais pour un empire, je n'aurais ose m'approcher du buffet avec tout le monde. Je guettais le moment ou il serait vide. En attendant, je me melais aux groupes des politiqueurs, gardant un air grave, et feignant de dedaigner les felicites du petit salon d'ou m'arrivait, avec un bruit de rires et de petites cuillers remuees dans la porcelaine, une fine odeur de the fumant, de vins d'Espagne et de gateaux. Enfin, quand on revient danser, je me decide. Me voila entre, je suis seul... Un eblouissement, ce buffet! c'etait, sous la flamme des bougies, avec ses verres, ses flacons, une pyramide en cristal, blanche, eblouissante, fraiche a la vue, de la neige au soleil. Je prends un verre, frele comme une fleur; j'ai bien soin de ne pas serrer par crainte d'en briser la tige. Que verser dedans? Allons! du courage, puisque personne ne me voit. J'atteins un flacon en tatonnant, sans choisir. Ce doit etre du kirsch, on dirait du diamant liquide. Va donc pour un petit verre de kirsch; j'aime son parfum qui me fait rever de grands bois, son parfum amer et un peu sauvage. Et me voila versant goutte a goutte, en gourmet, la claire liqueur. Je hausse le verre, j'allonge les levres. Horreur! De l'eau pure, quelle grimace! Soudain retentit un double eclat de rire: un habit noir, une robe rose que je n'ai pas apercus, en train de flirter dans un coin, et que ma meprise amuse. Je veux replacer le verre; mais je suis trouble, ma main tremble, ma manche accroche je ne sais quoi. Un verre tombe, deux, trois verres! Je me retourne, mes basques s'en melent, et la blanche pyramide roule par terre avec les scintillations, le bruit d'ouragan, les eclats sans nombre d'un iceberg qui s'ecroulerait. La maitresse de maison accourut au vacarme. Heureusement elle est aussi myope que le prince valaque, et celui-ci peut s'evader du buffet sans etre apercu. C'est egal! ma soiree est gatee. Ce massacre de petits verres et de carafons me pese comme un crime. Je ne songe plus qu'a m'en aller. Mais la maman Dubois, eblouie par ma principaute, s'accroche a moi, ne veut pas que je parte sans avoir fait danser sa fille, comment donc! ses deux filles. Je m'excuse tant bien que mal, je m'echappe, je vais sortir, lorsqu'un grand vieux au sourire fin, tete d'eveque et de diplomate, m'arrete au passage. C'est le docteur Ricord, avec qui j'ai echange quelques mots tout a l'heure et qui me croit Valaque, comme les autres.--"Mais, prince, puisque vous habitez l'hotel du Senat et que nous sommes tout a fait voisins, attendez-moi. J'ai une place pour vous dans ma voiture." Je voudrais bien, mais, je suis venu sans pardessus. Que dirait Ricord d'un prince valaque prive de fourrures et grelottant dans son habit? Evadons-nous vite, rentrons a pied, par la neige, par le brouillard, plutot que de laisser voir notre misere. Toujours myope et plus trouble que jamais, je gagne la porte et me glisse au dehors, non sans m'empetrer dans les tentures. "Monsieur ne prend pas son pardessus?" me crie un valet de pied. Me voila, a deux heures du matin, loin de chez moi, lache par les rues, affame, gele, et la queue du diable dans ma poche. Tout a coup, la faim m'inspira, une illumination me vint: "Si j'allais aux halles." On m'avait souvent parle des halles et d'un certain G..., ouvert toute la nuit, chez lequel on mangeait pour trois sous des soupes aux choux succulentes. Parbleu, oui, j'irai aux halles. Je m'attablerai la comme un vagabond, un rodeur de nuit. Mes fiertes sont passees. Le vent glace, j'ai l'estomac creux. "--Mon royaume pour un cheval", disait l'autre; moi je dis tout en trottinant: "Ma principaute, ma principaute valaque pour une bonne soupe dans un endroit chaud!" C'etait un vrai bouge par l'aspect, cet etablissement de G... qui s'enfoncait poisseux et miserablement eclaire sous les piliers des vieilles halles. Bien souvent depuis, quand le noctambulisme etait a la mode, nous avons passe la des nuits entieres, entre futurs grands hommes, coudes sur la table, fumant et causant litterature. Mais la premiere fois, je l'avoue, je faillis reculer malgre ma faim, devant ces murs noirs, ces gens attables, ronflant le dos au mur ou lapant leur soupe comme des chiens, ces casquettes de don Juan du ruisseau, ces enormes feutres blancs des forts de la halle, et la blouse saine et rugueuse du maraicher pres des guenilles grasses du rodeur de barriere. J'entrai pourtant, et je dois dire que tout de suite mon habit noir trouva de la compagnie. Ils ne sont pas rares a Paris, passe minuit, les habits noirs sans pardessus l'hiver, et qui ont faim de trois sous de soupe aux choux! Soupe aux choux exquise d'ailleurs; odorante comme un jardin et fumante comme un cratere. J'en repris deux fois, quoique cette habitude, inspiree par une salutaire defiance, d'attacher fourchettes et cuillers a la table avec une chainette, me genat un peu. Je payai, et le coeur raffermi par cette solide patee, je repris la route du quartier latin. Imaginez-vous ma rentree, la rentree du poete remontant au trot la rue de Tournon, le col de son habit releve, voyant danser devant ses yeux, que la fatigue ensommeille, les ombres elegantes d'une soiree mondaine melees aux silhouettes affamees de chez Chose, et cognant, pour en detacher la neige, ses bottines contre la borne de l'hotel du Senat, tandis qu'en face les lanternes blanches d'un coupe illuminent la face d'un vieil hotel, et que le cocher du docteur Ricord demande: "--Porte, s'il vous plait!" La vie de Paris est faite de ces contrastes. "Soiree perdue! me dit mon frere le lendemain. Tu as passe pour prince valaque, et tu n'as pas lance ton volume. Mais rien n'est encore desespere. Tu te rattraperas a la visite de digestion." La digestion d'un verre d'eau, qu'elle ironie! Il fallut bien deux mois pour me decider a cette visite. Un jour pourtant, je pris mon parti. En dehors de ses mercredis officiels, Augustine Brohan donnait le dimanche des matinees plus intimes. Je m'y rendis resolument. "A Paris, une matinee qui se respecte ne saurait decemment commencer avant trois et meme quatre heures de l'apres-midi. Moi, naif, prenant au serieux ce mot de matinee, je me presentai a une heure precise, croyant d'ailleurs etre en retard. "Comme tu viens de bonne heure, monsieur, me dit un garconnet de cinq ou six ans, blondin, en veston et en pantalon brode, qui se promenait a travers le jardin verdissant, sur un grand cheval mecanique. Ce jeune homme m'impressionna. Je saluai les cheveux blonds, le cheval, le velours, les broderies, et, trop timide pour rebrousser chemin, je montai. Madame achevant de s'habiller, je dus attendre tout seul une demi-heure. Enfin, madame arrive, cligne des yeux, reconnait le prince valaque et pour dire quelque chose, commence: "--Vous n'etes donc pas a la Marche, mon prince?" A la Marche, moi qui n'avais jamais vu ni courses ni jockeys! A la fin, cela me fit honte, une bouffee subite me monta du coeur au cerveau; et puis ce clair soleil, ces odeurs de jardin au printemps entrant par la fenetre ouverte, l'absence de solennite, cette petite femme souriante et bonne, mille choses me donnaient courage, et j'ouvris mon coeur, je dis tout, j'avouai tout en une fois: comme quoi je n'etais ni Valaque, ni prince, mais simple poete, et l'aventure de mon verre de kirsch, et mon lamentable retour, et mes peurs de province, et ma myopie, et mes esperances, tout cela releve par l'accent de chez nous. Augustine Brohan riait comme une folle. Tout a coup, on sonne: "--Bon! mes cuirassiers", dit-elle. "--Quels cuirassiers?" "--Deux cuirassiers qu'on m'envoie du camp de Chalons et qui ont, parait-il, d'etonnantes dispositions pour jouer la comedie." Je voulais partir. "--Non pas, restez; nous allons repeter le _Lait d'anesse_, et c'est vous qui serez le critique influent. La, pres de moi, sur ce divan!" Deux grands diables entrent, timides, sangles, cramoisis; l'un deux, je crois bien, joue la comedie quelque part aujourd'hui. On dispose un paravent, je m'installe et la representation commence. "--Ils ne vont pas trop mal, me disait Augustine Brohan a mi-voix, mais quelles bottes!... Monsieur le critique, flairez-vous les bottes!" Cette intimite avec la plus spirituelle comedienne de Paris me ravissait au septieme ciel. Je me renversais sur le divan, hochant la tete, souriant d'un air entendu... Mon habit en craquait de joie. Le moindre de ces details me parait enorme aujourd'hui. Voyez pourtant ce que c'est que l'optique: j'avais raconte a Sarcey l'histoire comique de mes debuts dans le monde. Sarcey, un jour, la repeta a Augustine Brohan. Eh bien! cette ingrate Augustine--que depuis vingt ans je n'ai d'ailleurs pas revue--jura sincerement ne connaitre de moi que mes livres. Elle avait tout oublie! mais la, tout, de ce qui a tenu tant de place dans ma vie, les verres casses, le prince valaque, la repetition du _Lait d'anesse_, et les bottes des cuirassiers! LES TROIS MESSES BASSES CONTE DE NOEL I "Deux dindes truffees, Garrigou?... --Oui, mon reverend, deux dindes magnifiques, bourrees de truffes. J'en sais quelque chose, puisque c'est moi qui ai aide a les remplir. On aurait dit que leur peau allait craquer en rotissant, tellement elle etait tendue... --Jesus-Maria! moi qui aime tant les truffes!... Donne-moi vite mon surplis, Garrigou... Et avec les dindes, qu'est-ce que tu as encore apercu a la cuisine?... --Oh! toutes sortes de bonnes choses. Depuis midi nous n'avons fait que plumer des faisans, des huppes, des gelinottes, des coqs de bruyere. La plume en volait partout. Puis de l'etang on a apporte des anguilles, des carpes dorees, des truites, des... --Grosses comment les truites, Garrigou? --Grosses comme ca, mon reverend... Enormes!... --Oh! Dieu! il me semble que je les vois... As-tu mis le vin dans les burettes? --Oui, mon reverend, j'ai mis le vin dans les burettes... Mais dame! il ne vaut pas celui que vous boirez tout a l'heure en sortant de la messe de minuit. Si vous voyiez cela dans la salle a manger du chateau. Toutes les carafes qui flambent pleines de vins de toutes les couleurs!... Et la vaisselle d'argent, les surtouts ciseles, les fleurs, les candelabres!... Jamais il ne se sera vu un reveillon pareil. Monsieur le marquis a invite tous les seigneurs du voisinage. "Vous serez au moins quarante a table sans compter le bailli ni le tabellion... Ah! vous etes bien heureux d'en etre, mon reverend!... Rien que d'avoir flaire ces belles dindes, l'odeur des truffes me suit partout. Meuh!... --Allons, allons, mon enfant. Gardons-nous du peche de gourmandise, surtout la nuit de la Nativite... Va bien vite allumer les cierges et sonner le premier coup de la messe; car voila que minuit est proche, et il ne faut pas nous mettre en retard..." Cette conversation se tenait une nuit de Noel de l'an de grace mil six cent et tant, entre le reverend dom Balaguere, ancien prieur des Barnabites, presentement chapelain gage des sires de Trinquelague, et son petit clerc Garrigou, ou du moins ce qu'il croyait etre le petit clerc Garrigou, car vous saurez que le diable, ce soir-la, avait pris la face ronde et les traits indecis du jeune sacristain pour mieux induire le reverend pere en tentation et lui faire commettre un epouvantable peche de gourmandise. Donc, pendant que le soi-disant Garrigou (hum! hum!) faisait a tour de bras carillonner les cloches de la chapelle seigneuriale, le reverend achevait de revetir sa chasuble dans la petite sacristie du chateau; et, l'esprit deja trouble par toutes ces descriptions gastronomiques, il se repetait a lui-meme en s'habillant: "Des dindes roties... des carpes dorees... des truites grosses comme ca!..." Dehors, le vent de la nuit soufflait eparpillant la musique des cloches, et, a mesure, des lumieres apparaissaient dans l'ombre aux flancs du mont Ventoux, en haut duquel s'elevaient les vieilles tours de Trinquelague. C'etaient des familles de metayers qui venaient entendre la messe de minuit au chateau. Ils grimpaient la cote en chantant par groupes de cinq ou six, le pere en avant, la lanterne en main, les femmes enveloppees dans leurs grandes mantes brunes ou les enfants se serraient et s'abritaient. Malgre l'heure et le froid, tout ce brave peuple marchait allegrement, soutenu par l'idee qu'au sortir de la messe il y aurait, comme tous les ans, table mise pour eux en bas dans les cuisines. De temps en temps, sur la rude montee, le carrosse du seigneur, precede de porteurs de torches, faisait miroiter ses glaces au clair de lune, ou bien une mule trottait en agitant ses sonnailles, et a la lueur de falots enveloppes de brumes, les metayers reconnaissaient leur bailli et le saluaient au passage: "Bonsoir, bonsoir, maitre Arnoton! --Bonsoir, bonsoir, mes enfants!" La nuit etait claire, les etoiles avivees de froid; la bise piquait, et un fin gresil, glissant sur les vetements sans les mouiller, gardait fidelement la tradition des Noels blancs de neige. Tout en haut de la cote, le chateau apparaissait comme le but, avec sa masse enorme de tours, de pignons, le clocher de sa chapelle montant dans le ciel bleu noir, et une foule de petites lumieres qui clignotaient, allaient, venaient, s'agitaient a toutes les fenetres, et ressemblaient, sur le fond sombre du batiment, aux etincelles courant dans des cendres de papier brule... Passe le pont-levis et la poterne, il fallait, pour se rendre a la chapelle, traverser la premiere cour, pleine de carrosses, de valets, de chaises a porteurs, toute claire du feu des torches et de la flambee des cuisines. On entendait le tintement des tournebroches, le fracas des casseroles, le choc des cristaux et de l'argenterie remues dans les apprets d'un repas; par la-dessus, une vapeur tiede, qui sentait bon les chairs roties et les herbes fortes des sauces compliquees, faisait dire aux metayers, comme au bailli, comme a tout le monde: "Quel bon reveillon nous allons faire apres la messe!" II Drelindin din!... Drelindin din!... C'est la messe de minuit qui commence. Dans la chapelle du chateau, une cathedrale en miniature, aux arceaux entre-croises, aux boiseries de chene, montant jusqu'a hauteur des murs, les tapisseries ont ete tendues, tous les cierges allumes. Et que de monde! Et que de toilettes! Voici d'abord, assis dans les stalles sculptees qui entourent le choeur, le sire de Trinquelague en habit de taffetas saumon, et pres de lui tous les nobles seigneurs invites. En face, sur des prie-Dieu garnis de velours, ont pris place la vieille marquise douairiere dans sa robe de brocart couleur de feu, et la jeune dame de Trinquelague, coiffee d'une haute tour de dentelle gaufre a la derniere mode de la cour de France. Plus bas on voit, vetus de noir, avec de vastes perruques en pointe et des visages rases, le bailli Thomas Arnoton et le tabellion maitre Ambroy, deux notes graves parmi les soies voyantes et les damas broches. Puis viennent les gras majordomes, les pages, les piqueurs, les intendants, dame Barbe, toutes ses clefs pendues sur le cote a un clavier d'argent fin. Au fond, sur les bancs, c'est le bas office, les servantes, les metayers avec leurs familles; et enfin, la-bas, tout contre la porte qu'ils entrouvrent et referment discretement, messieurs les marmitons qui viennent entre deux sauces prendre un petit air de messe et apporter une odeur de reveillon dans l'eglise tout en fete et tiede de tant de cierges allumes. Est-ce la vue de ces petites barrettes blanches qui donne des distractions a l'officiant? Ne serait-ce pas plutot la sonnette de Garrigou, cette enragee petite sonnette qui s'agite au pied de l'autel avec une precipitation infernale et semble dire tout le temps: "Depechons-nous, depechons-nous... Plus tot nous aurons fini, plus tot nous serons a table." Le fait est que chaque fois qu'elle tinte, cette sonnette du diable, le chapelain oublie sa messe et ne pense plus qu'au reveillon. Il se figure les cuisiniers en rumeur, les fourneaux ou brule un feu de forge, la buee qui monte des couvercles entr'ouverts, et dans cette buee deux dindes magnifiques bourrees, tendues, marbrees de truffes... Ou bien encore il voit passer des files de petits pages portant des plats enveloppes de vapeurs tentantes, et avec eux il entre dans la grande salle deja prete pour le festin. O delices! voila l'immense table toute chargee et flamboyante, les paons habilles de leurs plumes, les faisans ecartant leurs ailes mordorees, les flacons couleur de rubis, les pyramides de fruits eclatants parmi les branches vertes, et ces merveilleux poissons dont parlait Garrigou (ah! bien oui, Garrigou!) etales sur un lit de fenouil, l'ecaille nacree comme s'ils sortaient de l'eau, avec un bouquet d'herbes odorantes dans leurs narines de monstres. Si vive est la vision de ces merveilles, qu'il semble a dom Balaguere que tous ces plats mirifiques sont servis devant lui sur les broderies de la nappe d'appel, et deux ou trois fois, au lieu de _Dominus vobiscum!_ il se surprend a dire le _Benedicite_. A part ces legeres meprises, le digne homme debite son office tres consciencieusement, sans passer une ligne, sans omettre une genuflexion; et tout marche assez bien jusqu'a la fin de la premiere messe; car vous savez que le jour de Noel le meme officiant doit celebrer trois messes consecutives. "Et d'une!" se dit le chapelain avec un soupir de soulagement; puis, sans perdre une minute, il fait signe a son clerc ou celui qu'il croit etre son clerc, et... Drelindin din!... Drelindin din! C'est la seconde messe qui commence, et avec elle commence aussi le peche de dom Balaguere. "Vite, vite, depechons-nous," lui crie de sa petite voix aigrelette la sonnette de Garrigou, et cette fois, le malheureux officiant, tout abandonne au demon de gourmandise, se rue sur le missel et devore les pages avec l'avidite de son appetit surexcite. Frenetiquement il se baisse, se releve, esquisse les signes de croix, les genuflexions, raccourcit tous ses gestes pour avoir plus tot fini. A peine s'il etend ses bras a l'Evangile, s'il frappe sa poitrine au _Confiteor_. Entre le clerc et lui c'est a qui bredouillera le plus vite. Versets et repons se precipitent, se bousculent. Les mots a moitie prononces sans ouvrir la bouche, ce qui prendrait trop de temps, s'achevent en murmures incomprehensibles. _Oremus ps... ps... ps... Mea culpa... pa... pa..._ Pareils a des vendangeurs presses foulant le raisin de la cave, tous deux barbotent dans le latin de la messe, en envoyant des eclaboussures de tous les cotes. _Dom... scum!..._ dit Balaguere. _...Stutuo!..._ repond Garrigou; et tout le temps la damnee petite sonnette est la qui tinte a leurs oreilles, comme ces grelots qu'on met aux chevaux de poste pour les faire galoper a la grande vitesse. Pensez que de ce train-la une messe basse est vite expediee. "Et de deux!" dit le chapelain tout essouffle; puis sans prendre le temps de respirer, rouge, suant, il degringole les marches de l'autel et... Drelindin din!... Drelindin din!... C'est la troisieme messe qui commence. Il n'y a plus que quelques pas a faire pour arriver a la salle a manger; mais, helas! a mesure que le reveillon approche, l'infortune Balaguere se sent pris d'une folie d'impatience et de gourmandise. Sa vision s'accentue, les carpes dorees, les dindes roties sont la, la... il les touche; il les... Oh! Dieu! les plats fument, les vins embaument; et, secouant son grelot enrage la petite sonnette lui crie: "Vite, vite, encore plus vite!..." Mais comment pourrait-il aller plus vite? Ses levres remuent a peine. Il ne prononce plus les mots... A moins de tricher tout a fait le bon Dieu et de lui escamoter sa messe... Et c'est ce qu'il fait, le malheureux!... De tentation en tentation, il commence par sauter un verset, puis deux. Puis l'Epitre est trop longue, il ne la finit pas, effleure l'Evangile, passe devant le _Credo_ sans entrer, saute le _Pater_, salue de loin la preface, et par bonds et par elans se precipite ainsi dans la damnation eternelle, toujours suivi de l'infame Garrigou (_vade retro, Satanas!_) qui le seconde avec une merveilleuse entente, lui releve sa chasuble, tourne les feuillets deux par deux, bouscule les pupitres, renverse les burettes, et sans cesse secoue la petite sonnette de plus en plus fort, de plus en plus vite. Il faut voir la figure effaree que font les assistants! Obliges de suivre a la mimique du pretre cette messe dont ils n'entendent pas un mot, les uns se levent quand les autres s'agenouillent, s'asseyent quand les autres sont debout; et toutes les phases de ce singulier office se confondent sur les bancs dans une foule d'attitudes diverses. L'etoile de Noel, en route dans les chemins du ciel, vers la petite etable, palit d'epouvante en voyant cette confusion. "L'abbe va trop vite... on ne peut pas suivre", murmure la vieille douairiere en agitant sa coiffe avec egarement. Maitre Arnoton, ses grandes lunettes d'acier sur le nez, cherche dans son paroissien ou diantre on peut bien en etre. Mais au fond tous ces braves gens qui, eux aussi, pensent a reveillonner, ne sont pas faches que la messe aille ce train de poste; et quand dom Balaguere, la figure toute rayonnante, se tourne vers l'assistance en criant de toutes ses forces: _Ite missa est_, il n'y a qu'une voix dans la chapelle pour lui repondre un _Deo gratias_ si joyeux, si entrainant, qu'on se croirait deja a table au premier toast du reveillon. III Cinq minutes apres, la foule des seigneurs s'asseyait dans la grande salle, le chapelain au milieu d'eux. Le chateau, illumine du haut en bas, retentissait de chants, de cris, de rumeurs; et le venerable dom Balaguere plantait sa fourchette dans une gelinotte, noyant le remords de son peche sous des flots de vin du pape et de bons jus de viandes. Tant il but et mangea, le pauvre saint homme, qu'il mourut dans la nuit d'une terrible attaque, sans avoir eu seulement le temps de se repentir; puis au matin, il arriva dans le ciel encore tout en rumeur des fetes de la nuit, et je vous laisse a penser comme il y fut recu. "Retire-toi de mes yeux, mauvais chretien! lui dit le souverain Juge, notre maitre a tous. Ta faute est assez grande pour effacer toute une vie de vertu... Ah! tu m'as vole une messe de nuit... Eh bien! tu m'en payeras trois cents en place, et tu n'entreras en paradis que quand tu auras celebre dans ta propre chapelle ces trois cents messes de Noel en presence de tous ceux qui ont peche par ta faute et avec toi..." ...Et voila la vraie legende de dom Balaguere comme on la raconte aux pays des olives. Aujourd'hui le chateau de Trinquelague n'existe plus, mais la chapelle se tient encore droite, tout en haut du mont Ventoux, dans un bouquet de chenes verts. Le vent fait battre sa porte disjointe, l'herbe encombre le seuil; il y a des nids aux angles de l'autel et dans l'embrasure des hautes croisees dont les vitraux colories ont disparu depuis longtemps. Cependant il parait que tous les ans, a Noel, une lumiere surnaturelle erre parmi ces ruines, et qu'en allant aux messes et aux reveillons, les paysans apercoivent ce spectre de chapelle eclaire de cierges invisibles qui brulent au grand air, meme sous la neige et le vent. Vous en rirez si vous voulez, mais un vigneron de l'endroit, nomme Garrigue, sans doute un descendant de Garrigou, m'a affirme qu'un soir de Noel, se trouvant un peu en ribote, il s'etait perdu dans la montagne du cote de Trinquelague; et voici ce qu'il avait vu. Jusqu'a onze heures, rien. Tout etait silencieux, eteint, inanime. Soudain, vers minuit, un carillon sonna tout en haut du clocher, un vieux, vieux carillon qui avait l'air d'etre a dix lieues. Bientot, dans le chemin qui monte, Garrigue vit trembler des feux, s'agiter des ombres indecises. Sous le porche de la chapelle, on marchait, on chuchotait: "Bonsoir, maitre Arnoton! --Bonsoir, bonsoir, mes enfants!..." Quand tout le monde fut entre, mon vigneron, qui etait tres brave, s'approcha doucement, et, regardant par la porte cassee, eut un singulier spectacle. Tous ces gens qu'il avait vus passer etaient ranges autour du choeur, dans la nef en ruine, comme si les anciens bancs existaient encore. De belles dames en brocart avec des coiffes de dentelle, des seigneurs chamarres du haut en bas, des paysans en jaquettes fleuries ainsi qu'en avaient nos grands-peres, tous l'air vieux, fane, poussiereux, fatigue. De temps en temps, des oiseaux de nuit, hotes habituels de la chapelle, reveilles par toutes ces lumieres, venaient roder autour des cierges dont la flamme montait droite et vague comme si elle avait brule derriere une gaze; et ce qui amusait beaucoup Garrigue, c'etait un certain personnage a grandes lunettes d'acier, qui secouait a chaque instant sa haute perruque noire sur laquelle un de ces oiseaux se tenait droit tout empetre en battant silencieusement des ailes... Dans le fond, un petit vieillard de taille enfantine, a genoux au milieu du choeur, agitait desesperement une sonnette sans grelots et sans voix, pendant qu'un pretre babille de vieil or allait, venait devant l'autel en recitant des oraisons dont on n'entendait pas un mot... Bien sur c'etait dont Balaguere en train de dire sa troisieme messe basse. LE NOUVEAU MAITRE Elle est bien changee notre petite ecole, depuis le depart de M. Hamel. De son temps, nous avions toujours quelques minutes de grace le matin, en arrivant. On se mettait en rond autour du poele pour se degourdir un peu les doigts, secouer la neige, ou le gresil attache aux habits. On causait doucement en se montrant les uns aux autres, ce qu'on avait dans son panier. Cela donnait, a ceux qui habitent au bout du pays, le temps d'arriver pour la priere et l'appel... Aujourd'hui ce n'est plus la meme chose. Il s'agit d'arriver juste a l'heure. Le prussien Klotz, notre nouveau maitre, ne plaisante pas. Des huit heures moins cinq, il est debout dans sa chaire, sa grosse canne a cote de lui, et malheur aux retardataires. Aussi il faut entendre les sabots se depecher dans la petite cour, et les voix essoufflees crier des la porte: "Present!" C'est qu'il n'y a pas d'excuses avec ce terrible Prussien. Il n'y a pas a dire: "J'ai aide ma mere a porter le linge au lavoir... Le pere m'a emmene au marche avec lui." M. Klotz ne veut rien entendre. On dirait que pour ce miserable etranger nous n'avons ni maison, ni famille, que nous sommes venus au monde ecoliers, nos livres sous le bras, tout expres pour apprendre l'allemand et recevoir des coups de trique. Ah! j'en ai recu ma bonne part dans le commencement. Notre scierie est si loin de l'ecole, et il fait jour si tard en hiver! A la fin, comme je revenais toujours le soir avec des marques rouges sur les doigts, sur le dos, partout, le pere s'est decide a me mettre pensionnaire, mais j'ai eu bien du mal a m'y habituer. C'est qu'avec M. Klotz les pensionnaires ont aussi Mme Klotz, qui est encore plus mechante que lui, et puis une foule de petits Klotz, qui vous courent apres dans les escaliers, en vous criant que les Francais sont tous des betes, tous des betes. Heureusement que le dimanche, quand ma mere vient me voir, elle m'apporte toujours des provisions, et comme tout ce monde-la est tres gourmand, je suis assez bien vu dans la maison. Un que je plains de tout mon coeur, par exemple, c'est Gaspard Henin. Celui-la couche aussi dans la petite chambre sous les toits. Voila deux ans qu'il est orphelin, et que son oncle le meunier, pour se debarrasser de lui, l'a mis a l'ecole tout a fait. Quand il est arrive, c'etait un gros garcon de dix ans qui en paraissait bien quinze, habitue a courir et a jouer en plein air tout le jour, sans se douter seulement qu'on apprenait a lire. Aussi, les premiers temps, ne faisait-il que pleurer et sangloter avec des plaintes de chien a l'attache; tres bon malgre cela, et des yeux doux comme ceux d'une fille. A force de patience, M. Hamel, notre ancien maitre, etait parvenu a l'apprivoiser, et, quand il avait une petite course a faire aux environs, il envoyait Gaspard, tout heureux de se sentir a l'air libre, de s'eclabousser aux ruisseaux et d'attraper de grands coups de soleil sur sa figure halee. Avec M. Klotz, tout a change. Le pauvre Gaspard, qui avait deja eu tant de mal a se mettre au francais, n'a jamais pu apprendre un mot d'allemand. Il se butte des heures entieres sur la meme declinaison, et l'on sent bien, dans ses sourcils fronces, encore plus d'entetement et de colere que d'attention. A chaque lecon, la meme scene recommence: "Gaspard Henin, levez-vous!..." Henin se leve en boudant, se balance sur son pupitre, puis se rassied sans dire une parole. Alors le maitre le bat, Mme Klotz le prive de manger. Mais ca ne le fait pas apprendre plus vite. Bien souvent, le soir, en montant dans la petite chambre, je lui ai dit: "Ne pleure donc pas, Gaspard, fais comme moi. Apprends a lire l'allemand, puisque ces gens-la sont les plus forts." Mais lui me repondait toujours: "Non, je ne veux pas... je veux m'en aller, je veux m'en retourner chez nous." C'etait son idee fixe. Sa _languitude_ des commencements lui etait revenue encore plus forte, et le matin, au petit jour, quand je le voyais assis sur son lit, les yeux fixes, je comprenais qu'il pensait au moulin en train de s'eveiller a cette heure, et a la belle eau courante dans laquelle il a barbote toute sa vie d'enfant. Ces choses l'attiraient de loin, et les brutalites du maitre ne faisaient que le pousser vers sa maison encore plus vite et le rendre tout a fait sauvage. Quelquefois, apres les coups de trique, en voyant ses yeux bleus se foncer de colere, je me disais qu'a la place de M. Klotz j'aurais peur de ce regard-la. Mais ce diable de Klotz n'a peur de rien. Apres les coups, la faim; il a encore invente la prison, et Gaspard ne sort presque plus. Pourtant, dimanche dernier, comme il n'avait pas pris l'air depuis deux mois, on l'emmena avec nous dans la prairie communale, hors du village. Il faisait un temps superbe, et nous, nous courions de toutes nos forces dans de grandes parties de barres, heureux de sentir la bise froide, qui nous faisait penser a la neige et aux glissades. Comme toujours, Gaspard se tenait a l'ecart de la lisiere du bois, remuant les feuilles, coupant des branches, et se faisant des jeux a lui tout seul! Au moment de se mettre en rang pour partir, plus de Gaspard. On le cherche, on l'appelle. Il s'etait echappe. Il fallait voir la colere de M. Klotz. Sa grosse figure etait pourpre, sa langue s'embarrassait dans les jurons allemands. C'est nous qui etions contents. Alors apres avoir renvoye les autres au village, il prit deux grands avec lui, moi et un autre, et nous voila partis pour le moulin Henin. La nuit tombait. Partout des maisons fermees, chaudes du bon feu et du bon repas du dimanche, un petit filet de lumiere glissait sur la route et je pensais qu'a cette heure-la on devait etre bien a table et a l'abri. Chez les Henin le moulin etait arrete, la palissade fermee, tout le monde rentre, betes et gens. Quand le garcon vint nous ouvrir, les chevaux, les moutons remuerent dans leur paille; et sur les perchoirs du poulailler, il y eut de grands coups d'ailes et des cris de peur comme si tout ce petit peuple avait reconnu M. Klotz. Les gens du moulin etaient attables en bas dans la cuisine, une grande cuisine bien chauffee, bien eclairee et toute reluisante, depuis les poids de l'horloge jusqu'aux chaudrons. Entre le meunier Henin et sa femme, Gaspard, assis au haut bout de la table, avait la mine epanouie d'un enfant heureux, choye, caresse. Pour expliquer sa presence, il avait invente je ne sais quelle fete d'archiduc, une vacance prussienne, et l'on etait en train de celebrer son arrivee. Quand il apercut M. Klotz, le malheureux regarda tout autour de lui, cherchant une porte ouverte pour s'echapper; mais la grosse main du maitre s'appuya sur son epaule, et, en une minute, l'oncle fut informe de l'escapade. Gaspard avait la tete levee et non plus son air honteux d'ecolier pris en faute. Alors lui, qui d'habitude parlait si rarement, retrouva sa langue tout a coup: "Eh bien, oui, je me suis echappe! Je ne veux plus aller a l'ecole. Je n'apprendrai jamais l'allemand, une langue de pillards et d'assassins. Je veux parler francais comme mon pere et ma mere." Il tremblait, il etait terrible. "Tais-toi, Gaspard..." lui disait l'oncle; mais rien ne pouvait l'arreter. "C'est bon... c'est bon... Laissez-le... Nous viendrons le chercher avec les gendarmes..." Et M. Klotz ricanait. Il y avait un grand couteau sur la table; Gaspard le prit avec un geste terrible qui fit reculer le maitre: "Eh bien! amenez-les vos gendarmes." Alors l'oncle Henin, qui commencait a prendre peur, se jeta sur son neveu, lui arracha le couteau des mains, et je vis une chose affreuse. Comme Gaspard criait toujours: "Je n'irai pas... je n'irai pas!" on l'attacha solidement. Le malheureux mordait, ecumait, appelait sa tante qui etait remontee toute tremblante et pleurant. Puis, pendant qu'on attelait le char a bancs, l'oncle voulut nous faire manger. Moi, je n'avais pas faim, vous pensez; mais M. Klotz se mit a devorer, et tout le temps le meunier lui faisait des excuses pour les injures que Gaspard lui avait dites a lui et a Sa Majeste l'empereur d'Allemagne. Ce que c'est que d'avoir peur des gendarmes! Quel triste retour! Gaspard, etendu au fond de la charrette sur de la paille, comme un mouton malade, ne disait plus un mot. Je le croyais endormi, affaisse par tant de coleres et de larmes, et je pensais qu'il devait avoir bien froid, nu-tete et sans manteau comme il etait; mais je n'osais rien dire de peur du maitre. La pluie etait froide. M. Klotz, son bonnet fourre bien descendu jusqu'aux oreilles, tapait le cheval en chantonnant. Le vent faisait danser la lumiere des etoiles et nous allions, nous allions sur la route blanche et gelee. Nous etions deja loin du moulin. On n'entendait presque plus le bruit de l'ecluse, quand une voix faible, pleurante, suppliante, monta tout a coup du fond de la charrette et cette voix disait, dans notre patois d'Alsace: "_Losso mi fort gen, herr Klotz..._ Laissez-moi m'en aller, monsieur Klotz." C'etait si triste a entendre que les larmes m'en vinrent aux yeux. M. Klotz, lui, souriait mechamment, et continuait de chanter en fouettant sa bete. Au bout d'un moment, la voix recommenca: "_Losso mi fort gen, herr Klotz..._" et toujours le meme ton bas, adouci, presque machinal. Pauvre Gaspard! on aurait dit qu'il recitait une priere. Enfin la voiture s'arreta. Nous etions arrives. Mme Klotz attendait devant l'ecole avec une lanterne, et elle etait si en colere contre Gaspard Henin, qu'elle avait envie de le battre. Mais le Prussien l'en empecha, disant avec un mauvais rire: "Nous reglerons son compte demain... Pour ce soir, il en a assez." Oh! oui, il en avait assez le malheureux enfant! Ses dents claquaient, il tremblait de fievre. On fut oblige de le monter dans son lit. Et moi aussi, cette nuit-la, je crois bien que j'avais la fievre; tout le temps je sentais le cahot de la voiture et j'entendais mon pauvre ami dire de sa voix douce: "Laissez-moi m'en aller, monsieur Klotz!" TABLE LA BELLE-NIVERNAISE I.--Un coup de tete II.--La Belle-Nivernaise III.--En route IV.--La vie est rude V.--Les ambitions de Maugendre LEGENDES ET RECITS --JARJAILLE CHEZ LE BON DIEU --LA FIGUE ET LE PARESSEUX --PREMIER HABIT --LES TROIS MESSES BASSES --LE NOUVEAU MAITRE End of the Project Gutenberg EBook of La Belle-Nivernaise: Histoire d'un vieux bateau et de son equipage, by Alphonse Daudet *** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA BELLE-NIVERNAISE *** ***** This file should be named 11650.txt or 11650.zip ***** This and all associated files of various formats will be found in: https://www.gutenberg.org/1/1/6/5/11650/ Produced by Tonya Allen, Renald Levesque and PG Distributed Proofreaders. This file was produced from images generously made available by the Bibliotheque nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr. Updated editions will replace the previous one--the old editions will be renamed. 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Redistribution is subject to the trademark license, especially commercial redistribution. *** START: FULL LICENSE *** THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free distribution of electronic works, by using or distributing this work (or any other work associated in any way with the phrase "Project Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project Gutenberg-tm License (available with this file or online at https://gutenberg.org/license). Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm electronic works 1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to and accept all the terms of this license and intellectual property (trademark/copyright) agreement. 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