The Project Gutenberg EBook of La lutte pour la sante, by Dr. Burlureaux This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org Title: La lutte pour la sante Author: Dr. Burlureaux Release Date: April 21, 2004 [EBook #12105] Language: French Character set encoding: ASCII *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA LUTTE POUR LA SANTE *** Produced by Joris Van Dael, Renald Levesque and the Online Distributed Proofreading Team. LA LUTTE POUR LA SANTE DU MEME AUTEUR Considerations sur la folie paralytique Paris, J.-B. Bailliere, 1874. Article Epilepsie du Dictionnaire encyclopedique des Sciences medicales (1886). Pratique de l'antisepsie dans les "maladies" contagieuses (Prix Stansky, de l'Academie de medecine). J.-B Bailliere, editeur (1892). Traitement de la Tuberculose par la creosote (Couronne par l'Institut, Prix Breant). 1 vol. in-8 deg., Rueff, editeur, 1894. _En preparation_: Psychotherapie et Morale religieuse. Dr. BURLUREAUX PROFESSEUR AGREGE LIBRE DU VAL-DE-GRACE LA LUTTE POUR LA SANTE ESSAI DE PATHOLOGIE GENERALE PARIS 1908 A MON CHER LUCIEN CLAUDE EN TEMOIGNAGE DE MA VIVE AFFECTION ET EN SOUVENIR DE NOS CAUSERIES MEDICO-PHILOSOPHIQUES PREFACE La "lutte pour la sante" qui fait le sujet de ce livre n'est pas celle qu'ont entreprise, et que poursuivent avec un succes toujours plus marque, nombre de ligues et societes philanthropiques. Certes, personne n'admire plus que moi l'effort genereux de ces societes. Qu'il s'agisse de combattre la mortalite infantile, ou de repandre et de faire appliquer les regles de l'hygiene, ou encore d'enrayer l'extension de ces trois plaies sociales, la tuberculose, l'alcoolisme, et la syphilis, ce sont la des campagnes infiniment bienfaisantes; et je considere comme un honneur d'avoir pu, modestement, prendre ma part de quelques-unes d'entre elles. Mais a cote de cette grande lutte collective, il y a une autre "lutte pour la sante", tout individuelle, qui se livre tous les jours dans la vie de chacun de nous. Celle-la est une forme de la loi universelle de la lutte pour l'existence. Sans cesse, depuis l'instant ou nous naissons, notre organisme tend a maintenir ou a retablir cet equilibre de ses forces que l'on appelle "la sante"; et sans cesse une foule d'influences, interieures ou venues du dehors, tendent a detruire cet equilibre, eminemment instable. Ces influences varient a l'infini, suivant l'age, le sexe, l'heredite, les conditions de la vie: mais toutes travaillent, en nous, a la meme fin; et l'on peut dire que l'histoire entiere de notre vie physique n'est que l'histoire des peripeties de la "lutte" incessante qui se deroule entre elles et la tendance naturelle de l'etre a perseverer dans son etre. Et si, parmi ces influences hostiles a notre sante, beaucoup ont un caractere fatal et inevitable, s'il y a malheureusement beaucoup de causes de "maladie" contre lesquelles nous sommes desarmes, il y en a aussi un tres grand nombre qui peuvent etre evitees, ou combattues victorieusement. Toute la medecine, en fait, ne consiste qu'a aider la nature dans sa lutte contre elles. Mais la medecine est moins une science qu'un art. De la multiplicite des circonstances, de la diversite des esprits, il resulte que chaque medecin, quand il est parvenu a un certain point de sa carriere, s'apercoit que l'ensemble de ses observations et de ses reflexions l'a amene a se faire une experience propre, personnelle, des conditions generales de la "lutte pour la sante" et des moyens d'aider l'organisme a la bien conduire. C'est le fruit de mon experience particuliere que j'ai essaye de recueillir et de presenter, dans le livre que voici. De longues annees de pratique medicale m'ont donne l'occasion de voir, sous des aspects tres varies, la naissance et l'evolution de la "maladie". J'ai aussi vu a l'oeuvre bien des methodes de traitement, anciennes et nouvelles. Penetre, des le debut, de l'importance de la tache qui m'etait confiee, je me suis efforce de ne subir aucun parti pris d'ecole ni de doctrine, de ne rien rejeter ni de ne rien admettre sans l'avoir controle, de borner toujours mon ambition a empecher ou a soulager la souffrance par tous les moyens,--que l'idee de ces moyens me vint de moi-meme ou d'autrui, qu'ils fussent ou non approuves par les autorites du moment, qu'ils appartinssent a la therapeutique d'hier ou a celle de demain. Et maintenant, ayant parcouru deja une grande partie de ma route, il m'a semble que j'avais le devoir de faire profiter les autres de tout ce que mon experience, ainsi acquise, pouvait contenir d'interessant et d'utile pour eux. C'est dire que ce petit livre s'adresse a tout le monde. Je n'ai pas voulu en faire une these scientifique, mais plutot quelque chose comme ces _Conseillers de la Sante_ que l'on etait assure de trouver, autrefois, au chevet du lit de nos grands-parents. Laissant aux ouvrages speciaux l'etude des "maladies" accidentelles, de ces chocs exterieurs ou notre organisme est sans cesse expose, je m'en suis tenu aux differentes manifestations de ce que j'appellerai, d'un terme general, la "maladie", en entendant par la cette rupture de l'equilibre normal de nos forces, cette depreciation plus ou moins complete de notre capital biologique, qui se produit, tot ou tard, dans l'existence de chaque creature humaine, et s'exprime par une variete infinie de symptomes morbides. J'ai essaye d'indiquer les principales causes qui, aux differents ages, depuis l'enfance jusqu'a la vieillesse, risquent de compromettre ou de detruire la sante; et surtout j'ai essaye de montrer, au fur et a mesure, par quels moyens ces causes peuvent etre evitees, ou leurs mauvais effets heureusement repares. Plusieurs de ces moyens etonneront peut-etre le lecteur, accoutume aux complications savantes de la medecine d'aujourd'hui; et leur simplicite meme lui semblera peut-etre avoir quelque chose de revolutionnaire. C'est un danger que j'ai prevu, et que, certes, je n'affronte pas de gaite de coeur. Mais il n'y a pas une ligne de mon livre qui ne derive, a la fois, d'une experimentation methodique et de reflexions patiemment muries. Si jamais l'on peut etre sur de quelque chose, en une matiere aussi variable et aussi delicate, je suis sur de l'efficacite des avertissements et des conseils qu'on trouvera ici. Puissent-ils seulement etre entendus, et porter leur fruit! Ce livre etait deja sous presse lorsque j'ai recu l'interessant ouvrage de mon confrere et ami le Dr. Sigaud sur _Les Origines de la "maladie"_ (1 vol. Maloine, 1906). Je regrette de n'avoir pas pu en citer certaines pages qui s'accordent avec les idees que j'ai moi-meme exprimees sur plusieurs points, et, notamment, sur le danger qu'il y a a attacher trop d'importance aux symptomes en pathologie. LA LUTTE POUR LA SANTE PREMIERE PARTIE CHAPITRE I LE CAPITAL BIOLOGIQUE L'hypothese joue, dans les progres do toutes les connaissances humaines, un role considerable; ce n'est une nouveaute pour personne, mais cette verite nous a ete recemment rappelee, et exposee avec une clarte nouvelle, par le remarquable travail de M. Poincare, intitule: _La Science et l'Hypothese._ Il y est demontre que ni les mathematiques, ni les sciences physiques ou chimiques, ne pourraient exister si elles n'avaient pour point de depart des hypotheses. "Il y a, dit M. Poincare, plusieurs sortes d'hypotheses: les unes sont verifiables, et, une fois confirmees par l'experience, deviennent des verites fecondes; les autres, sans pouvoir nous induire en erreur, peuvent nous etre utiles en fixant notre pensee; d'autres enfin (comme le _postulatum_ d'Euclide) ne sont des hypotheses qu'en apparence, et se reduisent a des definitions et a des conventions deguisees". Plus encore que les sciences dites exactes, les etudes biologiques ont besoin du secours de l'hypothese, car c'est d'elles que l'on peut surtout dire que "nous n'y savons le tout de rien." Sans avoir aucunement la pretention de bouleverser les sciences biologiques, mais simplement pour m'aider a fixer ma pensee, je demanderai, a mon tour, qu'on m'accorde une sorte de _postulatum_, qui nous aidera a nous rendre compte de la plupart des phenomenes de la biologie et de la pathologie. Voici ce _postulatum_: Je supposerai que chaque etre, en naissant, recoit un certain capital d'energie vitale, de la valeur et de l'emploi duquel dependront et sa sante, et sa longevite: un capital donnant des interets variables suivant chaque individu et suivant chaque periode de la vie. J'ajouterai que ce capital peut etre, a toute periode de la vie, amoindri par une cause accidentelle, et que les interets qu'il produit sont egalement variables aux diverses periodes de la vie. Or, cette hypothese etant accordee, l'objet du present travail sera d'etudier, d'un bout a l'autre de la vie, la meilleure maniere de faire valoir ce capital, et de le defendre contre les influences qui ne cessent pas de le menacer. Ces influences sont ce qu'on appelle les "causes morbigenes", et leurs assauts sont ce qu'on appelle les "maladies". L'homme malade est donc, dans notre hypothese, celui qui vient de subir une de ces diminutions de son capital biologique: d'ou il resulte que, avant d'etudier le malade, et les causes morbigenes, nous devons d'abord envisager le capital initial, et les causes qui en font varier la valeur. Considere au point de vue theorique, c'est-a-dire en negligeant les influences qui peuvent le faire accidentellement diminuer, le capital initial est comparable a la force qui lance un projectile dans l'espace. Or, les mathematiciens savent exactement quelle doit etre la courbe parcourue par le projectile, du moment qu'ils connaissent la vitesse initiale et la masse. Et pareillement nous pourrions, nous aussi, prevoir la courbe que suivra la sante d'un sujet, si nous pouvions connaitre exactement le capital de vie qu'il apporte en naissant. Mais le fait est que, chez les differents etres humains, le capital initial varie dans des proportions si enormes que nous ne pouvons guere nous flatter d'en avoir une notion precise. Pour des causes que nous chercherons a analyser, il y a des etres chez qui le capital initial est nul: ce sont eux qui meurent en naissant, ou un ou deux jours apres leur naissance, sans "maladies" ni lesions appreciables; tels certains enfants de syphilitiques, qui meurent parce qu'il n'ont pas la force de vivre. A l'autre extremite de l'echelle se placent les aristocrates de la sante, doues d'un capital enorme, et qu'on voit atteindre a des ages avances sans avoir jamais ete malades, sans avoir jamais pris de precautions speciales pour conserver leur sante. Ainsi, j'ai connu, non comme medecin, mais comme ami, un general mort a quatre-vingt-douze ans, et qui n'avait jamais ete arrete par la moindre indisposition. On peut meme dire qu'il est mort sans "maladie"; il a tout simplement cesse de vivre, comme le boulet, arrive a la fin de sa course, cesse de progresser et rentre dans l'immobilite. Entre ces deux extremes se trouve une variete infinie d'intermediaires; et l'on peut dire qu'il n'y a pas deux personnes ayant le meme capital biologique initial. Cependant les differences dans le capital initial ne sont pas si grandes qu'on ne puisse, tout au moins, en determiner les causes principales, dont l'etude se trouve etre, ainsi, d'une importance majeure. Ces causes peuvent etre groupees sous trois chefs: 1 deg. Les influences hereditaires; 2 deg. La valeur actuelle des generateurs au moment de la conception; 3 deg. Les influences qui ont pu atteindre le produit pendant la gestation. CHAPITRE II HEREDITE L'heredite tient une place considerable dans tous les problemes de la vie; et, comme l'indique bien l'etymologie du mot _hoerere_, (etre attache), tout etre vivant est relie a un long passe ancestral. Les vegetaux eux-memes n'echappent point a cette loi: le souci des horticulteurs n'est-il pas de creer, par de savants procedes de culture et d'habiles selections, des types capables de transmettre par heredite certaines qualites developpees? Ils y arrivent jusqu'au jour ou, quand ils ont voulu trop profondement ou trop vite forcer la nature, la plante revient a son etat sauvage, ou demeure sterile pour avoir ete trop surmenee. Et les memes observations sont familieres aux eleveurs qui cherchent a perfectionner les races d'animaux domestiques. Heredite est donc un terme de physiologie signifiant que la constitution organique, la maniere d'etre physique ou mentale, se transmet des parents aux enfants ou aux descendants. L'heredite se rencontre partout; c'est elle qui constitue les grands traits de caractere si differents de chaque race; c'est elle qui fait que les vertus, les vices, les passions, les haines, se transmettent dans le sein des familles aussi bien que la beaute, la couleur des yeux, la taille, etc. Souvent elle est directe, c'est-a-dire qu'elle provient du pere ou de la mere; parfois elle saute une ou deux generations; d'autres fois, enfin, elle est indirecte: c'est le type d'un parent de la ligne collaterale qui prend la place. Mais il est rare que, dans le cours de la vie, elle ne se manifeste pas d'une maniere quelconque. Le role de l'heredite a ete reconnu de tout temps. Dans son langage image, la Bible nous dit qu'"il a encore les dents agacees, celui dont l'ancetre de la septieme generation a mange des raisins verts." Si cette parole etait l'expression exacte de la verite, elle serait bien decevante, car elle paralyserait tous les efforts destines a lutter contre les tares ancestrales. Mais deja Ezechiel avait energiquement proteste (chap. XVIII) contre la fatalite des tares hereditaires; et la verite est que l'influence de l'heredite est modifiee grandement par la tendance qu'a tout etre vivant a retourner a son type primitif, comme aussi par les influences du croisement, en vertu desquelles l'un des generateurs peut rectifier la tare transmise par son partenaire. Ce n'est que quand les deux generateurs ont les memes tares que l'heredite sevit avec son maximum d'intensite; et alors non seulement les tares s'ajoutent, mais elles semblent se multiplier l'une par l'autre, au point de rendre l'enfant incapable de soutenir la lutte pour l'existence; ou bien, s'il vit, il n'a pas la force de transmettre la vie. Ainsi s'eteignent les familles par les "maladies" hereditaires, a moins qu'un des membres de la race dechue, revenant pour ainsi dire au type primitif, ne porte en lui une force de reaction insoupconnee,--heritage peut-etre d'un passe plus lointain,--qui lui permette de reconstituer la famille. Telles sont les considerations generales qu'il m'a semble utile d'indiquer, parce qu'il en pourrait sortir un grand nombre de conclusions pratiques pour qui sait reflechir. Mais il faut a present que j'insiste sur quelques details plus particuliers. D'abord, l'heredite de la longevite. Il est des familles ou l'on meurt vieux, de pere en fils. On dirait des horloges remontees pour sonner a peu pres le meme nombre d'heures. Il est d'autres familles ou tout le monde meurt jeune, sans cependant qu'on puisse incriminer des "maladies" speciales. Pourquoi? Force est bien de le dire, nous ne le savons pas. Notons, en passant, combien sont erronees les theories qui attribuent a l'homme moyen une longevite moyenne, calculee d'apres l'epoque de la soudure des epiphyses, ou d'apres la duree de la croissance: suivant les calculs de Flourens, cette moyenne devrait etre de cent ans. Mais c'est la une simple vue de l'esprit, qui ne repose sur aucune observation serieuse. Certes, on peut etablir des moyennes. C'est sur des moyennes de ce genre, et sur le calcul des probabilites, que sont bases les statuts des compagnies d'assurance. De meme, il n'est pas deraisonnable de supputer la longevite probable d'un individu donne, quand on est en mesure d'apprecier son capital biologique et la facon dont il sait s'en servir. Mais dire que l'homme est bati pour vivre cent ans, parce que, dans les especes animales, la longevite a cinq fois la duree de la croissance, et que, chez l'homme, la duree de la croissance est de vingt ans, c'est etablir une theorie sur des bases absolument fragiles. Plus importantes encore que la plus ou moins grande longevite des parents, sont, pour nous, certaines particularites de leur etat pathologique, qui retentissent d'une facon souvent tres profonde sur la valeur de leurs enfants. On sait, par exemple, les influences nefastes de l'alcoolisme hereditaire, qui non seulement restreint la natalite, mais condamne ceux qui naissent a une mort rapide. La syphilis ne reduit pas la natalite; au contraire, elle semble la favoriser, et tout le monde connait, en effet, de ces nombreuses familles fauchees par la syphilis hereditaire. En vain les generateurs s'obstinent a mettre au monde de nouvelles victimes: aucune ne survit, a moins qu'un traitement medical bien compris ne vienne mettre fin a cette lamentable situation [1]. [Note 1: Je ne puis m'empecher de reconnaitre, dans cette polynatalite des heredo-syphilitiques, une affirmation de ce qu'on serait tente d'appeler la loi de protection des faibles. N'est-il pas remarquable, en effet, que, dans la nature, les etres sans defense luttent par leur polynatalite contre les causes de destruction auxquelles les expose leur faiblesse? Voyez dans le monde animal. Les animaux puissants, armes pour la defense ou pour la lutte, sont toujours de mediocres generateurs; l'elephant, par exemple, ne donne naissance qu'a un nombre tres restreint d'individus, la femelle porte longtemps; meme remarque pour le lion. Au contraire, les animaux sans defense, se multiplient avec une rapidite qui les rend parfois redoutables: tels les lapins d'Australie. Il a suffi d'un couple importe par hasard dans cette colonie pour que ces animaux se soient multiplies au dela de toute mesure. A l'heure qu'il est, ils constituent encore un fleau pour l'agriculture. C'est que le lapin est un etre faible, qui n'a de moyens ni d'attaque, ni de defense, ne sachant que fuir et se cacher. Dans l'espece humaine, combien ne voit-on pas de ces couples admirablement bien assortis, de sante parfaite, et qui n'ont pas d'enfants? Nous ne parlons pas de ceux qui n'ont qu'un ou deux, enfants; car ici intervient un autre facteur, la restriction volontaire; mais de ces menages exemplaires, ou la venue d'un enfant serait une joie, et qui restent steriles, sans que rien dans l'etat des conjoints explique cette sterilite. Au contraire, des generateurs de mediocre valeur, au point de vue de la sante, mettent au monde de nombreux enfants, qui bien souvent constituent pour eux une richesse negative. Ces malheureux portent le beau nom de proletaires _(proles, race)_. Mais que dis-je? la loi de protection des faibles s'etend a l'infini. Pourquoi nait-il plus de femmes que d'hommes? Pourquoi tel couple ne donne-t-il naissance qu'a des filles, tel autre qu'a des garcons? C'est que, dans le premier cas, la valeur biologique de la mere etait sensiblement inferieure a celle du pere. Quand il y a une disproportion marquee entre les deux generateurs, l'enfant qui nait a le sexe du generateur qui vaut le moins. Quand un homme vieux et use epouse une jeune femme pleine de vie et de sante, l'enfant qui naitra de leur union sera presque toujours un garcon. Dans le monde vegetal, la meme loi de protection des faibles s'observe pour qui sait ouvrir les yeux. Voyez les plantes sans defense: elles pullulent partout, on les trouve sous toutes les latitudes, a toutes les altitudes; au contraire, celles qui se defendent, ont ce qu'on appelle en botanique des "aires" tres limitees. Dans le monde mineral lui-meme, on observe la meme loi: les metaux qui se defendent sont des metaux rares, et c'est precisement parce qu'ils sont rares et incorruptibles (mais non incorrupteurs) que l'homme les a pris comme representant la valeur du travail. L'or, par exemple, que rien n'attaque, est plus rare que les metaux qui s'oxydent facilement, tels que le fer, le cuivre. Le diamant inalterable, qui defie l'injure du temps, est d'une rarete qui lui donne tout son prix. C'est de cette loi de protection des faibles, faisant contrepoids aux lois darwiniennes (selection, adaptation aux milieux, etc.) que resulte un equilibre presque stable dans le monde des etres crees.] La syphilis est un des principaux facteurs de degenerescence. On commence seulement a connaitre l'etendue de ses ravages. On sait aujourd'hui qu'elle se transmet aux enfants; qu'elle les fait mourir avant leur naissance, ou le jour meme de leur naissance; qu'elle se traduit plus souvent encore, dans les deux premiers mois qui suivent la naissance, par des accidents contagieux; que, dans les premieres annees de la vie, elle entraine la mort par meningite (meningite speciale que l'on prend trop souvent pour une meningite tuberculeuse, et qui serait justiciable d'un energique traitement anti-syphilitique). On sait aussi que, dans les cas exceptionnels, la syphilis des generateurs provoque, a l'age de huit, dix, quinze ans, des dystrophies, parfois des accidents tertiaires (epilepsie, gommes, etc.): mais ce sont la des curiosites scientifiques. Ce qu'on ne sait pas encore, c'est dans quelle proportion la syphilis des parents diminue la valeur biologique des enfants en apparence bien nes, c'est son influence sur les produits de la deuxieme et meme de la troisieme generation. C'est la la science de l'avenir[2]. [Note 2: Nous ne voulons pas insister davantage sur les mefaits de la syphilis, envisagee en tant que peril social, mais nous ne pouvons laisser passer l'occasion d'appeler l'attention du lecteur sur les efforts tentes pour faire connaitre au grand public ces tristes verites. Il existe une _Societe internationale de prophylaxie sanitaire et morale_ contre les "maladies" veneriennes, siegeant a Bruxelles, et ayant comme filiales des societes francaises, allemandes, etc., qui toutes poursuivent un but commun: faire connaitre les mefaits des "maladies" veneriennes, les eteindre dans la mesure du possible et par tous les moyens possibles. La societe francaise est certainement l'une des plus actives: sous la vigoureuse impulsion de son president, M. le professeur Fournier, elle a deja fait beaucoup depuis cinq ans qu'elle est fondee. Elle a etudie la syphilis dans l'armee, dans la marine, les colonies, dans les populations ouvrieres; la syphilis des nourrices et des nourrissons; la syphilis et le mariage, etc. Grace a elle, l'opinion publique commence a s'interesser au redoutable probleme, on ose envisager en face la syphilis, on ose prononcer son nom, et tout fait esperer que l'action de la Societe de prophylaxie sera au moins aussi utile que celle des ligues contre l'alcoolisme et la tuberculose. Car, en realite, que peut-on contre l'alcoolisme? Rien tant qu'on ne modifiera pas nos lois et nos moeurs. Que peut-on contre la tuberculose? Presque rien, tant qu'on ne changera pas notre etat social, tant qu'il y aura l'affreuse misere et la promiscuite. Tandis qu'on peut beaucoup contre la syphilis, "maladie" evitable s'il en fut, "maladie" essentiellement curable. Mais il faut la faire connaitre dans tous les milieux, son danger provenant de l'ignorance. C'est surtout contre cette ignorance que lutte la Societe francaise de prophylaxie sanitaire et morale a laquelle devraient etre affilies tous les gens de bien, toutes les personne soucieuses de l'avenir de la nation.] L'heredite tuberculeuse est-elle aussi redoutable qu'on se plaisait a le dire? Non. Voila, du moins, ce qu'affirment la science experimentale et l'observation des jeunes animaux issus de generateurs tuberculeux. Mais, dans la pratique, il serait sage de se conduire comme si la tuberculose etait hereditaire: 1 deg. parce que les enfants de tuberculeux sont, par cela meme qu'ils vivent dans un milieu contamine, exposes a la contagion[3]; 2 deg. parce que l'enfant, s'il n'herite pas do la tuberculose, herite incontestablement de la predisposition a devenir tuberculeux. Il ne nait pas tuberculeux, mais il nait tuberculisable: de sorte que, au point de vue scientifique, l'apprehension qu'avaient nos peres au sujet de l'heredite de la tuberculose etait parfaitement legitime. [Note 3: Le souci de soustraire au milieu contamine les enfants de tuberculeux a inspire au professeur Grancher une idee geniale: c'est de prendre, dans les familles de tuberculeux, les enfants encore sains, pour les faire elever a la campagne dans des familles saines. C'est ce que realise "l'Oeuvre de preservation de l'enfance contre la tuberculose". (Siege social, 4 rue de Lille.) C'est une oeuvre scientifique, puisque, suivant le precepte de Pasteur, elle cherche a sauver la race en sauvant la graine. C'est une oeuvre pratique; elle a fait ses preuves, et elle ne peut pas satisfaire au dixieme des demandes des parents tuberculeux, qui commencent a comprendre la necessite de se separer de leurs enfants encore sains pour les confier a des familles de braves gens designees par l'oeuvre, surveilles par ses medecins, et offrant toutes garanties de moralite. Cette Oeuvre, bienfaisante a plusieurs titres, est en outre _economique:_ chaque pupille ne coute en effet qu'un franc par jour, parce que tous les devouements sont gratuits. Cette faible somme d'un franc, bien employee, sans aucune fuite, sert ainsi les interets de deux familles et sauve la vie d'un enfant.] L'heredite du cancer est loin d'etre demontree. Tout est obscur dans la question du cancer: son etiologie, ses modes de transmission, ses varietes d'evolution; et la therapeutique se ressent de toutes ces incertitudes, malgre les belles promesses de la serotherapie, de la vaccination anti-cancereuse, et de la radiotherapie. En resume, l'heredite est le principal facteur de la valeur biologique des individus. Chacun, de par son heredite, nait avec une valeur differente: l'inevitable inegalite sociale existe non seulement le jour de la naissance, mais le jour meme de la conception. C'est encore a l'heredite qu'il faut attribuer la differente valeur des differents organes. Beaucoup naissent avec un organe plus faible que les autres, de par la tare ancestrale; et le clinicien doit tenir compte de l'existence de ces points faibles, lorsqu'il se trouve en face d'un malade quelconque. Les organes qui subissent le plus notablement la tare hereditaire sont: le systeme nerveux, le coeur, et les reins. _A_) Les tares nerveuses se transmettent avec une constance redoutable; et c'est a juste titre qu'on craint les alliances avec des sujets dont les parents sont entaches d'alienation mentale, ou de nervosisme exagere. Il ne faut pas, cependant, pousser cette terreur de l'heredite nerveuse a des limites excessives: car, ainsi que je l'ai dit, nous devons compter avec une sorte de tendance naturelle en vertu de laquelle l'etre naissant est debarrasse de sa tare ancestrale; l'heredite n'est jamais absolument fatale. Et nous devons prevoir aussi les attenuations que peuvent amener les croisements. Ainsi l'heredite nerveuse du pere peut tres bien etre attenuee par le bon equilibre nerveux de la mere, le croisement bien compris entrainant une sorte de regeneration. Enfin, il est certaines "maladies" nerveuses qui ne se transmettent jamais par heredite: telle la paralysie generale des alienes. De ce qu'un homme est mort dans un asile, par le fait de la paralysie generale, il ne faut pas conclure que ses descendants soient menaces de folie, ou meme de tares nerveuses. Le paralytique general a pris la "maladie" uniquement pour son compte, et il ne la transmet pas plus que ne transmettrait sa tare nerveuse un homme qui serait, accidentellement, empoisonne par le plomb. Tout ce qu'on peut dire du paralytique general, c'est que, neuf fois sur dix, c'est un syphilitique, et que sa descendance peut etre entachee de syphilis au meme titre que la descendance d'un syphilitique quelconque. _B_) L'heredite des cardiopathies est egalement tres interessante a etudier: elle n'est pas assez connue. Il y a des familles dans lesquelles tous les membres succombent aux affections cardiaques. C'est donc que, la, les enfants apportent, en naissant, un point de plus faible resistance du cote du coeur. Chose curieuse: dans ces familles, la lesion cardiaque ne devient perceptible, chez ses divers membres, qu'a des ages plus ou moins avances. Vers trente ans, l'un d'eux eprouvera de l'arythmie, suivie, six ou sept ans plus tard, de myocardite sclereuse. Un autre, tout en ayant le coeur sain a l'auscultation, succombera par le coeur, dans le cours d'une pneumonie. "La "maladie" etait au poumon, et le danger au coeur" (Huchard). Un troisieme membre mourra a cinquante ans, a son quatrieme acces d'angine de poitrine, sans qu'aucun des trois ait jamais eu la moindre attaque de rhumatisme articulaire, ou autre affection capable de determiner des lesions cardiaques. Enfin un quatrieme aura de la tachycardie paroxystique. Et tout cela parce que la mere des quatre enfants aura eu, avant la naissance du premier, le coeur touche accidentellement par le rhumatisme; je connais meme une famille ou l'heredite remonte a deux generations: presque tous les membres de cette famille sont des cardiopathes. C) Le role de l'heredite pathologique renale merite d'etre signale au meme titre. On connait l'albuminurie hereditaire et familiale: mais les recents travaux de MM. Castaigne et Rathery (1904) ont demontre, en outre, qu'une mere atteinte de nephrite donne naissance a des enfants dont les reins sont moins resistants aux infections et aux intoxications, ou meme sont alteres au point d'entrainer la mort des les premiers jours de la vie. De plus, chacun nait avec une predominance de tel ou tel systeme organique. Chez les uns, c'est le systeme nerveux qui presente un developpement hors de proportion avec les autres systemes organiques; chez d'autres, c'est le systeme musculaire. Ni les uns ni les autres ne sont, a proprement parler, des malades, ni meme des candidats a la "maladie"; ils peuvent avoir un excellent capital biologique. Mais, pour le faire valoir, il ne faut pas commettre de fautes dans la direction a leur conseiller. Et nous retrouverons cette importante donnee quand nous parlerons des grands problemes de l'education. Est-ce encore a l'heredite qu'il faut attribuer cette singuliere predominance d'un des cotes du corps sur l'autre que l'on observe chez la plupart des malades? En general, c'est le cote gauche qui est le plus faible; c'est lui qui est le siege des nevralgies, des pneumonies, des miseres variees que les malades accusent; c'est lui qui est le plus faible au dynamometre; et tout le monde sait que la main gauche est, en general, moins habile que la main droite; le langage courant traduit cette inferiorite, en faisant de "gauche" le synonyme de malhabile. Chez d'autres, au contraire, c'est le cote droit du corps qui est le siege de toutes les douleurs nevralgiques, rhumatismales, sans pour cela que ces malades soient gauchers. J'avoue ne pas avoir recherche la part de l'heredite dans cette repartition inegale de l'influx nerveux, que je ne fais que signaler en passant. Mais ce qui resulte de tout ce que nous venons de voir, et qui doit en former pour nous la conclusion pratique, c'est que, pour difficile que soit la connaissance precise de l'heredite d'un sujet, peut-etre n'y a-t-il pas de point sur lequel l'attention du clinicien doive se porter plus soigneusement! En presence d'un malade, notre premier effort doit etre de determiner ce qu'il a pu recevoir de ses parents; et les resultats de cette premiere enquete doivent toujours nous etre presents a l'esprit, tout dans le cours de la vie pathologique du sujet, mais surtout quand nous aurons a diriger sa sante. CHAPITRE III CONCEPTION L'influence de la valeur actuelle des generateurs, au moment de la conception, est a peine soupconnee, et le fait est qu'il serait bien difficile de la demontrer; elle doit etre, cependant, considerable, et il y a tout lieu de croire que la valeur d'un individu a naitre varie du tout au tout selon qu'il a ete concu dans de bonnes ou de mauvaises conditions. Depuis longtemps, les medecins protestent contre les voyages de noces. On ne saurait trop faire campagne contre cette coutume, tout au moins antihygienique. Considerez, en effet combien s'accumulent les conditions deplorables pour la procreation, chez deux conjoints dont le systeme nerveux a ete mis a l'epreuve par les preoccupations premonitoires du mariage, par la fatigue des journees consacrees a sa celebration, par les emotions inseparables de cet acte important de la vie! Et voila ces jeunes gens qui, aussitot apres, se pressent pour un voyage lointain, qui s'exposent a des fatigues de toute sorte, a la deplorable alimentation de l'hotel, qui s'infligent le souci de changer de residence tous les jours, etc.! C'est dans ces conditions que, sans recueillement, a la legere, ils accomplissent l'acte qui doit donner _la vie_. Dans d'autres milieux moins favorises, l'acte conjugal s'opere a la suite de repas copieux, dans des conditions non moins deplorables. Pour combien ne faut-il pas compter aussi l'emotion de la jeune femme, trop souvent surprise par les conditions nouvelles de l'existence qu'elle a adoptee, ou qui lui a ete imposee? Comme le disait le professeur Pinard: "En plein XXe siecle, nous procreons comme les hommes des cavernes." Que faire a tout cela? C'est deja quelque chose que d'appeler l'attention sur un mal dont presque personne ne soupconne l'importance, en dehors du monde medical. Les remedes viendront, pour ainsi dire, d'eux-memes, a partir du jour ou l'on connaitra le danger. Appelons aussi l'attention sur un point delicat: sur la necessite de faire l'education de la jeune fille, pour qu'elle sache ce qu'est le grand acte de la procreation. Je vois d'ici les meres francaises fremir, et s'armer en guerre les bataillons de ceux qui confondent la pudeur avec la pudibonderie. Nul doute, cependant, qu'il y ait une reforme a operer dans nos moeurs, a cet egard, et dans tous les milieux sociaux. Et pourquoi ne pas rappeler ce que dit la Bible, dans le livre de _Tobie_, chapitre VII? Le fils du vieux Tobie, sur le conseil de l'ange Raphael, allait epouser Sara, fille de Raquel, laquelle avait vu mourir subitement ses sept premiers maris, aussitot qu'ils s'etaient approches d'elle; et, pour lui eviter pareil sort, l'ange donnait au jeune homme les conseils suivants: " Lorsque des personnes s'engagent tellement dans le mariage qu'elles bannissent Dieu de leur coeur et de leur esprit et qu'elles ne pensent qu'a satisfaire leur brutalite, comme les chevaux et les mulets qui sont sans raison, le demon a pouvoir sur elles. Mais pour toi, apres que tu auras epouse cette fille, etant entre dans la chambre, vis avec elle en continence pendant trois jours, et ne pense a autre chose qu'a prier Dieu avec elle! La troisieme nuit etant passee, tu prendras cette fille, dans la crainte du Seigneur, et dans le desir d'avoir des enfants plutot que par un mouvement de passion, afin que vous ayez part a la benediction de Dieu." Dans le cours de la vie conjugale, on ne prend pas, pour procreer, plus de precautions qu'a l'epoque des premieres ardeurs; c'est egalement une faute dont se ressent le produit de la conception. Il y aurait a faire tout un traite sur l'hygiene de la procreation. Ce traite, concu dans un esprit large, liberal, scientifique, qui tiendrait compte de tous les elements du probleme, c'est-a-dire non seulement du point de vue medical, mais aussi de l'element passionnel, repondrait a un veritable besoin. Et un chapitre, et l'un des plus importants, devrait y etre consacre au traitement preventif de la syphilis hereditaire. Combien d'hommes atteints de syphilis huit ans, dix ans avant leur mariage, ignorent les bienfaits d'un traitement specifique, qu'ils suivraient deux ou trois mois avant de se marier, pour preserver leurs enfants de la terrible "maladie"! Combien peu de medecins pensent a instituer ce traitement preventif, alors meme qu'ils savent que le generateur a eu la syphilis! Mais je ne sauvais m'etendre ici davantage sur ce sujet. CHAPITRE IV GESTATION Sur les influences qui atteignent l'enfant pendant la gestation, nous n'avons aucune donnee precise a fournir. Nous n'avons pas remarque, par exemple, qu'une mere ayant eu une grossesse penible, voire meme des vomissements incoercibles, donnat naissance a un enfant plus specialement faible; inversement meme, bien des femmes d'une sante mediocre ont des grossesses superbes. J'etonnai fort une malade, un jour, en lui disant qu'elle ne devait aller bien que pendant ses grossesses. C'est qu'elle avait de la ptose abdominale, et que la grossesse devait lui produire l'effet d'une sangle, en soutenant les organes. Mais il n'est guere vraisemblable qu'un etat de sante aussi artificiel, et aussi transitoire, soit, pour le produit de la conception, un brevet de sante future. Par contre, les "maladies" de la mere pendant la grossesse ont une influence bien connue sur la valeur de l'enfant a naitre. Quand elles ne provoquent pas l'avortement, elles impriment a l'enfant une tare. J'ai observe, a cet egard, un fait bien suggestif. Une jeune femme, au quatrieme mois de sa premiere grossesse, avait eu une appendicite si nettement caracterisee que le confrere qui devait l'accoucher, et moi-meme, avions ete sur le point de provoquer l'intervention d'un chirurgien. La malade avait pu, cependant, etre traitee medicalement: mais l'enfant, ne a terme, a presente des sa naissance une intolerance intestinale veritablement anormale. Une premiere nourrice, choisie par l'accoucheur, lui a donne un lait qui a semble trop fort, car l'enfant a eu, des le deuxieme jour, de la diarrhee verte et des vomissements. Dans l'espace de quatre semaines, trois autres nourrices, toujours choisies avec le plus grand soin, n'ont pas eu plus de succes: a chaque nouvelle nourrice, vomissements, fievre ardente, diminution rapide du poids. Mais, pendant qu'on cherchait a grand prix des nourrices ideales, on etait bien oblige de donner a l'enfant du simple lait de vache coupe; alors il allait mieux, la fievre tombait, le poids augmentait tres vite, la vie revenait: de telle sorte que, apres ces quatre tentatives d'allaitement par le lait de femme, l'accoucheur me dit: "Mais enfin, pourquoi s'obstiner a trouver une nourrice? Cet enfant a probablement un intestin extremement delicat, a cause de l'appendicite de sa mere pendant la gestation; donnons-lui simplement du lait sterilise coupe!" Et il eut raison; grace a d'infinies precautions, a une surveillance methodique, l'enfant put etre eleve. Il est bien clair qu'en rapportant ce fait je n'entends pas faire le panegyrique de l'allaitement artificiel: je ne le cite que pour prouver comment la "maladie" d'un organe de la mere pourrait bien avoir une repercussion sur le fonctionnement du meme organe, chez l'enfant qu'elle porte en son sein. Ce que l'on sait encore, c'est que les emotions de la mere, pendant la grossesse, peuvent avoir un retentissement sur la qualite du produit. Et de la derive le devoir strict, pour la societe, de proteger la femme enceinte. Quelques philanthropes l'ont bien compris; mais cette notion n'a pas assez penetre dans nos moeurs, et l'on peut dire que c'est un scandale, pour une nation civilisee, de voir le peu qui est fait pour assister la femme enceinte, pour lui epargner les soucis de l'avenir prochain et les fatigues des derniers jours de la gestation. Un mot, enfin, sur les enfants nes avant terme. S'ils naissent avant terme par le fait de la "maladie" des generateurs, de la syphilis par exemple, leur valeur biologique est sensiblement reduite, et peut meme etre reduite a zero. Mais s'ils naissent avant terme accidentellement, par exemple a la suite d'une chute de leur mere, ou d'une intervention obstetricale raisonnee, leur sort est beaucoup moins compromis qu'on ne le croit dans le public non medical. Le tout est de leur assurer une temperature qui se rapproche de celle qu'ils avaient dans le sein maternel. Pour ce faire, les inventeurs ont multiplie les modeles de couveuses artificielles. Ces appareils, certes, peuvent rendre des services; mais il ne faut pas oublier qu'on peut tres bien s'en passer, en preservant l'enfant du froid, ce qui s'obtient: 1 deg. en chauffant convenablement sa chambre, et en l'entourant de boules d'eau chaude; et 2 deg. en sachant l'alimenter des sa naissance. Ce second probleme est difficile; pour le resoudre, il faut se rappeler une grande loi que nous retrouverons plusieurs fois dans le cours de cette etude, et qui consiste a proportionner la valeur nutritive de l'aliment, et le nombre de prises alimentaires, a la puissance de l'estomac. Chez l'enfant ne avant terme, on donnera donc, toutes les demi-heures, une cuilleree a cafe de lait, coupe de 2/3 d'eau bouillie sucree. L'enfant va naitre; quel prejudice lui cause l'accouchement au forceps? Nous ne pouvons pas nous defendre de redouter, pour notre part, la compression colossale qu'impose l'application du forceps a la masse cerebrale de l'enfant. Mais l'etude approfondie de cette question, qui aurait pourtant de quoi interesser les neurologistes, n'a pas encore ete faite, a notre connaissance du moins, d'une facon suffisante. En tout cas, on est en droit de considerer comme coupable une intervention au forceps faite pour gagner du temps, ou pour faire valoir l'importance des soins obstetricaux. CHAPITRE V LES INFLUENCES MORBIGENES ET LES SYMPTOMES MORBIDES L'enfant est ne; il vaut ce qu'il vaut. Personne ne le sait, sauf dans les cas extremes ou il vient au monde avec des apparences tellement miserables que, des son premier vagissement, son inferiorite saute aux yeux; c'est ce qui arrive chez les heredo-syphilitiques, et rien n'est aussi navrant que l'apparition du petit monstre aux lieu et place d'un enfant bien vivant, attendu avec une legitime impatience. Il faut avoir assiste a ce spectacle pour en comprendre la poignante horreur. Tout le monde, sauf la mere, s'accorde alors a penser qu'il vaudrait mieux que l'enfant ne fut pas ne. Mais, en dehors de ces cas, il est impossible de savoir le capital de vie que l'enfant apporte avec lui; c'est son secret, qu'il gardera pendant toute la duree de son existence, mais que le medecin parviendra cependant a deviner en partie, s'il sait fouiller l'heredite de son malade et s'inspirer des quelques principes que nous avons esquisses a grands traits dans le chapitre precedent. L'enfant est ne: toute sa vie, desormais, va etre une "lutte pour la sante", une suite d'efforts, volontaires ou instinctifs, pour defendre son capital naturel de sante contre les "influences morbigenes" qui vont le guetter a chaque pas. Ces influences morbigenes, que l'etre vivant va rencontrer sur sa route, depuis le jour de sa naissance jusqu'a la fin de sa carriere, nous allons tout de suite les esquisser a grands traits. Au debut, nous avions assimile, pour les besoins de la theorie, l'etre humain a un projectile lance dans l'espace avec une vitesse initiale determinee; mais, tandis que le projectile parcourt une courbe mathematique, qu'on appelle une parabole, la courbe evolutive de l'etre humain est une courbe irreguliere qui flechit chaque fois qu'une influence morbigene survient, puis remonte pour osciller de nouveau, puis flechir definitivement a partir d'un certain moment de la vie que nous appellerons le debut de la periode de declin, et toujours avec des oscillations a amplitude de moins en moins considerable, jusqu'au moment ou toutes les reserves se trouvent epuisees. La mort peut encore interrompre brusquement la courbe evolutive; c'est ce qui arrive quand la breche faite au capital est irreparable, soit a cause de l'importance de l'assaut perturbateur, soit a cause de l'insuffisance des reserves, ou bien quand ces deux influences se combinent; et le nombre de leurs combinaisons est incalculable. La variete des causes morbigenes est elle-meme infinie; mais la nature n'a qu'un nombre limite de moyens pour exprimer ses plaintes, de sorte que les causes les plus variees peuvent se traduire par les memes symptomes. Aussi accordons-nous relativement peu de valeur a l'etude du symptome. Les symptomes s'associent de mille et une facons, pour constituer autant deformes morbides differentes. Que dis-je? Il n'est pas deux malades qui se ressemblent, Ce n'est que pour la facilite de l'etude que les pathologistes ont cree des cadres posologiques; mais on comprend assez que ces cadres devraient etre aussi elastiques que possible. Le vrai medecin, apres s'en etre servi pour faire d'excellentes etudes, ne craindra pas, dans la pratique, d'en faire abstraction, de penser et d'agir comme si les cadres n'existaient pas. Et un moment viendra meme, quand son experience clinique sera suffisante, ou il aura tout interet a faire table rase des notions qu'il a peniblement accumulees par un travail assidu et prolonge; tout comme l'architecte, qui, une fois la construction terminee, fait enlever les enormes echafaudages qui avaient ete necessaires a la construction de l'edifice. Certes, l'etude approfondie des symptomes morbides est indispensable au clinicien, et l'on ne saurait apporter trop de soins a connaitre, dans tous leurs details, les divers troubles de la sante. Mais il y a un ecueil: c'est que, la theorie du moindre effort s'appliquant naturellement a l'esprit humain, on a une tendance involontaire a attribuer aux symptomes une influence pathologique qu'ils n'ont pas; en d'autres termes, ce qui n'est en realite qu'une manifestation morbide devient, trop aisement, dans l'esprit du medecin, la cause de la "maladie". Prenons comme exemple la constipation: ce n'est en realite qu'un symptome, et qui peut se trouver chez une foule de malades differents. Nous ne parlons pas, bien entendu, de ceux chez qui elle est d'origine mecanique (cancer du rectum, de l'iliaque, etc.). Un mot cependant, en passant, pour dire que le medecin a le tort de ne pas assez penser a ces causes mecaniques, et de traiter par des moyens medicaux des malades dont une intervention chirurgicale aurait pu prolonger la vie ou attenuer les souffrances. Mais chez les malades qui ne sont pas tributaires de la chirurgie, n'est-il pas vrai que la constipation est un symptome banal, pouvant etre attribue a une foule de causes? Parfois, elle est due a des lesions d'organes lointains, par un mecanisme reflexe a long circuit, suivant l'ingenieuse expression de M. Mathieu (appendicite chronique, lesions uterines, etc.). D'autres fois, et plus souvent encore, elle est due a un trouble profond du systeme nerveux, qui, avant l'apparition de la constipation, avait traduit son malaise par des plaintes variees. D'autres fois, elle apparait brusquement, en meme temps que l'entero-colite sa compagne, a la suite d'un choc brutal, moral ou traumatique. De plus, tout le monde sait qu'elle peut etre due tantot a un manque, tantot a un exces d'exercice musculaire. Les hommes qui ont besoin de beaucoup d'exercice, s'ils n'en ont pas assez, deviennent, suivant les predispositions hereditaires, ou des cerebraux, ou des goutteux, ou des lithiasiques, mais toujours des constipes: et leur constipation disparait a partir du jour ou l'on a trouve le dosage precis de l'exercice qui leur convient. Inversement, les hommes qui prennent trop d'exercice deviennent dyspeptiques et constipes, et le lit est leur meilleur laxatif. Enfin la constipation peut tenir a une erreur de regime, soit a l'abus du lait (le cas est frequent), soit a l'usage abusif de la viande: alors le regime semi-vegetarien serait indique, et il suffit de changer de regime pour voir disparaitre la constipation. La constipation n'est donc qu'un symptome. Certes, en vertu de la synergie des fonctions, des repercussions a distance, en vertu de ce principe que le systeme nerveux abdominal a des relations intimes avec le systeme nerveux central, que, d'une facon plus generale, le trouble d'un departement quelconque du systeme nerveux retentit sur les autres departements, la constipation, bien que symptomatique, contribue dans une certaine mesure a entretenir la "maladie", ne fut-ce que par la preoccupation qu'elle cause au malade, et qui peut degenerer quelquefois en veritable obsession. Mais ce qu'il faut se rappeler, quand on aborde le probleme therapeutique, c'est que le systeme nerveux est une chaine sans fin. Or, si l'on veut bien nous accorder que la solidite d'une chaine est egale a celle du plus faible de ses anneaux, on comprendra l'importance qu'il y a a rechercher quel est l'anneau le plus faible; en d'autres termes, quelle est la partie du systeme nerveux qu'il faut viser et consolider, pour guerir le constipe medical. Il n'y a donc pas de remede contre la constipation, et, pour l'atteindre, il faut atteindre la "maladie", dont elle constitue une des manifestations les moins importantes et, disons-le tout de suite, les plus faciles a faire disparaitre. Oui, dusse-je sembler paradoxal, j'affirme que la constipation est, de tous les symptomes observes chez le constipe medical, celui qui disparait le plus vite. Prenez un malade qui souffre, depuis des annees, de ces miseres variees qu'on est convenu de designer sous le nom un peu vague de neurasthenie, et parmi lesquelles la constipation joue un role capital; apres enquete minutieuse, trouvez la formule exacte de son regime, et par regime je n'entends pas seulement le regime alimentaire, mais la reglementation minutieuse de sa vie, le dosage de son exercice et de son travail cerebral, etc.; supprimez les agents therapeutiques qui entretiennent la "maladie" (douches froides, exercice force, medicaments varies, diete lactee); supprimez surtout les influences qui entretiennent le trouble nerveux de son intestin, a savoir les purgatifs, lavages a grande eau, etc.: et vous serez etonne de voir la constipation disparaitre, avant meme toutes les autres miseres. Le malade vous dira, au bout de huit jours: "Chose curieuse, docteur, je souffre encore de la tete, de l'estomac, du dos, d'une faiblesse extreme, mais je commence a retrouver le sommeil, et surtout je vous suis bien reconnaissant parce que ma constipation, si rebelle, est presque entierement vaincue. Je n'ai presque plus de peaux dans les selles, et je commence a reprendre confiance." A partir de ce moment precis vous tenez le malade, il a en vous une foi aveugle, et, si vous continuez a le soigner methodiquement, si surtout des influences etrangeres ne viennent pas contrecarrer la votre, si le malade est assez intelligent pour s'abandonner entierement a votre direction, vous lui rendrez, peu a peu, la sante. Il aura des rechutes inevitables: mais lui annoncer a l'avance ces rechutes, c'est consolider sa foi. Il aura aussi des rechutes, plus ou moins importantes, chaque fois qu'il s'ecartera de la ligne tracee par vous: s'il commet un ecart de regime, un exces d'exercice, ou s'il a une commotion morale, l'odieuse constipation reparaitra, accompagnee d'etat gastrique, de douleurs abdominales, de glaires sanguinolentes, de fievre quelquefois; mais ce sera pour le bien du malade, si vous parvenez a lui faire toucher du doigt la cause de cette rechute, et a lui faire comprendre que cette rechute etait evitable. Si nous prenions une autre manifestation morbide quelconque, nous verrions qu'elle appartient, de meme, a une foule d'affections. Le mal de tete, par exemple, ne se rencontre-t-il pas dans les cas les plus varies, n'est-il pas produit par les influences les plus diverses? Heureusement pour les malades, il n'est encore venu a l'idee de personne de trouver un remede applicable a tous les cas de mal de tete. Nous en connaitrions un, par hasard, que nous nous garderions bien de le divulguer: car, si la medecine "du symptome" est detestable au point de vue de l'etude nosographique, elle l'est encore plus au point de vue therapeutique. Mais qu'on lise une monographie quelconque sur un symptome, ou un ensemble de symptomes (ce qu'on appelle un _syndrome_): on y trouve toujours en germe la pathologie tout entiere. Ainsi dans mon article _Epilepsie_ du _Dictionnaire Encyclopedique_, j'ai essaye de montrer combien il faut se mefier des cadres trop rigides, si l'on veut avoir une conception nette de l'epilepsie, et une therapeutique utile des epileptiques. De meme, en lisant ces jours-ci une interessante etude du Dr Baraduc sur l'entero-colite et son traitement a Chatel-Guyon, j'y voyais une conception qui se rapproche grandement de la mienne. Qu'on en juge par les quelques lignes que voici: "L'entero-colite muco-membraneuse est un syndrome clinique dependant d'un trouble fonctionnel du grand sympathique abdominal, des causes nombreuses et variees etant capables de retentir sur les plexus intestinaux et de troubler leur dynamisme. Mais aucune de ces causes n'est suffisante, a elle seule, pour produire l'entero-colite. Il faut de toute necessite une predisposition speciale du systeme nerveux, et plus particulierement du sympathique abdominal, a se troubler aux chocs qu'il recoit. Cette predisposition necessaire speciale, le plus souvent hereditaire, est l'apanage des neuro-arthritiques." Si l'auteur voulait bien avouer seulement que cette expression de "neuro-arthritiques" ne fait que dissimuler notre ignorance, nous serions tout a fait d'accord avec lui. En resume, si le medecin doit bien connaitre dans tous leurs details, sous tous leurs aspects, dans leurs moindres nuances, les manifestations morbides, il doit surtout chercher leur pathogenie, et ne pas s'hypnotiser sur tel ou tel symptome. En un mot, il doit voir de haut pour voir loin, a condition toutefois de ne pas se perdre dans les nuages. Quelquefois, tous les systemes organiques sont troubles a la fois sous l'influence d'une cause morbigene. C'est ce qui arrive, par exemple, a la suite d'un choc traumatique violent, On voit, du jour au lendemain, le blesse devenir a la fois dyspeptique, desequilibre abdominal, constipe avec enterite muco-membraneuse, desequilibre cerebral; et il peut rester longtemps dans ce miserable etat qu'on designe sous le nom d'_hystero-neurasthenie traumatique._ La fievre typhoide, la grippe infectieuse, impressionnent egalement a la fois, tous les appareils de l'organisme, a des degres divers. Tantot la sideration peut etre telle que le capital vital initial et les reserves anterieures se trouvent tout a coup epuises: c'est la banqueroute totale, c'est la mort. D'autres fois, le capital et les reserves ne sont que profondement entames. C'est la "maladie" grave, aggravee encore par des medications et des pratiques intempestives; a un moment donne, le capital peut etre reduit a si peu de chose, que la moindre depense suffit pour l'aneantir. Le malade est une flamme vacillante que le moindre souffle peut eteindre, mais a laquelle un savant dosage d'oxygene rendra, peu a peu, la vie. Quand le capital est moins profondement atteint, ou quand la cause morbigene est moins importante, les troubles fonctionnels, au lieu d'etre generalises, atteignent plus specialement tel ou tel organe: l'organe le plus faible, qu'il soit plus faible par le fait de l'heredite ou par le fait d'une atteinte anterieure. Mais, en vertu de la synergie qui existe entre tous les organes, le trouble fonctionnel ne reste pas longtemps limite a un organe ou a un systeme organique. Voyez le grand neurasthenique: il est a la fois dyspeptique, enteralgique, cerebral, medullaire. Quel est l'organe qui, chez lui, a ete le premier atteint? Impossible de le dire, apres deux ou trois ans de "maladie". Cependant une enquete bien conduite peut permettre souvent de reconstituer son histoire pathologique, de voir par ou la "maladie" a commence, quel etait le point initial. Et c'est de la connaissance de ce point faible initial que derivera, en grande partie, la therapeutique. Le medecin portera la plupart de ses efforts sur le point faible qu'il aura decouvert, sans negliger, cependant, les perturbations secondaires attribuables a la synergie des fonctions de tout etre vivant. Il arrive meme, quand l'influence morbide est peu intense, ou quand les reserves sont bonnes, que le trouble de la sante ne se traduit que par un nombre tres limite de symptomes, parfois meme par un seul. Ainsi il y a des migraineux qui n'ont que de la migraine, des malades qui n'ont, comme manifestation morbide que le symptome constipation, d'autres qui n'ont que de la sciatique; mais ces cas sont exceptionnels, et, en bonne clinique, et surtout pour faire de la bonne therapeutique, il faut, presque de parti pris, les eliminer, et chercher au dela de la manifestation monosymptomatique. Presque toujours, alors, ou trouvera que la "maladie" n'est monosymptomatique qu'en apparence. De meme que, dans une compagnie de chemins de fer, une irregularite dans le service, minime en apparence, denonce, si elle se renouvelle frequemment, une mauvaise direction generale, de meme, en biologie, il n'est pas d'indispositions insignifiantes, si limitees soient-elles a tel ou tel organe. L'apparition d'une douleur a l'epaule, par exemple, qui parait une affection bien locale, est l'indice d'une perturbation plus profonde qu'on ne le croit du systeme nerveux central. Nous venons de prononcer un grand mot, et c'est toute une doctrine qui est contenue dans cette affirmation; c'est que en effet c'est le systeme nerveux central qui a notre avis est le grand reservoir de l'energie. C'est par lui que nous vivons, que nous nous mouvons, et que nous sommes. C'est lui qui dirige le fonctionnement de tous les organes, de sorte que quand il est perturbe, il n'engendre pas seulement, la nevrose, la neurasthenie, l'hysterie, l'irritation spinale, la folie, la nevropathie generalisee, etc., mais encore les troubles de circulation vaso-motrice des differents organes. En derniere analyse, il est la clef de voute de la pathologie. Ses perturbations se traduisent par les symptomes les plus varies, au point d'egarer presque fatalement le diagnostic qu'on voudrait fonder sur eux seuls. Quelles que soient donc la forme, la gravite, l'apparence de la manifestation morbide, c'est toujours le systeme nerveux central qu'il faudra etudier, c'est sur lui que devra porter le grand effort therapeutique. Ce qu'il faut toujours voir, c'est l'ensemble du malade et surtout la cause ou la serie de causes qui ont fait flechir momentanement son systeme nerveux, qui ont, en d'autres termes, diminue sa valeur biologique. Or, comme nous l'avons dit, ces causes sont multiples. Il en est qui appartiennent a tous les ages, mais d'autres qui appartiennent plus specialement a un age determine. Pour mettre un peu d'ordre dans cette etude, c'est d'apres ce plan que nous passerons en revue les principales de ces causes morbigenes. Nous les etudierons donc suivant l'age de l'etre humain: 1 deg. depuis le jour de la naissance jusqu'au sevrage; 2 deg. du sevrage a la puberte; 3 deg. de la puberte a l'age adulte; 4 deg. pendant l'age adulte; 5 deg. aux differentes phases du declin; 6 deg. pendant la vieillesse. Nous introduirons, en outre, des subdivisions, suivant que les influences pathogenes atteignent plus specialement: 1 deg. le systeme nerveux digestif; 2 deg. le systeme nerveux musculaire; 3 deg. le systeme nerveux central. Enfin, pour chaque age de la vie, nous mentionnerons les affections accidentelles qui portent atteinte a la fois a tous les systemes organiques: nous voulons parler des "maladies" aigues (rougeole, scarlatine, fievre typhoide, etc.), des intoxications (syphilis, intoxications alimentaires, etc.), toutes affections qui, par la brutalite de leurs assauts, ont surtout attire l'attention des gens du monde et de beaucoup de medecins, mais qui, en realite, ne constituent que la partie la moins importante de la pathologie, surtout au point de vue therapeutique. La suite de ce travail demontrera, j'espere, que cette formule n'est paradoxale qu'en apparence[4]. [Note 4: Certes, quelques-unes de ces influences morbigenes sont inevitables et la prudence la plus vigilante n'en preserve pas l'etre vivant. Mais beaucoup seraient evitables: ce sont celles qui constituent le domaine de l'hygiene, de sorte que notre travail, en meme temps qu'il dessinera a grands traits toute la pathologie, effleurera forcement les problemes afferents a l'hygiene et a la therapeutique, en d'autres termes, a la gestion du capital. L'hygiene publique est la gestion de la fortune de la communaute, l'hygiene privee est la gestion de la fortune de chacun, constituee essentiellement par le capital initial, et par les interets qu'il rapporte.] CHAPITRE VI DE LA NAISSANCE AU SEVRAGE (PUERICULTURE) Ainsi donc, suivant que le capital sera fort ou faible et qu'il sera bien ou mal gere, l'etre vivant sera sain ou malade, donnera ou ne donnera pas son maximum de rendement, fournira ou ne fournira pas la carriere qui lui etait originairement devolue. Dans les premieres annees de la vie, la gestion du capital appartient tout entiere aux parents. Bien peu savent elever leurs enfants; et s'il est des connaissances qu'on devrait repandre a profusion dans tous les milieux sociaux, ce sont celles relatives a la "puericulture", d'autant que les regles en sont simples et peu nombreuses, ainsi que le demontre le _Traite de Puericulture_ du professeur Pinard, qui devrait etre entre les mains de toutes les meres de famille. Rien de plus simple, d'ailleurs, que cette science de la puericulture. Surveiller le repos de l'enfant, ne pas l'exciter a tout propos et hors de propos, l'alimenter intelligemment, lui epargner toute medicamentation meurtriere, le preserver du froid et des changements brusques de temperature: et c'est tout. Si seulement on savait la maniere d'economiser les vies d'enfants, on pourrait le faire dans les milieux en apparence les plus defectueux; c'est ainsi qu'au Creusot, grace aux incessants efforts de MM. Schneider, la mortalite des enfants au-dessous d'un an n'est que de 110 p. 1000, alors que, dans le canton de Vaud, renomme pour l'excellence de ses conditions hygieniques, elle atteint 155 p. 1000. Ce magnifique resultat est du surtout a l'elevation des salaires, qui permet aux meres de se consacrer librement a leur mission maternelle. Pres de 80 p. 100 des meres allaitent leurs enfants, toutes font de la puericulture avant la naissance. (_Rapport_ de M. le professeur Pinard, a l'Academie de medecine, 25 juillet 1905.) Il est bien evident que le capital initial ne suffit pour entretenir la vie que pendant quelques jours; il a besoin d'etre sans cesse renouvele et augmente, pour permettre de faire des reserves, de donner a l'individu les moyens de vivre, et, plus tard, de transmettre la vie a son tour. C'est l'aliment qui pourvoit a ce besoin incessant; et par aliment nous entendons non seulement ce qui entre dans le tube digestif, mais aussi l'air, que les anciens definissaient tres justement le _pabulum vitae_. Quand l'aliment peche par sa qualite, par sa quantite, par une repartition vicieuse, la "maladie" ne tarde pas a naitre; c'est la la cause essentielle de toute la pathologie infantile. Et l'on ne saurait croire, en verite, dans quelle mesure une mauvaise alimentation du premier age retentit sur toute la vie pathologique de l'individu. Quelques medecins le disent, le crient meme, mais c'est dans le desert; la plupart le nient, ou passent indifferents a cote de cette verite profonde. Quant aux gens du monde, ils en soupconnent a peine l'importance. La verite est que, quand un enfant a ete mal nourri loin de sa famille, quand il revient de nourrice avec un gros ventre, on peut affirmer que, toute sa vie, il sera un valetudinaire. Quand, pour obeir aux injonctions d'un cenacle de gens incompetents, ou quand, poussee par son medecin, qui veut mettre a l'abri sa responsabilite, une mere consent a abandonner les doux devoirs de la maternite et a confier a une nourrice l'enfant qu'elle aurait du allaiter, quand a cette nourrice en succedent deux ou trois autres, sous des pretextes quelconques, on doit tout craindre pour l'avenir de l'enfant. Il sera, dans sa prime jeunesse, un etre insupportable, puis un ecolier de quatrieme ordre, dans son adolescence un rate, incapable de payer sa dette au pays; toute sa vie, un malheureux. Ces considerations doivent etre presentes a l'esprit du clinicien qui, se trouvant en face d'un malade quelconque, arrive a un age quelconque, doit chercher a connaitre ce que vaut ce malade. On comprend donc l'importance du probleme de l'alimentation dans la premiere enfance. En principe, comme l'a bien dit M. Pinard, "le lait de la mere appartient a l'enfant"; et "si l'on veut faire quelque chose qui soit puissamment efficace et fructueux, il est necessaire, il est indispensable de faire tout d'abord ce que demandait la Convention, et ce qu'ont realise MM. Schneider au Creusot, il faut permettre a la mere de donner ce qu'elle possede." (_Rapport_ du professeur Pinard a l'Academie, juillet 1905.) Mais si la mere ne peut absolument pas nourrir, il faut recourir immediatement a l'alimentation artificielle, soit avec le lait sterilise du commerce,--dont l'innocuite est quotidiennement demontree par les resultats obtenus, a la Goutte de lait de Belleville, au dispensaire tres habilement dirige par M. le Dr Variot,--soit encore avec le lait de vache bien surveille, fraichement et proprement trait, sucre, plus ou moins etendu d'eau, puis sterilise dans la famille, avec des appareils Sosclet, ou mieux encore avec l'appareil "la Tutelaire". C'est ce dernier appareil qui est utilise a cette "Goutte de lait" de Saint-Pol-sur-Mer, qui pourrait servir de modele a toutes les institutions du meme genre, a cause de la simplicite de son organisation. Fondee, en 1902, par M. Georges Vancauwenberghe, maire de Saint-Pol-sur-Mer, a l'aide d'un subside de trente mille francs mis a sa disposition par un autre philanthrope, cette "Goutte de lait" a deja rendu d'importants services: elle a fait tomber la "maladie" des enfants de 0 a 1 an de 288 p. 1000 (c'etait le chiffre de mortalite infantile le plus eleve de toute la France) a 51 p. 1000. La consultation des nourrissons a lieu tous les dimanches matin, dans un local mis a la disposition de l'Oeuvre par la municipalite de Saint-Pol-sur-Mer: 120 enfants, en moyenne, sont presentes tous les dimanches. Les meres arrivent par series, et se reunissent dans une grande salle chauffee ou elles deshabillent leurs enfants. Elles penetrent successivement dans la salle de consultation. Chaque enfant est pese, puis examine par le medecin, qui compare le poids actuel a celui du dimanche precedent, l'inscrit sur la fiche individuelle du nourrisson, et fixe le regime pour la semaine qui va commencer. Toute mere recoit, soit un important secours _en nature,_ si l'enfant est nourri au sein,--car on fait tout ce qu'on peut pour favoriser l'allaitement maternel,--soit des biberons de lait _pasteurise_, si l'enfant est a l'allaitement mixte ou artificiel. Le lait est distribue tous les jours au local de l'Oeuvre. Chaque enfant a l'allaitement artificiel a un double jeu de biberons et de paniers, qui lui sont personnels. En venant chercher les biberons prescrits, la mere remet ceux que l'enfant a vides la veille. Un seul homme suffit pour assurer tout le service. Le lait est distribue gratuitement a tous les enfants indigents. Fourni a l'Oeuvre a son prix coutant, il provient des etables du Sanatorium de Saint-Pol-sur-Mer, ou aucune vache n'entre sans avoir ete prealablement soumise a l'epreuve de la tuberculine. Aussitot recu, il est pasteurise suivant le procede Coutant: c'est-a-dire que, dans le biberon meme ou la mere devra l'utiliser pour son enfant, le lait est porte a 75 deg., puis les flacons sont brusquement refroidis par immersion dans l'eau. Ce refroidissement brusque a ete rendu possible par la contexture meme du verre des flacons. Le lait ainsi traite a perdu tous ses microbes pathogenes, et, a l'inverse du lait sterilise a 110 deg., a conserve toutes ses proprietes digestives et nutritives. Apres la pasteurisation, les biberons restent plonges dans des bacs remplis d'eau froide, jusqu'a la livraison aux meres. La pathologie infantile est relativement simple. Faut-il donc, comme on le propose de divers cotes, faire faire a tous les etudiants en medecine un stage dans les hopitaux d'enfants, pour les initier aux mysteres de cette pathologie? Remarquez que d'autres medecins demandent un stage special pour l'etude des "maladies" veneriennes et cutanees; d'autres encore un stage pour l'etude des "maladies" nerveuses, sans parler de ceux qui voudraient un stage pour les "maladie" des yeux, des organes genito-urinaires. Pourquoi pas un stage, aussi, pour celles des oreilles et du nez? et, a ce compte, combien de temps dureraient les etudes medicales? Tous ces stages successifs seraient excellents s'ils etaient praticables; mais ils auraient pour effet de restreindre plus que de raison le nombre des futurs medecins, et de remplacer la plethore medicale actuelle par une anemie encore plus regrettable. Non, ce qu'il faut apprendre a l'etudiant, c'est qu'il lui reste beaucoup _a apprendre_, c'est que toute sa vie de praticien ne sera pas trop longue pour savoir lire dans le grand livre de la nature. Mais il nous semble que, pour ce qui concerne en particulier la pathologie des enfants, un peu de bon sens, beaucoup de prudence, pas de medicaments, de la patience, suffisent pour faire de bonne therapeutique infantile, quand, par ailleurs, on connait les lois generales de la pathologie. Sans etre specialiste pour les "maladies" d'enfants, je me rappelle avoir ete appele en consultation, en province, pour un enfant de six mois soigne par deux distingues confreres. Il avait, depuis cinq jours, une enterite aigue avec fievre, amaigrissement rapide. Pendant les trois quarts d'heure que dura mon enquete, je vis cet enfant passer successivement des bras de sa mere dans ceux de la nourrice _seche_, puis dans ceux d'une tante affolee, le tout pour calmer les faibles cris qu'il avait encore la force de pousser. J'appris que ce manege durait depuis deux jours, que l'enfant avait pris du calomel, trois fois de grands lavages intestinaux, et qu'on l'alimentait toutes les heures, a grand'peine, avec du lait sterilise! Je proposai simplement de mettre cet enfant dans son berceau et de l'y laisser, de lui appliquer sur le ventre un large cataplasme, de le laisser a la diete absolue pendant quatre heures puis de lui donner de l'eau panee, et de le laisser dormir si le sommeil pouvait venir. Le lendemain, la fievre avait cesse, l'enfant avait dormi; j'autorisai alors, toutes les heures, le lait naturel, ecreme et coupe avec parties egales d'eau de riz; je conseillai de ne pas trop deranger l'enfant, de ne plus explorer son ventre. Le surlendemain, il prenait du lait ecreme pur, et j'appris qu'il avait retrouve sa gaite. Un sommeil prolonge mit fin a la grave alerte, et aussi a la "maladie", qui avait failli rendre Je pauvre enfant victime de soins trop empresses. Dans d'autres cas d'enterite choleriforme, le grand secret de la therapeutique consiste a savoir rechauffer les enfants, tout en les tenant a la diete absolue pendant six ou douze heures, puis au regime "avec restriction des liquides" pendant deux ou trois jours. Avouons cependant que, parfois, les problemes de pathologie infantile sont tres difficiles a resoudre. J'ai parle plus haut de cet enfant qui ne supportait aucun lait de femme, pris en n'importe quelle quantite. D'autres fois, les enfants s'empoisonnent avec le lait meme de leur mere. C'est, tout simplement, parce qu'ils en prennent trop a la fois; mais il faut quelquefois chercher longtemps pour trouver cette cause si simple. On ne se figure pas le nombre d'enfants qui ont des indigestions chroniques, parce qu'ils ne sont pas rationnes, surtout quand ils sont nourris par de plantureuses mercenaires qu'on ne sait comment tonifier, dans la pensee de donner plus de forces au precieux rejeton. Dans certains cas, meme, le diagnostic des "maladies" des enfants est tellement difficile que les specialistes se declarent incompetents. Que d'erreurs de diagnostic commises a propos des meningites! Et comment aussi interpreter le cas suivant? Sans cause connue, un enfant d'un an, bien eleve au sein maternel, eprouve un malaise insolite, devient grognon, refuse de prendre le sein, a de la fievre. Les jours suivants, la fievre augmente, une paleur inquietante s'etend sur la face, un amaigrissement rapide preoccupe a juste titre tout l'entourage; puis, au bout de quelques jours, sans qu'on ait rien fait que de laisser l'enfant bien tranquille, l'appetit revient peu a peu, la fievre diminue, et tout rentre dans l'ordre. Divers confreres appeles en consultation n'ont pas pu etiqueter cette "maladie", ni se prononcer sur son issue; mais, tous ayant eu le bon esprit de ne pas aggraver la situation par une medication intempestive, tout s'est termine pour le mieux, et l'enfant a garde son secret. La faute de ces insuffisances et de ces erreurs de diagnostic n'est pas aux medecins, mais aux difficultes des problemes cliniques. En les denoncant, nous ne voulons nullement denoncer la faillite de la science: bien au contraire, ce que nous voulons dire, c'est qu'en therapeutique infantile il faut avant tout de la sagacite, et que, dans certains cas, il faut que le medecin sache reconnaitre son incompetence. Dans d'autres cas, d'ailleurs, la science prend une revanche eclatante, et c'est alors que le medecin est en droit de se feliciter d'avoir fait de bonnes etudes de pathologie generale. Voyez, par exemple, cet enfant ne a terme, et qui vient bien pendant les six premieres semaines; puis voici que, tout en continuant a prendre ardemment le sein, sans avoir ni diarrhee, ni vomissements, son poids cesse d'augmenter; il diminue de 200, de 300 grammes en quelques jours. Qu'est-ce a dire? Mais c'est que l'enfant est un heredo-syphilitique. Le traitement mercuriel, sous forme de liqueur de Van Swieten, de frictions mercurielles, ou mieux encore d'injections de sublime a la dose de 3 a 5 milligrammes par jour, fait merveille et retablit entierement cet enfant. Nous avons dit plus haut combien souvent la meningite, qu'on croit tuberculeuse, et qui survient de deux a cinq ans, est d'origine syphilitique. Deja en 1872, quand nous faisions nos etudes a Montpellier, le regrette professeur Fonsagrives nous disait qu'il avait sauve beaucoup d'enfants, atteints de meningite tuberculeuse, en leur donnant de l'iodure de potassium. C'est, sans doute, qu'il s'agissait de meningites syphilitiques. Mais pour formuler un diagnostic de meningite syphilitique, pour depister l'heredo-syphilis, soit par l'examen de l'enfant, soit par une enquete sur les parents, ne faut-il pas que le medecin ait beaucoup travaille, beaucoup vu et beaucoup retenu? Son role n'est donc pas inutile, et si, le plus souvent, il doit se contenter de faire de l'expectation armee, il peut, dans beaucoup de cas, rendre aux enfants malades des services inappreciables. Que dire d'un bain chaud donne, en temps utile, a un enfant atteint de pneumonie; de l'immersion alternative dans l'eau chaude et dans l'eau froide d'un enfant nouveau-ne atteint de congestion pulmonaire, sinon que, dans certaines circonstances, le medecin opere ainsi de veritables resurrections? Encore une fois, nous ne voulons ni rabaisser le role social du medecin, bien au contraire, ni introduire dans l'esprit des jeunes confreres un scepticisme infecond: ce que nous voulons, c'est leur dire qu'il ne faut pas se specialiser dans l'etude de la pathologie infantile, et que, pour bien soigner un enfant, il faut savoir beaucoup, mais surtout qu'il faut souvent savoir s'abstenir. En resume, la pathologie de l'enfance, tout en etant compliquee, comme tout ce qui touche au probleme de la vie, nous semble etre relativement simple, l'enfant n'etant, pour ainsi dire, "qu'un tube digestif perce aux deux bouts". Plus nous allons voir l'etre humain avancer dans sa carriere, plus vont devenir nombreux et compliques les problemes de la vie. Le systeme nerveux ne va pas tarder a entrer en scene, les mille et une conditions defavorables qu'impose a l'homme le milieu cosmique vont imprimer a son capital biologique des depenses qu'on ne peut certainement pas evaluer mathematiquement, mais qui se traduiront par une diminution de sa valeur. La vie ne va etre de plus en plus qu'une serie d'oscillations, de luttes entre la tendance a "perseverer dans l'etre" et les causes de destruction de l'etre vivant; bref, un etat d'equilibre instable, la sante n'etant qu'un bel accident passager. CHAPITRE VII DU SEVRAGE A LA PUBERTE Il est logique d'introduire une subdivision dans ce chapitre, et d'etudier d'abord l'enfant de deux a sept ans, d'autant que, a cette periode de la vie, il n'y a pas a tenir compte de la difference des sexes. I Pendant cette periode, la nutrition a son activite maximum, l'enfant ameliore son capital, accumule les reserves; mais il faut bien savoir qu'il a aussi des depenses colossales. Combien d'influx nerveux doit etre depense pour faire connaissance avec le monde exterieur, pour apprendre le sens des mots, la notion des distances, etc.! On est effraye en pensant au travail cerebral que supposent ces acquisitions. De la ce grand principe, qu'il faut eviter a l'enfant toute fuite nerveuse inutile. Il faut presque se borner a le faire "boire, manger, dormir; manger, dormir et boire". Il faut avant tout, que l'enfant de cet age dorme beaucoup. En aucun cas, on ne devrait le reveiller. Pour demontrer combien peu d'enfants ont leur dose _optima_ de sommeil, prenez au hasard un enfant de cinq ans, laissez-le, un premier jour, dormir a volonte; il s'octroiera douze heures de sommeil. Le lendemain, il se reveillera apres onze heures, le surlendemain et les jours suivants apres dix heures. C'est donc que, au moment precis ou l'experience a commence, il avait un arriere de besoin de sommeil. Quant au probleme de l'alimentation, il est relativement simple, et l'experience des meres de famille repond a la plupart des indications. L'enfant doit manger quatre fois par jour; mais, en general, il mange trop vite. Les parents devraient, pour leur usage personnel et pour le bien de leurs enfants, se rappeler qu'il existe des glandes salivaires secretant, chez l'homme adulte, 1 500 grammes de salive par jour, et que, si une bonne digestion commence dans la cuisine, elle se continue dans la bouche. En realite, cet age de la vie est celui ou il y a le moins d'influences nocives; et un peu de surveillance suffit pour que l'enfant se porte bien. Les "maladies" accidentelles elles-memes evoluent, en general, d'une facon benigne, quand elles ne sont pas troublees par une therapeutique incendiaire. De la la faible mortalite afferente a l'age que nous etudions, denoncee par les tables qui servent de base aux calculs des Compagnies d'assurances sur la vie. Quand l'enfant subit un choc accidentel quelconque, scarlatine, rougeole, angine, il se retablit avec une rapidite contrastant avec la lenteur de la convalescence chez l'adulte, et encore bien plus chez le vieillard. Voyez, par exemple, une angine herpetique! Elle occasionne chez l'enfant de tumultueux symptomes: de la fievre, du delire; mais, au bout de quatre jours, tout rentre dans l'ordre, et, quatre jours apres, l'enfant parait aussi bien portant qu'avant. Chez l'adulte, au contraire, le meme nombre de points d'herpes sur la gorge provoque un etat maladif moins tumultueux, mais qui se termine par une convalescence de quinze jours a un mois, pendant laquelle il a besoin de soins, ou tout au moins d'un repos, qui ne sont nullement necessaires a l'enfant convalescent, doue de plus d'elasticite. A partir de sept ans s'esquisse, chez certains enfants, une differenciation qui ira s'accusant d'annee en annee. Un oeil attentif va percevoir si l'enfant appartient au type _musculaire_ ou au type _cerebral_. Le _musculaire_ est cet enfant actif, aimant a jouer, turbulent, ne parvenant pas a fixer son intention pour un quart d'heure de suite, n'ayant, par consequent, aucun gout pour l'etude telle qu'elle lui est imposee. Le _cerebral_ est l'enfant reflechi, n'aimant pas les jeux bruyants, et dont l'esprit est en avance notable sur celui des enfants de son age. A chacun de ces deux enfants conviendrait une education differente; malheureusement, les necessites sociales les soumettent, l'un et l'autre, a la meme discipline pedagogique,--bien comprise, il faut l'avouer, pour les individus moyens. Mais si, pour ces enfants moyens, le systeme pedagogique actuellement en vigueur s'approche autant que possible de la perfection, il faut bien dire qu'il convient moins aux types extremes que nous venons de mentionner. Le petit _musculaire_, condamne a de longues heures d'etude, s'agite, s'inquiete, devient de plus en plus dissipe, et ne tarde pas a entrer dans la categorie des enfants dits "paresseux". Sa sante physique peut ne pas souffrir outre mesure du regime compressif auquel il est soumis; il grandit, se porte bien en apparence; mais son cerveau est, pour ainsi dire, fausse, et ne donnera qu'un rendement inferieur. Chez le petit _cerebral_, au contraire, l'education moyenne peut amener des troubles de la sante physique: les recreations bruyantes et agitees, imposees apres les repas, les longues promenades hebdomadaires, l'insuffisance du sommeil, une alimentation mal adaptee a son tube digestif, tres vulnerable le plus souvent, le fatiguent a la longue; et, d'un enfant qui aurait pu donner les plus belles esperances, la pedagogie officielle fait un etre malingre, nerveux, a terreurs nocturnes, en un mot un malade. Faut-il donc preconiser l'education individuelle? Oui, dans les cas extremes et dans des circonstances exceptionnelles. Une autre classe d'enfants chez lesquels l'education collective et le surmenage cerebral impose par nos programmes amenent les plus facheuses consequences, pour le present et pour l'avenir, c'est celle des enfants que l'heredite n'a pas prepares au travail cerebral. Tels ces fils de cultivateurs qui ont une longue heredite terrienne, et que leur intelligence hative semble designer comme particulierement aptes aux etudes superieures. Ce sont, quelquefois, de tres brillants eleves; ils arrivent aux ecoles superieures: mais ils y arrivent malades, et seront malades toute leur vie. De l'age de sept ans a celui de la puberte, les "maladies" accidentelles sont presque inevitables, a cause de la promiscuite des enfants dans les ecoles; mais elles sont, en general, de peu de gravite. Ce ne sont pas elles qui diminuent sensiblement le capital biologique individuel. Les fautes commises contre l'hygiene alimentaire sont d'une bien plus grande importance. Combien on voit, notamment, de "maladies" aigues qui ressemblent plus ou moins a la fievre typhoide, et qui sont dues a des indigestions! En general, l'hygiene alimentaire de l'enfant n'est pas assez surveillee. Les enfants mangent trop vite, comme nous l'avons dit plus haut; et, tres souvent, ils mangent trop, precisement parce qu'ils mangent trop vite, la sensation de faim n'etant pas calmee par l'introduction brusque, dans l'estomac, d'une masse alimentaire mal elaboree. D'autre part, de trop nombreux parents, oubliant que ce n'est pas ce qu'on mange qui profite, mais ce qu'on assimile, se figurent qu'il faut que l'enfant mange beaucoup pour se donner des forces; et ce prejuge amene chez l'enfant des intoxications chroniques qui retentissent sur son systeme nerveux, sur sa croissance, jusqu'au moment ou l'estomac surmene commence a protester. A partir de ce moment, le cercle vicieux est etabli, et, si un regime alimentaire bien compris n'est pas institue, l'enfant devient un malade, et restera malade indefiniment. C'est ce que M. le Dr Laumonier a tres bien expose dans un article du _Correspondant medical_ de 1905: Voici des enfants qui sont, en apparence, bien portants; ils mangent beaucoup, sont gros et gras, et bien que leur sommeil ne soit pas toujours aussi calme qu'il faudrait, pourtant on ne peut, a premiere vue, les accuser d'aucun trouble evident. Cependant, certains soirs principalement, ils se montrent tantot plus enerves que d'habitude, tantot plus abattus au contraire, et si, a ce moment, on prend leur temperature rectale, on constate 38 deg. C, 38 deg.5, parfois meme 39 deg. et au dela. Cet acces febrile est d'ailleurs passager; le lendemain, il n'y parait plus. On ne lui attribue generalement aucune importance, et les parents se gardent bien, pour si peu de chose, de faire appeler le medecin; ils ont tort, car cette fievre digestive est le symptome de troubles fonctionnels d'assez grande importance, et qu'il est en consequence necessaire de soigner des le debut. Ces enfants, en effet, ne restent pas toujours gras et de belle apparence: peu a peu leur appetit, qui faisait l'admiration de leurs parents, flechit; et aussitot l'embonpoint et les belles couleurs disparaissent. Ils finissent ainsi par se transformer en enfants chetifs, maigres, pales, ayant mauvaise haleine, presentant des alternatives de constipation et de diarrhee, souffrant parfois de douleurs stomacales vives; en un mot ce sont maintenant de veritables dyspeptiques. Or, cette dyspepsie n'est que l'aboutissant fonctionnel extreme, pour ainsi dire, de troubles longtemps existants et dont les acces legers de fievre digestive ont ete l'un des premiers et des plus caracteristiques symptomes. Il suffit, pour s'en convaincre, de suivre avec quelque attention l'evolution progressive des phenomenes. Tres souvent, les enfants qui manifestent ces acces febriles ont ete, pendant leur premiere enfance, mal nourris, sinon comme qualite du lait, au moins comme quantite; en d'autres termes, leur ration a ete trop copieuse. Puis, apres le sevrage, ils ont ete mis rapidement a la nourriture commune de la famille; ils ont mange de tout, et trop; parfois aussi on leur a laisse prendre l'habitude de boire du vin, du cafe. Peu a peu, ainsi, ils sont devenus polyphages et polydipsiques. C'est une grosse erreur de croire que l'enfant,--pas plus que l'homme, du reste--ne mange qu'a sa faim; toujours, ou presque toujours, a ce point de vue, la limite est depassee. La quantite d'aliments ingeres est beaucoup plus une affaire d'habitude que de besoin reel, comme le prouvent manifestement les resultats du traitement impose a ces petits malades. Quoi qu'il en soit, le fait est qu'ils mangent trop, depassent ainsi les limites du pouvoir digestif de l'estomac, dans lequel les aliments, etant insuffisamment elabores par les secretions digestives, stagnent et donnent lieu a des fermentations anormales. D'ou, d'une part, l'insuffisance et l'epuisement des glandes gastriques, la dilatation et l'atonie stomacales, et, d'autre part, la production des substances toxiques qui, resorbees, entrainent l'auto-intoxication et l'elevation thermique qui en est la consequence. Notons d'ailleurs,--et c'est la un point essentiel,--que la fievre digestive peut se produire et se produit ordinairement avant que l'epuisement glandulaire et l'atonie ou l'ectasie gastriques soient completement realises; elle coexiste plutot a la phase de polyphagie et constitue un signe prodromique, avertissant que la limite digestive est depassee, que l'estomac commence a se fatiguer, que l'auto-intoxication d'origine digestive est deja manifeste. Il est inutile d'insister ici sur les signes physiques divers de cet etat, gros ventre, clapotage ou ectasie gastrique, gros foie... etc., ils sont bien connus et faciles a mettre en evidence; d'autres signes, plus incertains, dyspnee, terreurs nocturnes, manifestations cutanees, peuvent exister aussi, qui completent la signification des premiers. Passons donc et arrivons au traitement. La premiere indication est de reduire la ration alimentaire a ce qui est strictement necessaire a l'enfant, suivant l'age, le sexe, le poids, la taille, et de composer cette ration d'aliments faciles a digerer, fournissant le minimum de fermentation, tels que lait, oeufs, pain grille, viande crue, puree de legumes. Sans en arriver au regime sec, qui a beaucoup d'inconvenients, on reduira cependant le plus possible la quantite de la boisson, constituee par de l'eau pure de bonne qualite ou des tisanes chaudes. Enfin, en outre des mesures hygieniques generales, on assurera la liberte du ventre par des habitudes regulieres ou a l'aide de quelques lavements tiedes, mais sans en abuser. DE LA PUBERTE A L'AGE ADULTE I.--CHEZ LA FILLE Chez la petite fille, l'apparition des regles constitue un moment solennel dans l'existence. La plupart des meres de famille le savent, s'en inquietent, mais ne connaissent pas les precautions a prendre. Ces precautions consistent a supprimer plus que jamais les fuites nerveuses. Ainsi, il convient alors de diminuer le travail cerebral, le travail musculaire, d'eviter a l'enfant les emotions, de la mettre a l'abri de toutes les influences qui, par action reflexe, retentissent sur son systeme nerveux (indigestions, coups de froid). Pendant les premieres periodes menstruelles, le repos presque absolu au lit s'imposerait, si les regles etaient douloureuses ou trop abondantes; et un repos relatif s'impose meme quand elles sont correctes. Ce qu'il faut bien savoir, c'est que l'anemie qui accompagne, en general, cette periode de la vie n'est justiciable ni du fer, ni du quinquina, ni de la suralimentation; ce qu'il faut pour la combattre, ce sont les precautions citees plus haut, et, par intervalles, quelques injections de cacodylate de soude, ou mieux, de cacodylate de magnesie. C'est la un des rares medicaments capables de rendre des services, a la condition formelle qu'il ne soit pris ni par l'estomac ni par l'intestin. Une fois la menstruation etablie, il ne faut pas s'inquieter outre mesure si, pendant les premieres annees, les regles ne viennent pas a epoques fixes, et il faut se declarer satisfait si elles ne sont ni douloureuses, ni trop abondantes. Plus tard, vers l'age de dix-huit ans, il est frequent de voir la sante des jeunes filles subir un assaut considerable, qui se traduit par de la chloro-anemie, avec etat nerveux, suppression des regles, troubles dyspeptiques, constipation, etc. Les causes en sont multiples. Chez la jeune ouvriere, c'est, le plus souvent, le surmenage physique, la vie anti-hygienique des ateliers, l'accumulation des privations. Dans d'autre milieux, c'est le fait du surmenage intellectuel pour l'obtention des brevets. Mais, plus souvent encore, ce sont les causes morales qui portent atteinte au systeme nerveux. C'est une vocation contrariee, une suite continue de petits malentendus avec la famille, avec la mere en particulier. La mere, ne se decidant pas a s'apercevoir que sa fille grandit, continue a vouloir exercer sur elle une autorite despotique, contre laquelle l'enfant se cabre en vain pendant de long mois, et dont elle souffre de jour en jour davantage. Dans d'autres cas, enfin, c'est une passion contrariee, un mariage desire qui se trouve rendu impossible par la volonte intransigeante des parents, ou par des circonstances independantes de toute volonte ou meme c'est un vague et obscur besoin du mariage: pour suivre, en somme, les lois de la nature, et donner satisfaction a cette sorte d'instinct de la maternite qui se rencontre chez la femme depuis son plus jeune age, et se traduit, dans la premiere enfance, par le besoin de la poupee. Quelle que soit la cause, le mal se prepare sourdement; puis, un jour, la "maladie" eclate, souvent a la suite d'une affection aigue qui contribue a faire tomber brusquement la force de resistance du systeme nerveux. Si varies que soient les symptomes par lesquels le mal se traduit, la therapeutique doit etre la meme. Elle consiste a ne pas aggraver la "maladie" par une medicamentation intempestive; ce ne sont ni les pilules de fer, ni le drap mouille, ni la douche froide qui pourront faire du bien a une jeune fille ainsi atteinte, ni meme la suralimentation, malgre l'anemie evidente. Non: ce qu'il faut, c'est chercher la cause de la "maladie", et la supprimer ou l'amoindrir autant que possible. Quand c'est le surmenage physique, le repos absolu s'impose, et la jeune malade arrive tres vite a la guerison. Quand le surmenage physique n'est pas la seule cause a invoquer, rien n'est plus difficile que de doser le repos et l'exercice. Le plus souvent, le repos relatif est de rigueur. Dans d'autres cas, au contraire, chez les musculaires en particulier, un exercice modere, et meme pousse assez loin, peut produire d'excellents effets. Le medecin, appele a se prononcer sur l'opportunite de ce moyen therapeutique, basera son jugement sur les resultats de l'enquete qu'il fera au sujet du passe de la malade, et il aura le droit de proceder par tatonnements. J'ajouterai que, dans les cas graves ou le repos absolu s'impose d'abord, rien n'est plus difficile que de doser l'exercice des que la malade est capable de le supporter, mais le principe est de rester en deca de ce que la malade peut donner. Quand la "maladie" de la jeune fille est due au milieu familial, le remede essentiel est de le lui faire quitter. Malheureusement, on attend souvent trop longtemps pour prendre ce parti radical; on attend que la vie soit devenue impossible, que la jeune fille ait perdu le sommeil, les forces, l'appetit, et soit dans un etat d'excitation inquietant. On l'isole alors dans une maison de sante ou d'hydrotherapie, ou on lui impose le plus souvent, a notre avis, une sequestration trop radicale. Car la priver de toute visite, de toute correspondance, la soumettre a une discipline d'une severite exageree, nous semble vraiment excessif. L'enfant se revolte, et ne tire de la cure d'isolement qu'un benefice relativement restreint. Elle prend sur elle pour simuler la guerison, et pour echapper a la tutelle des medecins; elle sort avec les apparences de la sante; mais elle n'est pas guerie, et, comme elle retombe dans le milieu familial hostile, la "maladie" ne tarde pas a renaitre de ses cendres, jusqu'au jour ou une circonstance quelconque amene enfin un changement de vie radical, qui la guerit. Le mieux ne serait-il pas, quand c'est possible, d'eloigner l'enfant, de temps a autre, du milieu familial, des qu'on s'apercoit que c'est lui qui est l'ennemi, en la confiant soit a une parente intelligente, soit meme a une garde bien choisie, jusqu'au moment ou on trouvera a la marier, chose qu'il ne faudra faire qu'apres mure reflexion, mais qui, dans bien des cas, est le remede par excellence? Pendant les absences de la jeune fille, l'etat nerveux du milieu familial lui-meme se calme, ce qui rend la vie commune acceptable par intermittences. Loin de nous, cependant, l'idee de porter atteinte a l'esprit de famille en proposant pareille mesure; nous ne la considerons que comme exceptionnelle et comme un pis-aller, preferable souvent a la maison de sante, et, en definitive, moins onereuse. Chez les gens peu fortunes, on n'a pas la ressource de la separation, meme momentanee. Heureusement, chez eux, les contacts entre parents et enfants ne sont pas incessants. La jeune fille a toujours une certaine independance; elle n'est pas soumise a une tyrannie de tous les instants. En outre, son systeme nerveux est moins vulnerable, de sorte que l'influence nefaste du milieu familial est rarement une cause de "maladie". Nous connaissons cependant de jeunes ouvrieres dont la sante a fini par sombrer, du fait du milieu dans lequel elles etaient condamnees a vivre: pere alcoolique, qui les battait au retour de l'atelier, mere ou belle-mere acariatre, frere debauche, etc. La pauvre victime resiste tant qu'elle peut, jusqu'au jour ou elle quitte avec eclat la maison paternelle, a moins que, victime resignee, elle ne voie peu a peu s'effriter son capital nerveux. Elle devient ainsi une proie toute designee pour la tuberculose, qui met fin a ses miseres; souvent aussi sa decheance se traduit par l'apparition de la folie, et l'asile d'alienes lui ouvre ses portes. D'autres fois, avons-nous dit, c'est une vocation contrariee qui met la jeune fille en etat de "maladie". Il n'y a pas a se le dissimuler, quelle que soit l'opinion que l'on puisse avoir sur la legitimite des vocations religieuses, lorsqu'une vocation est sincere, toutes les entraves qu'on lui apportera ne serviront de rien. La jeune fille souffrira, deviendra de plus en plus malade, et force sera un jour de ceder. Nous avons suivi plusieurs de ces drames intimes et ignores, qui torturent meme les familles chretiennes; et le resultat final a toujours ete le meme: la jeune fille a retrouve la sante des qu'elle a eu gain de cause. Exemple. Une jeune fille de vingt-deux ans luttait respectueusement, depuis trois ans, contre sa famille, pour obtenir l'autorisation d'entrer au Carmel. Elle en etait arrivee a un degre avance de "maladie", restant des huit et quinze jours sans garde-robe, malgre l'hygiene intestinale la plus soignee, ne pouvant plus lire ni supporter une conversation; elle maigrissait a vue d'oeil, et ne pouvait plus quitter son lit, tant les forces physiques etaient diminuees. Gravement preoccupe de l'issue de cette "maladie", dont je connaissais la cause, je crus remplir mon role de medecin en m'instituant l'avocat de la malade. Or, des qu'elle eut obtenu l'autorisation sollicitee depuis si longtemps,--et que, par parenthese, elle avait cesse de demander depuis un an, pour ne pas torturer sa famille,--nous vimes la sante revenir avec une rapidite prodigieuse. Tous les organes inhibes se remirent a fonctionner, et, un mois apres, la jeune fille entrait au Carmel. Quelle ne fut pas notre stupefaction d'apprendre que, le troisieme jour, elle lavait les escaliers a grande eau, pleine d'energie et de bonne humeur! Quelque respectueux que l'on doive etre de l'autorite des parents, il faut que cette autorite sache s'effacer devant la volonte ferme, reflechie, bien arretee d'une jeune fille; la justice le demande, et ajoutons que l'interet l'exige. Les memes considerations s'appliquent au cas ou une jeune fille veut, envers et contre tous, epouser le jeune homme de son choix. Certes, neuf fois sur dix, elle ferait mieux de suivre l'avis de ses parents, qui ont l'experience de la vie. Mais l'experience est semblable a un habit fait sur mesure, et qui ne va bien qu'a celui pour lequel il est fait. Aussi, lorsque, malgre les sages raisonnements, la jeune fille s'obstine et s'entete, estimons-nous qu'il faut lui ceder apres un delai raisonnable. On doit hair la persecution, de quelque part qu'elle vienne. Dans d'autres cas, avons-nous dit encore, la jeune fille est victime de son temperament, qui ne trouve pas dans les joies de la famille une satisfaction suffisante: elle eprouve le _besoin_ de se marier. C'est alors aux parents a l'aider dans son choix, car cet etat d'ame peut amener la "maladie". Mais, dans tous les cas, la jeune fille malade doit, avant de se marier, subir un traitement medical; car elle n'a pas le droit de se marier en etat de "maladie". Le mariage, le plus souvent, ne la guerirait pas. Or il faut bien savoir que, au debut de la vie conjugale surtout, elle n'a pas le droit d'etre malade. C'est donc une raison de plus pour la soigner avant le mariage. En general, d'ailleurs, cette cure est des plus simples: la cause de la "maladie" ayant disparu, et le capital biologique n'etant pas encore gravement entame, le role de la therapeutique se reduit a peu de chose. II.--CHEZ LE GARCON Chez le jeune garcon, de la puberte a l'age adulte, les influences capables d'amener la "maladie" sont egalement multiples. Signalons, parmi les principales : I. Le surmenage scolaire; II. L'abus des sports; III. Les deviations de l'hygiene sexuelle (habitudes solitaires et prematuration). I. Que faut-il penser du surmenage scolaire, dont on a fait si grand bruit il y a quelques annees? Les brillantes discussions de l'Academie de medecine n'ont pas empeche les programmes de se surcharger d'annee en annee; et ils se surchargeront encore davantage, cela est inevitable, c'est la loi meme du progres; vouloir aller contre, c'est vouloir remonter le courant. Mais, a la verite, ce soi-disant surmenage ne nous effraie pas outre mesure, car il faut compter: 1 deg. avec les nouvelles methodes d'enseignement, superieures a celles d'autrefois; 2 deg. avec une adaptation du cerveau des generations actuelles et futures a un travail cerebral plus considerable. N'est-ce pas ce manque d'adaptation qui rend si dangereux le travail cerebral chez les "deracines" dont nous avons dit un mot au chapitre precedent? Est-ce a dire que tout soit pour le mieux dans le meilleur des systemes pedagogiques? Non. Le jeune homme ne travaille pas trop, mais il travaille mal, il n'a pas le respect du temps. En outre, il ne dort pas assez, et on n'a pas assez le respect de son sommeil: du sommeil qui dompte tout, suivant la forte expression d'Homere. Un groupe de medecins anglais vient de commencer une campagne de presse pour obtenir que l'eleve des colleges anglais puisse dormir plus longtemps. Ils avaient ete precedes dans cette voie par le Dr Chaillou[5], directeur de l'hygiene d'un grand etablissement d'instruction, qui des 1903, a eu l'idee excellente d'installer, dans le pensionnat, ce qu'il appelle une "chambre des dormeurs". La, les jeunes gens fatigues momentanement vont, tout simplement, se reposer suivant leurs besoins; et jamais ils n'abusent de la permission. Il est vrai de dire que ce sont de grands jeunes gens, candidats aux ecoles, et que l'intelligente discipline generale de la maison est de nature a prevenir tout abus. [Note 5: _Hygiene, exercices physiques, et services medicaux dans un grand college moderne_, par le Dr Chaillou, attache a l'Institut Pasteur. Paris 1903.] II. _Abus des sports_.--Si pour l'homme sain l'exercice est necessaire a la sante, cet exercice, lorsqu'il est pousse a un degre excessif, devient un facteur important de "maladie". L'exercice, quand il est methodique, bien gradue, peut etre pousse tres loin sans provoquer d'accidents; c'est ainsi que, chez les professionnels des cirques, la sante se maintient excellente, comme j'ai pu m'en rendre compte par une enquete faite chez Barnum. Le medecin attache a la troupe de Barnum jouirait d'une veritable sinecure, s'il n'avait pas a compter avec les accidents d'ordre chirurgical. Mais, remarquons-le, les hommes du cirque sont _selectionnes_, ce sont des professionnels: ils ne font pas autre chose que des tours de force; toute leur activite, physique, intellectuelle, est concentree sur ces questions d'exercice musculaire. Ajoutons que l'exercice est savamment gradue par des gens du metier, qui savent par experience ce que c'est que l'entrainement; disons enfin que les gens des cirques observent une sage hygiene; ils savent que tous les ecarts se payent, et ils sont, a tous egards, d'une sobriete exemplaire. Tout autres sont les conditions dans lesquelles se trouve l'homme du monde qui fait du sport. Parfois il a une profession; c'est donc sur les loisirs qu'elle lui laisse, et souvent sur son sommeil, qu'il prend le temps de faire les exercices qui le passionnent; quand il n'a pas de profession, il est rare qu'il ait la moderation exemplaire signalee plus haut, et, alors, il ne depense pas son influx nerveux qu'en exercice physique. Mais, dans tous les cas, le principal ennemi du sportsman, c'est le _sport_, c'est-a-dire l'emulation qui existe presque fatalement entre ceux qui s'occupent avec passion d'exercices physiques, et qui fait que chacun d'eux veut devancer son voisin. Le bicycliste isole risquerait rarement d'arriver au surmenage; ce qui le fatigue, c'est de voyager en compagnie d'autres camarades, a cause de l'excitation qui se communique des uns aux autres, et qui les porte tous a donner plus qu'ils ne peuvent. L'escrime, souvent, n'aurait pas sa raison d'etre, sans le desir de l'emporter sur ses partenaires; de la le danger special de cet exercice. Si l'on veut bien se rappeler qu'il est pris, en general, dans un air confine, qu'il exige une depense considerable d'influx nerveux, une tension permanente de l'esprit, un exces de rapidite dans les mouvements, on comprendra que c'est plus un exercice cerebral qu'un exercice musculaire, et que les gens qui croient se reposer du travail cerebral en faisant de l'escrime sont bien vite detrompes. Le sage est celui qui, desirant se reposer du travail cerebral par l'exercice, s'attache aux exercices qui ne demandent pas d'attention, aux exercices automatiques dans lesquels la moelle seule intervient; marcher, ou mieux encore courir suivant les bons principes, scier du bois, tourner une roue de pompe, labourer, ramer, etc. L'automobilisme "tient le record" parmi les exercices qui epuisent le systeme nerveux; nous ne parlons pas, bien entendu, des hommes qui se servent de l'automobile comme d'un moyen de locomotion, mais de ceux qui en font un moyen de distraction. Quelques-uns arrivent a une mentalite toute speciale, a un etat de folie qui n'a pas encore recu de nom, et qu'on pourrait appeler la folie de la vitesse: quand ils sont sur leur machine, ils ne voient que le ruban de route qui se deroule devant eux, le reste de la terre a cesse d'exister. Ils ne voient point, ils n'entendent point: ce sont des mangeurs de kilometres, ce ne sont plus des hommes. Et, chose curieuse, l'automobiliste n'a pas besoin d'emulation, il se suggestionne lui-meme, et devient le propre artisan de son delire. Mais les dangers des sports deviennent encore plus considerables quand ils sont pratiques par des organismes en voie de formation, par des jeunes gens, par des ecoliers. Or, il y a quelques annees, avait souffle un vent, venu d'Angleterre, qui avait veritablement tourne la tete a certains hommes s'occupant des problemes de pedagogie,--ou plutot qui avait affole l'opinion publique, et les pedagogues subissaient le courant. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'on ne parlait plus, dans les etablissements scolaires, que de sports et de gymnastique. La culture intellectuelle paraissait devoir etre mise au second plan. Mais on n'a pas tarde a voir qu'il y avait abus. Les excellents travaux du Dr Lagrange et du Dr Legendre, l'intervention des medecins dans la _Ligue des Peres de Famille_, ont mis un frein a cet engouement, qu'on ne rencontre plus que dans quelques institutions ou l'on s'obstine a imiter l'education anglaise, sans se rappeler que nos petits Francais ne sont pas des Anglo-Saxons. Je me demande d'ailleurs si les petits Anglo-Saxons eux-memes de l'age de douze et treize ans se trouveraient bien de faire des courses de 4 et 5 kilometres au pas gymnastique, sans progression et sans entrainement prealable, comme je sais qu'on en impose aux enfants dans les institutions dont je parle. III. _Deviations de l'hygiene sexuelle_.--Tous les pedagogues et tous les peres de famille soucieux de l'avenir de leurs enfants sont, a juste titre, preoccupes de l'important probleme de l'education sexuelle; mais tous sont loin de le resoudre dans le meme sens. Les uns estiment qu'il ne faut rien dire aux enfants, ni meme aux jeunes gens; les autres, qu'il faut au contraire aborder le redoutable probleme en face, et le plus tot possible. La verite, comme en bien d'autres circonstances, se trouve entre ces deux extremes. Il est bien certain qu'il faut que, a un moment donne, le jeune homme soit averti des dangers qu'il court en s'abandonnant a des aberrations de l'instinct genesique, ou encore a l'usage premature des fonctions sexuelles, et qu'il faut aussi qu'il connaisse de bonne heure le peril venerien. Mais quels moyens employer pour l'instruire? Est-ce au pere de famille que revient ce role educateur? Oui, s'il a suffisamment gagne la confiance de ses enfants, et s'il se sent capable de cette mission delicate; dans d'autres cas, c'est au medecin de la famille que doit etre devolu ce soin; et, dans les pensions, lycees, institutions, c'est encore au medecin de la maison, et, dans une certaine mesure, a ceux des professeurs qui vivent le plus avec les eleves. Convient-il de donner a ceux-ci un enseignement collectif? La tentative a ete faite, recemment, dans plusieurs lycees de Paris. Il faut avouer qu'elle est ardue, mais les bons resultats ont depasse toute attente. Cependant je suis avec M. l'abbe Fonsagrives partisan plutot de l'enseignement individuel, compris dans un sens liberal, sous forme de causerie du professeur avec un petit nombre d'eleves. Jusqu'au moment ou il est raisonnable d'aborder devant les enfants ces delicats problemes, le role de l'educateur doit se borner a exercer autour d'eux une surveillance assidue, et a retarder le plus possible l'eclosion de l'instinct sexuel. Pour ce faire, il faut imposer a l'enfant de la fatigue physique, la pousser au maximum de la _tolerance_, dussent les etudes en souffrir momentanement. C'est de la bonne economie, sans cependant qu'on doive verser dans cet abus des sports que nous avons denonce plus haut. Ici se retrouve, comme dans tous les problemes de l'hygiene, cette question de dosage, de mesure, qui comporte un nombre indefini de solutions, d'apres la variete des cas individuels. Les dangers que court l'enfant en s'abandonnant a des aberrations de l'instinct sexuel sont moins grands que ne l'a dit Tissot, mais ils sont neanmoins considerables, et le capital nerveux de l'enfant est vite entame par les habitudes vicieuses. De la ces formes vagues de neurasthenie avec difficulte pour le travail, timidite maladive, manque de confiance en soi, cephalee, traits tires, yeux cernes, amaigrissement, amoindrissement de la valeur du sujet. Un medecin eclaire ne s'y trompe pas. Il doit alors trouver moyen de prendre l'enfant a part, a la fin de la consultation, et lui dire a brule-pourpoint, en le regardant fixement: "Mon ami, je sais la cause de votre mal!" Il faut ensuite provoquer quelques aveux _discrets_, et la consultation doit se terminer par une promesse formelle de l'enfant de se corriger. La psychotherapie, en ce cas, vaut mieux que les medications pharmaceutiques les plus savantes: elle manque bien rarement son effet et elle peut etre grandement aidee, dans certains cas, par la psychotherapie hypnotique, dont nous parlerons plus loin. Quant au danger que fait courir la prematuration des fonctions sexuelles, c'est chose certaine que tout usage de ces fonctions devient un abus, tant que l'organisme n'a pas atteint son complet developpement. L'etre humain ne devrait aborder l'acte destine a perpetuer la vie qu'a partir du moment ou il est, lui-meme, en pleine possession de toute sa vigueur physique. Jusqu'a ce moment, la continence n'est pas prejudiciable. La question a ete etudiee a fond, et resolue dans le meme sens par les moralistes et par les hygienistes. La continence n'est presque pas penible, elle ne le devient que si des excitations factices ont eveille de trop bonne heure l'instinct sexuel. Elle est recommandable au point de vue moral; elle entretient, chez le jeune homme, ce sentiment qu'on ne saurait trop developper, "le respect de la femme"; et, a vrai dire, c'est elle seule qui le met surement a l'abri des contaminations veneriennes. Le grand public commence a connaitre le peril venerien, et, surtout, a oser en parler. On ne saurait croire combien l'ingenieuse trouvaille de M. Brieux, qui a designe sous le nom d'_avarie_ la plus redoutable des "maladies" veneriennes, la syphilis, a fait faire de progres a l'opinion publique. Le mot, d'ailleurs, meritait de faire fortune; et nous aimerions aussi voir employer le terme de "petite avarie" pour designer la blennorragie, dont les mefaits sont plus considerables que ne le croit le public, et meme que ne le croient beaucoup de medecins. Ce que le public ignore encore, c'est l'age auquel les jeunes gens sont le plus souvent contamines. Ainsi que l'a demontre le Dr Ed Fournier, c'est beaucoup plus tot qu'on ne se le figure generalement; et non seulement a Paris, mais partout, ainsi que le demontrent les statistiques de _toutes_ les armees, qui enregistrent beaucoup plus de "maladies" veneriennes a la premiere annee de service qu'aux annees ulterieures, parce que, parmi les malades enregistres a la premiere annee, figurent tous ceux qui etaient contamines avant leur entree au regiment. Nous ne saurions trop recommander a ce sujet la lecture et la meditation de l'excellente brochure du professeur A. Fournier: _Pour nos fils quand ils auront dix-huit ans_. En quelques pages s'y trouvent nettement indiquees, et sans aucune exageration, la gravite du peril venerien, la conduite a tenir pour l'attenuer quand on est atteint, et pour l'eviter. Cette brochure est bonne a lire, elle est necessaire et suffisante aux conferenciers qui veulent repandre la verite. Nous n'avons pas a insister ici sur les mefaits de la syphilis. C'est toujours une "maladie" grave, quelquefois elle est tres grave, et cela des les premiers mois qui suivent son apparition. Elle se traduit alors par les plus importants symptomes de la decheance organique, cephalee violente, anemie aigue, perte des forces, albuminurie, etc.; inutile de dire que, dans ce cas, elle fait subir au capital biologique un dechet enorme. Heureusement le traitement mercuriel intensif est la pour reparer, dans une certaine mesure, le desastre. D'autres fois, la syphilis amene chez le malade de telles preoccupations morales qu'elle devient un danger imminent. L'angoisse peut meme conduire au suicide. Il faut que le medecin et le pere de famille connaissent cette syphilophobie, pour rasserener la victime, dans la mesure necessaire. Mais dans tous les cas la syphilis, cause d'amoindrissement enorme de la valeur du sujet, devra etre traitee energiquement, des le debut et pendant un temps prolonge,--au moins quatre ans,--par des traitements successifs. Chez la jeune fille, la syphilis est egalement a redouter. Nombre de jeunes filles de la classe ouvriere connaissent tout ce qui est relatif aux questions veneriennes; elles n'en ignorent que le danger. C'est a leur usage que j'ai ecrit naguere une petite brochure intitulee: _Pour nos filles_. Les services qu'elle est appelee a rendre ne sont pas comparables a ceux que rendra sa soeur ainee, l'excellente brochure du professeur Fournier; et si je la mentionne, ce n'est certes point par une enfantine vanite d'auteur: c'est que, de divers cotes, on m'a affirme qu'il etait bon de la faire connaitre. III--CAUSES MORBIGENES COMMUNES AUX DEUX SEXES.--"MALADIES" ACCIDENTELLES C'est a dessein que nous placons ces observations a la suite de l'etude consacree aux jeunes garcons, car les jeunes filles, entourees de soins a l'age qui nous occupe, ont relativement peu de "maladies" accidentelles. Chez le jeune homme, au contraire, plus ou moins mal surveille, plus ou moins surmene par un travail cerebral auquel son cerveau n'est pas encore completement adapte, ou par le travail musculaire, pour lequel ses muscles, encore en etat de developpement, ne sont pas suffisamment prepares, la flore microbienne trouve un excellent terrain de culture. Nous ne pouvons pas passer en revue la pathologie de cet age; faisons seulement remarquer que la "maladie" accidentelle ou bien tue l'individu, ou bien laisse un reliquat definitif sur un organe quelconque (endocardite du rhumatisme, etc.): mais il est tres rare que, a cette periode de la vie, elle amene l'amoindrissement prolonge ou definitif de la valeur du sujet. En d'autres termes, souvent, chez les jeunes gens, l'affection aigue aboutit a une convalescence franche, sans ebranler l'organisme; a cet age, comme dans l'enfance, l'organisme est doue d'une grande elasticite, et rebondit facilement. Exception doit etre faite pour la tuberculose; c'est, par excellence, la "maladie" de l'age adulte. Contractee, le plus souvent, dans la plus tendre enfance, elle sommeille jusqu'au moment ou les mauvaises conditions de milieu, la misere physiologique, le surmenage, mettent le terrain en etat de moindre resistance. De la son maximum de frequence de dix-huit a trente-cinq ans. De cette conception, qui n'est pas encore classique, mais qui commence a penetrer dans les esprits, grace aux travaux du professeur Grancher, et a ceux de M. le medecin inspecteur Kelsch, sur la tuberculose dans l'armee, decoule la veritable prophylaxie de la tuberculose. C'est en vain que l'on depenserait beaucoup d'argent pour fonder des sanatoria; le sanatorium ne convient qu'aux riches. C'est peut-etre un bon instrument de cure: surement ce n'est pas le meilleur, et, en tout cas "ce n'est pas le meilleur instrument de la lutte contre la tuberculose en tant que "maladie" sociale" (Grancher). Voyez, en effet, ce qu'il faudrait pour qu'un sanatorium populaire donnat un rendement social appreciable! Il faudrait: 1 deg.a l'entree du sanatorium, un dispensaire de depistage pour ouvrir la porte aux seuls malades legerement atteints; 2 deg. pendant le sejour du malade au sanatorium, une oeuvre de secours pour sa femme et ses enfants; 3 deg. a la sortie du sanatorium, la double ration de repos et la demi-ration de travail pendant un temps presque illimite! Le Congres de la tuberculose de 1905 a d'ailleurs sonne le glas sur les sanatoria populaires, et les medecins de tous les pays, dans une heure de sens commun et de clarte, ont vote la meme formule: "En fait de tuberculose, la preservation domine l'assistance." Nous serons moins severes dans notre appreciation des dispensaires: ils peuvent rendre quelques services pour l'education populaire; mais les veritables oeuvres de l'avenir, on ne saurait trop le repeter, sont les oeuvres de preservation, celles qui arrachent un enfant sain d'un milieu contamine; ce sont les oeuvres d'hopitaux marins, pour les enfants atteints de tuberculose locale et non contagieuse; ce sont les colonies de vacances, etc. Ce sont, surtout, les diverses oeuvres sociales luttant contre la misere: car la misere est le grand, le plus grand facteur de la tuberculose. DEUXIEME PARTIE CHAPITRE I MATURITE Voici l'homme arrive a l'age adulte; il est en pleine possession de tous ses moyens, son capital a ete progressivement ameliore et lui rapporte de gros interets; il s'agit maintenant de l'utiliser, de le faire valoir, d'obtenir de lui son rendement maximum. L'ere des menagements est passee, il faut a tout prix que l'homme travaille et produise. On l'alimentera en consequence: la depense etant considerable, il faudra que l'aliment soit reparateur. Le point essentiel est de ne pas depasser la dose des depenses, d'utiliser le capital, mais non de l'amoindrir, de chauffer la machine, sinon a blanc, du moins a la temperature maxima toleree, pour ne pas l'user trop vite, et surtout pour ne pas la faire eclater. Il faut, en somme, que l'homme produise; et, a s'ecouter vivre avec trop de prudence, il ne ferait que s'empecher de mourir. Bien plus; de meme qu'un capitaliste avise, quand il possede beaucoup de fonds disponibles, quand il a ce qu'on appelle de la "surface", n'a pas peur, de temps a autre, de risquer une somme raisonnable dans une affaire qui n'est pas de tout repos; de meme l'homme bien portant, a capital solide, ne doit pas craindre, a certains moments, de se depenser un peu plus que ne l'exigerait la sage hygiene, a la condition que l'effort ne soit ni trop excessif, ni trop prolonge, et qu'une periode de repos succede a cette periode de travail intensif. (De la la necessite des vacances et du repos hebdomadaire). Soit, dira-t-on, nous acceptons le principe, nous croyons qu'il est bon que l'homme actif, intelligent, bien portant, donne de temps a autre ce qu'on appelle un "coup de collier", quitte a reparer sa depense excessive par un repos plus ou moins prolonge, mais quel est le criterium? a quel signe reconnaitrez-vous que l'homme n'a pas depasse la mesure de ses forces, et qu'il ne court pas a la banqueroute? Le principe general est qu'il faut arriver aux confins de la fatigue, mais ne jamais atteindre la fatigue douloureuse. Quand il s'agit de travail musculaire, le criterium est relativement facile a trouver. On est averti qu'on a depasse la mesure de ses forces par deux symptomes caracteristiques: la diminution d'appetit et la diminution de sommeil. Cette donnee pourrait meme rendre de grands services aux chefs militaires, dont l'ideal, tres legitime, est de faire produire a la machine humaine son maximum de rendement, sans epuiser cependant les forces des soldats. Malheureusement, quelques-uns d'entre eux confondent l'entrainement et l'epuisement; ils arrivent a avoir des troupes qui n'ont pas de valeur reelle, tout en ayant les apparences de la force. Ces troupes, qui se sont presentees sous le plus bel aspect a des manoeuvres de quelques jours, seraient incapables d'entrer en campagne et de supporter des fatigues prolongees. Si les chefs de corps avaient eu la precaution de s'enquerir de la facon dont les soldats mangent, ou de _voir_, apres une marche prolongee, comment ils mangent, de surveiller de temps a autre le tonneau des eaux grasses, qui recueille tous les restes des repas, ils auraient vu que le travail excessif se traduit par une baisse dans l'appetit. S'ils passaient, le soir, dans les chambrees, d'une facon inopinee, ils verraient qu'a la suite de fatigues excessives les hommes ne dorment pas bien. Et rien ne les empecherait, d'ailleurs, de prendre parfois l'avis de leurs medecins. Nous ne dissimulons pas la difficulte du probleme, d'autant que, chez l'homme qui a subi un entrainement methodique, la sensation de _fatigue_ disparait; l'homme entraine ne connait pas la fatigue. L'epuisement, chez lui, se traduit exclusivement par la diminution du poids, de l'appetit et du sommeil, comme aussi, dans le milieu militaire en particulier, par l'apparition des "maladies" dites accidentelles. Et si le probleme est difficile tant qu'il ne s'agit que de depenses musculaires, il devient plus complexe encore quand il s'agit de depenses cerebrales. Voici un commercant oblige de brasser de grosses affaires. Il est reveille, le matin, par le telephone voisin de son lit; pendant toute la journee, il n'a pas un quart d'heure de tranquillite; il sent peser sur lui des responsabilites ecrasantes; sa vie n'est qu'une serie d'inquietudes. Qu'a ce surmenage incessant viennent s'ajouter des chagrins de famille, etc., voici notre homme qui, tout d'un coup, tombe dans la "maladie". Le moindre pretexte suffit pour amener le declanchement: c'est une emotion un peu violente, c'est une perte d'argent, c'est une "maladie" infectieuse plus ou moins legere, qui ouvre la breche, et voila la "maladie" installee! Cet homme aurait-il pu eviter le cataclysme? A-t-il eu, depuis dix ans qu'il surmene son cerveau, un avertissement quelconque lui indiquant qu'il depasse les limites de son elasticite, et qu'il puise a pleines mains dans un capital insuffisamment repare chaque jour? Oui, le plus souvent! C'est, par exemple, un vertige qui est apparu, a un moment donne. Si cet homme avait tenu compte de ce qu'on pourrait appeler "un avertissement sans frais", il aurait immediatement diminue le travail, ou meme l'aurait suspendu pendant quelques jours. Mais il n'en a pas tenu compte, il a pense que _ca passerait_. D'autres fois, c'est une sorte d'endolorissement de la tete, non pas passager, mais permanent, qui constitue l'avertissement, avec bourdonnements de l'oreille gauche. (Cette predominance des bourdonnements a gauche, de la diminution de l'acuite auditive a gauche, se rencontre a toutes les phases de la "maladie".) D'autres fois encore, c'est une sorte de sensation de fatigue permanente, exageree surtout le matin, avec diminution d'appetit, constipation, autrement dit avec les petits symptomes de la grande "maladie". Il est tout a fait exceptionnel que le krach se produise sans de tels phenomenes premonitoires. Cela arrive, cependant, et c'est chez les natures les plus admirablement douees en apparence. Quand le sujet est soumis a un surmenage intellectuel et musculaire a la fois, il realise les conditions les plus parfaites pour arriver a l'epuisement rapide; aussi ne saurait-on protester trop energiquement contre le prejuge des gens du monde, qui se figurent que l'exercice musculaire repose du travail cerebral, et que le surmene cerebral doit, pour bien se porter, faire de l'exercice, de la bicyclette, de la marche forcee, a ses moments disponibles. C'est la une erreur enorme dont la pedagogie commence a faire justice. Certes il est des hommes, admirablement doues, qui peuvent supporter une depense considerable a la fois au point de vue musculaire et au point de vue cerebral: mais ce qu'il faut bien se rappeler, c'est que, des que surviennent les premiers symptomes du surmenage, on doit aussitot reduire la depense totale, et la depense musculaire en particulier; a ce prix seulement on aura chance d'echapper aux griffes, toujours pretes a s'abattre sur nous, de la "maladie". CHAPITRE II CARACTERES GENERAUX DE LA "MALADIE" Plusieurs fois deja, dans le cours de ce travail, j'ai eu l'occasion de parler de la "maladie", sans preciser le sens exact que je donnais a ce mot. Mais le moment est venu de tenter, sinon une definition scientifique de la "maladie",--definition aussi impossible que celles, par exemple, de la richesse, de la vertu, ou de la beaute,--tout au moins une explication sommaire de ce qu'est, a mes yeux, cette chose indefinissable; des principaux caracteres qui lui sont propres; et des traits qui la distinguent de ces manifestations pathologiques bien determinees que l'on appelle communement les "maladies", et que j'appellerais volontiers des "accidents", par opposition a la nature plus generale, plus profonde, et infiniment plus complexe, de la "maladie". Voici quatre personnes qui, dans une meme apres-midi, se presentent a ma consultation. Ce sont quatre malades: il ne faut pas etre grand clerc pour l'affirmer _a priori_. Mais voyons ce que nous enseignera l'etude detaillee, et surtout reflechie, de chacune de ces quatre personnes, qui paraissent se ressembler aussi peu que possible, et n'avoir l'une avec l'autre absolument rien de commun. L'une est grande et forte, l'autre petite et malingre; l'une est obese, l'autre d'une maigreur inquietante. Les souffrances que chacune accuse sonttout a fait differentes, de l'une a l'autre; les causes qui ont paru engendrer ces souffrances semblent opposees: chez l'une l'exces de fatigue, chez une autre l'exces d'oisivete, etc. Essayons a present d'approfondir un peu notre investigation. Ah! ce n'est pas un mince travail que d'etudier un malade, de fouiller son heredite, de le suivre depuis le jour de sa naissance, voire meme de sa conception, de noter tous les incidents pathologiques de son enfance, de sa jeunesse, de son adolescence, d'apprecier son degre de sante pendant les periodes qui ont separe ces divers incidents, de se reconnaitre au milieu du luxe de details avec lequel il decrit ses miseres, en un mot de reconstituer a la fois le bilan complet de son etat present et le tableau du chemin qu'il a suivi pour y parvenir. Mais cette etude meticuleuse est necessaire; sans elle, pas de diagnostic possible, pas de traitement rationnel; d'elle seule pourra resulter la connaissance veritable du malade, c'est-a-dire l'appreciation de ce qu'il vaut, du point precis ou il en est dans son evolution. Et j'ajoute que ce n'est que lorsqu'on a etudie ainsi des centaines et des centaines de malades que l'on commence a avoir une idee nette de ce que c'est que la "maladie". Voici donc une premiere malade, que je connais depuis cinq ans. C'est une femme de trente-deux ans, dont on devine des le premier abord la vivacite d'intelligence, et avec laquelle le medecin comprend tout de suite,--a sa grande satisfaction,--qu'il va pouvoir causer utilement. L'enquete m'apprend qu'elle a eu un capital initial excellent: un grand-pere paternel mort a soixante-quinze ans, asthmatique, la grand'mere paternelle morte a quatre-vingt-quatre ans. Du cote de l'heredite maternelle, il n'y a pas non plus de tares transmissibles: le grand-pere mort a soixante-quinze ans, la grand'mere vivant encore a quatre-vingt-deux ans. Il est vrai que l'heredite directe est peut-etre un peu moins parfaite. Le pere de Mme X... est mort a cinquante-deux ans, d'une affection cerebrale, apres avoir toujours ete tres nerveux. La mere, d'autre part, un peu delicate, continue a se bien porter, a la condition de s'ecouter vivre. Ce capital initial a ete bien gere pendant les premieres annees de la vie. Nourrie au sein, Mme X... a pu supporter sans dommage appreciable divers assauts, tels que la coqueluche, la rougeole, la varicelle. A huit ans, cependant, s'est produit un episode plus important: une jaunisse, qui a dure un mois, et qui semble indiquer que le systeme digestif etait, chez cette malade, le point faible. Un medecin avise, qui l'aurait suivie de pres depuis lors, n'aurait pas manque de remarquer qu'elle etait, si l'on peut dire, une candidate a la dyspepsie. Toutefois, jusqu'a l'age de vingt-six ans, Mme X... n'eut aucun phenomene grave, d'origine stomacale ou intestinale: mais elle avait de petits symptomes, un manque d'appetit entremele de fringales, de la constipation, etc... Et, malheureusement pour elle, ces petits symptomes ont passe inapercus. L'enfant a ete soumise, dans un couvent, a l'alimentation des autres pensionnaires; elle a mange vite, par consequent mange mal; bref, rien n'a ete fait pour mettre en bon etat son systeme nerveux abdominal, qui, sans protestations graves, fonctionnait deja d'une facon defectueuse. De onze a vingt-six ans, c'etait le systeme nerveux cerebral qui, seul, paraissait defectueux. Des l'age de onze ans, elle avait des tristesses vagues, des idees de mort, qui ne firent que s'accentuer. A dix-sept ans surtout, son entourage remarquait cet etat de melancolie. D'un caractere inegal, la jeune fille ne travaillait qu'a sa guise, acceptant peniblement toute discipline. A dix-huit ans, la mort de son pere lui causa un violent chagrin; et cet assaut ebranla si fortement son systeme nerveux que, six semaines apres, sans cause connue, sans refroidissement prealable, elle dut garder le lit pendant un mois, pour une "maladie" qualifiee "rhumatisme mono-articulaire", mais avec predominance de symptomes nerveux graves (angoisses cardiaques, insomnies). Elle ne se remit vraiment de cette crise qu'un an apres, lorsque des projets de mariage opererent en elle une sorte de derivation. Mariee a dix-neuf ans, elle ne tarda pas a retomber dans le meme etat nerveux, auquel se joignirent des phenomenes nevralgiques (nevralgie lombo-abdominale gauche), apparaissant subitement, et l'immobilisant pendant quelques heures. Puis vinrent des crises de nerfs, le plus souvent nocturnes, avec angoisses precordiales terribles, peur de toutes les "maladies", etc... C'est dans ces conditions qu'elle devint enceinte; et, pendant la grossesse, elle se porta admirablement. Mais, aussitot apres sa delivrance, l'estomac, qui n'avait jusqu'alors traduit son malaise que par des phenomenes insignifiants, entra definitivement en scene: perte absolue d'appetit, crampes, gastralgie. Puis, l'annee suivante, ce fut le tour de l'intestin: diarrhees frequentes, incoercibles, bientot apparition de selles noires, survenant trois a quatre fois par jour avec fortes coliques, et qui durerent quatre mois. A la fin de cette periode, l'etat general etait des plus mauvais, et la vie semblait vraiment compromise. Heureusement une annee passee dans l'isolement, et suivie d'une cure dans un sanatorium de Suisse, enraya relativement le mal. Lorsque je vis la malade pour la premiere fois, un an apres son retour de Suisse, voici les principales constatations que je pus faire: Cephalee permanente,--picotement des yeux,--sciatique gauche survenant au moment des regles,--inquietudes vagues,--peur de mourir subitement,--trois heures a peine de sommeil dans les meilleures nuits. L'estomac et l'intestin laissaient egalement a desirer: appetit nul, alternatives de diarrhee et de constipation. L'examen des organes me demontra qu'il n'y avait rien a la poitrine, mais qu'au coeur existait un souffle, au premier temps, a la base, perceptible seulement dans la position horizontale; ventre plat, peu elastique, sonorite basse et egale. La malade, qui pesait 50 kilogrammes a dix-huit ans, n'en pesait plus que 46. Voila donc une jeune femme qui a toutes les apparences exterieures d'une personne tres souffrante, et dont la vie est empoisonnee par une serie ininterrompue de miseres variees. Et cependant l'histoire meme de ces miseres prouve qu'il n'y a point chez elle d'organe particulierement atteint, et que le capital biologique est, au fond, moins mauvais qu'il ne parait l'etre. Mon premier soin fut de la rassurer, notamment sur l'etat de son coeur, sur lequel un confrere un peu imprudent l'avait fort inquietee. Je m'efforcai ensuite de lui refaire un estomac, par un regime severe, puis de plus en plus large. Je dirigeai son hygiene musculaire, intellectuelle et morale. Et ainsi, apres deux ans ou je m'etais borne, en somme, a faciliter le retour a l'equilibre du systeme nerveux, Mme X... se vit delivree de la plupart de ses maux, et ramenee enfin a une vie des plus supportables. Qu'avait-elle donc au juste? me demandera-t-on Elle avait, sous une forme speciale, ou plutot sous plusieurs formes, ce que j'appelle la "maladie". Sous toutes ces miseres, c'etait le systeme nerveux qui, chez elle, flechissait. Tout son systeme nerveux etait malade, et chacun de ses centres, tour a tour, avait accuse le contre-coup de la depreciation de l'ensemble. Au moment ou j'ai vu la malade, le centre le plus atteint etait celui qui preside aux fonctions digestives; mais, si je m'etais limite a ne soigner que celui-la, toute ma peine aurait risque d'etre perdue. Il fallait, derriere les symptomes locaux, atteindre le trouble general; il fallait depasser les incidents pour parer a la "maladie". Voici maintenant une autre malade, Mlle T..., chez qui les manifestations morbides n'ont certainement rien de commun avec celles que je viens de signaler chez Mme X... C'est une jeune fille qui, lorsque je l'ai vue d'abord, en janvier 1901, avait progressivement maigri, en six mois, de 50 a 41 kilogrammes, sans autre cause connaissable que certaines influences morales. Elle ne se plaignait de rien, ne se sentait pas malade; et cependant elle l'etait, puisqu'elle maigrissait sans cesse, puisqu'elle avait le teint terreux et la peau rugueuse, puisque ses regles etaient supprimees depuis un an. Pas de lesions organiques, pas d'albumine, ni de sucre: mais toute l'apparence d'une grande malade. Pourtant, apres un examen plus approfondi, j'augurai bien de l'avenir, parce que le capital initial etait assez bon, parce que Mlle T... n'avait pas eu de graves assauts dans son enfance, enfin parce qu'elle etait jeune, et malade depuis peu de temps. Et le fait est qu'un traitement tres simple, mais bien suivi (quinze heures de lit par jour, puis douze heures, 5 repas par jour, d'abord sans viande, puis avec un plat de viande a midi, et 30 injections de cacodylate de magnesie), amena un resultat extraordinaire: reapparition des regles, augmentation du poids, disparition de la rugosite cutanee, relevement de l'appetit, etc. C'est que cette malade, qui ne presentait aucun trouble nerveux, n'en etait pas moins une "nerveuse". Toutes ses miseres ne venaient, comme chez Mme X..., que d'un ebranlement du systeme nerveux; quand ce systeme se trouva modifie, par le repos, le regime et la psychotherapie, la malade guerit. Elle revint alors dans son pays; six mois apres, elle allait tres bien, mangeant de tout, pesant 58 kilogrammes. Mais voici que, dix-huit mois plus tard, elle perd sa mere. De nouveau le chagrin la mine sourdement; elle redevient "malade", maigrit jusqu'a 37 kilogrammes, toujours sans accuser la moindre douleur, et sans ressentir aucune souffrance. Un jour, le 25 decembre 1903, elle est tellement epuisee qu'elle a une syncope grave, et que son entourage est convaincu qu'elle va mourir. J'avoue que moi-meme, quand je la vis alors avec le Dr C..., je fus epouvante, malgre la bonne opinion que j'avais de sa valeur biologique. C'etait litteralement un squelette (34 kil.), elle n'avait plus qu'un souffle de vie. Eh bien! elle se ressaisit encore. Que dis-je? En juin 1904, elle fit une pleuro-pneumonie. Deux mois apres, des qu'elle fut transportable, elle voulut venir a Paris, et se soumit, pendant trois mois, aux injections d'huile creosotee. En octobre 1904, elle avait definitivement retrouve sa sante. Comment douter que toutes les souffrances de cette jeune fille aient ete surtout d'origine nerveuse? Et cependant voila un cas ou la perturbation du systeme nerveux central s'est traduite par des phenomenes qui n'avaient rien de ce que les neurologistes constatent d'ordinaire. Et c'est bien le systeme nerveux cerebral qui etait en cause, chez cette malade: car ses deux grandes crises morbides n'ont absolument pas eu d'autre cause que le chagrin. Mlle T... etait une nevrosee sans manifestations nerveuses. Tout a fait comme Mme X..., malgre la dissemblance des symptomes, c'etait une "malade", c'est-a-dire une personne dont le capital nerveux s'etait trouve entame. Dans l'exemple suivant, la "maladie" s'est traduite par des phenomenes cardiaques. Chaque fois qu'il y a eu chez le malade une defaillance du systeme nerveux, c'est le coeur qui a cesse de fonctionner normalement, a tel point que tous les medecins qui ne connaissaient pas M. Z... le traitaient infailliblement par la digitale et la cafeine. En realite, M. Z... n'est ni un cardiaque, ni meme un faux cardiaque: c'est simplement un "malade" chez qui le systeme nerveux qui preside aux mouvements du coeur est plus specialement impressionnable. Depuis l'age de vingt et un ans, a la suite d'un rhumatisme (sans endocardite), chaque fois qu'il y a eu un assaut quelconque dans la sante du malade, le coeur a aussitot proteste. En 1886, a la suite d'une bronchite grippale, je constatai, pour la premiere fois, de l'arythmie, et un souffle au 2e temps, a la base du coeur. Depuis lors, ce souffle persiste, mais avec une telle inegalite que, parfois, il est imperceptible, tandis que, d'autres fois, il est d'une nettete extreme: si bien que plusieurs medecins ont affirme une lesion de la valvule de l'aorte. Or, je le repete, il n'y a pas de lesions: M. Z. n'a jamais de pouls bondissant, et de nombreux traces de pouls, pris par le Dr Lagrange, demontrent qu'il n'y a pas d'insuffisance aortique. Quand M. Z... va bien, son coeur va bien: quand il va mal, quand il se surmene, ou eprouve une emotion vive, son coeur se fache, et traduit son malaise par les manifestations les plus variees: syncopes, arythmie, fausses angines de poitrine. M. Z... est un de ces hommes qui sont faits pour le travail intensif: chez lui, quelle que soit l'enormite du travail, il n'y a jamais de surmenage cerebral; mais c'est un _sensitif_, que le surmenage emotionnel guette a tout instant. En 1898, a la suite d'emotions vives, tout son systeme nerveux entre en revolte: le systeme digestif (dyspepsie, constipation, etc.), le systeme nerveux central (insomnie absolue, tristesse, paleur insolite, epuisement des forces). En meme temps la glycosurie fait son apparition (10 grammes de sucre par litre). Enfin les troubles du coeur atteignent une intensite extreme et defient tous les traitements classiques (digitale, sparteine, bromures, etc.). Desirant me voir avant de mourir, le malade me fit appeler le 28 avril 1898, et me raconta les soucis qui l'avaient accable. Ces soucis etaient, sans aucun doute, l'unique cause de la "maladie": une psychotherapie prolongee, et accompagnee d'un regime alimentaire tres modere, reussit parfaitement a remettre le malade sur pied. Les deux annees qui suivirent furent meme excellentes. En 1901, une petite grippe suffit pour ramener le trouble cardiaque, avec meme, cette fois, un pouls bi-gemine. Mais une saison a Vichy, sous la direction du Dr Lagrange, produit un tres bon resultat. En 1903, ni le Dr Lagrange, ni moi, ne percevons plus le souffle coutumier. Mais voici qu'en 1904, a la suite d'une nouvelle emotion, reparaissent l'arythmie, le souffle, la glycosurie: de nouveau, une saison a Vichy supprime tout cela. En avril 1905, enfin, a la suite de nouvelles contrarietes, l'ebranlement du systeme nerveux se traduit par un lumbago, mais surtout par une anesthesie de la main et de la joue droites, qui effraie beaucoup le malade. Je le rassure encore, je le renvoie a Vichy, d'ou il revient en parfait etat, toujours jeune, malgre ses cinquante-deux ans, toujours avec une activite devorante. C'est que ce pretendu cardiaque, comme les deux malades precedents, est simplement un "malade", avec cette particularite que c'est sur le coeur que se portent de preference, chez lui, les plus importantes manifestations de la "maladie". Dans les trois observations que je viens de citer, c'etait tel ou tel departement du systeme nerveux qui manifestait plus specialement les souffrances de l'etre entier, et les periodes de malaise etaient separees par des periodes de sante, tout au moins relative. Voici maintenant un cas ou tous les elements du systeme nerveux sont tellement excites que la "maladie" revet les formes les plus diverses, et sans qu'il y ait eu, pour ainsi dire, un seul jour de remission, depuis l'epoque ou le systeme nerveux a ete ebranle,--c'est-a-dire depuis l'age de huit ans,--jusqu'a l'age de la cessation des regles. La malade dont je vais parler a ete vraiment, pendant plus de trente ans, un parfait musee pathologique. Mais, malgre mille miseres qui se succedaient chez elle comme les figures d'un kaleidoscope, je n'ai jamais desespere de sa survie, ni de sa guerison, a cause meme de la mobilite et de la variete des manifestations morbides, etant donne, d'autre part, l'integrite des organes. La "maladie" de cette personne a commence a huit ans, a la suite d'une fievre typhoide grave. Pendant cinq ans, elle ne s'est traduite que par des migraines tres intenses et tres frequentes; mais des l'apparition des regles, aux migraines se sont jointes des douleurs d'estomac et de la constipation. Vers l'age de trente ans, le systeme nerveux cerebral a manifeste son trouble par des vertiges, bourdonnements d'oreilles, etc. Deux ans apres, c'est le tour de la moelle: douleurs rhumatismales et nevralgies erratiques. Vers l'age de trente-trois ans, le systeme nerveux cardiaque donne sa note dans le concert: syncopes qui durent de dix minutes a une demi-heure, avec perte complete de connaissance. En octobre 1889, une crise gastralgique survient, qui se prolonge pendant trois jours consecutifs. L'annee suivante, c'est une douleur intercostale gauche qui immobilise la malade pendant plusieurs jours; mais, par contre, la tete est redevenue parfaitement libre, les vertiges, la cephalee, ont disparu. En 1893, apparait une dermalgie qui occupe les deux bras. Puis voici que la fievre survient: la malade a jusqu'a 40 deg., sans cause connue, a l'epoque de ses regles. En 1895, se produit un etat de peritonisme,--avec douleurs tres vives dans l'estomac et le foie, urines acajou chargees d'urobiline,--qui semble mettre la vie en danger. Mais la malade sort de cette epreuve; et, pendant les dix mois qui suivent, elle maigrit, tres heureusement, de 93 a 87 kilogrammes. L'annee suivante fut tres bonne. Le sommeil revint, l'estomac rentra dans l'ordre, la malade put croire que ses miseres allaient prendre fin. Mais voici que, en 1897, a la suite d'un coup de froid l'intestin a son tour se met de la partie: fausses membranes dans les selles, coliques, diarrhee et faux besoins d'exoneration extremement penibles. L'appendice meme parait touche: il y a une douleur tres nette au point de Mac Burney. Un autre jour, en 1899, le foie se trouble: urines foncees, selles decolorees, fievre; mais la menace ne persiste que quatre jours. En 1900, ulcere de l'estomac, vomissements noirs. La meme annee, je note une sorte d'inhibition du fonctionnement de la jambe droite, qui, a un moment donne, deux ou trois fois par mois, refuse tout service, au point que la malade tombe brusquement. Enfin, cette meme annee, se declare un oedeme des jambes, disparaissant apres la marche;--c'est la un phenomene que j'ai souvent observe chez les "malades" dits _arthritiques_. Cet etat lamentable s'est prolonge jusqu'en 1904; la malade etait, suivant son expression, un "faisceau de douleurs", mais elle avait un excellent moral, et restait sure qu'un jour ou l'autre elle reviendrait a la sante. Or, le fait est que, depuis la fin de 1904, en meme temps que disparaissaient ses regles, l'etat general s'ameliorait d'une facon surprenante. Aujourd'hui Mlle X..., absolument guerie, definitivement delivree de toutes ses miseres, promene joyeusement ses 105 kilogrammes et se declare enchantee de vivre. C'est que, meme dans ses epreuves les plus douloureuses, meme quand elle presentait les symptomes les plus inquietants, cette personne n'etait ni une hepatique, ni une medullaire, ni une cerebrale, ni une gastrique, ni une cardiaque, mais simplement une "malade" a manifestations cerebrales, medullaires, gastriques, intestinales, etc. Pendant les longues annees ou je lui ai donne des soins, toute ma therapeutique n'a consiste qu'a essayer de dynamiser son systeme nerveux, et de le dynamiser tout entier, sans presque chercher a atteindre, en particulier, tel ou tel de ses centres qui semblait, provisoirement, le plus ebranle. J'ai eu le bonheur de deviner que cette personne avait les apparences de trop de "maladies" pour en avoir la realite; et, de fait, quand son systeme nerveux a retrouve l'equilibre, la guerison de la veritable "maladie" a aussitot amene la guerison de toutes les pseudo-affections qui n'en etaient que le contre-coup. Le trouble du systeme nerveux central peut encore se traduire par les symptomes qui caracterisent, de la facon la plus formelle, des "maladies" organiques. J'ai parle deja, plus haut, de ce malade qui avait toutes les apparences d'une lesion du coeur, sans avoir le coeur lese. On sait que, par ailleurs, ce qu'on appelle l'hysterie simule les "maladies" organiques les plus variees. Les hysteriques peuvent presenter les symptomes de la meningite, de la grossesse, voire meme des "maladies" les plus graves de la moelle epiniere. Ainsi j'ai vu un jeune soldat qui offrait tous les signes de la sclerose en plaques. Apres trois mois d'examen, on a fini par le reformer; or, ce n'etait qu'un hysterique. Non pas que ce jeune homme ait ete un simulateur: car on ne simule pas les symptomes de la sclerose en plaques! Et quand je dis que ce n'etait qu'un hysterique, j'exprime mal ma pensee. En realite, c'etait un "malade". Je l'ai suivi pendant longtemps, apres son depart du regiment. Une fois reforme, il n'eut plus le moindre phenomene medullaire; mais il eut de la dyspepsie, et j'ai su que, dans son enfance, il avait eu d'autres manifestations de ce que j'appelle la "maladie". Ce n'est qu'a une phase determinee de sa vie, quand il s'est agi pour lui de faire son service militaire, que la "maladie" s'est traduite, pendant quelques mois, par ces troubles de l'axe cerebro-spinal qu'on est convenu d'appeler hysterie. Je pourrais multiplier les exemples: mais ceux que j'ai cites suffiront, je crois, a donner une idee de ce que j'entends, a proprement parler, par la "maladie". D'une facon generale, je veux dire que la "maladie" embrasse tout le domaine pathologique qui n'appartient pas a ce qu'on pourrait appeler les "accidents"--accidents qui vont depuis les fractures et les intoxications jusqu'a des lesions d'organes (cancer, hemorragies cerebrales, etc.), en passant par toute la serie des affections a microbes, connus et inconnus.--Au-dessous de ces "accidents" s'etend une serie indefinie de troubles pouvant revetir toutes les formes et donner meme l'illusion de toutes les "maladies" organiques, mais qui, en realite, ne sont tous que d'origine nerveuse (en donnant a ce mot toute l'extension qu'il comporte), ainsi que cela apparait clairement pour peu que l'on considere leurs causes, leur marche et leur terminaison. Dans la "maladie" rentrent donc toutes les nevroses; la folie quand elle n'est pas produite par des lesions du cerveau, l'hysterie, l'epilepsie dite idiopathique, la neurasthenie, les algies, tous les troubles fonctionnels des divers organes, _tant que ces troubles fonctionnels n'ont pas amene de lesion des organes_. Les medecins voient quotidiennement la "maladie" sous une de ses formes preferees. C'est la forme gastrique, qu'on designe vulgairement sous le nom d' "embarras gastrique", synonyme d'embarras de diagnostic. Dans cette affection, il ne faut pas croire que le systeme nerveux soit indemne; les malades eprouvent de la cephalee, des vertiges, souvent des bourdonnements d'oreille, un etat de fatigue generale du systeme musculaire, de l'insomnie, de la difficulte pour lire, pour supporter une conversation; ils ne souhaitent que le repos et la tranquillite. Si on les leur accordait, si une medication perturbatrice n'intervenait pas, si on graduait sagement leur alimentation, il ne surviendrait, en general, aucune complication; et apres quinze jours, un mois, ils reviendraient peu a peu a la sante[6]. [Note 6: La guerison, souvent, s'annonce chez eux par une crise urinaire. Les urines, qui avaient ete tres uraliques, quelquefois meme urobilinuriques, et rares, deviennent, d'un jour a l'autre, claires et abondantes. En meme temps la temperature tombe, pendant deux ou trois jours, au-dessous de la normale, le sommeil reparait, l'appetit egalement, et tout rentre dans l'ordre.] Dans d'autres cas, la "maladie" evolue sur le mode chronique; et c'est pendant des mois et des annees que l'on voit tout le systeme organique compromis dans son fonctionnement. Le systeme nerveux, l'estomac, l'intestin, laissent a desirer d'une facon a peu pres egale. C'est chez ces grands malades qu'on est en droit de se demander si c'est le cerveau qui tient sous sa dependance les troubles nerveux de l'estomac ou de l'intestin, ou si c'est l'inverse. Selon qu'on adopte telle ou telle maniere de voir, on adopte telle ou telle therapeutique exclusive: on s'acharne a remedier aux troubles du systeme nerveux, en negligeant les troubles digestifs, ou inversement. Dans les deux cas on a tort. Pour faire de la bonne therapeutique, il faut _a la fois_ soigner le cerveau, l'estomac, l'intestin, la moelle, le malade entier, en un mot, tout en recherchant, si possible, quel est le systeme le plus compromis et dont le fonctionnement laisse le plus a desirer. C'est de la "maladie" ainsi comprise que je voudrais, maintenant, rechercher les causes les plus habituelles, avant d'en indiquer, dans ses grandes lignes, le mode de traitement: traitement qui doit etre toujours _general_, puisque toujours la "maladie", meme quand elle ne se traduit que par des troubles locaux, est, par son essence, d'ordre general. Quant au traitement particulier des "maladies" accidentelles, il va sans dire que je n'aurai pas a m'en preoccuper dans ce travail. CHAPITRE III LES CAUSES DE LA "MALADIE" I.--CAUSES PHYSIQUES Je ne saurais songer a suivre l'homme a travers toutes les circonstances de sa vie qui compromettent sa valeur, soit momentanement, soit d'une facon definitive et irremediable. Elles varient a l'infini; l'homme heureux seul n'a pas d'histoire, et l'homme heureux est un etre de raison, qui n'existe pas dans la realite. Mais, d'une facon generale, je puis faire remarquer que ce n'est pas le surmenage cerebral, ni le surmenage musculaire, ni meme les vices d'alimentation, le defaut de confort, l'aeration insuffisante, etc., qui constituent les grands facteurs de la "maladie": c'est le surmenage emotionnel, c'est le chagrin,--l'influence psychique, en un mot. Cependant les autres influences morbigenes meritent une mention detaillee. Je les rapporterai aux trois chefs suivants: I. Surmenage cerebral. II. Surmenage musculaire. III. Alimentation defectueuse ou insuffisante. 1 deg. _Surmenage cerebral_.--Le cerveau est fait pour fonctionner, comme le coeur est fait pour battre; et il est bien rare que le travail cerebral, a lui seul, si excessif qu'il puisse paraitre, soit une cause de deterioration profonde, et surtout de decheance definitive. C'est bien plutot un element de survie prolongee.--Voyez cet ecrivain qui, a l'age de soixante-dix-huit ans, continue a etonner le monde par les productions de son genie; il n'a jamais cesse de travailler, et il a pu faire les frais, a soixante-quinze ans, d'une pneumonie qui, a cet age, est presque toujours fatale. Quel est donc son secret? Son secret, c'est de n'avoir aucune preoccupation etrangere a son travail; c'est d'avoir une femme qui pense pour lui a tous les details de la vie; c'est d'avoir une excellente hygiene morale, la paix du coeur et de l'esprit. Bien plus nombreuses sont les victimes d'un travail cerebral insuffisant, et tout le monde sait que les desoeuvres sont bien a plaindre. Ce sont des coupables, puisqu'ils n'apportent pas a l'oeuvre sociale le contingent d'efforts et de travail qu'ils lui doivent; mais ce sont aussi des malheureux, car la "maladie" les guette. Le desoeuvre accidentel lui-meme, habitue a un travail cerebral considerable, s'il est condamne trop longtemps au repos de l'esprit, sent qu'il lui manque quelque chose: il perd son bon sommeil coutumier, et a hate de reprendre le travail cerebral, qui lui est aussi necessaire que l'air respirable. Quand, cependant, le travail cerebral est pousse a une limite veritablement excessive, il amene aussi ce que nous avons appele la "maladie", c'est-a-dire la deterioration, quelquefois definitive ou prolongee pendant des annees. On en voit des exemples chez les candidats aux ecoles, a l'internat, a l'agregation, etc. On serait porte a croire, _a priori_, que, dans ces cas, la "maladie" atteint l'organe surmene; c'est vrai quelquefois, mais pas toujours, meme quand elle est de cause cerebrale, elle peut tres bien revetir les symptomes de la dyspepsie, de l'enterite, tout comme si elle avait ete produite par une intoxication. Il faut toujours en revenir aux notions que nous avons developpees au chapitre precedent: a la notion des points faibles, et a la variete des manifestations par lesquelles l'organisme traduit le malaise cause par une influence determinee. 2 deg. _Surmenage musculaire_.--Il n'amene qu'exceptionnellement la "maladie". Chez le surmene musculaire, quelques jours ou quelques semaines de repos suffisent pour remettre toutes les fonctions d'aplomb; et l'on ne saurait se figurer le rendement dont est capable la machine, quand, par ailleurs, il n'y a pas de fuites occasionnees par la depense cerebrale. Ainsi nous avons vu des ouvriers italiens produire un travail musculaire veritablement colossal, tout en ayant une alimentation tres restreinte (polenta, macaroni, gruyere, viande une fois par semaine, eau claire), et ce, sans le moindre prejudice pour leur sante. Ils se contentaient du salaire dit "de famine", salaire qu'on serait mal venu de proposer a nos ouvriers francais. Il est cependant incontestable que le travail musculaire, pousse a de trop grands exces, peut devenir une cause de "maladie" momentanee, et preparer le terrain a l'eclosion des affections accidentelles. Nous en avons deja dit un mot a propos de l'entrainement dans l'armee, et des sports chez les jeunes gens. 3 deg. _Vices d'alimentation_.--Ils jouent un role important dans la pathogenie de la "maladie", d'autant que, en dehors des cas d'intoxication aigue, ils n'agissent qu'a la longue, traitreusement, insidieusement. Le plus souvent, en effet, l'estomac et l'intestin ne se revoltent qu'apres de longues annees de protestations presque silencieuses. Mais, a partir du jour de cette revolte, la "maladie" est constituee. Les symptomes d'ordre dyspeptique y tiendront le plus souvent la premiere place, ce qui n'est pas fait pour surprendre, puisque c'est l'estomac qui a ete, dans ces cas, le plus specialement moleste. Cependant, dans certains cas, les troubles dyspeptiques passeront a l'arriere-plan, au point d'egarer completement le diagnostic. Voyez cet hystero-epileptique qui n'a, pour un examinateur superficiel, que des troubles cerebraux; il peut tres bien se faire qu'il ait de l'epilepsie gastrique, qu'on fera disparaitre par un bon regime. Dans ce cas, les phenomenes gastriques etaient au second plan pour le clinicien, alors que, pour le therapeute, ils doivent etre au premier plan. Si donc le clinicien veut etre bon therapeute, il doit se rappeler les grandes lois que nous avons deja formulees: s'il traite comme cerebral un sujet dont la "maladie" a ete provoquee par des troubles alimentaires, il fait fausse route; de meme qu'il ferait fausse route en traitant comme dyspeptique un sujet ayant des miseres gastriques, intestinales, hepatiques, mais dont l'etat pathologique aurait ete occasionne par du surmenage cerebral, medullaire, emotionnel. Maintenant, essayons d'expliquer comment l'alimentation defectueuse retentit sur l'ensemble de l'organisme. On a fait grand bruit, ces derniers temps, de l'auto-intoxication d'origine alimentaire; et beaucoup de medecins s'obstinent a ne voir dans la "maladie", quelle qu'en soit la forme, et surtout quand elle revet la forme nerveuse, qu'une sorte d'empoisonnement de la cellule cerebrale par les toxines alimentaires. C'est la une hypothese assez commode, et qui rend compte d'un nombre considerable de faits: mais ce n'est, en somme, qu'une hypothese, et ne pouvant pas etre demontree par des observations veritablement scientifiques. On pourrait tout aussi bien expliquer les phenomenes rapportes a l'auto-intoxication par l'irritation que provoque, sur le plexus solaire, un aliment defectueux, ou encore par l'irritation des extremites nerveuses du pneumo-gastrique. On sait que ce nerf etend ses ramifications sur le coeur, l'estomac, le poumon; et on s'expliquerait ainsi les irradiations a distance provoquees par l'irritation stomacale: la dyspnee, l'asthme, les fausses cardiopathies, etc. Quoi qu'il en soit, les vices d'alimentation peuvent incontestablement provoquer, a eux seuls, la "maladie". Mais, le plus souvent, ils s'associent a d'autres causes: aux chagrins, au surmenage, a la debauche, etc. Les vices d'alimentation peuvent, a leur tour, se classer en quatre categories distinctes: I. Alimentation excessive en quantite. II. Alimentation insuffisante en quantite. III. Alimentation insuffisante en qualite. IV. Abus de l'alcool. I. _Alimentation excessive_.--Nous ne voulons pas nous etendre ici sur les inconvenients, vraiment assez connus, de l'alimentation excessive. Disons seulement que l'alimentation excessive empoisonne peut-etre la cellule nerveuse par les toxines alimentaires, mais que surement elle impose aux organes charges de l'elimination (foie, reins, peau), un travail exagere, inutile, et par consequent nuisible; de la, a la longue, le surmenage et les protestations de ces divers organes, se traduisant de mille et une facons (eczema, urticaire, gravelle, etc.). Cette maniere de voir donne satisfaction aux partisans de l'auto-intoxication; ou bien si l'on admet la theorie de l'irritation du pneumo-gastrique, ou du plexus solaire, on peut egalement comprendre comment cette irritation, presque permanente, des nerfs de l'estomac par une alimentation incendiaire, amene, par action reflexe, des troubles de coeur (palpitations, arythmie, etc.) et du poumon (asthme, dyspnee), du cerveau et de la moelle, voire meme des troubles cutanes, etc. Pourquoi, d'ailleurs, ne pas adopter les deux theories a la fois? ce ne serait, en tout cas, pas deraisonnable. Mais, dira-t-on, quelle est donc la dose _optima_ d'aliments qui convient pour entretenir la vie et pour reparer les depenses incessantes de l'organisme? Elle doit varier, evidemment, suivant le travail produit, et suivant les individus. Tous n'ont pas le meme besoin d'alimentation, pas plus que, dans un regiment de cavalerie, tous les chevaux n'ont pas les memes besoins, bien qu'ils soient obliges aux memes depenses musculaires. On a essaye de fixer mathematiquement ce qu'on appelle la "ration d'entretien" et la "ration de travail"; et les differents chimistes qui se sont livres a ce calcul sont arrives a des chiffres qui variaient du simple au quadruple: mais tous s'accordent pour demontrer qu'il faut _tres peu d'aliments_ pour subvenir a la "ration d'entretien", et meme a la "ration de travail", de l'homme. La verite est que nous mangeons, presque tous, trop, et qu'il faut que la machine humaine soit bien admirablement construite pour qu'elle resiste aux assauts quotidiens que nous lui imposons. Comme ce probleme de la ration physiologique m'a toujours interesse, je me suis livre a une enquete sur le regime des Chartreux; et j'affirme que l'insuffisance apparente d'alimentation n'est pour rien dans leur morbidite. Ils ont beaucoup moins de jours d'indisponibilite que la plupart des autres hommes du meme age, meurent plus vieux, et s'eteignent sans "maladie". Pareillement, chez les Trappistes, le regime fort severe n'est pas une cause de morbidite; j'ai meme ete etonne, a leur propos, de voir la flexibilite de l'organisme humain, et de constater qu'un homme habitue a manger comme tout le monde pouvait, d'un jour a l'autre, sans troubler sa sante, passer au regime ultra-restreint d'une Trappe. Mais, dira-t-on, avez-vous etudie le regime restreint chez les individus qui depensent beaucoup? Oui, je l'ai etudie dans l'armee[7], et j'affirme, au nom d'une experience de deux annees, pendant lesquelles je me suis occupe de l'alimentation du soldat avec un colonel qui avait, de ce grave probleme, tout le souci qu'il merite, que, si le soldat francais, le seul que je connaisse, avait la quantite et la qualite des aliments auxquels il a droit de par les reglements, et si ces aliments etaient prepares comme ils devraient et comme ils pourraient l'etre dans toutes les garnisons, sa nourriture serait tout a fait suffisante. Elle n'est un peu au-dessous des besoins que pour les jeunes soldats, pendant les trois premiers mois de la nouvelle existence qui leur est imposee; aussi les officiers soucieux de la sante de leurs soldats reservent-ils pour les nouveaux arrivants les _boni_ qu'ils ont pu realiser sur les hommes dits "de la classe". [Note 7: _La vie du soldat en temps de paix (Ann. d'hyg. et de medecine legale_, fevrier 1890).] Tout le monde, du reste, connait la sobriete des guides alpins, qui, non seulement, les jours d'excursion, se contentent d'une alimentation extremement reduite (quelques morceaux de sucre et des fruits secs), mais, en temps ordinaire, mangent tres peu, pour conserver leurs forces. Les professionnels du sport, egalement, savent que la sobriete est la condition de leur succes. Autre exemple: j'ai donne, pendant plusieurs annees, des soins a une dame qui, avec toutes les apparences de la sante, etait constamment souffrante: migraines, eczema, urticaire, affections cutanees polymorphes, palpitations, dyspnee, insomnies, caractere inquiet, emotivite exageree, sensation de fatigue permanente, tendance a l'obesite,--et j'en passe, pour ne pas faire le tableau complet de ce qu'on est convenu d'appeler la "grande neurasthenie". Chose curieuse, elle avait peu de phenomenes digestifs, seulement de la constipation et des hemorroides. Elle avait meme un vigoureux appetit, bien qu'elle prit fort peu d'exercice. En vain, je m'acharnai a diminuer son alimentation: precisement a cause de cet appetit de premier ordre, elle ne voulait pas entendre parler de regime restreint. Mais voici que l'adversite s'abattit sur elle, sous la forme de la ruine absolue; elle en fut reduite a ne plus manger que des pommes de terre cuites dans le four d'un petit poele en faience, et des haricots; un demi-litre de lait etait pour elle un grand extra. Or, a partir de ce jour, elle alla bien. Toutes ses miseres disparurent successivement, en trois ou quatre mois, y compris les miseres nerveuses et les migraines; et force me fut d'attribuer au seul changement de regime la surprenante modification de sa sante. Car on croira peut-etre que, pressee par le besoin, elle s'est mise a marcher davantage, pour chercher du travail, ou pour se creer des relations? Non, elle savait trop bien ce qu'il faut esperer des relations quand on est dans l'extreme detresse; et je lui procurai un travail sedentaire, qui consistait a faire des adresses sur des bandes, pour un grand magasin de nouveautes. On avouera que ce n'est pas, non plus, l'interet palpitant de ce travail qui a pu modifier avantageusement sa mentalite. En dehors de ses douze heures de travail quotidien, elle avait des preoccupations angoissantes, qui auraient suffi pour ebranler un systeme nerveux moins equilibre. C'est donc bien uniquement, toute analyse faite, a la restriction du regime, et a cet element seul, qu'elle a du son retour a la sante. Et je pourrais, la encore, multiplier les exemples: mais aucun ne peut etre plus typique que celui que je viens de relater a grands traits. Ceci etant, j'aurai peu de choses a dire de l'alimentation insuffisante. II. _Alimentation insuffisante en quantite_.--Tout le monde connait les desastres occasionnes par les famines qui sont encore, helas! trop frequentes en Russie, aux Indes, en Algerie. En France, nous estimons que personne ne doit avoir une alimentation insuffisante, et que c'est une honte pour une societe civilisee d'avoir un seul de ses membres manquant du necessaire. Nous n'hesitons pas a proclamer que ce desherite aurait, dans ce cas, le droit absolu de prendre ce qui est indispensable a sa vie, et cela sans etre meme tenu de le rendre si un jour la capricieuse fortune venait a lui sourire. C'est d'ailleurs la doctrine de l'Eglise, nettement formulee par saint Thomas, et tres bien expliquee dans un livre recent (_Socialisme et Christianisme_) de l'abbe Sertillanges, professeur de philosophie a l'Institut catholique. Mais laissons la ces considerations d'ordre social, renoncons au delicat plaisir qu'il y aurait a errer dans les sentiers adjacents, et reprenons notre grande route! Ce qui est sur, c'est que le probleme de l'insuffisance d'alimentation n'a pas souvent a etre resolu, chez les gens bien portants; notre etat social n'etant pas aussi detestable que se plaisent a le dire quelques pessimistes, ou encore quelques jouisseurs, qui semblent n'avoir pour but que de semer la haine par leurs discours et par leurs ecrits. En France, personne ne meurt de faim, et bien peu de gens sont menaces d'insuffisance alimentaire, etant donne le peu qu'il faut pour vivre et se bien porter. La ou le probleme de l'insuffisance alimentaire devient, pour le medecin, d'une douloureuse perplexite, c'est quand il s'agit de malades ne pouvant ou ne voulant pas manger, ne pouvant en apparence rien digerer, vomissant tout ce qu'ils prennent, arrives au dernier degre de la consomption, n'urinant presque plus, restant des semaines entieres sans aller a la garde-robe, ne dormant plus, ne pouvant plus ni lire, ni supporter une conversation, ni penser. Tous les medecins ont vu de ces grands malades sans lesions organiques, auxquels il est tres difficile de faire du bien, et auxquels on fait trop facilement du mal par une intervention intempestive. Est-il admissible que la vie persiste dans ces conditions deplorables, et faut-il, oui ou non, forcer ces malades a manger? Il est certain que, parfois, en brusquant la resistance du systeme nerveux, en domptant sa revolte, on arrive a des resultats remarquables. Chez de grands nevropathes, on est tout etonne de voir qu'une seule application de la sonde oesophagienne suffit pour faire renaitre l'appetit, et rendre a l'estomac la tolerance qu'il avait perdue depuis longtemps. Le plus bel exemple dont j'aie souvenance, a cet egard, est celui d'une jeune femme mariee a un capitaine au long cours. Des le lendemain du mariage, il l'emmenait en voyage de noces a San Francisco, en passant par le detroit de Magellan, sur un navire a voiles. Pendant ce voyage, qui dura six mois, la jeune femme commenca a eprouver divers symptomes morbides. Elle en arriva a etre gravement atteinte, et on dut la faire revenir, par les voies les plus rapides, de San Francisco a Paris, ou elle desirait se confier a mes soins. A son arrivee, je trouvai une veritable loque humaine, ayant toutes les apparences d'une tuberculeuse avancee; l'auscultation ne revelait cependant rien. Pendant les trois premieres semaines de son sejour a Paris, elle avait une inappetence absolue, ne tolerait aucun aliment, pas meme le lait coupe, et etait devoree par une fievre qui atteignait, le soir, 44 deg.. La temperature s'abaissait a 40 deg. le matin. Bien que la chaleur de la peau fut mordicante, bien que la malade n'eut aucun interet a me tromper puisque c'est de son plein gre qu'elle m'avait appele, je me refusai a croire a la possibilite d'une fievre aussi ardente et aussi continue. Je m'attachai a verifier et a faire verifier avec le plus grand soin les indications thermometriques; elles etaient parfaitement exactes. C'est alors que, en desespoir de cause, voyant que ni la quinine en injections ni les lotions fraiches ne modifiaient cette temperature, je me decidai a recourir aux lumieres du Dr Babinski, qui, apres examen, me dit: "Je ne trouve pas, non plus, de tuberculose, il n'y a certainement pas d'impaludisme; nous sommes donc en presence d'une de ces hyperthermies comme on en rencontre chez les grandes hysteriques. Mais le plus presse est d'empecher cette femme de mourir de faim, et, puisqu'elle ne peut pas manger, il faut la suralimenter par la sonde." Ainsi fut fait; et, apres cinq repas assez copieux donnes a la sonde, la malade retrouva l'appetit, la fievre tomba, le sommeil revint. Deux mois apres, elle pouvait quitter Paris, et, vingt-huit mois apres, je recevais une lettre m'annoncant la naissance d'un enfant. Suivant la formule traditionnelle, la mere et l'enfant se portaient bien. Autre exemple. Quand j'etais au Val-de-Grace, le professeur Delorme m'invita a voir l'un de ses malades, opere depuis dix jours, et qui, depuis, ne voulait pas manger. Il etait gueri de son operation, n'avait aucune fievre, aucune lesion organique, mais il se refusait obstinement a avaler quoi que ce fut. C'etait probablement le choc operatoire qui avait produit une folie passagere. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il maigrissait a vue d'oeil. Je n'hesitai pas, alors, a lui donner du premier coup, par la sonde, avec le plus de douceur et de bienveillance possible, un repas complet; des le meme soir, il demandait a manger, et, s'etant mis a digerer, il etait gueri. Huit jours apres, il sortait de l'hopital en tres bon etat. Nul doute encore que, chez les alienes, il ne soit du devoir strict du medecin de prolonger l'alimentation a la sonde aussi longtemps qu'elle est necessaire, apres s'etre toutefois bien enquis du fonctionnement du systeme digestif. Il y a la de grosses difficultes cliniques. D'une facon generale, cependant, nous hesitons toujours a employer ce moyen brutal qu'est la sonde oesophagienne; le plus souvent, quand l'alimentation est indiquee pour une grande neurasthenique qui ne veut ou ne peut pas manger, nous la lui imposons par suggestion a l'etat de veille. Mais la n'est pas encore la difficulte veritable. La vraie difficulte est de savoir a quel moment il faut alimenter. La responsabilite du medecin est, quelquefois, bien gravement engagee dans ce probleme. S'il alimente a tort, soit a la sonde, ou meme par suggestion ou par persuasion, il risque de donner a sa malade une indigestion formidable, avec fievre ardente et quelquefois collapsus; il risque, en d'autres termes, d'epuiser les lueurs de vie qui soutiennent l'existence de la malade. Etant donne ce que nous avons dit du peu d'aliments qu'il faut pour entretenir la vie, et les risques a redouter d'une alimentation intempestive, nous croyons qu'il faut patienter le plus possible, et ne donner a ces malades que le regime ultra-restreint, sans se laisser emouvoir par la tyrannie de l'entourage, toujours pret a se figurer que la malade va mourir de faim. Et puis, peu a peu, quand, par une alimentation restreinte mais bien conduite, on a ete assez heureux pour vaincre l'intolerance gastrique,--et on y arrive toujours,--alors seulement on alimente plus genereusement. Nous savons que ce n'est pas la maniere de proceder habituelle de nos confreres renommes pour le traitement des grandes nevroses; mais nous ne pouvons pas admettre que tous les malades, quel que soit le degre de leur "maladie", soient justiciables d'un meme procede therapeutique, et que, apres six jours de repos au lit et de regime lacte, il suffise de leur dire: "Mangez, je l'ordonne!" pour qu'ils mangent et qu'ils digerent n'importe quoi. Ils mangeront peut-etre, mais tous ne digereront pas. III. _Alimentation insuffisante en qualite_.--Si l'insuffisance alimentaire quantitative joue, dans la pathogenie de la "maladie", un role relativement minime, il n'en est pas de meme de l'insuffisance qualitative; et la defectueuse qualite des aliments est un ennemi de tous les jours, d'autant plus dangereux qu'on ne le soupconne point. On ne saurait croire combien les aliments les plus usuels sont frelates. Si une chimie bienfaisante permet, par-ci par-la, de decouvrir quelques fraudes, il est une chimie malfaisante qui fait tous les jours des progres, et qui nous empoisonne sans que nous nous en doutions. Bientot le dictionnaire des falsifications alimentaires atteindra le volume du Bottin. Mais ce n'est pas tout: les sciences physiques se mettent aussi de la partie, et, par les procedes de congelation, en particulier, on arrive a jeter sur les marches des aliments de belle apparence, mais qui deviennent toxiques avec une rapidite surprenante. Prenons, a titre d'exemple, les poissons de mer. Je me souviens d'avoir ete frappe, dans un port de mer, par la vue de gros blocs de glace que des pecheurs emportaient avec eux. Ces blocs ne me disaient rien qui vaille; et j'appris, en effet, que ces pecheurs partaient pour huit ou dix jours, et que, au fur et a mesure qu'ils prenaient du poisson, ils le mettaient dans la glace: de telle sorte que ce poisson congele arrive sur nos marches avec bel aspect, mais, passant par cinq ou six intermediaires avant de parvenir a notre table, il y parvient a l'etat d'aliment toxique. Certains procedes de sterilisation sont egalement vus d'un mauvais oeil par l'hygieniste. Pour les conserves de viande, notamment, on sait les preoccupations bien legitimes de l'autorite militaire; et le probleme vient seulement d'etre resolu, grace au zele d'une commission composee de nos plus distingues maitres, en hygiene, en chimie, en bacteriologie qui ont travaille pendant de longs mois. Le lait subit aussi mille et une tortures; c'est pourquoi il est si souvent un breuvage meurtrier, non seulement pour les enfants, mais meme pour les adultes; et c'est quelquefois parce qu'il est falsifie, ou adultere spontanement, qu'il est, chez les malades, d'un emploi si delicat. Remarquez que nous disons: quelquefois, car le plus souvent, si le lait n'est pas supporte par les malades, ce n'est pas parce qu'il est altere, c'est parce qu'il est trop riche en creme, ou pris en trop grande quantite, c'est aussi sans que nous sachions pourquoi. Le simple bon sens indique alors qu'il faut soit l'ecremer, ou s'en abstenir, sans poursuivre le projet insense de vaincre l'intolerance des malades. A cela on y arrive parfois, quand le malade est complaisant, mais le plus souvent on echoue. Les aliments adulteres, quels qu'ils soient, poissons, mollusques, viandes, provoquent des empoisonnements dont on neglige souvent de chercher la cause. Ils revetent parfois les apparences de la fievre typhoide grave, ou de la typhoidette, et, entre ces deux extremes, toutes les varietes cliniques se rencontrent. D'autres fois, ils empruntent le masque du cholera ou de la cholerine. Il va de soi que le traitement consiste a attendre que l'economie soit debarrassee de ces poisons (diete absolue d'abord, puis tisanes et repos); quant a chercher a favoriser l'elimination des poisons par des purgatifs ou des vomitifs, c'est tres legitime en theorie, mais, en fait, tres dangereux, car on ajoute ainsi un element de perturbation qui aggrave parfois grandement l'etat morbide. Ajoutons enfin que, le plus souvent, l'intoxication alimentaire n'occasionne qu'a la longue la perturbation du systeme digestif; et c'est alors qu'il est si difficile de rapporter les effets directs et eloignes de cette perturbation a leur cause veritable. IV. _Alcool_.--Certes, l'alcool et toutes les boissons distillees, quelque pompeuse que soit l'etiquette de leur flacon recepteur, constituent un aliment meurtrier; et nous leur faisons grand honneur en leur conservant le nom d'aliment. C'est par deference pour la memoire de Duclaux, qui a excite de si vives polemiques en ecrivant que l'alcool etait un aliment. Les ravages produits par l'alcoolisme sont de ceux que deplorent tout hygieniste et tout bon citoyen; aussi ne saurait-on encourager trop les ligues contre l'alcoolisme, les societes de temperance, etc. Mais que peuvent tous ces petits efforts contre les vraies causes de l'alcoolisme, qui se rattache aux conditions economiques de la societe? L'alcoolisme durera aussi longtemps que l'impot sur l'alcool, qui, au dernier exercice, avait rapporte a l'Etat 358 392 000 francs (et dans ce chiffre ne sont pas compris les droits sur les vins, cidres, bieres, etc.); aussi longtemps que la puissance electorale du marchand de vin; aussi longtemps que le malaise de l'ouvrier, pousse au cabaret par la destruction du foyer et l'insalubrite du logis... Et l'on ne peut meme s'empecher, tout en souhaitant sincerement le succes des genereux efforts des ligues anti-alcooliques, de conserver un reste de pitie pour les malheureux qui trouvent dans l'alcool un oubli momentane aux miseres humaines. C'est souvent leur malheur, et non leur faute, s'ils tombent dans la degradation progressive qu'on deplore a trop juste titre. Mais autant est legitime la campagne contre les boissons distillees, autant, a notre avis, les boissons fermentees devraient trouver grace devant la rigueur des hygienistes; et nous pensons que la ligue anti-alcoolique francaise, pour ne parler que d'elle, compromet d'une facon irremediable le resultat qu'elle poursuit, si elle continue a proscrire les boissons _fermentees_. Qu'un intellectuel dyspeptique ne tolere pas une goutte de vin a ses repas, c'est chose possible, et il fera bien de s'en abstenir; mais proscrire le vin, la biere, le cidre, c'est commettre une faute contre le bon sens. Il y a quelques annees, on pouvait dire qu'un litre de vin representait 100 grammes de mauvais alcool; mais depuis la surproduction des vignes francaises, et depuis qu'on a diminue les droits d'octroi, le vin est devenu une boisson hygienique, quand elle est prise a petite dose par des gens dont l'estomac n'est pas delabre. Certes, l'ouvrier charge de famille ferait mieux, comme le lui conseillent les hygienistes en chambre, de depenser a l'achat d'aliments azotes, ou hydro-carbones, le franc qu'il depense a acheter du vin; mais que deviendrait la vie si elle etait soumise aux tyrannies des theoriciens hygienistes? Pour les soldats, en particulier, il serait a souhaiter que le vin entrat dans la ration reglementaire. Presque tous apprecient enormement le vin, et rien ne leur va plus au coeur que l'attention du chef qui leur octroie aimablement un quart de litre de vin. Malheureusement, il ne faut pas songer avant longtemps a introduire l'usage regulier du vin dans l'armee, a cause de la depense: si l'on voulait se rappeler que, chaque fois qu'on augmente d'un centime par jour la depense du soldat francais, le budget se trouve greve d'un million par an, on mettrait fin du coup a toutes les discussions, plus ou moins interessees, qui font perdre a nos legislateurs un temps precieux. Un esprit chagrin pourrait nous repondre que l'eau sterilisee que l'on donne aux soldats coute plus cher que le vin, si l'on tient compte du prix d'achat des appareils sterilisateurs, du prix du combustible, et surtout de la repugnance invincible qu'ont les soldats a boire cette eau cuite, presque toujours tiede malgre les soins qu'on met a la refroidir apres la sterilisation; mais nous aurions mauvaise grace a nous associer a ces critiques. Il ne faut decourager les efforts de personne. Je m'empresse d'ajouter que, si le vin est une boisson recommandable pour l'adulte valide, chez le malade le vin et les autres boissons fermentees sont, en general, de veritables toxiques; et c'est par la suspension du vin qu'il faut commencer le traitement de tous les dyspeptiques. Mais quand l'estomac a cesse de protester, quand il s'agit d'aider a la reconstitution du systeme nerveux, le vin devient un adjuvant utile; et non pas sous une forme pharmaceutique quelconque, mais sous la forme de bon vin naturel peu acide (bordeaux, vin d'Algerie, du Midi, etc.). En resume, les erreurs de l'alimentation sont essentiellement regrettables, comme le sont toutes les erreurs contre la veritable hygiene; elles entrent pour une bonne part dans la genese de la "maladie"; mais elles ont ete denoncees de toutes parts, etudiees a fond, tandis que les influences qui nous restent a passer en revue agissent plus profondement encore, d'une maniere plus insidieuse et plus malfaisante; et leur role pathogenique n'est, en general, pas apprecie a sa juste valeur. Nous voulons parler des influences morales. II.--CAUSES MORALES Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'on admet l'influence du moral sur le physique; mais, malgre les travaux de divers philosophes, les medecins en general ne connaissent pas encore assez cette influence du moral, et ne lui attribuent pas assez d'importance. En realite, elle joue un role enorme, et dans presque tous les cas elle se rencontre, pour qui sait la chercher. Malheureusement, pour faire de semblables enquetes, il faut beaucoup de temps, il faut que le medecin devienne le confident, l'ami de son malade, et qu'une regrettable suspicion de l'entourage ne l'empeche pas d'accomplir son oeuvre. Il faut, en outre, que le medecin ait des qualites de psychologue. Il doit savoir lire dans la pensee du sujet, deviner ce qu'on lui laisse entendre a mots couverts. Chez l'adulte des deux sexes, les causes morales de "maladie" sont multiples, et peuvent etre rapportees aux quatre grands chefs suivants, que nous classons par ordre d'importance effective, sans aucune pretention psychologique: 1 deg. Pertes materielles, pertes de fortune, pertes au jeu, etc., ambitions decues. 2 deg. Influences qui compromettent, par une action lente et continue, la quietude de l'ame (passions contrariees, chagrins d'amour). 3 deg. Inquietudes d'origine altruiste (chagrins occasionnes par l'eloignement ou la perte d'etres aimes). 4 deg. Choc moral et choc traumatique. 1 deg. _Pertes materielles_.--Les pertes de fortune, les changements de situation, sont des facteurs moins importants qu'on ne se le figure d'ordinaire, relativement a l'eclosion de la "maladie". Une fois le premier choc recu, les victimes s'adaptent assez vite aux nouvelles conditions d'existence qui leur sont faites, si elles n'ont pas, par ailleurs, a s'alarmer pour leurs enfants, et si elles sont prealablement bien portantes. On pourrait paraphraser la pensee d'Horace, en disant: _Sanum et tenacem impavidum feriunt ruinae_. C'est ainsi qu'on a pu definir l'homme: "Un etre qui s'habitue a tout"; et c'est peut-etre la meilleure definition qu'on en ait donnee. Mais il n'en est pas moins vrai que, dans certains cas, les perturbations dans la situation sociale, les pertes d'argent, provoquent des assauts considerables,--que le medecin doit savoir deviner,-- capables de produire la "maladie", et surtout de l'aggraver quand elle existe deja a un degre quelconque. Voyez ce diabetique qui, d'un jour a l'autre, rend une quantite triple de sucre, et cherchez bien: c'est souvent parce qu'il a eu, la veille, une perte d'argent. Les pertes au jeu sont encore plus pathogenes qu'une perte survenue accidentellement ou par imprudence; c'est que le jeu, en lui-meme, a une influence morbide considerable. Le joueur, en effet, vit dans un milieu anti-hygienique; il joue, le plus souvent, la nuit, et se prive de sommeil; en outre, son surmenage emotionnel est double de surmenage cerebral; bref, la funeste habitude du jeu merite une place d'honneur parmi les causes morales pathogenes. Les ambitions decues ont beaucoup d'analogie avec les pertes au jeu. Ici l'enjeu, au lieu d'etre une somme d'argent, est un grade, une decoration, un hochet quelconque, auquel l'interesse attribue quelquefois une importance qui nous fait sourire, mais qui, cependant, lui tient grandement au coeur: car tout est relatif dans la vie, et l'ambition decue apres de longs efforts, apres des tentatives souvent repetees, se traduit par l'apparition de la "maladie". Qui ne connait, dans son entourage, un officier navre d'avoir a prendre sa retraite sans avoir obtenu le grade ou la distinction reves, et qui fait le malheur d'une famille, et son propre malheur, au point d'en perdre la sante, ou quelquefois la vie? "Vanite des vanites", disait le sage; mais c'est de cette nourriture que vivent les hommes. 2 deg. _Influences qui compromettent la quietude de l'ame_--Les unes agissent par leur continuite: ce sont les coups d'epingles incessants dans un menage ou il y a incompatibilite d'humeur, les petites querelles de famille quotidiennes, l'impossibilite de fuir un milieu ou l'on ne se sent pas a l'aise. C'est le fait d'etre souvent en butte aux taquineries ou aux caprices d'un chef avec lequel on ne s'entend pas, d'avoir a subir l'autorite malveillante d'un parent, d'une mere. La victime se trouve tiraillee a tout instant, retenue, d'un cote, par la notion plus ou moins forte du devoir, et, d'un autre, poussee a la revolte par les vexations, reelles ou imaginaires, qu'elle subit. Ce supplice incessant finit par "enerver",--c'est le mot qu'on emploie journellement,--autrement dit, finit par amener la "maladie", a un degre variable: et l'une de ses formes les plus connues s'appelle le delire de la persecution, quand le trouble mental domine la scene morbide. Mais, si l'on etudie de pres un "persecute", on verra bien vite qu'il n'est pas malade que de la tete; il digere mal, il est constipe, il maigrit, il a souvent des battements de coeur, de la dyspnee, la peau seche, etc., etc.; toutes ses fonctions sont en delire. Tout est fou chez l'aliene, parce que l'aliene n'est pas autre chose qu'un "grand malade". D'autres fois, c'est une passion vive, intense, qui compromet l'equilibre de la sante. La passion amoureuse merite, a ce titre, d'etre signalee au premier rang; nous en avons dit un mot deja, a propos de la jeune fille: mais ici nous l'etudions dans sa forme ardente, fougueuse, la forme qu'elle revet chez l'etre adulte. Alors elle met le systeme nerveux dans un etat d'erethisme, d'hyperesthesie, qui peut se traduire par la production de chefs-d'oeuvre, comme le second acte de _Tristan et Yseult_, ou comme la _Nuit d'Octobre_, mais qui amene souvent, chez celui qui en est victime, une perturbation generale de la sante, quand un obstacle d'ordre moral ou materiel empeche cette passion de se satisfaire. La victime perd alors le sommeil, s'agite dans le vide, est dans un etat d'inquietude mentale qui compromet les fonctions digestives; l'estomac entre en scene, le cercle vicieux s'etablit; la "maladie" est constituee. Elle durera tant que durera sa cause, ou qu'une savante hygiene morale n'aura pas porte le remede efficace. Bien souvent, d'ailleurs, le temps seul est le remede; et il faut savoir attendre, sans imposer au malade une medication perturbatrice, qui aggraverait son etat. Lorsque la victime est obligee de garder pour elle son secret, sans pouvoir le communiquer a un confident, sa situation est encore plus lamentable. Souffrir en silence, c'est deux fois souffrir; de la l'importance que prend le medecin, lorsqu'il parvient a inspirer confiance a son malade et a provoquer chez lui des confidences, qui le soulagent plus que ne le feraient l'hydrotherapie ou l'electricite. Combien de femmes sont malheureuses en menage sans que personne s'en doute! Elles dissimulent avec un soin jaloux a leur famille, a leurs amis les plus intimes, les tortures quotidiennes. Et combien leur misere n'est-elle pas attenuee quand elles peuvent confier leur chagrin a un homme de bon conseil? 3 deg. _Inquietudes d'origine altruiste_.--Les inquietudes relatives a la sante d'un etre cher sont souvent aussi une cause de neurasthenie, et il n'est pas rare de voir les divers membres d'une famille devenir, tour a tour, malades, par le fait des preoccupations et des fatigues qu'a causees l'atteinte d'un premier membre. Une mere qui, comme je l'ai vu, passe vingt jours et vingt nuits sans quitter le chevet de son enfant atteint de fievre typhoide, sera une malade lorsque l'enfant sera gueri. Elle pourra peut-etre devenir, a son tour, une typhoidique; mais, meme si elle ne prend pas la fievre typhoide, sa sante sera ebranlee pour longtemps. De meme encore le fait d'avoir un enfant infirme, qu'on voit du matin au soir, empoisonne assez l'existence pour entrainer, quelquefois, la "maladie". Dans une famille bien unie, la nevrose de l'un des membres ebranle tellement le systeme nerveux des autres, que la necessite de la separation s'impose. La contagion de la nevrose n'est cependant pas une "contagion" au sens propre du mot; mais, en pratique, on est souvent appele a traiter le malade comme s'il etait contagieux, dans son propre interet et dans celui de son entourage. Le depart des etres qui nous sont chers est un autre facteur important de "maladie":--meme la separation momentanee, (femmes de marins ou de militaires partant en campagne),--sans compter que le chagrin de la separation se double, en ce cas, d'inquietude pour les dangers que va courir l'etre aime. On voit alors la "maladie" survenir au bout de quelque temps, revetir une forme quelconque, avec des manifestations variant a l'infini (insomnie, gastralgie, phobies, etc.), tous symptomes traduisant le malaise du systeme nerveux central, qui ne s'attenuera que quand la cause disparaitra. Et meme, une fois la cause disparue, il pourra persister encore des mois et des annees, parce que l'habitude morbide est prise, parce que le systeme nerveux a recu le choc. La cellule continuera a vibrer de travers, comme la surface d'un lac continue a etre agitee bien longtemps apres la chute de la pierre qui a trouble son repos. Quand la separation est definitive, le mal est plus profond encore, et l'expression de "vie brisee" est absolument juste. La perte d'un etre cher atteint la vie dans ses sources profondes, amoindrit, d'un seul coup, le capital biologique. Le malade trainera une existence plus ou moins lamentable, et plus ou moins prolongee; mais les moyens therapeutiques les plus actifs ne le gueriront pas. Seule une saine philosophie attenuera ses maux, et le medecin a surtout a lui offrir une bonne psychotherapie. Le temps, aussi, devient un remede avec lequel il faut compter; le role principal du medecin, dans les cas de ce genre, doit etre d'empecher l'organisme de s'effondrer, pour permettre au temps d'accomplir son oeuvre reparatrice. 4 deg. _Choc moral et choc traumatique_.--Une emotion violente, quelle qu'en soit la cause, peut egalement amener la "maladie" sous une forme quelconque, et parfois lui faire revetir immediatement, sans transition, les formes les plus graves. Je connais un officier tres distingue, et bien portant jusqu'alors, qui, etant a l'Ecole de guerre, fit une chute de cheval sur la tete. Apres deux jours de perte presque complete de connaissance, il recouvra successivement la parole, la memoire, le mouvement, les forces; mais il etait devenu un malade. Depuis douze ans, il traine une existence pitoyable. Ce ne sont pas seulement les fonctions cerebrales qui sont atteintes, chez lui; elles sont meme relativement respectees, il n'a que des vertiges, des bourdonnements de l'oreille gauche, des picotements dans les yeux, de la difficulte a lire et a causer. Au demeurant, son intelligence est restee intacte: mais toutes ses autres fonctions ont ete perturbees. Il a des nevralgies erratiques,--plusieurs medecins ont cru que c'etait un candidat a l'ataxie locomotrice,--et surtout il a les troubles digestifs les plus varies (gastralgie, pesanteurs, gaz, ainsi que de l'enterite membraneuse avec alternative de constipation opiniatre et d'une diarrhee qu'il est difficile d'arreter). Les forces sont tellement reduites qu'il peut a peine faire deux ou trois kilometres, bien qu'il ait conserve les muscles d'un homme vigoureux. Chez ce type de malade, atteint de ce qu'on appelle la "neurasthenie hystero-traumatique", ce sont les troubles digestifs qui sont au premier plan, bien que le choc ait porte sur la tete. De meme une frayeur, sans qu'il y ait eu de _trauma_ veritable de la boite cranienne, suffit pour amener le choc determinant la "maladie". J'ai vu a la Salpetriere, autrefois, une malade qui, des le debut du siege de Paris, devint folle pour avoir vu eclater un obus a ses pieds. On comprend donc qu'une serie d'emotions et de frayeurs arrive au meme resultat. De la l'enorme proportion d'alienes observee apres le siege de Paris; de la, la multiplicite des cas de psychonevrose, d'alienation mentale, signales dans l'armee russe pendant le cours de la guerre russo-japonaise. Jamais, depuis que les hommes s'entre-tuent, le systeme nerveux des belligerants n'avait ete soumis a d'aussi dures epreuves. Tous les facteurs morbides s'accumulaient, chez les Russes, pour produire le desarroi du systeme nerveux. Eloignement de la patrie, voyage prolonge en chemin de fer, alimentation insuffisante, manque de confiance dans les chefs, menace incessante de surprise, surmenage physique s'ajoutant au surmenage emotionnel; c'est plus qu'il n'en faut pour rendre malade le malheureux soldat ou officier russe, pour peu qu'il soit predispose par l'alcoolisme ou par l'heredite nerveuse. Mais que faire contre un semblable etat de choses? L'homme sense ne peut que deplorer l'inanite des efforts de tous les pacifistes. Ces "maladies", consecutives au fleau qu'on appelle la guerre, ne sont pas assez connues du monde extra-scientifique. On se figure volontiers que, quand la guerre a pris fin, tout est fini. Il n'en est rien; c'est pendant quinze et vingt ans que les nefastes effets d'une guerre se font sentir. Pendant vingt ans, nous avons eu a soigner des officiers qui avaient pris le germe de leurs "maladies" pendant la campagne de 1870, et surtout pendant la captivite. Dans un cadre plus restreint, nous voyons tous les jours l'influence du choc chirurgical sur la genese de la nevrose. On commence a connaitre les psycho-nevroses consecutives aux grandes operations: mais c'est un point sur lequel il convient d'attirer l'attention, pour moderer le zele chirurgical des operateurs. Ils doivent savoir que, quand l'operation est finie et bien finie, tout n'est pas termine, et que le patient, sorti gueri de leurs mains, est quelquefois "un malade" qui restera tel pendant plusieurs annees. Le choc traumatique produit par l'intervention chirurgicale suffit pour expliquer ces accidents tardifs. J'ai, pendant longtemps, donne des soins a une dame qui, d'une tres belle sante jusqu'a trente-huit ans, est devenue grande nerveuse, avec anorexie, amaigrissement, etc., immediatement apres une operation de tumeur benigne du sein. Depuis lors, elle est sans cesse preoccupee de la recidive possible d'une tumeur du sein, et sa vie est empoisonnee par des malaises de tout genre qu'elle n'avait pas avant l'operation. Il faut aussi savoir qu'une intervention chirurgicale, meme de moindre importance encore, d'importance ultra-minime, peut mettre le systeme nerveux dans un etat d'ebranlement durable: c'est quand elle occasionne une violente douleur. La douleur provoque une fuite nerveuse enorme. Ainsi je connais une jeune fille, de bonne sante anterieure, qui est devenue neurasthenique immediatement apres des operations sur les dents. Inutile de dire que, quand les interventions chirurgicales sont pratiquees sur des personnes dont le systeme nerveux est deja ebranle plus ou moins, elles deviennent une cause d'aggravation notable. La seule crainte de l'operation possible suffit pour provoquer une aggravation de la nevrose. Est-il un medecin qui n'ait pas vu accourir chez lui, forcant sa porte, une cliente, affolee parce qu'elle a constate sur elle, ou cru constater, une tumeur du sein? Et c'est bien autre chose encore quand le diagnostic est douteux, quand la malade va de chirurgien en chirurgien pour obtenir un avis ferme; jusqu'a ce qu'elle soit fixee sur son sort, elle est dans un etat d'anxiete que ne connaissent peut-etre pas assez les chirurgiens, et qui devrait leur dicter leur conduite non pas seulement au point de vue operatoire, mais au point de vue psychique. Personne plus que moi n'admire les chirurgiens. Leur sang-froid, leur maitrise d'eux-memes, leur habilete manuelle m'etonnent; les merveilleux resultats qu'ils obtiennent le plus souvent me font les considerer, au total, comme de vrais bienfaiteurs de l'humanite. Aussi ai-je l'espoir qu'ils ne m'en voudront pas si je me permets de faire remarquer que, a cote de beaucoup de bien, ils font un peu de mal, et un mal qu'ils pourraient ne pas faire s'ils connaissaient mieux les repercussions qu'ont, sur le systeme nerveux, leur intervention, et aussi les soins qu'ils donnent a leur malade apres l'operation. Je voudrais ne les voir intervenir qu'en cas d'absolue necessite, se defendre energiquement contre les operations qu'on pourrait appeler de complaisance:--comme celle qui a ete pratiquee, contre mon avis, sur une malade qui se croyait atteinte d'appendicite chronique, et qui n'etait que grande nerveuse. Cette malade avait deja appele, malgre moi, quatre chirurgiens qui n'avaient pas voulu operer; un cinquieme se decida a le faire, sans avoir de conviction absolue, au sujet de l'existence d'une appendicite, mais avec la persuasion que la malade, debarrassee de son obsession en meme temps que de son appendice, recouvrerait la sante. Or il n'en fut rien: l'appendice etait sain, et la malade, legerement amelioree pendant un mois, par le fait du repos au lit, du regime severe, de l'espoir qu'elle avait, et que je fus le premier a entretenir, vit bientot son etat devenir pire qu'avant l'intervention. Je demanderai aussi a nos confreres les chirurgiens de tenir le moins possible les malades en suspens pour savoir si l'on operera, et quel sera le jour de l'operation. Cette attente, cette perplexite, sont angoissantes au premier chef pour les personnes deja nerveuses. Et je leur demanderai, enfin, de ne pas, si possible, faire oeuvre medicale apres l'operation... Je sais bien que, dans certains cas, le chirurgien doit suralimenter et meme medicamenter son opere, au risque de lui fatiguer l'estomac, et de compromettre les resultats qu'une savante hygiene alimentaire avait difficilement obtenus, pendant les mois ou les annees qui ont precede l'intervention. La, il y a force majeure; et, dans un cas semblable, M. Campenon me disait qu'il savait bien faire de la mauvaise besogne, mais il se comparait aux pompiers que n'arrete pas la consideration de degats limites, quand il s'agit de sauver un immeuble. Mais, le plus souvent, l'opere guerirait sans intervention medicale et sans champagne, sans suralimentation, sans medicaments, sans morphine, sans purgatifs, sans lavements, et, au sortir de la maison d'operations, son systeme nerveux serait moins ebranle qu'il ne l'est. Il serait plus vite remis du choc traumatique inevitable, qui, a lui seul, est un important facteur de depreciation de la valeur biologique. Pourquoi, par exemple, ce besoin de donner de la morphine aux malades, et a des doses effrayantes? Je sais bien qu'en general ces doses invraisemblables,--de 1 a 2 centigrammes repetes deux fois par jour,--sont tolerees, pendant les premiers jours qui suivent l'operation, parce que l'opere a une telle sideration du systeme nerveux qu'il ne reagit pas au poison[8]. Mais combien, aussi, ont des vomissements et des symptomes d'intoxication grave? Et plus facheux encore est le resultat quand le malade se met a aimer l'odieux poison, et devient morphinomane,--ce qui arrive quelquefois. De grace, reservez donc la morphine pour les cas exceptionnels de souffrance, et n'en confiez pas l'administration a une garde, si bien intentionnee et si intelligente que vous la supposiez; vos malades n'en seront que plus vite gueris! [Note 8: J'ai traite plus longuement ce sujet dans le _Bulletin de la Societe Therapeutique_, novembre 1905.] Ou bien encore cette habitude de purger les malades, deux ou trois jours apres l'operation, de leur donner des lavements, alors qu'ils auraient tant besoin de repos! La constipation n'est-elle donc pas un symptome, une manifestation, presque inevitable, de l'ebranlement du systeme nerveux provoque par le choc operatoire? Laissez le systeme nerveux reprendre son equilibre, et la constipation disparaitra d'elle-meme, quand l'opere, sollicite par son appetit spontanement renaissant, recommencera a manger. Et ne croyez pas que ce soit la de la theorie, une simple vue de l'esprit d'un reveur qui n'a pas vu d'operes! La demonstration a ete faite pour moi, d'une facon decisive, comme dans une experience de laboratoire. Quand j'etais au Val-de-Grace, le professeur Delorme a bien voulu m'associer aux longues recherches qu'il a faites pour provoquer la constipation chez ses operes. Or, de tatonnements en tatonnements, il en etait arrive a constiper tous les hommes ayant a subir des operations dans les regions abdominales, inguinales et crurales; il evitait ainsi la souillure, et, par consequent, le renouvellement des pansements. Et ce n'etait pas une constipation de deux ou trois jours qu'il provoquait, mais bien de douze ou quinze jours. Chez un malade de mon service, opere par lui pour une cure radicale d'hemorroides, la constipation a ete entretenue pendant dix-huit jours. J'ai demande recemment a M. Delorme s'il etait toujours fidele a cette pratique; il m'a repondu affirmativement, et il a bien voulu dresser pour moi une statistique de laquelle il resulte que, depuis le jour ou il m'avait convie a assister a ses premiers essais, en 1889, il avait opere, apres constipation provoquee, tant au Val-de-Grace qu'a l'hopital de Vincennes, 1600 cures radicales de hernies, 50 cures radicales d'hemorroides, 500 varicoceles, 30 castrations, 500 operations variees de la sphere inguino-genito-perineo-fessiere, enfin qu'il avait constipe methodiquement 15 hommes atteints de fractures de la cuisse, pour que leurs appareils contentifs ne fussent pas souilles. C'est une partie de ces faits que M. Delorme a brillamment exposes a la Societe de Chirurgie, en 1892. Il y a presente une serie de 160 courbes thermiques, demontrant que la temperature n'a pas monte au-dessus de la normale, pendant toute la duree de la constipation, et que, meme, elle a souvent ete abaissee un peu au-dessous de la normale (90 fois sur ces 160 observations). Dans quatre cas seulement, elle a depasse la normale, mais c'etait par le fait de "maladies" accidentelles: intoxication iodoformee, rhumatisme aigu, congestion pulmonaire (deux fois). Chez 110 operes de cures radicales, il y eut parfois des coliques, mais sans la moindre importance. Elles disparaissaient apres l'emission spontanee de gaz. La langue, saburrale les premiers jours, reprenait bientot l'aspect normal; l'appetit etait conserve chez la majeure partie des constipes. Des le troisieme jour, on leur donnait a manger des potages, des oeufs, de la viande blanche, du vin, en evitant que les aliments capables de donner des dechets. Le sommeil restait bon, le caractere ne laissait voir aucune modification, la soif n'etait pas excessive, et les analyses d'urines, faites par le professeur Burcker, ont demontre que l'economie ne subissait, du fait de la constipation provoquee, aucune influence nefaste. La premiere selle etait, parfois, facile et spontanee; d'autres fois elle etait penible; c'est ainsi qu'un malade ne put aller a la garde-robe que le vingt-deuxieme jour. En vain avait-on essaye sur lui les purgatifs, les lavements, depuis quatre jours; ce n'est que quand on le fit marcher qu'il parvint a aller a la selle. Les selles suivantes etaient habituellement aisees, et les fonctions de l'intestin reprenaient leur regularite. "Ma communication, ajoutait M. Delorme, pourrait avoir plus qu'un interet clinique, etant donnee les theories qui ont cours sur l'importance et la frequence des intoxications intestinales. Mais je desire rester exclusivement sur le terrain de la pratique, et je conclurai en disant que, chez les hommes adultes et sains surpris par un traumatisme chirurgical qui doit guerir par premiere intention, la constipation, provoquee pendant huit a quinze jours, n'a pas les inconvenients qu'on lui attribue generalement." Je ne dirai pas par quels procedes M. Delorme est arrive a obtenir ces constipations prolongees, si peu nuisibles aux operes: car ce serait sortir de mon sujet; mais ce qui resulte de cette trop longue digression, c'est que la constipation de quelques jours, survenant d'elle-meme et presque fatalement chez les operes, quels qu'ils soient, ne doit pas preoccuper les chirurgiens, ni les entrainer a imposer a leurs operes des purgations qui, fatiguant leur systeme nerveux abdominal, ont forcement un retentissement sur leur systeme nerveux central, et contribuent a en faire des malades, alors qu'au debut ils n'etaient que des blesses, ou bien a aggraver leur "maladie", quand ils etaient deja des malades avant l'operation. Je n'ignore pas que, d'autre part, les accoucheurs affirment que la constipation est l'ennemi des femmes qui viennent d'accoucher. Je n'ose pas m'inscrire en faux contre cette opinion generale: mais peut-etre serait-elle, comme tant d'autres affirmations, passible d'un proces en revision. III.--CAUSES ACCIDENTELLES Nous venons d'enumerer les principales causes d'ordre psychique qui amenent la decheance, totale ou progressive, du capital vital de l'homme ou de la femme adultes. Ce sont elles qui, combinees ou non aux autres influences nefastes (surmenage cerebral, surmenage musculaire, alimentation defectueuse, etc.), provoquent le plus souvent la "maladie". Mais, d'autres fois, comme chez l'enfant du premier age, comme chez l'adolescent, la "maladie", chez l'adulte, est provoquee par une affection aigue qui le frappe en pleine sante: telle la fievre typhoide, qui, veritable intoxication, surprend l'adulte dans le cours d'un etat d'equilibre irreprochable, et qui, chose curieuse, parait etre d'autant plus grave que le sujet etait plus robuste. La fievre typhoide, dis-je, peut parfois provoquer la "maladie". Ainsi, je connais un homme de quarante-huit ans, qui a vu sa sante irremediablement ebranlee a la suite d'une fievre typhoide survenue a l'age de vingt ans. Mais le cas est rare; souvent, au contraire, on observe qu'une fievre typhoide, survenant chez un individu malingre, lui donne une sante, pour la suite, qu'il ne se connaissait pas jusqu'alors. Est-ce parce que, jusqu'alors, il surmenait son estomac, et que la diete imposee par la fievre typhoide a remis l'organe en etat? Est-ce parce que, jusqu'alors, il se soumettait a un exercice trop vigoureux pour ses forces, et que la fievre typhoide, en lui imposant le repos, a rectifie ses erreurs d'hygiene musculaire? Est-ce enfin parce que la fievre, en brulant ce que les anciens appelaient ses "humeurs peccantes", l'a debarrasse de ses produits d'auto-intoxication anterieurs a l'affection aigue? A vrai dire, nous ne pouvons rien affirmer, nous ne pouvons que constater le fait. Trop heureux serait celui qui pourrait connaitre les causes de tous les phenomenes de la vie! Quant aux autres affections accidentelles: rhumatismes, pneumonies, etc., dans quelle mesure creent-elles, de toutes pieces, la "maladie"? Nous pensons qu'elles ne la creent jamais, et qu'elles ne font que l'aggraver: car, toujours la "maladie" preexistait. Pour contracter un rhumatisme, une pneumonie, une angine, il faut deja que le systeme nerveux se trouve dans un etat d'inferiorite, soit definitif, soit momentane. La premiere condition pour ne pas prendre les "maladies", c'est de se bien porter. Mais il n'en est pas moins certain que l'affection accidentelle, en intervenant, imprime a la "maladie" un essor plus ou moins vigoureux, suivant l'importance de la cause pathogene accidentelle, et aussi suivant la valeur prealable du sujet. De toutes les affections accidentelles, celle qui est le plus remarquable, a cet egard, est la grippe. La decheance post grippale est tres frequente, et parfois d'une longueur invraisemblable. On met des annees, souvent, a se remettre d'une mauvaise grippe. Et cet ennemi est d'autant plus dangereux que, loin de creer l'immunite, il a une tendance a revenir a la charge; or, dans le cours de la "maladie", chaque atteinte de grippe fait faire un pas en arriere, et compromet les resultats peniblement acquis. La grippe est l'ennemie personnelle des sujets a capital defectueux, quelle que soit, bien entendu, la forme symptomatique de leur "maladie". C'est aussi dans la periode que nous etudions que se manifeste dangereusement la syphilis contractee a vingt ans, et insuffisamment soignee; elle se traduit, maintenant, par de l'anevrisme de l'aorte, des lesions du muscle cardiaque, de la nephrite dont personne ne soupconne la cause, des ictus cerebraux, et toutes les manifestations de la syphilis tertiaire. Elle cree de toutes pieces l'ataxie locomotrice et la paralysie generale, ou du moins elle predispose singulierement le terrain a l'apparition de ces cruelles "maladies", d'evolution fatalement progressive. On commence a connaitre ses mefaits, dans le monde des assurances, et a savoir que la syphilis n'est pas un brevet de longue vie! D'un travail statistique fait par le Dr Rungberg pour une Compagnie d'assurances, il resulte que l'age moyen de la mort des syphilitiques assures a cette Compagnie a ete de quarante-trois ans et quatre mois, et que, au point de vue des causes de mort, la syphilis vient immediatement apres la tuberculose. IV.--INFLUENCES MORBIGENES SPECIALES A LA FEMME Toutes les considerations que nous venons d'exposer peuvent s'appliquer egalement a l'un et a l'autre sexe: mais la femme a, en outre, le triste privilege de pouvoir etre frappee par des influences morbigenes qui n'atteignent pas le sexe masculin, et qui meritent d'etre etudiees a part. La menstruation joue, dans la vie de la femme, un role de premier ordre. Chez la femme tres bien portante, son influence est a peine perceptible, mais chez la femme deja malade son influence est des plus nettes; chez l'alienee, en particulier, on observe d'une facon constante, quelques jours avant les regles, une aggravation du delire; et, chez l'alienee qui semble guerie, on ne doit prononcer le mot de guerison que quand deux periodes menstruelles se sont passees sans accident. Nous disons a dessein _deux_ periodes: car si, chez les grandes nevrosees, les troubles menstruels sont mensuels, chez les malades moins atteintes ils nous ont semble souvent ne survenir que tous les deux mois[9]. [Note 9: Il y a de grandes nerveuses chez qui la menstruation s'accompagne toujours d'une fievre ardente, se prolongeant deux ou trois jours, et bien capable d'egarer le diagnostic.] Chez la grande neurasthenique qui a encore ses regles correctes, on peut affirmer que, douze jours avant l'apparition des regles, les miseres nerveuses, abdominales, etc., s'accentuent considerablement, au grand desespoir des familles qui, ayant espere la guerison, croient que tout est a refaire. Mais il n'en est rien: bientot tout rentre dans l'ordre, quelquefois meme pendant les regles, a partir du deuxieme jour, et, le plus souvent, immediatement apres la cessation de l'ecoulement. Les malades entrent alors dans ce qu'elles appellent leur "bonne semaine". Le medecin doit connaitre ce detail, et avertir les malades et leurs familles de la rechute, qui est inevitable tant que la "maladie" bat son plein. Quand les grandes malades n'ont plus leurs regles, ce qui est frequent, c'est d'un pronostic assez important; et la reapparition des menstrues apres deux, trois, ou six ans, comme j'en ai vu plusieurs cas, indique que la malade entre enfin dans la voie de l'amelioration, alors meme qu'elle continue a souffrir. L'influence de la grossesse est non moins evidente. Nous avons dit qu'elle etait quelquefois salutaire, parce que l'uterus developpe remplacait la sangle abdominale defectueuse; mais, une fois l'uterus revenu a son volume normal, la paroi abdominale se trouve encore un peu plus flasque qu'avant; et, quand les grossesses sont repetees, la ptose abdominale devient un des principaux elements de la "maladie". C'est alors qu'une ceinture bien faite, avec ou sans pelote a air suivant la forme du ventre, peut rendre a la malade d'inappreciables services. Mais, entendons-nous bien: la ptose n'est pas tout, chez les ptosiques. Car enfin, pourquoi les malades ont-elles de la ptose? C'est parce qu'elles etaient deja desequilibrees anterieurement, c'est parce que la sangle que forment les muscles du ventre n'avait pas la tonicite normale. Si on avait soigne la future ptosique en temps utile, alors qu'elle n'avait encore que des troubles vagues du systeme nerveux, de l'estomac, de l'intestin, elle ne serait pas devenue ptosique, elle n'aurait pas eu besoin de ceinture, elle aurait pu avoir des grossesses multiples sans avoir de ptose. De sorte que la ceinture, cet instrument si merveilleux, ne doit, a notre avis, etre considere que comme un moyen therapeutique d'attente. Ce qu'il faut, c'est regenerer la malade et lui permettre de se passer de ceinture. On y parvient, sauf quand la decheance est trop avancee, par une bonne hygiene generale, s'adaptant aux indications fournies par chaque individu. Chez les unes, la ptose guerira par l'exercice, chez les autres par le repos, chez les unes par une saison a Vichy, chez les autres par un regime restreint, chez toutes par la reconstitution du systeme nerveux, qui toujours laisse a desirer. La ceinture abdominale, pour en revenir a elle, ne sera employee que le moins de temps possible. Chez les femmes non surmenees musculairement, on se trouvera bien de tonifier la sangle abdominale naturelle, soit par les exercices de plancher de la gymnastique suedoise, soit par la pratique du chant, intelligemment comprise, telle que l'enseignent les Italiens. Nul doute que, en utilisant la pression abdominale pour la pulsion de l'air, on ne fasse a la fois de la bonne therapeutique abdominale et de l'excellent travail au point de vue du chant. Tous les chanteurs et meme toutes les chanteuses dignes de ce nom ont une force extraordinaire des muscles droits anterieurs; en se contractant, ils repoussent la main qui les comprime[10]. [Note 10: Il serait interessant d'inventer un dynamometre special pour mesurer la force de ces muscles chez tous les malades. Ce dynamometre donnerait des indications tres interessantes sur la valeur biologique, car on peut dire que, tant vaut la pression abdominale, tant vaut l'individu.] On voit combien nous sommes eloignes de l'opinion qui attribue a la ptose abdominale toutes les miseres des dyspeptiques, des neurastheniques, des malades qui souffrent de l'intestin, etc. Une femme a de la ptose et mille miseres variees: une ceinture fait disparaitre presque toutes ces miseres, c'est donc, conclut-on que la ptose etait l'unique cause? Mais non; c'est toujours la theorie du moindre effort appliquee au raisonnement humain. La verite est que la ptose est symptomatique, que la ceinture ne guerit pas la malade, ne fait que la soulager d'une partie de ses miseres, et qu'il faut deja etre malade pour devenir ptosique,--en dehors, bien entendu, des cas ou la contention abdominale insuffisante serait due a une eventration. La ptose peut d'ailleurs n'etre que passagere. Il existe meme des ptoses qu'on pourrait appeler aigues, si l'on nous permettait cette expression. Nous voulons parler de celles qui surviennent brusquement, dans le cours d'une bonne sante, a la suite d'un coup de froid, d'une emotion violente, d'une indigestion, d'un empoisonnement, d'une purgation. D'un jour a l'autre, on voit le ventre s'effondrer, se vider, perdre son elasticite, sa souplesse, donner la sensation d'un amas pateux, d'un chiffon mouille: et l'exploration ne permet plus alors de noter ni le caecum, ni le colon. On percoit, dans la fosse iliaque, un gargouillement dont l'on enseigne a tort qu'il appartient en propre a la fievre typhoide: on ne le rencontre dans la fievre typhoide que parce qu'on l'y cherche. Cet effondrement abdominal s'observe en outre, dans presque toutes les "maladies" aigues. Il est toujours l'indice d'une sideration du systeme nerveux abdominal; et, comme le systeme nerveux abdominal n'est pas sans avoir des relations intimes avec le systeme nerveux central, l'effondrement en question est toujours l'indice d'un etat de "maladie" assez grave. Mais il peut n'etre que passager, durer quinze jours, trois semaines; d'autres fois, il dure deux a trois mois, dans certains etats subaigus; puis, peu a peu, on voit le ventre se ressaisir, reprendre sa forme, son elasticite, renaitre: c'est le commencement de la guerison. En meme temps que le ventre s'effondre et que survient la ptose aigue, la sonorite abdominale subit des modifications extremement interessantes. Le son devient uniforme, tandis que, a l'etat normal, ou des que le ventre se ressaisit, la percussion donne des notes differentes dans les deux fosses iliaques et sur la ligne mediane. Le plus souvent, c'est l'octave qu'on observe entre le cote droit et le gauche (octave superieure au cote droit).[11] [Note 11: Cette exploration abdominale par la vue, le toucher, et la percussion, donne les renseignements les plus precieux sur la valeur digestive de chacun, et des indications tres nettes sur le regime alimentaire qu'il convient d'imposer: regime qui doit varier, evidemment, d'un jour a l'autre, comme varient l'aspect du ventre et les sensations que donnent la palpation et la percussion. Ce sera la gloire du Dr Sigaud d'avoir su lire dans l'abdomen, et d'avoir essaye d'apprendre cette lecture a ses contemporains. Mais, il ne faut pas se le dissimuler, l'exploration abdominale est chose tres difficile; je la pratique depuis dix ans que j'ai la bonne fortune d'etre en relations scientifiques avec le Dr Sigaud, et je vois mieux, de jour en jour, la difficulte de cette etude, en meme temps que j'en apprecie mieux toute l'importance. Laissons d'ailleurs la parole a MM. Sigaud et Vincent, qui resument ainsi les donnees de l'exploration abdominale: "Nous ne saurions trop affirmer que l'exploration methodique de l'appareil digestif est, pour le biologiste, une source de faits inepuisable. Quelle variete de renseignements, quelle precision dans l'observation, ne devons-nous pas attendre d'un procede a la perfection duquel nous voyons concourir les donnees fournies, presque simultanement, par l'ouie, la vue, le toucher? Ajouterons-nous que, en raison de la nature speciale cavitaire de son tissu, le tube digestif se modifie dans sa forme, dans sa densite, dans sa consistance, sous les influences les plus legeres et les plus fugitives? Alors que, chez un malade, nous ne trouvons aucune modification du cote des appareils circulatoire, pulmonaire, nerveux ou renal, nous constatons toujours des signes positifs du cote de la sphere gastro-intestinale. Les oscillations vitales que les autres appareils organiques sont impuissants a objectiver, le tube digestif les enregistre avec une fidelite remarquable et une variete de nuances que l'on n'a point soupconnee jusqu'ici. Et toutes les modifications de forme et de volume, d'elasticite et de resistance du tissu abdominal, toutes les variations de sonorite des membranes digestives, ne sauraient etre considerees comme des faits de valeur mediocre inutilisable. Elles portent en elles-memes un double enseignement: elles traduisent, d'une part, les diverses modalites fonctionnelles du tube digestif, d'autre part, en vertu d'une loi sur laquelle nous allons revenir, l'orientation generale des reactions de l'organisme correspond a ces modalites digestives." (_Memoire_ lu a la Societe de Medecine de Gand, 4 avril 1905.) Les interessantes etudes de MM. Sigaud et Vincent auraient encore a etre completees par l'etude de l'auscultation abdominale; c'est la un chapitre de semeiologie qui est tout entier a faire, et que je ne puis qu'indiquer aux travailleurs de l'avenir. Munis d'un bon stethoscope, ils trouveront dans l'auscultation abdominale des renseignements d'une valeur insoupconnee jusqu'a ce jour.] Pour en revenir aux ptosiques, une bonne sangle leur rend un service momentane qui n'est pas a dedaigner. Elle les soulage: mais ce qui les guerit, quand il leur reste encore assez d'energie vitale, c'est un regime approprie, et du repos ou un exercice gradue, suivant les cas. Le regime devra etre celui qui donne le moins a travailler a l'estomac et a l'intestin sideres; il devra donc etre liquide ou semi-liquide. Les prises alimentaires devront etre frequentes,--tres frequentes, dans l'etat aigu. Quant au repos, il s'impose; les malades, d'ailleurs, en eprouvent le besoin, et c'est dans ce cas qu'on peut dire que le lit est le meilleur des agents therapeutiques. Quand le ventre commence a se ressaisir, le regime devra etre plus substantiel: potages epais, purees legeres prises toutes les trois heures en moyenne. Puis, quand il a fait un nouveau progres, alimentation plus dense et moins frequente (six repas en vingt-quatre heures, dont un dans le courant de la nuit: purees epaisses, macaroni, riz, poisson, oeufs). Quand il est redevenu presque normal, quatre repas par jour, assez copieux, presque egaux, dont un avec viande non saignante. Enfin, quand l'orage est passe, quand le ventre a retrouve sa souplesse, son elasticite et sa tension, alors seulement il faut arriver aux trois repas: celui du matin, qui doit etre assez copieux (cafe noir, oeuf ou viande froide); celui de midi, compose en general de trois articles: 1 deg. macaroni, ou puree, ou pommes de terre en robe de chambre; 2 deg. viande non saignante; 3 deg. fromage, peu de pain, pas encore de vin, un verre de liquide a la fin du repas; enfin le repas du soir, plus leger, comprenant aussi trois articles: 1 deg. potage epais; 2 deg. oeufs ou poisson; 3 deg. fruits cuits. Telles sont les grandes lignes de la dietetique des etats aigus ou subaigus. En meme temps, avons-nous dit, le repos s'impose: dans l'etat aigu un repos absolu au lit; plus tard, deux heures de lever sur une chaise longue, entre les repas. Il faut faire longtemps manger les malades au lit; puis, jusqu'a guerison complete, repos horizontal apres les repas; et toujours beaucoup de sommeil, meme diurne, le sommeil diurne etant le meilleur agent provocateur du sommeil nocturne, a l'inverse de ce que l'on croit ordinairement. On comprend combien, dans cet etat d'equilibre instable, une violente perturbation, produite soit par une purgation, soit par un vomitif, soit par une alimentation trop hative, peut etre defavorable au malade. CHAPITRE IV PSYCHOTHERAPIE Nous avons, maintenant, suffisamment indique, les causes diverses qui produisent la "maladie". Mais cette etude meme n'a fait encore que mieux nous montrer le role preponderant que joue, dans l'origine comme dans l'evolution de la "maladie", l'ebranlement du systeme nerveux. Et de la resulte l'importance, egalement preponderante, d'une medication destinee a remonter le systeme nerveux: medication dont un des elements essentiels est cette "psychotherapie" qui, depuis quelque temps, a commence a preoccuper vivement le monde medical, sans qu'on soit encore parvenu a en fixer exactement le domaine et l'application. A en croire un certain nombre de nos confreres, francais et surtout etrangers, le psychotherapie serait simplement destinee a remplacer toute therapeutique. L'imagination, d'apres ces savants, jouerait dans la production et le developpement des "maladies" un role si enorme, qu'il suffirait de decouvrir, dans chaque cas, le moyen de persuader aux malades qu'ils se portent bien, pour leur rendre aussitot la sante. La psychotherapie consisterait donc a etudier, a ce point de vue, l'etat d'esprit de chaque malade, de facon a pouvoir suffisamment s'emparer de sa confiance pour lui ordonner de se croire gueri. Mais les plus recents defenseurs de cette doctrine avouent eux-memes que les moyens de persuasion sont, jusqu'ici, tres difficiles a trouver; et je dois dire, quant a moi, qu'une conception aussi simpliste de la therapeutique me parait, jusqu'a nouvel ordre, quelque peu fantaisiste. Oui certes, la preoccupation de l'etat d'esprit des malades, et de ce qu'on pourrait appeler la cure morale, doit tenir plus de place qu'elle n'en tenait, hier encore, dans la medecine officielle. Mais j'estime que la psychotherapie peut faire mieux que d'imposer aux malades l'illusion,--toujours bien breve et bien fragile,--de se bien porter: elle peut devenir un des agents les plus actifs et les plus precieux de la guerison. Etant donnee l'idee que nous nous faisons de l'origine nerveuse de la "maladie", voici, a notre avis, la meilleure definition de la psychotherapie: "C'est l'ensemble des moyens d'ordre psychique par lesquels on ameliore ou on reconstitue le capital nerveux." Son action s'etend: 1 deg. a toutes les deviations mentales; 2 deg. a un grand nombre de troubles somatiques, tels que la constipation, l'insomnie, l'anorexie, etc., l'incontinence d'urine, etc. Quant a ses moyens d'action, ils peuvent, pour la facilite de l'etude, etre divises en deux grandes categories: 1 deg. Moyens par lesquels on diminue les depenses; 2 deg. Moyens par lesquels on augmente les recettes. I MOYENS PAR LESQUELS ON DIMINUE LES DEPENSES Il est une foule de malades qui gaspillent leur influx nerveux sans le savoir; il faut leur apprendre a l'economiser, leur demontrer combien est fatigante, pour le systeme nerveux, l'hesitation perpetuelle, leur enseigner l'utilite qu'il y a a savoir prendre un parti dans les moindres circonstances de la vie. Il vaut mieux prendre un parti mediocre immediat qu'un parti plus sage apres hesitation. Or, pour savoir vite prendre parti et s'epargner la peine de remettre en discussion tous les motifs et mobiles qui doivent determiner l'acte a accomplir, il y a un procede tres recommandable, qui consiste simplement a adopter des principes, et a se dire: "Dans telle circonstance, je ferai ceci, dans telle autre je ferai cela"; et puis, une fois le principe adopte, a y rester fidele,--sans cependant en devenir esclave. Car il ne faut pas que l'entetement remplace l'hesitation, que l'ocean devienne terre ferme. Un petit moyen pratique a recommander aux hesitants, c'est de fixer, sur un agenda, tout ce qu'ils doivent faire dans la journee et les jours suivants, puis, une fois la chose ecrite, d'executer ponctuellement ce qui aura ete arrete. La volonte parvient ainsi, peu a peu, a se discipliner, en meme temps qu'on s'evite des pertes considerables d'influx nerveux. D'une facon generale, il faut inspirer aux malades le respect du temps, leur faire comprendre que le temps, c'est l'etoffe dont la vie est faite, et qu'il n'est pas permis d'en gaspiller une parcelle: que c'est par le respect du temps qu'on trouve le moyen de faire une foule de choses utiles avec un minimum de depense. S'ils parviennent a comprendre cette verite, ils trouveront eux-memes, peu a peu, un _modus vivendi_, qui, sans qu'ils s'en doutent, leur fera faire des economies de depense nerveuse. Recommander aux malades de prendre des habitudes _d'ordre_, de tout regler dans leur vie,--les heures du lever, du coucher, des repas, etc.,--de donner a chaque chose, a chaque preoccupation, la place et l'importance qui lui conviennent, est encore un moyen de leur epargner les depenses nerveuses inutiles, et de faire de l'excellente psychotherapie. Appliquons ces idees generales a un cas particulier. Voici une jeune fille atteinte de ce qu'on appelle la "folie du doute"; des son lever, elle ne saura quelle robe mettre, elle en essaiera trois ou quatre, et finira par reprendre la premiere; elle passera deux heures a faire sa toilette, ne sachant si elle doit commencer par se coiffer ou par se laver les mains; et toute sa journee se passera ainsi dans un etat vague d'anxiete. Le soir, la situation est plus penible encore: la malade ne parvient pas a se coucher, elle met deux heures pour se deshabiller, s'interrompant a tout instant pour confier a un petit cahier une foule d'idees qui ont torture son cerveau et qui n'ont pas pu prendre corps. On dirait qu'elle cherche a les fixer en les ecrivant. J'ai chez moi plusieurs collections de petits registres qui sont tous inspires par ce meme esprit. Or, cette agitation sterile, continue, occasionne une depense cerebrale enorme. Si l'on veut bien etudier une malade de ce genre, on verra qu'elle n'est pas malade que de la tete, mais que tout est malade chez elle. Elle digere mal, elle est amaigrie, elle a des urines rares et chargees alternant avec des urines claires et abondantes. Elle est mal reglee, etc. Il lui faut donc, avant tout, un traitement general; dont nous indiquerons plus tard les grandes lignes, mais il lui faut aussi un traitement psychotherapique.--Et lequel? La premiere chose est de lui dire combien cette maniere de faire est ridicule: cela, on n'aura pas de peine a le lui faire admettre, elle le sait tres bien; le preuve, c'est qu'elle cache son infirmite avec le plus grand soin a tout son entourage. Puis il faut lui expliquer comment cette depense nerveuse, si sterile, la fatigue, et entretient ou cause sa "maladie" physique. Enfin, d'accord avec elle, il faut lui tracer un plan de vie tel qu'au lieu de gaspiller ses forces elle les concentre, pour les diriger dans un sens determine. A l'une, on fera apprendre une langue etrangere, a l'autre on proposera une autre occupation, non moins precise. Le medecin s'inspirera d'une foule de considerations d'ordre secondaire; l'essentiel est qu'il atteigne son but, qui est de discipliner la volonte et d'eviter a la malade les pertes nerveuses, par une bonne orientation de son activite. Nous avons pris la, a dessein, un cas des plus difficiles a guerir: et cependant nous affirmons que la guerison y est possible, quand, a la psychotherapie, on joint un traitement somatique convenable et suffisamment prolonge. Dans la manie aigue, ou certaines phases de la paralysie generale, dans tous les cas de delire aigu occasionnes par les "maladies" infectieuses, l'influx nerveux subit des depenses colossales; les fuites se font de toutes parts. La pensee est si rapide, chez le maniaque, que l'alieniste experimente ne parvient pas a la suivre. Les associations d'idees se font avec une telle rapidite que le malade n'a pas le temps de les exprimer, et, quelle que soit sa volubilite, sa langue n'a pas un debit egal a celui de son cerveau. La psychotherapie peut-elle etre utile a des malades de ce genre? Oui, mais, a vrai dire, son role est alors negatif; il faut savoir ce qu'il ne faut pas faire; il faut ne pas s'acharner a discuter avec le malade, a rectifier ses appreciations; il faut, en un mot, laisser passer l'orage, et se borner a eviter au malade toute cause d'excitation prochaine ou eloignee. Il faut se rappeler, surtout, qu'une fois l'orage passe, on aura longtemps encore a user d'extremes precautions, et a menager le cerveau fragile. Lorsque la fuite nerveuse, au lieu d'etre disseminee, est limitee a un point fixe, la psychotherapie intervient d'une facon plus active. Voici un homme en proie a une obsession: une idee a envahi son cerveau, il y pense nuit et jour, en perd le boire et le manger. Toutes ses pensees ont pour pivot l'idee maitresse, il en parle a tous ceux qu'il estime pouvoir le comprendre, il demande conseil, s'agite en vain, et, ne trouvant pas de solution, il s'epuise. Faut-il, dans ce cas, essayer de boucher la fuite, dire au malade qu'il ne doit pas penser a ce qui le preoccupe? Mais c'est lui demander l'impossible, et le torturer inutilement. Il faut, au moins une fois, lui laisser exposer, avec les plus amples details, les causes de sa souffrance morale; mais, ceci fait, pour acquerir sa confiance, il ne faut presque plus lui permettre d'en parler, et, en echange, il faut lui trouver des derivatifs. De meme que, dans une hemorragie pulmonaire, le medecin bien avise fait une saignee generale, qui arrete l'hemorragie, de meme le psychotherapeute ne doit, pour ainsi dire, pas lutter contre l'idee obsedante, mais faire naitre des courants d'idees derivatifs; en d'autres termes, remplacer une idee morbide par une serie d'idees saines. C'est la psychotherapie _derivative_. Un autre moyen d'economiser les fuites nerveuses, moyen a employer dans les cas exceptionnels, c'est de conseiller au malade l'acceptation du fait acquis, en d'autres termes la resignation; c'est la psychotherapie _sedative_. Que le malade accepte le fait accompli, qu'il cesse de se cabrer contre les circonstances qui ont produit ou qui entretiennent la "maladie", de se nourrir de son chagrin, de se rememorer les causes morales qui l'ont amene; et il s'evitera une fatigue nerveuse enorme. Cette passivite produira sur lui l'effet sedatif d'une sorte de sommeil de la cellule nerveuse. Quand la resignation, au lieu d'etre pour ainsi dire passive, est un acte volontaire en vertu duquel le patient accepte, en toute liberte, sans restrictions, sans protestations, ses miseres, pour les offrir dans une intention quelconque, elle devient tout le contraire de la passivite, et deja elle rentre dans la deuxieme categorie des moyens psychotherapiques. L'etude de cette resignation active va donc nous servir de transition toute naturelle. La resignation ainsi comprise est un acte. Repeter plusieurs fois par jour qu'on se resigne, c'est faire, plusieurs fois par jour, acte de volonte; et encourager le malade a accomplir cet acte de volonte, c'est faire de l'excellente psychotherapie _reconstituante_. Malheureusement, cette resignation active est a la portee de peu d'inities. Elle suppose toute une doctrine philosophique: la doctrine de la solidarite humaine, de la reversibilite des merites et des souffrances, en un mot la doctrine du renoncement; et peu de malades la connaissent. Aussi est-ce a titre exceptionnel que les ressources de la resignation active peuvent etre employees. Mais, dira-t-on, quel peut etre le role du medecin en face d'un malade qui va jusqu'a voir dans la souffrance un bienfait? On croirait, _a priori_, que le medecin n'a qu'a disparaitre; en fait, il n'en est rien. Le medecin doit rester a son poste; et tout en encourageant le malade dans cette voie, en fortifiant sa volonte, il doit l'exhorter a ne pas negliger les moyens therapeutiques que reclame son etat. Car enfin le resigne actif ne commet pas une erreur de logique en desirant guerir et en acceptant les soins medicaux. S'il fait bien de se resigner a la souffrance lorsque celle-ci est inevitable, il est tenu, au contraire, de se resigner aussi a ce que veut pour lui la nature, c'est-a-dire a ne rien omettre pour reconquerir, avec la sante, la possibilite d'une vie plus active et plus utile. Ajoutons d'ailleurs que, en fait, le resigne actif est d'ordinaire le plus obeissant, le plus stable des malades, le plus reconnaissant pour les soins medicaux qui lui sont donnes; c'est le malade de choix. II MOYENS PAR LESQUELS ON AUGMENTE LES RECETTES La deuxieme categorie des moyens psychotherapiques comprend, comme nous l'avons dit, ceux qui ont pour but d'ameliorer la part subsistante du capital nerveux. On peut parvenir a ce resultat de deux facons: 1 deg. En dynamisant ce qui reste du capital nerveux par une savante gymnastique de la volonte. (L'homme ne vaut que par sa volonte: donc discipliner, fortifier, renforcer sa volonte, c'est lui rendre le plus grand des services.) 2 deg. En insufflant, pour ainsi dire, au malade un fluide nerveux etranger. Dans le premier cas, on fait appel au libre arbitre du malade. Celui-ci devient le collaborateur du medecin, dont le role se borne a indiquer les procedes de gymnastique de la volonte et a surveiller l'application. Dans le deuxieme cas, une volonte etrangere vient en aide a la volonte defaillante, ou insuffisante, du patient. 1 deg. _Gymnastique de la volonte_.--Il y a des procedes d'education de la volonte,--cette faculte, comme la memoire, comme l'attention, etant susceptible d'etre amelioree par une bonne gymnastique. Le principe general, dans cette education, c'est de proceder lentement, de ne pas demander au malade un effort qu'il serait incapable de fournir, mais de lui demander, au debut, un tout petit effort, qui sera augmente tous les jours. Ainsi nous invitons nos malades a faire trois fois, tous les matins, trois mouvements determines des bras, puis six, puis douze, puis d'en faire autant avec les membres inferieurs. En ordonnant ces exercices, nous comptons bien moins sur l'action utile de la gymnastique musculaire elle-meme que sur l'effort de volonte que nous obtenons du malade, avec son libre consentement. Dans le meme esprit, nous envoyons certains de nos malades faire une gymnastique speciale, tous les jours, par tous les temps, a l'extremite de Paris, aussitot qu'ils peuvent supporter la fatigue d'un deplacement quotidien. La, nous leur faisons faire la course en flexion, exercice musculaire excellent, qui, bien gradue d'apres des regles precises, regularise la circulation du sang, les battements du coeur, augmente la vigueur de tous les muscles, en particulier des muscles inspirateurs, et favorise, par consequent, l'acte respiratoire. Grace a cette gymnastique, on arrive, au bout d'un mois, a faire courir pendant vingt minutes des malades qui ne marchaient pas, ou qui ne croyaient pas pouvoir marcher[12]. [Note 12: Ajoutons que cette course ne provoque jamais d'essoufflement le principe de la methode etant, avant tout, d'eviter l'essoufflement par une progression sage et bien reglee dans la longueur et la rapidite du pas. La methode dont nous parlons a ete instituee par notre regrette ami, le commandant de Raoul, qui avait fait des etudes tres serieuses, theoriques au laboratoire de Marey et pratiques pendant toute la duree de sa carriere militaire. Ce n'est pas le lieu de parler avec detail de cette methode d'entrainement; disons seulement qu'on ne se fait pas une idee, dans le monde des gymnasiarques, de la lenteur dans la progression a imposer au coureur. Ainsi la vitesse du pas gymnastique de l'armee ne doit etre atteinte, chez l'homme meme bien portant, qu'apres quinze minutes de course progressivement plus rapide. C'est comme cela que l'on arrive a obtenir le rendement maximum, et que le pas gymnastique peut etre prolonge tres longtemps sans fatigue. De meme, avant d'arriver a la vitesse de six kilometres a l'heure, c'est-a-dire au pas d'un homme qui marche vite, il faut cinq minutes de course en progression. Si, a cette prudence dans la progression, on joint le soin de faire respirer le malade en temps utile, et de lui apprendre a respirer, on lui evite l'essoufflement. Mais si le coureur n'est pas essouffle, par contre il est envahi, au bout de vingt a trente minutes, d'une transpiration enorme, telle que la course en flexion a pour complement indispensable, soit une friction seche avec changement de linge, soit, mieux encore, une douche tiede. Cette necessite de la douche finale limite beaucoup l'emploi de la course en flexion, et, par parenthese, l'interdit a l'armee, pour laquelle, dans l'esprit du commandant de Raoul, elle semblait surtout indiquee. Nos malades, au contraire, trouvent toute facilite pour prendre la douche terminale, puisque la course a lieu dans le jardin attenant a la maison d'hydrotherapie d'Auteuil, qui est gracieusement mis a notre disposition par le Dr Oberthur, directeur de l'etablissement. Nul doute que cet exercice musculaire tres gradue, sous la direction de moniteurs competents, que l'exercice pris au grand air, dans la matinee, ne soient des facteurs importants dans l'excellent resultat total que j'obtiens de ce que j'ai appele la _dromotherapie_; mais j'estime qu'une grande part du resultat utile revient a cette gymnastique de la volonte que le malade fait, pour ainsi dire, sans s'en douter. Il assiste tous les jours a ses progres, il eprouve un vague sentiment de contentement a la pensee qu'il a vaincu, tous les jours, une difficulte nouvelle. Dut-on m'accuser de paradoxe, je dirai que, en imposant a un malade la course en flexion, fait-on surtout de la psychotherapie: psychotherapie par exercice de la volonte, et aussi psychotherapie derivative, puisqu'on les distrait en leur procurant un exercice qui devient vraiment une recreation, apres les trois ou quatre premiers jours.] Le Dr Lagrange a tres justement insiste sur l'utilite de l'attrait dans l'exercice physique. Or cet attrait manque absolument dans l'exercice de la _gymnastique respiratoire_. Cet exercice est souverainement ennuyeux, et c'est chose rare que nos malades les plus obeissants le continuent regulierement plus de deux mois; mais c'est precisement pourquoi il est, pour le psychotherapeute, un agent de premier ordre, puisqu'il exige un effort enorme de volonte. Aussi, a ce titre meme, ne saurions-nous trop le recommander. En outre, il produit les effets les plus favorables sur la circulation et la nutrition; c'est le seul moyen que je connaisse de faire disparaitre ces rougeurs emotives, si desagreables a certains neurastheniques des deux sexes, et qui ne s'observent pas seulement chez les timides, car les personnes hardies et decidees leur payent aussi leur tribut. Quand cette infirmite arrive a provoquer l'obsession de la rougeur, la peur de rougir rend la vie sociale insupportable, et merite l'attention du clinicien, d'ailleurs desarme s'il n'emploie que les moyens classiques. Or, si l'on etudie de pres ce symptome, on voit qu'il s'accompagne, presque toujours, d'une perturbation respiratoire, et quelquefois de sensations precordiales; et c'est, sans doute, parce que l'exercice en question regularise la respiration, qu'il est le meilleur traitement de la rougeur emotive. En tout cas, le fait est certain, je l'ai plusieurs fois observe. Mais comme ces exercices sont, je le repete, extremement desagreables, il faut savoir les graduer de facon a ce que le patient ait au moins le plaisir d'assister a ses propres progres. On arrive ainsi, peu a peu, a faire faire au malade des mouvements de respiration profonde pendant dix minutes, matin et soir. On ne saurait croire l'effet utile, a divers titres, de cette gymnastique methodique, telle que les Suedois l'enseignent, c'est-a-dire faite d'apres les vrais principes de la physiologie; tandis que, quand elle est enseignee, ce qui arrive trop souvent, par des instructeurs mal instruits, elle trouble les phenomenes de la circulation, et peut meme amener du vertige et de la syncope. C'est donc un moyen puissant, mais qu'il faut savoir manier, comme toutes les autres armes de la therapeutique. Il existe, dans tous les Instituts Zander, un appareil qui fait faire automatiquement d'excellente gymnastique respiratoire. Aux malades qui n'ont pas l'energie de la faire simplement dans leur chambre sans le moindre appareil, nous conseillerons les instituts mecanotherapiques. On peut exercer la volonte du malade, et, par consequent, la fortifier, par mille autres moyens, qui seront inspires par les diverses conditions de milieu, d'aptitudes, etc. Mais, autant que possible, il faut faire faire au malade un travail utile, et dont il puisse facilement mesurer les progres, et surtout un travail qui ne demande pas une depense, soit cerebrale ou musculaire, excessive: car alors on perdrait d'un cote ce qu'on gagne d'un autre. Il faut, enfin, se rappeler que le role du psychotherapeute doit prendre fin a un moment donne, quand le malade a reconquis une puissance suffisante pour pouvoir voler de ses propres ailes. On doit alors l'abandonner a lui-meme, mais non pas brusquement: il faut, si l'on nous permet cette comparaison, que le medecin imite le professeur de bicyclette, qui soutient pendant un certain temps son eleve, puis l'abandonne momentanement, sans qu'il s'en doute; l'eleve confiant continue a pedaler, se croyant soutenu, jusqu'au moment ou il est assez sur de lui-meme pour aller tout seul. Si le professeur le soutenait indefiniment, l'eleve ne ferait pas de progres. 2 deg. _Moyens d'augmenter artificiellement le capital nerveux insuffisant_.--Dans les cas ou la volonte est tellement defaillante que l'on ne saurait faire aucun fonds sur elle, le medecin peut essayer de fournir a son malade un apport etranger d'influx nerveux: il y arrive par le procede de l'hypnose. Rien ne m'otera la conviction que, dans l'hypnose, il y a une "influence" de l'hypnotiseur sur son sujet, "influence" etant compris dans son sens etymologique (_fluere_, couler). L'hypnotiseur envoie de l'influx nerveux, il donne quelque chose de lui-meme; il a une action personnelle; et les medecins qui pretendent le contraire, qui disent que les passes peuvent etre remplacees par le braidisme, par la fixation d'un objet brillant, immobile comme une boule ou mobile comme un miroir a alouettes, ne me paraissent pas etre dans la verite. L'hypnotisme peut rendre de grands services dans les cas les plus varies; non seulement il peut rectifier des idees erronees, faire disparaitre les mauvaises habitudes, les crises nerveuses, etc.: il agit encore pour ramener chez le malade la quietude de l'esprit, la confiance en soi-meme. Il modifie aussi les fonctions organiques. Rien n'est, en effet, plus facile, chez un sujet hypnotisable, et qui est bien en main, que de faire disparaitre des troubles dyspeptiques, nevralgiques, d'arreter des vomissements, des metrorragies, de faire revenir les regles, le sommeil naturel, de regulariser les selles, etc. Le malheur est que tous les sujets ne sont pas susceptibles de subir l'influence hypnotique, et que, precisement, ceux qui en auraient le plus besoin se trouvent etre refractaires; ainsi les alienes, les hallucines, les grandes hysteriques, les malades atteints de delire systematise, ne sont presque jamais hypnotisables. L'hypnose est d'autant plus difficile a obtenir qu'elle serait plus utile. Ainsi, chez les alienes, nous avons vu notre excellent maitre le Dr A. Voisin s'acharner pendant des heures entieres sans obtenir le moindre effet; mais aussi quel triomphe quand, d'aventure, il reussissait! Nous connaissons pour notre part de grands nerveux qui, tres desireux de pouvoir etre endormis, sont alles, sur notre conseil, consulter tels ou tels confreres renommes pour leur habilete ou leur connaissance speciale de l'hypnotisme, et toujours avec un insucces complet. C'est la une premiere raison qui restreint grandement l'emploi de l'hypnose. Une deuxieme raison qui doit le limiter, c'est que, quand on emploie l'hypnotisme, on risque de se discrediter, dans l'esprit du malade, si on ne reussit pas du premier coup, et alors on le prive du secours qu'on aurait pu lui donner si on n'avait pas, par une fausse manoeuvre, perdu irremediablement sa confiance. Mais il existe des procedes permettant de savoir si oui ou non le malade est hypnotisable, de facon qu'on puisse ne marcher qu'a coup sur, et laisser de cote, sans en avoir l'air, les sujets non facilement hypnotisables. Un autre motif encore restreint l'emploi de l'hypnose: c'est que celle-ci, quand elle reussit, risque de devenir un moyen therapeutique trop actif. Meme avec la plus grande prudence, on ne parvient pas toujours a en graduer les effets, et le medecin s'empare souvent par trop de l'esprit du malade, au point que ce dernier ne peut plus rien faire sans son conseil. J'ai connu un ingenieur des chemins de fer, renomme pour sa severite a l'egard des inferieurs, et nevropathe de grande marque. Son medecin crut bien faire en le traitant par l'hypnose; et il se trouva, par hasard, que c'etait un sujet de premier ordre. Un jour, pendant le sommeil hypnotique, le medecin lui intima l'ordre d'avoir, a l'egard de ses inferieurs, plus de bienveillance; et voici que, des le lendemain, les procedes de cet homme a l'egard de ces inferieurs se firent tellement bienveillants, affables, affectueux, qu'il devint la risee de ses subordonnes eux-memes, et un sujet d'etonnement pour ses chefs. Il ne parlait plus que de devoir social, d'altruisme, de solidarite humaine. On le crut fou; il ne l'etait pas, mais il etait devenu tellement different de lui-meme qu'il fallait aviser. Le medecin, averti de ce changement a vue, s'efforca, en plusieurs conversations, de moderer le zele charitable du neophyte; il n'y parvint pas. Le malade discutait avec lui les theories socialistes, et serait devenu le pire des utopistes. Il fallut une nouvelle seance d'hypnose pour attenuer, au point voulu, les effets de la suggestion premiere. Pourquoi employer un moyen aussi actif quand on peut s'en passer? Autant demander pourquoi l'ingenieur ne se sert pas de dynamite pour faire sauter une motte de terre. Pourquoi mettre un mors arabe a un cheval qui ne demande qu'a se laisser conduire? Reservons donc le mors arabe pour les cas ou l'animal est indocile, indomptable, et retif! Ajoutons que, une fois produit l'effet a obtenir, le medecin doit cesser de recourir a l'hypnose, sous peine de compromettre le resultat final. Une fois le blesse remis en selle, on doit lui rendre la direction de sa monture. Pour bien faire comprendre ma pensee, je prendrai la comparaison suivante: l'hypnose est a la defaillance du systeme nerveux ce que l'opotherapie thyroidienne est a l'insuffisance fonctionnelle du corps thyroide, ce que l'opotherapie hepatique est a l'insuffisance fonctionnelle du foie. Or, de meme que le medecin qui s'est servi de foie de porc pour remettre en etat un hepatique, ne continue pas indefiniment l'emploi du foie de porc, de meme le psychotherapeute doit cesser l'emploi de l'hypnose des qu'il a obtenu le resultat voulu, c'est-a-dire des qu'il a remis le malade en assez bon etat pour pouvoir compter sur sa collaboration consciente, et lui demander un effort personnel de gymnastique psychique; de sorte que quatre ou cinq seances suffisent, dans la majorite des cas. Toutes ces considerations expliquent la rarete des cas ou l'hypnotisme est a conseiller. Mais quant a dire, comme le font les adversaires irreconciliables de la therapeutique par l'hypnose, que quelques seances amenent, chez le malade, une perturbation d'esprit incurable, que l'hypnotisme "dissocie la personnalite normale du sujet" (Grasset), "aboutit a la ruine deplus en plus complete de ce moi qu'on voudrait sauver" (Duprat), c'est tout simplement enoncer une erreur. L'hypnotisme bien manie n'est pas si dangereux. Je n'ai vu qu'une fois, dans le service de Charcot, l'hypnose amener chez un homme une violente attaque d'hysterie. Et dire, avec certains scrupuleux, que les pratiques de l'hypnotisme ont quelque chose de degradant pour la dignite humaine, parce que le medecin qui impose sa volonte au malade porte atteinte au dogme de la liberte, c'est enoncer une erreur non moins absolue, la suggestion hypnotique n'etant pas autre chose que la suggestion a l'etat de veille poussee a sa deuxieme puissance; a ce compte, on n'aurait plus le droit de donner un conseil. Enfin, dire que les pratiques de l'hypnose sont mal vues dans le monde, et discreditent le medecin, c'est affirmer une verite, mais qui ne nous toucherait en rien, car le medecin n'est responsable que devant sa conscience. Or, nous le repetons, sa conscience peut lui permettre, accidentellement, l'emploi des procedes hypnotiques, surtout s'il prend le soin de n'endormir les malades qu'avec leur assentiment formel, et en presence d'un tiers representant la famille. Ajoutons enfin que le medecin _seul_ doit avoir recours a ce procede therapeutique; et que ce medecin doit agir uniquement pour le bien du malade, sans la moindre preoccupation etrangere, voire meme sans aucune preoccupation scientifique. _Conseils pratiques pour l'application des procedes psychotherapiques._--Nous venons de passer en revue les moyens psychotherapiques par lesquels on peut ameliorer le capital nerveux d'un malade. Mais un apercu theorique ne suffirait pas au praticien voulant employer la psychotherapie; il semble donc utile de le completer par des considerations d'ordre tout a fait pratique, clinique, suggerees par une experience personnelle. 1 deg. Il est un principe qui domine tous les autres; c'est que, pour faire de la bonne psychotherapie, il faut soigner le malade non seulement avec toute son intelligence, mais surtout avec tout son coeur. Le medecin qui ne ferait que de la psychologie, demontant curieusement piece a piece tous les rouages du cerveau de son malade, pour chercher celui qui est defectueux, sans se preoccuper avant tout d'etre utile, ne ferait pas de bonne psychotherapie. Il lui faut etre bon mecanicien, bon psychologue, c'est entendu; mais surtout il lui faut etre un homme charitable. Je sais que le mot "charite" sonne mal aux oreilles, depuis qu'on ne parle plus que d'altruisme, de solidarite, etc. Le mot "charite" pourra disparaitre du dictionnaire, bien qu'il exprime autre chose que ses soi-disant synonymes; mais la charite restera toujours au fond du coeur de l'homme, et sera, comme par le passe, l'inspiratrice des actions genereuses et veritablement utiles. 2 deg. Encore n'est-ce pas assez que le medecin aime son malade. S'il veut avoir sur lui une autorite morale effective, il faut en outre qu'il ne soit pas presse: non seulement qu'il ne le paraisse pas, mais qu'il ne le soit pas en realite. Savoir se donner tout entier a l'affaire presente est la premiere condition du succes, en psychotherapie. Il faut que, des la premiere entrevue, s'etablisse entre le malade et le medecin un courant de sympathie; or ce courant ne peut s'etablir que si le malade sent que le medecin s'interesse profondement a lui, et ne lui menage pas son temps. La premiere consultation, surtout, doit pouvoir durer tout le temps necessaire: mieux vaudrait la remettre a huitaine que de l'ebaucher si le temps materiel fait defaut. 3 deg. Il faut encore que le medecin sache ecouter, c'est-a-dire laisser parler le malade aussi longtemps qu'il le desire, surtout pendant les premieres consultations. Quelle que soit la prolixite, la volubilite d'un malade, il y a toujours interet a l'ecouter, parce qu'on apprend toujours quelque detail dont on pourra tirer profit: si l'on agit de cette facon, le malade, par une sorte de discretion inconsciente, arrive, apres quelques entrevues, a ne plus abuser de la patience de son auditeur, et se contente de repondre aux quelques questions bien precises qu'il lui pose. Une fois que le medecin aura ainsi pris position, les conseils qu'il donnera, non seulement sur l'hygiene mentale, mais sur l'hygiene alimentaire, musculaire, auront toutes chances d'etre suivis; et ainsi tout concourra a la guerison ou a l'amelioration cherchee. 4 deg. Un autre principe, c'est de dire au malade la verite dans la mesure du possible. Evidemment, s'il y a une lesion organique incurable, le medecin doit avoir la discretion de se taire, sauf dans les cas exceptionnels ou le malade a des motifs serieux pour savoir la verite entiere. Mais le plus souvent il faut dire la verite au malade, lui dire tres franchement l'idee que l'on se fait de son etat, la duree probable du traitement, etc. Si, cependant, le traitement doit demander des annees, comme il arrive trop souvent chez les malades a capital restreint, mieux vaut rester dans le vague, et dire: "Le traitement sera long, un peu penible, mais la guerison est assuree." Il faut encore, des les premieres entrevues, avertir le malade des rechutes possibles, probables, ou certaines: si c'est une femme, la prevenir que, dans les douze jours qui precederont l'epoque menstruelle, elle aura fatalement, durant quelques mois, une reapparition de toutes ses miseres, mais a un degre de moins en moins marque; dans tous les cas, avertir le patient, s'il s'agit d'un etat grave, que, tous les deux jours, il risque d'avoir une legere aggravation, puis, quand son etat s'ameliorera, tous les trois jours, puis tous les huit jours, et ce, en dehors de toute cause appreciable, par le seul fait de cette tendance qu'a le systeme nerveux a protester d'une facon intermittente. Mais il faut, en outre, l'avertir que toute emotion violente, et surtout que toute infraction au regime alimentaire, musculaire, cerebral, qui lui a ete ou qui va lui etre prescrit, se soldera inevitablement par une rechute plus ou moins grave, suivant la gravite de l'infraction,--une rechute qui, chose curieuse, ne se manifestera que le lendemain ou le surlendemain de l'ecart commis;--l'avertir enfin qu'une affection accidentelle, la grippe en particulier, fera faire un pas en arriere d'autant plus grand qu'elle aura ete plus grave, et soignee plus tardivement; donner, par consequent, au malade des conseils preventifs, pour qu'il se mette, dans la mesure du possible, a l'abri des affections intercurrentes, et lui recommander de demander ou de prendre des soins immediats, en lui faisant bien remarquer que les affections accidentelles ne sont graves, en general, que lorsqu'elles ne sont pas bien soignees des leur debut. 5 deg. Le medecin doit eviter d'imposer au malade des prescriptions qui lui seraient plus penibles que les malaises dont il se plaint. Il doit meme eviter, en general, de multiplier ses prescriptions, sans quoi il risque de decourager le patient, ou, ce qui est pire encore, de le rendre egoiste et hypocondriaque, et d'entretenir sa "maladie" par le soin meme apporte a la combattre. Aussi bien la therapeutique est-elle, en general, plus simple qu'on ne croit, et les questions de regime, en particulier, sont presque toujours faciles a resoudre. Ce dont il faut surtout tenir compte, avant de formuler une prescription, c'est de la mesure ou il sera possible et facile, au malade, de l'appliquer. Pour ma part, je n'arrete jamais un programme de vie sans l'avoir discute, point par point, avec le malade, et, si possible, avec l'un des membres de sa famille. Je donne alors au malade une feuille ou est marquee la ligne de conduite a suivre depuis l'heure du reveil jusqu'a l'heure du coucher, et ou, aux heures prescrites, sont indiques les menus des repas, voire meme les livres a lire. J'ai soin, en outre, d'indiquer que "tout ce qui n'est pas permis est defendu", en laissant entendre au patient que, dans un avenir plus ou moins rapproche "tout ce qui ne sera pas defendu sera permis". Le malade, pourvu de cette feuille directrice, est averti qu'il doit s'en rapprocher le plus possible, mais sans en devenir l'esclave. On peut dire, en principe, qu'un traitement efficace de la "maladie", si grave qu'elle soit, est toujours praticable, quelles que soient les conditions de la vie sociale du malade. Mais il est des cas ou ce traitement doit etre simplifie au maximum: par exemple, chez une mere de famille ayant des occupations multiples de toutes sortes. Il serait souverainement absurde de proposer a cette malade un regime ou des soins personnels qui l'empecheraient d'accomplir ses devoirs de tous les instants; on doit se borner, alors, aux prescriptions les plus importantes, en faisant comprendre a la malade que l'on ferait mieux si les circonstances de sa vie n'etaient pas un obstacle, mais que, en definitive, le peu qu'on va faire sera deja tres utile, et qu'on en sera quitte pour prolonger le traitement plus longtemps. En fait, les seuls vrais obstacles qui s'opposent a un traitement methodique proviennent de deux sources: 1 deg. De l'absence de foi du malade, 2 deg. de la mauvaise volonte de son entourage. 1 deg. Il est des malades qui viennent nous consulter malgre eux, sous la pression de leur famille, avec l'idee bien arretee qu'ils vont prendre une consultation de plus, tout aussi derisoire et inutile que les precedentes. Il faut que le medecin, du premier coup, comprenne la mentalite des sujets de ce genre; avec l'habitude, il peut etre fixe des les premieres paroles echangees, voire des le premier abord. A lui, alors, de deployer toute sa puissance de suggestion. S'il sait s'y prendre, il peut arriver a faire, d'un malade irreductible en apparence, l'etre le plus doux, le plus confiant, le plus obeissant, et il parvient alors a des resultats inesperes. Les choses se passent ainsi huit fois sur dix. Plus difficiles a convaincre sont les malades qui n'ont pas d'energie, qui, loin de se cabrer, semblent des victimes soumises a l'avance, ou encore ceux qui, desabuses, desesperant de tout, ne souhaitent que la mort. En face de tous ces malheureux, le medecin ne doit pas se derober, quelque souci que lui reservent les patients de cette sorte. Enfin, plus difficiles encore sont les malades a theories, qui ont leur siege fait, apres avoir vu des medecins de tous les pays, suivi, dans les sanatoria les plus varies, les traitements les plus dissemblables; qui connaissent toutes les dernieres nouveautes sur les choses medicales, le discours de la veille a l'Academie de medecine, les livres qui vont paraitre. Avec ceux-la, rien a faire. Le mieux, pour ne pas perdre un temps precieux, est de leur declarer de suite qu'on ne parviendrait pas a s'entendre avec eux. Fort heureusement, d'ailleurs, ces cas sont assez rares. Ajoutons qu'il est des malades a mentalite speciale qui commencent par dire toujours non, ou a le penser, ce qui est encore plus grave. La psychotherapie, comme tous les agents therapeutiques, a a compter avec ce que, dans notre langage barbare, nous appelons les "idiosyncrasies". 2 deg. L'autre obstacle, beaucoup plus frequent, provient de l'hostilite de l'entourage du malade. On ne peut se faire une idee de l'influence nefaste qu'exerce cet entourage; quelquefois il contrecarre ouvertement les opinions du medecin, discute sa maniere de penser, ses prescriptions; le malade, alors, ne sait plus s'il doit donner sa confiance au medecin ou a l'entourage. Le plus souvent, l'hostilite n'est pas franchement declaree. Mais c'est pis encore: c'est alors une lutte sourde, de tous les instants, a propos des moindres prescriptions. Le malade sent tres bien que le medecin est dans le vrai, qu'il a _compris_ sa "maladie"; il voudrait de tout son coeur suivre ponctuellement ses conseils: mais l'entourage est la qui, sans dire un mot, proteste interieurement et execute a contre-coeur tout ce qui a ete prescrit. La position est des plus difficiles. Cette contre-suggestion, qui s'exerce a tout instant, finit par diminuer la confiance, si necessaire, que le malade avait tout d'abord; les prescriptions ne sont qu'a moitie observees. Ces tiraillements continus sont veritablement lamentables. Et que faut-il entendre par entourage? C'est rarement le mari ou la femme, c'est souvent la mere ou la belle-mere, plus souvent encore des personnes qui touchent de moins pres au malade. Les plus dangereux ennemis sont ceux qui ont a donner des soins immediats; ce sont les gardes, qui protestent par un silence eloquent, ce sont surtout les domestiques. De la la dure necessite pour le medecin d'etre bien avec tout le monde, dans la maison. Quelquefois il s'en tire en expliquant avec bienveillance, en un langage clair, pourquoi il prescrit telle ou telle chose qui semble inutile ou dangereuse: le repos, alors que tout le monde voudrait que le malade fit de l'exercice; le regime restreint, alors que, pour rendre du sang au patient, tout le monde voudrait qu'il prit du jus de viande ou des vins fortifiants. Mais, le plus souvent, la partie est perdue d'avance; et c'est alors que le medecin doit user de toute son autorite pour imposer l'isolement, tandis qu'il eut ete quelquefois tres simple de guerir a peu de frais le malade, en le laissant chez lui. Quand on a la bonne fortune de s'etre gagne la confiance d'un malade, et d'avoir conquis, non la neutralite,--elle n'existe nulle part,--mais l'assentiment de l'entourage, on a fait la moitie de la besogne; il ne reste plus qu'a surveiller l'application du traitement, et surtout a entretenir la foi du malade en sa guerison a echeance plus ou moins eloignee. Pour remplir ce double but, il faut que le medecin ait avec le malade de frequents entretiens, au cours desquels il doit lui expliquer, dans la mesure du possible, la raison de toutes ses prescriptions, lui demontrer ses erreurs d'interpretation, et lui affirmer instamment, quelles que soient ses doleances, que la guerison est assuree. Le role du medecin, au debut, est souvent difficile. Il l'est, par exemple, chez les malades qui ont besoin du lit, pendant les premiers temps, pour calmer leur systeme nerveux. Ne dormant presque jamais, ces malheureux ont toutes les peines du monde a rester au lit; il faut leur faire bien comprendre que cette agitation, ce malaise inexprimable qu'ils eprouvent, proviennent non du sejour au lit, mais de l'excitation du systeme nerveux; que cette excitation disparaitra dans huit ou quinze jours, pour faire place a une detente de bon aloi, avec sensation de fatigue enorme, mais non plus douloureuse, avec sommeil reparateur, retour de l'appetit, disparition _spontanee_ de la constipation, etc. Bref, il faut les faire patienter; cette phase exige, le plus souvent, des visites quotidiennes. Plus tard, les visites pourront etre espacees: il faut savoir se faire desirer. Dans les cas graves, il faut donner aux familles l'habitude de laisser le malade en tete-a-tete avec le medecin. L'influence de celui-ci est, alors, beaucoup plus active, et les malades, pouvant s'epancher en toute liberte, tirent un grand benefice de la visite du medecin, qui ne tarde pas a devenir leur ami. C'est dans ces tete-a-tete que le medecin doit insister pour faire de la suggestion optimiste et de la veritable psychotherapie, d'apres les principes que nous avons etudies anterieurement. Nous avons parle deja, a propos de la nevrose provoquee par les causes morales chez les jeunes femmes, du role que le medecin pouvait acquerir, a titre de confident de leurs miseres: ce role est toujours difficile, et quelquefois dangereux. Le besoin qu'eprouve l'etre humain de pouvoir confier sa pensee a autrui est bien connu de tous les psychologues; c'est lui qui pousse les criminels a venir s'accuser d'un acte dont l'auteur aurait pu rester inconnu; c'est lui qui, chose invraisemblable, a excite un de mes malades a prendre sa femme, en tant que sa meilleure amie, comme confidente d'une passion amoureuse qui le rongeait. On comprend donc combien un confident sur et discret peut rendre de services, chez les malades de tout age atteints de psycho-nevrose. Comme l'a dit le poete: En se plaignant on se console, Et quelquefois une parole Nous a delivres d'un remords. Mais il est des cas ou la douleur humaine ne peut etre attenuee par une confidence, si intime qu'on la suppose. Alors, la psychotherapie perd tous ses droits. Il est d'autres cas ou elle est egalement impuissante. C'est quand le malade ne _veut_ pas guerir,--s'il se complait dans son chagrin, par exemple.--Ou bien encore on voit des malades qui ont pris l'habitude de se faire plaindre, et qui, inconsciemment, ne veulent pas guerir; dans leur egoisme morbide, ils mettent sur les dents tout leur entourage, veritables vampires qui epuisent jusqu'au bout la patience, les forces, les ressources pecuniaires de leurs proches, sans avoir un eclair de reconnaissance pour ceux qui se sacrifient ainsi, ni pour le medecin qui se depense en pure perte. Rappelons-nous bien que ces malades terribles sont, avant tout, des malades, et ont droit a toute notre indulgence; leur egoisme feroce n'est qu'un symptome morbide. Ainsi j'ai soigne une dame qui, avant d'etre malade, etait exquise de bonte, de bienveillance, de politesse. Or, quelques mois apres le debut de sa "maladie", en meme temps qu'elle devenait dyspeptique, constipee, obese, tout en ne mangeant presque pas, grande malade en un mot, son caractere se modifia et la fit devenir le tyran dont j'esquisse a grand traits l'image. Aujourd'hui, elle fait le desespoir de tout le monde. Inutile d'ajouter qu'elle n'est pas hypnotisable. Chez ces malades, la psychotherapie est impuissante. Si habilement maniee qu'on le suppose, elle echoue quelquefois; elle a cela de commun avec tous les autres agents therapeutiques. PSYCHOTHERAPIE ET PROBLEME RELIGIEUX Dans quelle mesure le medecin peut-il utiliser, comme moyen psychotherapeutique, les ressources que peut fournir la foi religieuse? Grave question qui ne saurait etre traitee avec trop de discretion. En principe, le medecin ferait mieux de laisser ce soin au pretre, ou au pasteur, ou au rabbin, a des manieurs d'ames plus habitues que lui a ces delicats problemes; mais il est des circonstances ou il ne peut pas se derober, et il nous faut en dire quelques mots. Il est certain, en tout cas, que le medecin ne doit jamais aborder, le premier, ces questions d'ordre philosophique et religieux; ce n'est pas son role, et un zele immodere, de sa part, pour la defense d'une doctrine philosophique quelconque, pourrait etre, et serait a juste titre, severement jugee. Mais, d'autre part, il doit s'attendre a ce que, pousse par un besoin presque inconscient, le malade l'oblige a entrer avec lui dans ce domaine. Cela arrive bien plus souvent qu'on ne se le figure: le malade qui, pendant ses douloureux loisirs, a eu tout le temps d'apprecier l'inanite de toutes les ressources morales qu'on lui offre, et la banalite des consolations habituelles, qu'il n'accepte d'ailleurs qu'a son corps defendant, se sent, a un moment donne, preoccupe d'une facon insolite par les grands problemes de l'au-dela, de la destinee humaine. Sans compter qu'il est envahi d'une crainte angoissante. Combien de fois n'ai-je pas entendu des malades me dire: "J'ai peur!" Peur de quoi? Ils n'en savent rien; ce n'est pas, en general, d'avoir a quitter cette lamentable existence, qui ne leur offre rien de bon;--encore que parfois, sans qu'ils s'en doutent, la voix sourde de l'instinct de conservation parle la en eux: mais, quoi qu'il en soit, ils ressentent une peur vague, animale; et, dans cette detresse morale, ils s'accrochent desesperement a tout ce qui peut leur donner du reconfort. Ces deux motifs expliquent le besoin qu'eprouve souvent le malade d'aborder des problemes qui, en etat de sante, lui etaient completement indifferents. Or, avec qui les abordera-t-il? Est-ce avec la bonne religieuse, qui repondra a toutes les questions par de petites devotionnettes ou des pratiques tout a fait en dehors des habitudes du malade, des pratiques qui n'ont de raison d'etre que pour les fervents, et qui risquent de revolter l'esprit de ceux qui n'en comprennent pas le sens cache? Est-ce avec le visiteur plus ou moins presse qui, entrant en coup de vent prendre des nouvelles du malade, et ne pensant qu'a ses affaires pendant qu'il lui detaille ses miseres, se borne a lui repondre: "Patience! si vous souffrez ainsi, c'est qu'il pleut, ou qu'il fait chaud, etc."? Trop heureux encore le malade, quand ces visiteurs ne l'assassinent pas en lui parlant de leurs affaires personnelles, alors que la victime n'a qu'une affaire qui l'interesse au monde! Vraiment, tous ces consolateurs de passage feraient mieux de rester chez eux; non seulement ils ne sont d'aucune utilite, mais ils contribuent a entretenir la "maladie", surtout quand ils se succedent pres du lit des patients. Chose curieuse, les amis les plus intimes, ceux qui dans le cours ordinaire de la vie recevaient les confidences les plus secretes, n'ont plus, pres du malade, le credit anterieur. Cela tient en partie a ce que l'amitie d'autrefois etait entretenue par des confidences reciproques; or, a partir du jour ou le malade a ete serieusement touche, il n'y a plus de reciprocite possible, car les affaires de ses meilleurs amis ne l'interessent plus, il ne s'interesse qu'aux siennes, c'est-a-dire a sa "maladie". Le malade prendra-t-il, comme confidents de ses graves preoccupations, les personnes de son entourage immediat, pere, mere, mari, femme, etc.? Quelle mediocre ressource!--Certes, ce n'est ni le devouement, ni la bienveillance, ni la tendre affection qui font defaut aux membres de la famille; mais le malade se garde bien de leur confier ses chagrins intimes, d'abord par crainte de les alarmer, et ensuite parce qu'il sait d'avance ce que pourront lui dire ces personnes, qu'il connait de tout temps. Qui alors? Le pretre? Mais, bien souvent, le pretre n'a pas ses entrees dans la maison; et meme, s'il s'agit d'un malade dont l'etat soit un peu inquietant, la famille de celui-ci fait tout ce qu'elle peut pour retarder une visite qui risque de l'effrayer. Il sera bien temps d'appeler le pretre quand le malade sera sans connaissance! Que reste-il donc?--Le medecin. Le besoin qu'a de lui le malade, pour la sante de son corps, lui donne une influence et une autorite morales superieures a celles memes des parents ou des amis les plus respectes. C'est a lui surtout que le malade est tente de confier ses doutes, ses preoccupations d'au-dela, ses vagues espoirs, tout ce monde d'idees qui s'agitent en lui avec une abondance et une intensite inaccoutumees. Au medecin, donc, d'etre a la hauteur de sa tache, sur ce domaine particulier de la psychotherapie, dont l'importance est souvent capitale. Mais que doit-il faire? En presence d'un malade qu'il voit partage entre des restes de foi plus ou moins effaces, et cet etat d'incredulite, active ou passive, qui est aujourd'hui si commun; en presence d'un malade qui, sans croire qu'il va mourir, craint cependant de mourir, et se demande avec angoisse si cette mort signifiera vraiment pour lui l'aneantissement eternel, ou bien s'il y a quelques chances qu'il retrouve ailleurs, avec une vie nouvelle, la societe de ceux qu'il a le plus aimes sur cette terre; en presence d'un tel malade, que doit faire le medecin? Il faut que, dans ces graves circonstances, il ne perde jamais de vue que le malade est semblable a un noye qui cherche a se raccrocher a la moindre branche de salut; si donc il n'a a lui offrir que de froides theories philosophiques, aboutissant a la desesperance finale, s'il est lui-meme bien convaincu que la mort signifie, pour le malade, la fin absolue, et la separation a jamais d'avec ce qui lui est cher, alors il fera mieux de se taire et de garder pour lui des doctrines qui, en admettant meme qu'elles fussent exactes, ne pourraient etre, ici, d'aucun reconfort. Ce dont le malade a besoin, c'est de soutien moral, c'est de foi, c'est surtout d'esperance. Or, ou trouvera-t-il tout cela en dehors de la doctrine de celui qui a dit: "Venez a moi, vous tous qui souffrez, et je vous soulagerai?" L'influence utile de la religion est, d'ailleurs, reconnue par tous les medecins qui se sont occupes des "maladies" nerveuses; et c'est avec plaisir que nous avons lu les lignes suivantes, dans le livre du Dr Dubois[13], de Berne, qui cependant, dans le reste de son ouvrage, developpe avec complaisance des theories philosophiques fort eloignees de l'orthodoxie chretienne: [Note 13: Dr Dubois. _Les Psychonevroses et leur traitement moral_, 1904.] "La foi religieuse pourrait etre le meilleur preservatif contre ces "maladies" de l'ame, et le plus puissant moyen pour les guerir, si elle etait assez vivante pour creer, chez ses adeptes, un vrai stoicisme chretien. Dans cet etat d'ame, helas! si rare, dans les milieux bien pensants, l'homme devient invulnerable; se sentant soutenu par son Dieu, il ne craint ni la "maladie" ni la mort. Il peut succomber sous les coups d'une "maladie" physique, mais, moralement, il reste debout au milieu de sa souffrance, il est inaccessible aux emotions pusillanimes des nevroses." Et, plus loin, a la lecon, XXXV: "Ceux a qui leur tournure d'esprit permet encore la foi naive trouveront un appui dans leurs convictions religieuses, a condition qu'elles soient sinceres et vecues." Mais, s'il en est ainsi, est-ce que le devoir n'en resulte pas, pour le medecin psychotherapeute, d'encourager son malade dans ces convictions religieuses qui peuvent le rendre "inaccessible aux emotions pusillanimes des nevroses"? Dans les cas ou la foi religieuse, sans etre assez, vivante "pour creer un vrai stoicisme chretien", subsiste encore, et cherche vaguement a se raviver sous l'enveloppe de l'indifference ou du scepticisme mondains, est-ce que ce n'est pas une obligation pour le medecin de l'y aider, autant qu'il le peut? Voici donc le medecin transforme, malgre lui, en apotre. Mais nous ne craignons pas de le redire: pour soutenir ce role, auquel il n'est pas prepare, il a toujours besoin d'une discretion extreme, et il ne doit s'avancer qu'a pas mesures sur un terrain aussi dangereux. CHAPITRE V AUTRES AGENTS THERAPEUTIQUES La psychotherapie est la base du traitement, pour les malades chez qui les troubles nerveux et mentaux predominent. Dans les autres formes de la decheance du capital nerveux, elle joue aussi un role important; de la les resultats remarquables obtenus, meme dans les "maladies" a forme gastrique, abdominale, etc., par quelques-uns de nos confreres, qui arrivent, en effet, a soulager et guerir un certain nombre de dyspeptiques et abdominaux, tout en excluant systematiquement toute preoccupation de regime alimentaire. Mais, a mon avis, ces confreres tombent dans l'exageration; meme s'il n'y a pas de troubles gastriques, le regime du malade doit etre surveille; et a plus forte raison quand l'estomac ou l'intestin protestent. Le regime, en realite, joue, dans la therapeutique des malades a phenomenes intestinaux et gastriques, un role au moins egal a celui de la psychotherapie. Erreur, repondent les psychotherapeutes outranciers: lorsque vous faites du regime, lorsque vous imposez a vos malades telle ou telle alimentation, qui varie d'ailleurs d'une latitude a l'autre, d'une maison de sante a l'autre, les bons resultats que vous obtenez sont dus, exclusivement, a la psychotherapie que vous faites sans le savoir. Si le docteur un tel guerit beaucoup de dyspeptiques en leur donnant du macaroni sous toutes les formes, ce n'est pas parce qu'il remet leur estomac en etat, c'est simplement parce qu'il leur inspire confiance; en fait, il les guerit par suggestion, et malgre le regime. Car le regime, ajoutent-ils, entretient plutot l'idee de "maladie": le malade s'auto-suggestionne a chaque prise alimentaire, et ce qui peut arriver de plus malheureux a un nevropathe, c'est de trouver un medecin qui le soumette a un regime alimentaire, quel qu'il soit. Cette opinion me semble absolument excessive. Je voudrais bien voir traiter, par la psychotherapie seule, telle ou telle jeune fille qui vomit tout ce qu'elle prend, qui a des constipations de plusieurs semaines, qui, outre les troubles nerveux, a des troubles digestifs mettant sa vie en danger. Qu'on reussisse souvent a guerir les "malades" sans regime, ou avec un regime qui n'a rien de methodique, qui n'est en somme que la suralimentation, dans une maison de sante, c'est possible: le changement de milieu, l'eloignement des causes qui avaient produit et entretenu la "maladie", l'influence salutaire indiscutable du medecin, expliquent ces miracles. Mais c'est une exception qu'on doit se garder de generaliser; et mon avis est qu'il faut toujours, en meme temps qu'on fait de la suggestion, instituer un regime alimentaire approprie au fonctionnement de l'estomac et de l'intestin malades. I REGIME Nous avons deja mentionne des cas ou l'estomac et l'intestin, atteints d'une sorte d'inertie, se refusent a tout travail, et indique les symptomes physiques qui permettent d'affirmer cet etat d'inertie. Il est evident qu'alors il faut fournir a cet estomac et a cet intestin un travail frequent, mais peu actif; de la, necessite de la diete liquide dans les cas tres graves, parfois meme de la diete absolue pendant vingt-quatre ou trente-six heures, et de la diete semi-liquide dans les cas moins graves, avec prises alimentaires toutes les heures, ou toutes les deux heures, suivant le degre d'inertie constate. Il n'est point necessaire de varier a l'infini le nombre des aliments. Je me rappelle un malade qui avait tout a fait l'aspect d'un cancereux, qui depuis deux mois maigrissait a vue d'oeil, ne digerait plus rien, avait une constipation invraisemblable, ne pouvait plus se trainer, ne dormait plus, etc. Or, il s'est admirablement trouve d'un regime consistant a s'alimenter exclusivement de Revalesciere. Je lui ai donne, toutes les demi-heures, pendant trois jours, puis toutes les heures, jour et nuit, pendant trois autres jours, puis toutes les trois heures pendant huit jours, uniquement de la Revalesciere, cuite dans du bouillon de legumes et de poulet. Apres ces deux semaines, son estomac lui permit de tolerer d'autres potages, puis des purees, puis des oeufs et du poisson, et enfin de la viande trois fois par semaine; et il partit gueri, ayant augmente de 20 kilogrammes en trois mois. C'est que je faisais, en meme temps, de la psychotherapie! me dira-t-on encore? Sans doute, j'en faisais, et j'ai meme du me depenser beaucoup pour faire accepter ce regime a mon malade, pour lui persuader qu'il n'avait pas une "maladie" incurable, pour le faire rester a Paris, dans les conditions d'installation mediocre ou il se trouvait, etc.; mais j'affirme que ce n'est pas la psychotherapie qui l'a gueri, et que, malgre la confiance qu'il avait en moi, malgre toute l'autorite que j'exercais sur lui, malgre le repos au lit, si je lui avais donne a manger ce qu'il mangeait auparavant, si je l'avais mis au lait, si surtout j'avais fait de la suralimentation, ce malade n'aurait pas gueri; et la preuve en est que, a partir du premier mois, sitot que je m'ecartais du regime methodique, et que, pour essayer de gagner du temps, je faisais un essai d'alimentation un peu substantielle, cet essai, si timide qu'il put etre, amenait invariablement un petit recul. Si cet essai avait ete prolonge, il aurait surement amene une rechute. Inutile de dire, apres cela, que la Revalesciere n'est nullement un specifique. Tout autre aliment semi-liquide aurait amene le meme resultat (panade bien cuite et bien passee, tapioca, arrow-root, phosphatine, avenose, aristose, creme d'orge, de riz, etc) Dans d'autres cas d'inertie intestinale, c'est au contraire le regime ultra-sec qui convient mais pendant quelques jours seulement: Le regime sec est d'un maniement difficile et doit etre tres vite remplace par le regime "a restriction des boissons". Ces cas sont ceux ou, a l'inertie, se joint un element spasmodique. Il faut alors donner au malade, toutes les demi-heures d'abord, puis toutes les heures, pendant deux ou trois jours, des aliments secs a grignoter; et ce regime est specialement indique chez les malades chroniques dont le capital est gravement atteint. Il est bien certain que la psychotherapie intervient assez peu dans ces cas, et que, si l'on fait fausse route, si l'on donne a un malade qui aurait besoin d'un regime sec le regime liquide, ou meme semi-liquide, il n'y a point de suggestion qui puisse empecher les facheux resultats d'une pareille erreur therapeutique. Dans certains autres cas graves, le malade maigrit, semble ne pas pouvoir digerer, et ne digere pas, en effet, simplement parce qu'il a peur de manger; il s'auto-suggestionne lui-meme. Oh! alors la psychotherapie fait merveille. On doit donc forcer le malade a manger, et a manger n'importe quoi, pour lui bien demontrer qu'il peut tout digerer. Mais je ne conseillerai jamais a un medecin d'essayer ce systeme, de prime abord, chez un malade dont il n'aurait pas etudie de tres pres le fonctionnement gastro-abdominal; il risquerait de compromettre gravement la situation du malade, et la sienne propre. D'une facon generale, dans le doute, mieux vaut proceder avec une sage lenteur, et se rappeler ce que nous avons dit du peu d'aliments necessaire a la conservation de la vie. Il nous est impossible de tracer, meme a grands traits, les indications de regime qui conviennent aux divers malades. Theoriquement, le regime doit varier d'un individu a l'autre, et meme d'un jour a l'autre, pendant toute la duree de la "maladie". Mais, en pratique, les choses se passent plus simplement. Le principe general, c'est qu'il faut faire manger souvent les malades, sans attendre qu'ils aient des phenomenes spasmodiques (tiraillements d'estomac, baillements, etc.), et qu'il faut les faire manger des le reveil, et meme pendant la nuit pour assurer le sommeil. La moitie d'un oeuf dur pris vers minuit, apres le premier reveil, dans les cas ou le regime doit etre plutot sec, une tasse de cacao dans les cas ou le regime doit etre plus liquide, font mieux, pour procurer le sommeil, que la meilleure des preparations opiacees. Une seconde recommandation, c'est de faire reposer les malades apres avoir mange. Nous avons deja dit que, dans les cas graves, il faut qu'ils se couchent pour manger; dans les cas moins graves, la position horizontale apres les repas s'impose, et n'est pas moins necessaire apres le gouter. L'homme tout a fait valide se trouve bien de faire, apres les repas, un exercice modere; et il y a aussi quelques dyspeptiques auxquels cet exercice est profitable: mais c'est la grande exception. Et enfin, il y a un precepte que ni le dyspeptique ni l'homme bien portant ne doivent oublier: c'est qu'il n'est pas bon de se mettre a table immediatement apres un travail musculaire. C'est ce qu'a parfaitement explique le Dr Lagrange, dans ses remarquables travaux sur les exercices physiques; et je ne puis mieux faire que d'y renvoyer mes lecteurs, s'ils desirent etre renseignes en detail sur toutes les questions de l'alimentation dans ses rapports avec l'exercice. II MOYENS ACCESSOIRES Outre le regime, il est encore un grand nombre de petits moyens therapeutiques que la psychotherapie ne remplacera certainement pas. Il est tres simple, en verite, de dire que, si l'electricite, le massage, la douche tiede, paraissent faire du bien aux malades, c'est parce que ces agents provoquent des suggestions favorables. Mais c'est une conception par trop facile, et qui se trouve dementie par l'experience. Tous ces moyens accessoires ont leur action propre, independante de toute suggestion, action quelquefois tres puissante; aussi doivent-ils, tout comme l'hygiene alimentaire, etre soumis a un controle serieux, et ne pas etre employes a tort et a travers: mais, quand ils sont bien manies, ils jouent un role incontestable dans la therapeutique. Le principe general, c'est qu'il faut en user avec une extreme prudence, et que, dans le doute, il vaut mieux s'en abstenir. _Hydrotherapie_.--L'hydrotherapie froide est rarement indiquee; on commence a le savoir! Dans tous les cas graves, alors que le capital nerveux est vraiment compromis, elle peut occasionner des desastres. Les medecins alienistes qui, autrefois, faisaient de la douche froide la base du traitement de la folie, y on tous entierement renonce: la douche froide ne convient que dans les cas exceptionnels, chez les malades ayant encore un excellent capital, et auxquels on peut impunement soutirer une dose considerable d'influx nerveux. Je comparerais la douche froide a la saignee faite chez les malades qui n'ont plus de pouls, qui sont moribonds, et auxquels une saignee peut parfois rendre le pouls et la vie. C'est ce que nos peres appelaient "la saignee dans les cas d'oppression des forces". Or, pour pratiquer a coup sur la saignee, dans ces cas, il fallait etre un virtuose; et, de meme, il faut etre doue d'un doigte exceptionnel pour appliquer convenablement l'hydrotherapie froide, chez les malades graves. Que dirai-je de la methode Kneipp? Les affusions, les lotions, le manteau espagnol, etc., ont une action moins brutale que la douche. Bien appliquees, ces pratiques peuvent rendre de grands services. Elles le peuvent surtout si le malade, plein d'une foi aveugle, et suggestionne par avance, quitte son milieu pour aller les suivre, s'il va, comme les fervents de Woerishoffen, dans un endroit tranquille, bien aere, ou son cerveau reste en jachere par le fait de l'horrible tristesse du milieu, et s'il s'y soumet a une alimentation plus raisonnable que celle qu'il avait chez lui. Tous ces elements entrent pour une part indeniable, dans les remarquables succes qu'a obtenus Mgr Kneipp, et qu'obtiennent encore, a un moindre degre, ses successeurs et ses eleves, a Altkirch, en particulier. Pour en revenir a l'eau froide, il ne faut pas, de parti pris, se priver de ses services, mais se rappeler qu'elle ne doit etre employee que chez les malades qui ont encore beaucoup de ressort. Chez les malades de ce genre, le maillot humide, notamment, constitue par un drap mouille et tordu etendu sur un lit et dans lequel le malade se jette, est un procede souvent tres utile et a la portee de toutes les bourses. On entoure, avec le drap, le malade comme une momie, en l'enveloppant ensuite de trois couvertures prealablement etendues, sous le drap. Nous avons vu des malades, qui ne parvenaient pas a dormir, trouver, vingt minutes apres qu'ils etaient dans ce maillot, un sommeil reparateur. La duree des applications ne doit pas depasser trois quarts d'heure; et leur nombre peut sans inconvenients atteindre 80, employees quotidiennement, meme pendant les regles. L'hydrotherapie tiede trouve plus souvent ses indications. Le _tub_ tiede, pratique dans la matinee, avec une infusion de tilleul et l'enveloppement dans une couverture, est essentiellement sedatif, si le malade prend soin de se recoucher sans s'essuyer. Le bain repond aussi a de nombreuses indications; mais c'est un moyen beaucoup plus actif qu'on ne se le figure dans le monde. Il est des malades qui ne le supportent pas, que le bain, meme de cinq minutes, enerve, empeche de dormir; on doit tenir compte de cette susceptibilite, et ne pas insister si le malade affirme que le bain lui est contraire. Les medecins alienistes se trouvent quelquefois amenes a donner des bains de douze et de vingt-quatre heures: c'est la une medication tres active, et difficile a manier. Il arrive, en effet, que les malades ont des syncopes dans le bain; c'est dire la surveillance qu'il faut exercer autour d'eux. Les bains de six heures consecutives sont journellement employes a Loueche, et avec grand profit, pour les malades atteints de certaines formes d'eczema. Les eaux de Loueche ont peut-etre une qualite particuliere, qui rend tolerables ces bains prolonges; ce qu'il y a de certain, c'est que les bains de la meme duree avec de l'eau de Paris, comme on les employait autrefois a l'hopital Saint-Louis, ne sont, en general, pas toleres, et qu'on a du reserver ce traitement pour les cas exceptionnels. C'est egalement une qualite particuliere de l'eau qu'il faut invoquer pour expliquer la tolerance de certaines eaux minerales. A Badenweiller, en particulier, a Gastein, a Neris, les nerveux supportent des bains tres prolonges (pendant une et deux heures), alors que, chez eux, un bain d'un quart d'heure les mettrait dans un etat pitoyable. Il est cependant des malades qui ne supportent pas le contact de l'eau, meme aux stations minerales que je viens d'indiquer; les medecins de ces stations auraient tort d'insister si, apres les deux ou trois premiers bains, ils observaient une aggravation de l'etat maladif. Il faut bien savoir qu'il y a des malades dont on ne doit pas mouiller la peau. L'application d'un cataplasme leur est odieuse, un bain de pieds les revolutionne, ils eprouvent le besoin de se laver la figure avec tres peu d'eau tiede, ou meme avec du cold-cream. Dira-t-on que ce sont la des phobiques? Il n'en est rien. La verite, c'est que nous ne connaissons pas tous les degres de susceptibilite du systeme nerveux, reactif d'une sensibilite invraisemblable; et cette intolerance de la peau pour l'eau est symptomatique. La preuve, c'est qu'elle disparait en meme temps que les vertiges, gastralgie, constipation, maux de tete, et autres miseres dont l'ensemble constitue la "maladie". Mais, aussi longtemps qu'existe cette intolerance, le medecin doit savoir la respecter, et ne pas s'obstiner a faire faire au malade l'hydrotherapie meme la plus mitigee. C'est dans ces cas que convient souvent l'application de la chaleur seche. Un sac en caoutchouc, a moitie rempli d'eau chaude, applique sur l'estomac apres les repas, et, le soir, au lit, pour chauffer les pieds, est tres apprecie de beaucoup de malades. Ce procede, tres simple, facilite la digestion, surtout chez les malades spasmodiques. Cependant, on ne doit pas le recommander dans les cas d'inertie. Dans ces cas, c'est la compresse froide, etendue sur le ventre, recouverte de taffetas chiffon, d'ouate, et d'une ceinture de flanelle, qui rend service au patient. Le sac d'eau chaude dont je viens de parler peut encore etre remplace par un sac en caoutchouc contenant un produit solide, qui se dissout par la chaleur et abandonne, en redevenant solide, sa chaleur de fusion. Ces petits appareils, connus sous le nom de _dermothermes_ ou de _dermophores_, ont l'avantage de garder pendant cinq ou six heures une chaleur egale. Ils ont, par contre, l'inconvenient d'etre un peu lourds; aussi, quand l'installation le permet, leur preferons-nous un tissu metallique tres leger, recouvert d'une enveloppe de soie, et chauffe par un courant electrique a 70 volts. _Massage_.--Ce que nous disons de l'hydrotherapie s'applique, de point en point, au massage. Le massage est un moyen violent qui ne devrait jamais etre pratique en dehors du medecin. Employe meme legerement, il fatigue beaucoup certains malades. Le massage abdominal, en particulier, qui a ete fort en honneur il y a quelques annees, constitue un procede therapeutique dangereux dans bien des cas; il faut qu'il soit toujours pratique par une main experimentee, c'est-a-dire avec la plus grande douceur. Il peut rendre alors quelques services, lutter contre la paresse de l'estomac et de l'intestin; mais il faut bien se rappeler que, meme alors, ce n'est jamais qu'un moyen tout a fait accessoire. Les medecins qui auraient la pretention de guerir la constipation par le massage abdominal exclusivement s'exposeraient a un echec certain, parce que la constipation n'est pas causee seulement par une inertie des muscles de l'intestin, mais n'est que le symptome d'un etat general, ainsi que nous l'avons deja explique. Les frictions de la peau rendent, d'ordinaire, au moins autant de services que le massage, et sont d'une application plus facile, puisqu'elles peuvent etre confiees a toutes les mains. Elles sont faites avec un gant de molleton, jamais ou tres rarement avec le gant de crin; seules les personnes bien portantes, ou les malades ayant encore une grande somme de resistance, supportent la friction violente au gant de crin. Une bonne maniere de faire la friction humide est la suivante: Mettre le malade tout nu dans une couverture de flanelle; en extraire un des bras, le frotter de bas en haut avec le gant imbibe d'une solution alcoolique tiedie; oter ce gant, le remplacer par un gant sec, frictionner de bas en haut, remettre le bras du malade dans la couverture; s'emparer ensuite de l'autre bras, et agir de meme. Frictionner successivement les deux jambes, toujours de bas en haut, puis faire asseoir le malade sur son lit, lui frictionner le dos, n'importe en quel sens, l'etendre de nouveau, travailler legerement le devant de la poitrine sans toucher a l'estomac ni au ventre. L'operation doit durer dix minutes. Elle est a recommander chez presque tous les malades, meme chez ceux qui sont tres gravement touches. Bien faite, et comme nous venons de le dire, elle n'est jamais dangereuse. Les bains de vapeur sont en general bien supportes; mais les prendre dans des etablissements speciaux expose a une grande perte de temps, et a un refroidissement terminal. Mieux vaut les prendre a domicile, soit dans des boites portatives, soit, mieux encore, au lit. On peut, dans ce cas, utiliser la vapeur et l'air chaud emanant d'une forte lampe a alcool, et conduites sous les couvertures du lit par un tuyau en tole. Mais un procede qui nous semble meilleur encore est le suivant: dans des boites disposees _ad hoc_, mettre deux briques bien chauffees,--appliquer une de ces boites aux pieds du malade couche, une autre boite a chacun de ses cotes, et attendre que la transpiration survienne. Elle arrive infailliblement, avec une douce lenteur, et ce systeme permet: 1 deg. de graduer la transpiration; 2 deg. de ne pas mouiller les draps et les couvertures, comme le fait l'air sature de vapeur qui sort d'une lampe a alcool. Nous preconisons ces bains d'air sec chez les malades obeses, rhumatisants, atteints d'algies, de sciatique, etc. En therapeutique, il n'y a pas de menus details: tout ce qui peut etre utile au malade doit etre l'objet de nos recherches; et c'est le soin des details qui fait la force, et, disons-le franchement, le legitime succes de quelques-uns de nos confreres etrangers. _Electricite_.--L'electricite n'est pas, non plus, a negliger. Il est certain que les courants de haute frequence ont, sur la nutrition en general, et sur le systeme nerveux en particulier, une action tres puissante, notamment chez les nerveux atteints de prurit anal (Dr Leredde), et chez les malades envahis par une sensation permanente de froid. Mais c'est la un procede forcement limite, a cause des difficultes d'installation et du prix de revient. Les applications faradiques ou galvaniques sur l'abdomen peuvent egalement avoir leur efficacite; mais c'est la un procede tres actif, et qui, fort heureusement, n'est pas, non plus, d'un emploi facile. Le tabouret electrique est souvent recommandable, a condition qu'on ne tire pas d'etincelles. Les machines statiques a domicile sont des jouets qu'on peut conceder aux malades; qui sait cependant si le peu d'ozone qu'elles degagent n'a pas une influence utile? Les bains electriques constituent aussi un moyen puissant, et, par consequent, difficile a manier. Ce que nous avons dit des contre-indications du bain ne s'applique pas aux bains electriques; il est des cas ou le bain electrique, bien applique, rend d'excellents services: tant vaut l'application, tant vaut le moyen. D'une facon generale, on peut dire que le bain electrique occasionne une courbature notable qui, a l'inverse de la courbature produite par l'exces d'exercice musculaire, amene le sommeil. Ces bains ne devraient etre donnes que tous les deux ou trois jours, et sous surveillance medicale tres exacte pendant toute la duree du bain. Dire qu'un pareil moyen agit par suggestion, c'est enoncer une affirmation qui n'a rien de scientifique. _Injections hypodermiques_.--Les injections hypodermiques constituent un des agents les plus utiles de la therapeutique. On peut rapporter aux trois chefs suivants leur action bienfaisante: 1 deg. toute injection, en tant qu'injection, a une influence utile; 2 deg. le medicament injecte a son action propre; 3 deg. une part de suggestion s'attache a l'emploi des injections. I. On sait, depuis les remarquables etudes du Dr Cheron, que toute injection hypodermique, quelle qu'elle soit, pourvu que le liquide injecte ne soit pas toxique, produit un relevement momentane de la tension vasculaire, se traduisant par une sensation de bien-etre, de vigueur; produit, en un mot, un effet dynamogenique plus ou moins prolonge, Suivant la dose injectee, et suivant une foule d'autres conditions. Ainsi, qu'on injecte de l'eau salee, du liquide de Brown-Sequard, de l'oceanine, etc.; il y a toujours a compter avec cette action particuliere de l'injection en tant qu'injection sous-cutanee ou intramusculaire, en tant qu'agent modificateur de la pression sanguine. De la l'utilite des doses massives de liquide, comme aussi la vogue qu'ont eue, pendant un certain temps, les injections de serum artificiel, dont la formule habituelle est a 7 grammes de sel marin pour un litre d'eau sterilisee. Malheureusement on sait, depuis quelques annees, que le sel n'est pas un agent indifferent, et qu'il peut devenir toxique chez les malades dont les reins ne fonctionnent pas tres bien. Il faut donc en user avec grande prudence. Depuis un an, on fait beaucoup d'injections d'eau de mer sterilisee (oceanine). On donne de 300 a 500 grammes de liquide, et les promoteurs de ce nouveau medicament en disent merveille: il est possible que l'eau de mer soit un heureux melange de substances utiles a l'organisme. Je n'ai pas fait d'etudes sur ce sujet; je dirai seulement que j'ai essaye l'oceanine chez trois malades, vus en consultation avec le Dr Marie, sans resultats appreciables. Il est vrai que nous ne leur donnions que des doses de 30 grammes par jour. D'une communication sur ce sujet faite a la Societe de Therapeutique, le 11 octobre 1905, par le Dr Marie, il resulte que ces injections, pratiquees a des doses plus fortes, ont des effets vraiment importants chez les nerveux, les alienes, et qu'elles n'ont pas les inconvenients graves des injections salees ordinaires, si bien mis en lumiere par M. le Dr Hallion a la meme seance de la Societe. L'eau de mer n'a donc pas dit son dernier mot, et c'est probablement un des precieux medicaments de l'avenir, comme le dit le Dr R. Simon; d'autant que les injections massives qu'on en fait agissent egalement en tant qu'injections de liquide non toxique. II. Il faut tenir compte de la nature du produit injecte. Il existe, certainement, des medicaments doues d'une action reconstituante sur le systeme nerveux: les glycerophosphates, le cacodylate de soude et surtout de magnesie, le serum de Brown-Sequard, peut-etre la lecithine, les phosphates, etc. Loin de nous l'idee d'etudier l'action de tous ces medicaments: disons seulement un mot des principaux. Le cacodylate de soude est incontestablement un reconstituant de premier ordre; on peut l'employer sans danger a des doses beaucoup plus elevees qu'on ne l'indique generalement, et j'ai publie, a la Societe de Dermatologie, des observations prouvant la non-toxicite du produit, ainsi que l'utilite des hautes doses longtemps continuees, dans certains cas exceptionnels[14]. Le plus souvent, la dose indiquee par le professeur Gautier, de 10 centigrammes par injection, est suffisante, et il n'est pas necessaire de renouveler plus d'une fois par semaine cette injection, a la condition de continuer le traitement pendant deux ou trois mois dans les cas moyens. J'ai, d'ailleurs, fait une etude clinique detaillee de l'action des cacodylates de soude et de magnesie, a la Societe de Therapeutique, en 1902, en indiquant les tres rares contre-indications, et en precisant, dans la mesure du possible, les indications[15]. Le cacodylate de fer en injections rend aussi des services, dans les cas exceptionnels ou le fer est indique (chez certaines jeunes filles anemiques, chloro-anemiques): mais quatre ou cinq injections de 5 centigrammes, faites a raison de deux par semaine, nous ont toujours semble suffisantes. [Note 14: Considerations sur la medication cacodylique, _in Ann. de dermatologie et Syphiliographie_, 6 mars 1902.] [Note 15: _Bull de la Soc. de Therapeutique_, 27 mars 1901.] Les injections orchitiques de Brown-Sequard, apres avoir eu un moment la faveur que l'on sait, sont tombees dans un injuste oubli. Ayant eu la bonne fortune d'etre en relations personnelles et suivies avec le venere maitre, de recueillir de sa bouche des apercus therapeutiques de grande envergure, que la mort ne lui a pas laisse le temps de verifier et d'enseigner, je reste convaincu qu'il faudra reprendre l'etude de l'action dynamogenique du liquide de Brown-Sequard, preciser les doses, le nombre des injections, etc. Ce travail n'a ete qu'ebauche par le grand initiateur. D'ailleurs l'opotherapie, en general, nous semble une methode pleine de promesses; j'ai cite notamment, a la Societe de Therapeutique, en 1904, le cas d'une malade a foie defectueux arrivee au dernier degre du marasme, avec muguet dans la bouche, qui a ete comme ressuscitee par l'emploi de trois lavements quotidiens prepares avec une maceration de 200 grammes de foie de porc, fraichement tue, dans 300 grammes d'eau bouillie. Cette dame, une grande malade avec phenomenes nerveux et dyspeptiques anciens, avait eu, a un moment donne, une insuffisance hepatique; son foie ne fonctionnait pour ainsi dire plus (fievre intermittente hepatique, urobiline dans l'urine, etc.); au deuxieme mois de cette complication, elle etait arrivee a l'etat lamentable que j'ai indique, quand nous eumes l'idee de lui rendre ce qui manquait a son foie. Le resultat a depasse toute esperance; trois heures apres le premier lavement, la malade avait des urines claires et abondantes; huit jours apres, elle avait retrouve le sommeil et l'appetit, les selles regulieres, etc. Une fois l'orage passe, le danger immediat conjure, il m'a encore fallu continuer a soigner l'estomac, le cerveau, l'intestin, la peau de ma malade: mais, trois mois apres, elle put aller achever sa convalescence dans le Midi, et, depuis deux ans, elle va presque bien. La complication hepatique n'avait ete qu'un episode dans le cours de la "maladie", qui evoluait depuis vingt annees. D'une facon generale, les preparations opotherapiques, auxquelles un immense avenir semble reserve, ne rendront tous les services qu'elles peuvent rendre que quand on trouvera le moyen de les donner par voie sous-cutanee, comme le faisait Brown-Sequard avec son liquide orchitique. Chez certains malades, les preparations de strychnine par injections hypodermiques ont un effet tres utile: mais il ne faut pas depasser en general la dose d'un milligramme de sulfate, ou mieux encore d'arseniate de strychnine, ni faire plus de huit ou dix injections, reparties sur trente jours. Nous avons dit combien la grippe est dangereuse pour les malades, quels qu'ils soient. C'est l'ennemie personnelle des neurastheniques. De la, la preoccupation constante que nous avons de faire la guerre a cette affection accidentelle, de la couper des ses debuts. Or, il m'a bien semble trouver, dans le _cacodylate de gaiacol_, un agent antigrippal specifique, sur lequel j'ai cru devoir appeler l'attention de mes confreres, a la Societe de Therapeutique, en janvier 1906. Il est certain qu'une injection de cinq centigrammes de cacodylate de gaiacol, dans un gramme d'eau sterilisee, et prealablement saturee de gaiacol, fait merveille chez les grippes au debut: elle les guerit en quelques heures. Deux ou trois injections consecutives suffisent toujours pour couper la grippe, meme quand elle n'est pas prise au debut, a moins qu'il n'y ait de graves complications pulmonaires, et, meme alors, le cacodylate de gaiacol me semble tres recommandable. Il l'est aussi dans ces convalescences interminables de grippe qui resistent a tous les traitements. Dans les cas de grippe avec fievre, voire meme avec pneumonie, nous nous sommes tres bien trouves de donner, pendant trois ou quatre jours de suite, des injections de quinine. Une seringue de Pravaz de la solution suivante, introduite profondement dans le muscle, est tres bien toleree et n'occasionne jamais d'abces: Chlorhydrate neutre de quinine 3 grammes. Antipyrine 2 -- Eau distillee 6 -- Ces injections de quinine ont aussi un effet merveilleux dans les nevralgies postgrippales, qui sont quelquefois si tenaces, et qui resistent meme aux opiaces (nevralgies sous-orbitaires, sciatiques, nevralgies intercostales). Je n'ai pas essaye la quinine en dehors de ces suites eloignees de la grippe, cas de grippe aigue et de nevralgies postgrippales,--on ne peut pas tout faire,--mais je crois bien que la quinine a petites doses, donnee en injections a tous les malades a depreciation nerveuse momentanee, aurait un effet dynamogenique precieux. Dans certains cas de douleurs nevralgiques trop penibles, les injections d'heroine sont indiquees; mais il faut savoir que l'heroine doit se manier a doses trois fois moindres que la morphine; en d'autres termes, on ne doit jamais depasser un milligramme d'heroine, surtout chez les malades dont on ne connait pas la tolerance. L'action antinevralgique de l'heroine nous a semble superieure a celle de la morphine; mais il faut bien se rappeler que l'heroine est un medicament aussi dangereux que la morphine, auquel les malades s'habituent, et reserver son emploi pour les cas exceptionnels. J'ai souvenir d'un malade chez lequel je me disposais, a contre-coeur, a employer l'heroine, lorsque, me ravisant, je me demandai si la nevralgie crurale qui le torturait ne serait pas, par hasard, d'origine syphilitique. Or, en reconstituant son histoire, j'acquis la conviction que la syphilis etait vraiment en cause; et une seule piqure de calomel eut raison a tout jamais de cette nevralgie si penible; tant il est vrai que le medecin doit toujours penser a la syphilis, quel que soit le malade qu'il a devant lui. Chez les adultes, le traitement de choix de la syphilis tertiaire, quelle que soit la manifestation syphilitique (aortite, gommes), nous semble etre les injections mercurielles; celles au benzoate sont douloureuses, et donnent des nodosites desagreables; celles de biiodure en solution aqueuse sont tres douloureuses. Nous preferons l'huile grise pour les cas moyens, le calomel pour les grandes circonstances, et l'huile au sublime,--dont nous avons donne la formule en 1881 a la Societe de Dermatologie,--chez les syphilitiques epuises, auxquels l'huile sert d'aliment. Et puisque nous parlons d'injections huileuses, le moment est venu de dire un mot de nos travaux anterieurs sur l'action dynamogenique de l'huile creosotee, en injections sous-cutanees _a dose maxima toleree_. Nous les avons surtout employees et les employons encore chez les tuberculeux; mais nous etions guide par une fausse conception theorique; et si la creosote _bien maniee_ reste,--et restera longtemps,--le medicament de choix chez les tuberculeux, ce n'est pas parce qu'elle agit contre le bacille de Koch, comme antiseptique, c'est parce qu'elle a une action non douteuse, extraordinairement puissante, sur le systeme nerveux. La creosote est, en effet, un agent dynamogenique de premier ordre. Aussi les tuberculeux sont-ils loin d'etre les seuls malades qui puissent tirer parti de ce precieux medicament; et si je ne craignais d'etre accuse de paradoxe, je dirais que ce sont eux qui en tirent le moindre benefice, a cause de la difficulte que presente le maniement de la creosote chez ces malades, toujours prets a avoir la fievre. La ou les injections d'huile creosotee font merveille, c'est chez les pseudo-tuberculeux, qui sont tellement demolis par les troubles gastriques, nerveux, etc., qu'ils ont l'aspect de phtisiques tout en ne l'etant pas. Chez eux, la creosote bien maniee rend, en quelques jours, l'appetit, la force, en un mot la vie. Le seul inconvenient de la creosote, et qui restreindra longtemps son emploi, c'est l'extreme difficulte qu'il y a a la manier. Pour ma part, je me suis attache a surprendre les moindres manifestations de l'intolerance, et a les decrire minutieusement afin de permettre aux praticiens de ne jamais depasser la dose utile; a appeler l'attention sur les intolerances accidentelles, qui doivent faire immediatement suspendre le traitement, ou baisser la dose acceptee les jours precedents. J'ai meme tellement insiste sur les dangers de la creosote que quelques confreres m'ont accuse d'avoir fait son proces; mais la dynamite aussi est une arme redoutable, ce qui n'empeche pas que, bien maniee, elle rende des services[16]. [Note 16: Dans les injections d'huile creosotee, il n'y a pas seulement que la creosote qui soit utile. L'huile absorbee, digeree par la peau, est un aliment de premier ordre, et j'ai pu nourrir pendant un mois, avec des injections sous-cutanees d'huile et des lavements aqueux, un malade atteint d'ulcere de l'estomac. Un mois durant, ce malade est reste a la diete _absolue_, ce qui a donne a l'ulcere le temps de se cicatriser. Je lui faisais faire, tous les jours, une injection de 150 grammes d'huile convenablement preparee. Le danger des injections huileuses est la penetration de l'huile dans un vaisseau sanguin, d'ou peut resulter une embolie qui peut etre mortelle; mais j'ai indique le moyen de se mettre _surement_ a l'abri de tout accident grave. Le secret consiste a bien connaitre les moindres symptomes d'introduction de l'huile dans le torrent circulatoire, et a arreter l'injection des l'apparition de ces symptomes. Rien n'est plus facile que d'arreter a temps cette injection, si on la fait avec la lenteur voulue; mais cette lenteur n'est possible qu'avec l'emploi d'un appareil special, a fonctionnement automatique. Au reste tous ces points sont etudies dans mon livre sur le _Traitement de la tuberculose par la creosote_.] III. Les injections hypodermiques, quelles qu'elles soient, agissent encore d'une autre facon. En dehors des proprietes particulieres a chaque medicament, et de l'action dynamogenique reconnue a toute injection sous-cutanee et meme intra-musculaire, elles agissent encore par suggestion. Elles font prendre patience au malade, en attendant que les autres agents therapeutiques, qui visent l'hygiene cerebrale, medullaire, gastrique, intestinale, cutanee, etc., aient eu le temps de produire leurs effets. Car, comme ces agents n'ont qu'une action lente, comme ils ne procurent pas de resultat immediat, le malade serait vite decourage, si on ne lui donnait pas du premier coup, un remontant, factice peut-etre, mais certainement utile, et ayant une action evidente, rapide, qui le fait patienter et lui inspire confiance. La pratique des injections hypodermiques est egalement utile au medecin a un autre point de vue: elle lui permet d'apprecier tres vite le degre de confiance que lui accordent le malade et son entourage. Or, de ce degre de confiance derive, dans une notable mesure, le resultat therapeutique final. Si le medecin sent que son malade a foi en lui, il deploiera, pour lui venir en aide, toutes les ressources de son intelligence et de son coeur; dans le cas contraire, il se sentira a tout instant, gene, paralyse, inhibe, et il risquera de n'avoir pas toute la clairvoyance necessaire. De la l'importance qu'il y a, pour lui, a evaluer le degre de confiance qui lui est octroye. Eh bien! pour l'apprecier, il n'y a pas de meilleure pierre de touche que l'injection hypodermique. Car si le malade et son entourage acceptent celle-ci aveuglement, du premier coup, sans meme demander la formule du liquide injecte, c'est toujours signe que le terrain est bon, et que le malade acceptera avec la meme obeissance les diverses prescriptions qui lui seront faites. Dans certains cas, il est vrai, le malade accepte, non parce qu'il a confiance, mais par une sorte d'inertie; peu importe, il acceptera avec la meme passivite les prescriptions qui lui seront faites, et c'est la l'essentiel. Quand, au contraire, le malade, ou surtout son entourage, manifestent une curiosite inquiete, qu'on ne parvient pas a satisfaire par une reponse banale, quand ils expriment des apprehensions sur la nature et les effets du liquide injecte, on peut dire que le cas est mauvais, ou tout au moins mediocre; et le medecin aura beaucoup a faire pour conquerir la confiance. Certes, cette curiosite et ces apprehensions sont legitimes, et ce que nous disons ici ce n'est pas pour les empecher: mais il n'en est pas moins vrai qu'elles constituent une sorte de suspicion, que le medecin a interet a connaitre afin de travailler a la faire cesser et d'etablir ainsi, entre son malade et lui, cette confiance reciproque qui est la condition indispensable d'un traitement efficace.--Or l'attitude des malades en face des injections qu'on leur propose constitue, a ce point de vue, un excellent moyen de diagnostic moral. Parmi les autres moyens accessoires, il nous faut dire un mot des applications locales, revulsives ou derivatives, qui etaient autrefois si en honneur, et qui sont tombees dans un discredit bien injuste. _Vesicatoires_.--Autant nous protestons contre les larges vesicatoires employes autrefois, et qui, chez quelques malades, produisaient de la cystite, chez presque tous une douleur pire que le mal qu'on voulait guerir; autant nous continuons a penser que le petit vesicatoire, sous forme de mouche de Milan, ne doit pas etre dedaigne. Chez les grands malades qui ont le systeme nerveux sens dessus dessous, une mouche, appliquee derriere l'oreille, peut faire un mal extreme et produit un etat d'agitation inconcevable, non pas a cause de la douleur insignifiante qu'elle provoque, mais par le fait du trouble de circulation qu'elle produit a distance. Ce seul fait suffirait a prouver que l'application d'une mouche n'est pas indifferente; rien, d'ailleurs, n'est indifferent en therapeutique. Mais chez certains malades qui ont encore un bon capital nerveux, la mouche, appliquee derriere l'oreille droite, de preference, produit une sedation des plus remarquables, amene le sommeil, dissipe le malaise mental et les divers troubles innommables qui constituent l'etat nerveux; c'est sans doute a cause de l'inferiorite fonctionnelle de la partie gauche du corps,--habituelle chez les malades, ainsi que nous l'avons dit,--que la mouche appliquee derriere l'oreille droite produit ces effets favorables, qu'elle produirait moins si elle etait appliquee a gauche; en tout cas, c'est un fait d'observation. De meme, la mouche sur le creux de l'estomac peut amener, si elle est appliquee trop tot, ou dans les cas trop aigus, une aggravation notable des troubles gastriques; mais si elle vient a son heure, elle provoque un apaisement notable des troubles digestifs. La mouche lombaire, d'autre part, est souvent l'un des meilleurs remedes a apporter a la constipation. Cette affirmation peut sembler singuliere, mais elle s'explique pour qui comprend l'origine, presque toujours nerveuse, de la constipation. _Emplatres_.--Les applications d'emplatres d'opium ne sont jamais dangereuses, et font souvent le plus grand bien. Etant donnee l'extreme susceptibilite d'un systeme nerveux malade, qui se laisse impressionner par les moindres influences, ce fait n'a rien d'extraordinaire. En tout cas, j'affirme, au nom d'une experience prolongee, qu'une mouche d'opium appliquee a la tempe est souvent tres appreciee par les malades cephalalgiques, qu'un emplatre d'opium, ou de cigue et de belladone, laisse sur l'estomac pendant huit jours, calme mieux, ou du moins d'une facon plus continue, les douleurs gastralgiques, que ne le ferait une serie d'injections de morphine. De meme, l'emplatre a l'oxyde de zinc, applique sur la colonne vertebrale, immediatement au-dessous de la premiere vertebre dorsale, sur une longueur de dix centimetres, attenue singulierement certains phenomenes medullaires dont se plaignent les malades, en particulier les inquietudes dans les jambes qui sont si frequentes chez les grands neurastheniques. Tous ces moyens si simples ne sont donc pas a dedaigner. A eux seuls, ils seraient insuffisants; mais, ajoutes au regime alimentaire, au repos methodiquement dose, aux applications hydrotherapiques raisonnables, et a la psychotherapie, ils amenent surement la guerison, lorsqu'il reste assez de capital biologique pour que la lutte ne soit pas impossible. _Purgatifs_.--Nous usons tres peu des medicaments fournis par la pharmacopee, pour ce motif bien simple que nous n'en avons pas besoin, et que nous avons une crainte presque instinctive de tous ces agents therapeutiques a action violente et perturbatrice. Faut-il l'avouer? c'est aussi parce que nous ne les connaissons pas. Rien n'est, en effet, difficile comme l'etude d'un medicament. J'ai mis, quant a moi, des annees a etudier l'action du bromure, quand je m'occupais plus specialement des "maladies" nerveuses et mentales; et quand, en octobre 1898, le professeur Gautier a bien voulu me confier l'etude du cacodylate de soude, la premiere chose que je lui ai dite, c'est qu'il me fallait au moins deux ans pour pouvoir lui donner sur cet agent therapeutique une appreciation ayant quelque valeur. Enfin, pour ce qui est de la creosote et du gaiacol, j'ai mis cinq ans a en connaitre l'effet. Comment, alors, avoir confiance dans des publications hatives sur des medicaments decouverts de la veille? Et, en ce qui est des medicaments anciens, ayant fait leurs preuves, je repete que, en general, je les redoute, a cause de l'extreme sensibilite des malades, qui depasse tout ce qu'on peut imaginer. Les purgatifs, en particulier, quels qu'ils soient, m'inspirent une veritable terreur. Mais, dira-t-on, tous les jours nous les voyons employer sans dommage, et meme avec une apparence de succes qui saute aux yeux! Leur emploi repond d'ailleurs a une indication bien rationnelle, puisqu'il faut evacuer les residus de la digestion qui empoisonneraient l'economie! Il nous faut refuter ces objections en passant: qu'on donne un purgatif a un homme solide qui a un leger embarras gastrique, il le tolerera, et paraitra meme s'en trouver bien; mais c'est une erreur d'interpretation, et si le purgatif ne lui a pas fait de mal appreciable, c'est que tout est sain chez les hommes sains. Mais donner un purgatif a un malade grave dont le systeme nerveux est profondement atteint, c'est provoquer chez lui des reflexes dont personne ne connait l'importance, c'est quelquefois siderer son systeme nerveux abdominal. C'est alors qu'on voit le ventre, qui avait jusqu'alors une certaine tonicite, devenir flasque, inerte, perdre toute reaction; l'intestin est alors inhibe dans son fonctionnement, et il faut quinze jours, un mois, pour qu'il se ressaisisse, quand il se ressaisit. Mais, dira-t-on, que faut-il donc faire chez les malades constipes? La reponse est bien simple: il ne faut pas s'occuper de leur constipation, qui n'est qu'un symptome, et il faut les soigner en tant que malades; la constipation disparaitra d'elle-meme. Le moment nous semble venu de protester une derniere fois contre les idees des gens du monde, et des medecins, relatives a la constipation. Nombreux sont les gens soi-disant bien portants qui sont atteints de constipation chronique. Quand nous disons bien portants, c'est une facon de parler: car, en realite, les constipes ne sont pas absolument bien portants. Mais il en est beaucoup qui vont et viennent, vivent de la vie commune, tout en ayant une constipation opiniatre; de plus il y a beaucoup de vrais malades qui vont moins mal quand ils sont constipes. Une dame nous disait plaisamment, a ce sujet, que son intestin avait "horreur du vide". Tant que ces personnes ne sont pas atteintes de cette obsession speciale qui empoisonne la vie des constipes, elles tolerent leur infirmite sans se douter qu'elle existe. Mais malheur a elles quand elles commencent a se preoccuper de leur constipation! C'est a partir de ce moment qu'elles rapportent a la constipation les mille et une miseres qui sont l'apanage des neurastheniques. Malheur a elles, surtout, quand elles entrent dans la voie des soi-disant traitements de la constipation! Elles commencent par user du lavement simple, tiede d'abord, puis tres chaud, puis tres froid; puis elles ont recours aux purgatifs doux, aux purgatifs plus violents, elles en arrivent aux grands lavages. Elles font tant et si bien qu'elles irritent leur intestin, et qu'a leur constipation anodine succede l'entero-colite membraneuse. A partir de ce moment, la vie leur devient insupportable et le cercle vicieux est etabli. Plus elles irritent leur intestin, plus la constipation devient opiniatre, et, pour lutter contre cette constipation opiniatre, elles irritent de plus en plus leur intestin. L'obsession entre alors en scene, elles ne pensent plus qu'a leurs fonctions alvines, a la liberte du ventre, qu'elles disent etre la plus necessaire des libertes. Elles donneraient la vie du genre humain pour obtenir une selle; elles se presentent a la garde-robe plusieurs fois dans la journee, sans succes ou avec des resultats insignifiants, et, cette impuissance les affolant, elles ont recours aux moyens les plus extraordinaires pour lutter contre l'odieuse constipation. Cet etat mental des constipes merite d'etre etudie de tres pres; et toute therapeutique qui ne cherche pas a le modifier est, par avance, condamnee a l'impuissance. La premiere chose a faire, quand on se trouve en presence d'un de ces constipes a obsession, est de lui persuader que la constipation n'est pas l'ennemie, n'est pas la cause immediate de toutes les miseres qu'il ressent, qu'elle n'est au contraire qu'un symptome d'importance secondaire, prouvant simplement qu'il y a quelque chose de defectueux dans le fonctionnement du systeme nerveux abdominal. Persuadez a vos malades qu'il leur suffit d'aller a la garde-robe tous les deux ou trois jours pour commencer, que, lorsqu'ils iront mieux, ils iront quotidiennement; invitez-les a ne s'y presenter qu'une fois par jour, a heure fixe, en leur interdisant, dans la mesure du possible d'y aller en dehors de l'heure reglementaire. Recommandez-leur de ne pas lutter contre la constipation, mais bien contre le trouble nerveux dont la constipation n'est qu'un symptome, et, s'ils vous ecoutent, si vous avez le don de les convaincre, ils seront par cela seul a moitie gueris. Cependant, comme il faut tenir compte de leur etat mental, et un peu aussi de la mentalite de l'entourage, on peut autoriser un petit lavement d'eau bouillie a prendre le matin du troisieme jour de presentation inefficace, a l'heure reglementaire de la presentation, lavement qui sera garde cinq minutes seulement. On peut encore, si l'on croit devoir faire de grandes concessions, permettre au malade, le soir du troisieme jour de presentation inefficace, un lavement d'huile, non pas avec 200 ou 300 grammes d'huile, mais avec quatre ou cinq cuillerees a bouche d'huile pure, lavement destine a etre garde toute la nuit; si l'on y ajoute une forte dose de suggestion, ce lavement aura, pour le lendemain, un effet magique. Les pilules de belladone d'apres la formule de Trousseau sont egalement recommandables; elles ont tout au moins l'avantage de ne pas etre nuisibles. Mais un agent veritablement utile, c'est le liquide orchitique de Brown-Sequard; c'est de la bouche meme du savant professeur que je tiens ce renseignement, et je me rappelle encore, comme si c'etait hier, le jour ou il me disait ces paroles: "De tous les services que m'ont rendus a moi-meme mes injections de suc orchitique, celui que je place en premiere ligne, bien avant tous les autres, c'est qu'elles m'ont gueri d'une constipation opiniatre". Et, ajoutait l'illustre maitre, "il faut avoir ete, comme moi, torture par la constipation pour savoir toutes les angoisses qu'elle occasionne". Or il faut remarquer que l'auto-suggestion n'a joue aucun role dans la circonstance, car M. Brown-Sequard ne s'attendait pas le moins du monde a cet effet des injections do liquide orchitique. Pour moi, utilisant ce precieux renseignement, j'ai traite et je traite encore par les injections de liquide orchitique les grands neurastheniques atteints de constipation opiniatre avec entero-colite. _Eaux minerales_.--Si nous donnons peu de creance aux medicaments de la pharmacopee, nous croyons, par contre, que les eaux minerales constituent des agents therapeutiques tres actifs. Voltaire, qui ne respectait rien, disait que les voyages aux eaux ont ete inventes par des femmes qui s'ennuyaient chez elles, et Diderot affirmait que, en general, les eaux sont le dernier conseil de la medecine poussee a bout. "On compte plus, ajoutait-il, sur le voyage que sur le remede." Tous les deux etaient, certes, des hommes d'esprit, mais ils parlaient la de choses qu'ils ne connaissaient point. Si incommensurable que soit la sottise humaine, les eaux n'auraient pas joui, depuis la plus haute antiquite, et ne jouiraient pas du renom qu'elles ont encore, si elles n'avaient pas vraiment une certaine efficacite. Certes, dans les bons effets des cures minerales, il faut compter, pour une certaine mesure, avec le changement de milieu, l'influence agreable du voyage; mais il ne faut pas oublier que cette influence, utile quelquefois, est quelquefois facheuse. Aussi faut-il n'envoyer aux eaux que les malades qui ont encore beaucoup de ressort, et dont le capital n'est pas serieusement compromis. Le changement de regime alimentaire qui est impose aux malades, dans les stations thermales, leur est parfois favorable, et peut avoir une part d'influence dans les bons resultats obtenus. Nous savons, en effet, que, a un moment donne, il est utile de ne pas se confiner dans un regime alimentaire suivi depuis trop longtemps, et aussi que, dans certains cas, il faut savoir brusquer l'estomac. Mais ce changement brusque, qui souvent est utile, peut etre dangereux, au contraire, quand le systeme nerveux n'est pas de taille a supporter le soudain assaut impose. C'est ce qui arrive souvent aux stations minerales, ou le bon effet des eaux est, en grande partie, contre-balance par la mauvaise hygiene alimentaire. De la l'utilite qu'il y aurait a instituer, dans toutes les villes d'eaux, des "tables de regime" comme il en existe dans toutes les maisons de sante bien tenues, ou chaque malade, pour ainsi dire, a le regime alimentaire qui lui convient, dose et surveille par le medecin de l'etablissement. Rien de semblable n'existe, malheureusement, dans nos stations minerales, parce que les medecins n'y sont pas libres de tous leurs actes, et ont a compter avec les hoteliers qui, eux-memes, ont a compter avec leurs chefs de cuisine. A Carlsbad, on a bien essaye de faire des "tables de regime"; et j'y ai vu moi-meme des menus imprimes; mais un bon nombre des mets qu'ils annoncaient se sont trouves n'exister que sur le papier. A Vichy, par contre, plusieurs medecins sont arrives a imposer a des tenanciers de pensions de famille l'obligation de donner aux malades des regimes varies, suivant les prescriptions medicales. Quant aux indications des eaux minerales, elles varient a l'infini. Certaines eaux ont certainement une action predominante sur tel on tel syndrome. Ainsi, ce n'est pas du tout en vertu d'une erreur d'observation, ou d'un engouement irreflechi, qu'on attribue aux eaux de Bagnoles de l'Orne une action presque specifique sur les troubles peripheriques de la circulation (varices, hemorroides, phlebites). Les malades atteints d'hemorroides, par exemple, voient surement, a Bagnoles, diminuer l'ensemble de leurs miseres (troubles nerveux, dyspeptiques), mais plus particulierement les miseres locales causees par leurs hemorroides. De meme Chatel-Guyon a une action non douteuse sur le symptome constipation, action que n'a pas Vichy, qui, au contraire, favorise la constipation pendant la duree du traitement. De meme, les eaux de Brides-les-Bains ont, chez certains enteralgiques, convalescents d'appendicite, etc., une action veritablement speciale. De meme encore, dans l'obesite, qui, comme nous le verrons, n'est qu'un des symptomes de la "maladie", elles ont une bienfaisance incontestable, surtout si, a leur action, on ajoute celle d'une gymnastique en montagne bien comprise et bien reglee. Les eaux de Bagneres-de-Bigorre n'ont pas d'action speciale, mais elles rendent de precieux services aux nerveux fatigues. Celles de Vichy sont absolument indiquees chez les malades dont le systeme nerveux digestif est en detresse, et la Grande Grille, en particulier, a une action d'une puissance extreme, qui ne s'explique pas plus par la theorie des _ions_ que par les theories chimiques, mais qui est indiscutable. Et il ne s'agit pas la de psychotherapie ni de suggestion; la Grande Grille a des effets qui lui sont propres, et Vichy est souvent un adjuvant dont on ne peut se passer. Mais il faut se rappeler que c'est une arme difficile a manier, comme toutes les armes puissantes, et qu'a Vichy il ne faut envoyer que les malades ayant encore une grande force de resistance vitale. Par contre, il ne faut pas croire qu'on ne doive y envoyer que des dyspeptiques. Parmi les 30 ou 35 malades que j'y envoie, chaque annee, il y en a au moins une dizaine chez lesquels les symptomes cerebraux predominent, a condition, bien entendu, que ces symptomes ne soient pas en rapport avec des lesions organiques; et ces malades se trouvent au moins aussi bien de Vichy que ceux qui n'ont que des symptomes gastriques ou hepatiques. Autrefois, on ne craignait pas d'envoyer a Bourbon-l'Archambault les malades atteints de lesions organiques du cerveau ou de la moelle, hemiplegiques, congestifs, etc. Depuis quelques annees, la physionomie de cette station a change. Il y a eu des accidents provoques par l'eau chaude sur les malades a arteres friables; et l'on se borne actuellement a y envoyer les malades a troubles medullaires superficiels, connus vulgairement sous les vocables de rhumatismes chroniques ou articulaires, sciatiques, nevralgies, etc. Marienbad, avec ses bains de boue, Franzenbad avec ses bains d'acide carbonique, rendent aussi de grands services aux rhumatisants et aux obeses sans lesions organiques appreciables. Seule, la station de Lamalou a garde le privilege de recevoir des malades a lesions organiques nettement definies, et dont nous ne nous occupons pas dans ce travail. Vittel et Contrexeville conviennent aux malades chez lesquels le trouble de la nutrition, qui n'est, en general, qu'un trouble du systeme nerveux, se traduit, sans que nous sachions pourquoi, par la formation de calculs, soit dans le foie, soit dans les reins[17]. [Note 17: Pour supporter le traitement de Vittel, il faut avoir bon estomac, a cause de la quantite d'eau qu'on est oblige de boire. De la le nombre relativement limite de malades qu'on peut envoyer a Vittel. Mais fouillez le passe de ces malades, et vous verrez que, longtemps avant d'avoir la gravelle, ils ont eu de petits troubles cerebraux, ne fut-ce que des migraines, de petits troubles cutanes, de l'obesite. Un beau jour, une colique nephretique les surprend, et l'on se figure que c'est a partir de ce jour qu'ils sont devenus malades. Il n'en est rien. La colique nephretique n'a ete chez eux, qu'un accident; bien avant de l'avoir, ils avaient, meme du cote du rein, de petites miseres qui passaient inapercues: du lumbago, des urines chargees de sable. Et si, au moment ou l'on s'est apercu de ces petits symptomes, on les avait soignes methodiquement, par le repos ou l'exercice suivant les cas, par telle ou telle hygiene alimentaire, telle ou telle pratique hydrotherapique, telle ou telle hygiene cerebrale, ils n'auraient pas eu de coliques nephretiques, et n'auraient pas eu besoin d'aller a Vittel. Mais, ne cessons pas de le dire, ils sont bien heureux de recourir au traitement bienfaisant de Vittel pour se debarrasser d'une des manifestations importantes de leur "maladie", au moins d'une facon temporaire. Ils doivent seulement se rappeler que Vittel seul ne les guerira pas, quand meme ils y retourneraient tous les ans.] Les eaux arsenicales conviennent souvent a nos malades; la Bourboule en particulier, Saint-Nectaire chez les enfants et les jeunes gens. Mais nous ne voulons pas faire une revue des eaux minerales francaises et etrangeres. Tout ce que nous voulons prouver, c'est que les eaux minerales sont un agent therapeutique de premier ordre, un agent que tous les medecins doivent connaitre, non seulement parce qu'ils voient dans les livres, non seulement par oui-dire, mais en se donnant la peine d'aller les visiter. Il n'est meme pas mauvais qu'ils goutent, par eux-memes, aux diverses sources, et qu'ils tatent parfois des bains. Ils ne tarderont pas a voir que ce ne sont pas des agents indifferents: je leur recommande, en particulier, un bain a Salies-de-Bearn, a forte dose d'eau salee. Aussi le monde medical doit-il etre tres reconnaissant a celui de nos maitres, le professeur Landouzy, qui a organise, tous les ans, des caravanes scientifiques pour visiter les eaux francaises; quinze jours de voyage sous une bonne direction medicale sont plus utiles que six mois de travail dans les livres. On apprend ainsi a connaitre non seulement les eaux, mais aussi les medecins des stations, parmi lesquels il en est beaucoup qui ont des idees generales tres interessantes sur la pathologie. Ces medecins des villes d'eaux sont, d'ailleurs, pour les praticiens, de precieux collaborateurs, quand ils veulent bien ne pas se borner a prescrire les eaux en boisson, les bains, les douches, etc., et consentir a faire, en meme temps, oeuvre medicale veritable, c'est-a-dire surveiller le regime, doser avec soin le repos et l'exercice, et se souvenir que la psychotherapie ne perd jamais ses droits. _Voyages_.--Les gens du monde se figurent que les voyages font le plus grand bien aux malades en general, qu'a la suite d'un etat aigu, par exemple, des que le malade est transportable, il faut l'envoyer bien loin de chez lui, et que, dans les etats chroniques, ce deplacement lointain est la condition _sine qua non_ d'une guerison. Cette opinion est basee sur une erreur d'interpretation. Il est certain qu'un homme bien portant se trouve tres bien d'un deplacement annuel, et les vacances sont chose indispensable pour cet homme, quels que soient son age et sa situation. Il faut que, au moins une fois par an, l'homme bien portant mette, pendant quelques jours, son cerveau en jachere, prenne l'exercice dont il a ete en partie prive pendant le reste de l'annee. Ce temps consacre au repos cerebral n'est pas du temps perdu, c'est du temps bien employe. Les vacances sont egalement necessaires a l'enfant qui travaille: et par vacances nous entendons non seulement le repos cerebral, qui doit etre presque absolu,--ce qui, par parenthese, contre-indique l'usage des devoirs de vacances,--mais aussi, autant que possible, le changement de milieu, ne fut-ce que pendant une trentaine de jours. De la l'utilite des colonies de vacances, que le professeur Landouzy appelle "des croisades de paix et de redemption". Elles sont, dit-il tres justement, la "premiere ligne de defense contre la tuberculose". M. Plantet a fait sur ce sujet, a la demande de l'Office central du travail, un rapport des plus interessants et des plus complets, publie dans la _Reforme sociale_, (16 juin et 1er juillet 1905). Il resulte de ce rapport que la France est en retard sur les autres pays, sur le Danemark, l'Angleterre, la Suisse, l'Allemagne, la Belgique; que nous n'occupons, en somme, que le sixieme rang dans la lutte des societes contre le deperissement de leur race. Cependant, depuis 1882, la France est entree dans le mouvement, et les colonies scolaires francaises sont deja en nombre considerable: il y a les colonies de la ville de Paris, 26 institutions privees parisiennes, 40 comites de patronage s'occupant de procurer des vacances aux enfants pauvres de la capitale; et des colonies semblables fonctionnant dans cinquante-six villes de France. Au total, en 1902, 14000 petits Francais ont beneficie de ces institutions philanthropiques[18]. [Note 18: Dans l'interessant rapport de M. Plantet, chacune de ces colonies est etudiee avec des details suffisants pour qu'on puisse se rendre compte de son fonctionnement, du prix de revient, des resultats obtenus. Dans un premier type, les enfants sont loges en commun dans un meme local (villas scolaires, ecoles communales vacantes pendant l'ete, proprietes privees, louees, acquises, specialement amenagees pour abriter une collectivite a la campagne ou a la mer). C'est la colonie d'internat. Dans un second type, les enfants sont confies par petits groupes de deux a quatre au plus, a des familles de cultivateurs recommandables, moyennant un prix debattu, dans les regions reputees les plus saines. C'est le placement familial.--Les deux systemes presentent des avantages et des inconvenients qui sont analyses de tres pres dans le travail que nous signalons.--En ce qui concerne la sante, tous les rapports constatent la plus-value dans toutes les regions, en montagne, en plaine, a la mer, aussi bien dans les colonies collectives que dans les colonies familiales. Quant aux resultats moraux, tout depend de la colonie et de l'esprit qui l'anime. Beaucoup pensent qu'il ne suffit pas de faire gagner a de pauvres enfants une livre de graisse par semaine. Il y a mieux a faire, on peut realiser un bien plus durable: il faut viser a ce qu'ils rentrent meilleurs a leur foyer. Dans certaines colonies, un tel soin ne se devine guere. Dans d'autres, au contraire, c'est la pensee dominante et le reve du directeur. Le tout est de savoir choisir.] Non seulement l'homme bien portant, mais celui qui n'est qu'un peu fatigue par le surmenage cerebral, et par les petites emotions quotidiennes, se trouve tres bien de changer d'air, de milieu, non seulement une fois par an, mais meme chaque fois qu'il sent, chez lui, cette sorte de malaise cerebral premonitoire de la neurasthenie, ou certains troubles digestifs mal definis qui prouvent que son systeme nerveux abdominal n'est plus en fonctionnement parfait. Pour lui, un deplacement de quelques jours est extremement favorable. Ou qu'il aille, il verra son appetit renaitre, sa constipation disparaitre, la sante lui revenir. Que dis-je? chez certaines femmes nerveuses, mais au demeurant ayant encore un capital serieux, l'unique fait de monter en chemin de fer produit des effets appreciables, et, le jour meme du depart, on les voit transformees. Elles laissent a la premiere station leurs phobies, leurs inquietudes; c'est un changement a vue, un veritable coup de theatre. Mais autre chose est l'hygiene de l'homme bien portant, ou du candidat a la "maladie" dont le capital est encore presque intact, et autre l'hygiene du vrai malade. Voila ce que, d'une facon generale, les gens du monde ignorent. Ils s'obstinent, malgre eux, par le fait d'un faux raisonnement, a croire que ce qui fait du bien a l'homme valide doit en faire encore plus a l'homme malade. "Un bon bifteck saignant est certainement utile a un travailleur bien portant; combien il doit etre plus utile a un malade affaibli! Il va certainement lui rendre des forces. Donnons-lui donc de la viande saignante; plus il en prendra, plus vite il sera gueri!" Le malade proteste, il affirme que la viande saignante lui fait du mal: c'est egal, qu'on lui en donne au moins autant que son estomac pourra en digerer, ce sera toujours pour son bien! On disait la meme chose, autrefois, pour le vin; les gens intelligents commencent a comprendre que le vin, si utile a un travailleur bien portant, n'est pas un aliment heroique quand il est donne a des malades, meme sous forme de vins medicamenteux. De meme l'on raisonne pour l'exercice. Un exercice modere est utile aux gens bien portants; il faut donc l'imposer au malade. Ce dernier a beau dire que la moindre marche le fatigue, lui ote le peu d'appetit et de sommeil qu'il avait encore; c'est egal, il faut qu'il marche! On ne concoit pas qu'il doive rester a la chambre, du moment qu'il peut se tenir sur ses jambes. Le pauvre malade voudrait rester couche, il sent que le lit lui est utile; c'est encore la, dit-il, qu'il souffre le moins. Mais non, il faut qu'il se leve! Le lit ote les forces, le lit constipe! Et plus le patient est soi-disant bien soigne, plus il a a lutter contre ces prejuges, qu'on parvient difficilement a deraciner meme dans les milieux intelligents. Il ne faut pas non plus, dit-on, laisser le malade dormir le jour, sans quoi il ne dormira pas la nuit! Malheureux, qui ne voulez pas comprendre que l'insomnie de votre cher malade "tient a une excitation de ses cellules cerebrales, et que le sommeil est le meilleur remede a apporter a cette excitation, et que, par consequent, le sommeil du jour predispose au sommeil nocturne! Quand donc aurez-vous une notion un peu precise et raisonnee sur la pathogenie de tous ces troubles dont l'ensemble constitue la "maladie"? C'est aussi par une faute grossiere de raisonnement qu'on considere les voyages comme utiles aux malades. Encore une fois, ils sont utiles aux gens bien portants, et d'autant plus utiles qu'on se porte mieux, parce qu'ils permettent a l'homme doue d'un beau capital biologique de faire de ces petites avances dont nous avons parle deja, de ces placements a gros interets qui augmentent sa fortune. Accidentellement, il est vrai, il peut se faire que le placement soit malheureux: c'est ce qui arrive chez l'alpiniste qui aventure une trop grosse somme d'energie, et met quelquefois quinze jours a se refaire d'une excursion par trop fatigante. Mais enfin, en general, on peut dire que, chez les gens bien portants, ces risques de depenses exagerees sont reduits a tres peu de chose. Le malade, au contraire, est un indigent. Non seulement il ne doit pas depenser a tort et a travers, mais il doit parcimonieusement, et avec un soin jaloux, garder le peu qu'il possede encore, et chercher a faire des economies. Si son indigence est momentanee, il se remettra assez vite a flot. Si elle est definitive, _a fortiori_ devra-t-il chercher a ne pas faire de fausses depenses. Or, il ne faut pas se le dissimuler, pour le malade tout voyage est une depense; le changement d'habitudes, le surcroit de fatigue inevitable, a eux seuls, occasionnent de la depense nerveuse. Si c'est un grand malade, le voyage peut meme le tuer, comme il tue ces malheureux typhoidiques qu'on est quelquefois oblige, en campagne, ou qu'on se croit oblige d'evacuer a de longues distances, sur des cacolets qui les secouent d'une facon lamentable. Ils arrivent quelquefois morts a l'ambulance lointaine, d'autres fois demi-morts; mais toujours leur etat est extremement aggrave. Si on avait pu les soigner sur place, ou les evacuer a tres petites journees, dut-on les tenir prives des ressources de la therapeutique, et se borner a leur faire deux lotions fraiches par jour, ils auraient eu bien plus de chances de guerir. Je l'affirme au nom d'une experience personnelle, faite pendant la campagne de Tunisie. Mais, sans parler des etats aigus qui contre-indiquent absolument tout long deplacement, ne voyons-nous pas, tous les jours, des etats chroniques aggraves a vue d'oeil par les longs trajets? Cet illustre malade qui traverse toute la Russie pour aller au Caucase, dans le vain espoir de retrouver la sante, et qui voit son etat s'aggraver sensiblement en route; tous ces cardiaques, ces albuminuriques qui vont aux eaux lointaines chercher la guerison promise, et en reviennent bien plus fatigues que s'ils etaient restes chez eux? Et les tuberculeux avances! ces tristes victimes des theories regnantes et de la crainte de la contagion. Vous prenez la, dira-t-on, les cas extremes, et on commence a comprendre que les grands deplacements ne sont pas favorables aux grands malades. Oui, mais j'ajoute qu'ils ne sont pas, non plus, favorables aux malades _moyens_. Pour me faire comprendre, voyez cette jeune femme nerveuse qui ne digere plus, qui dort mal, qui est constipee, qui n'a pas ses regles depuis six mois; on se figure encore que, en lui faisant quitter le climat brumeux du Nord pour l'envoyer sur la cote d'Azur, on va lui faire le plus grand bien; c'est une profonde erreur. L'insolent ciel bleu du Midi lui paraitra odieux, et, apres quelques jours, elle souhaitera, dans son for interieur, de quitter le delicieux pays. Elle ne le dira pas, pour ne pas torturer son entourage, elle souffrira en silence; et il peut meme se faire qu'a la longue son etat s'ameliore; mais, surement, ce ne sera pas l'effet du changement de milieu. Et il peut bien se faire aussi que son etat s'aggrave assez pour que l'entourage se rende a l'evidence, et ramene a grands frais, et avec d'infinies precautions, la pauvre victime dans le milieu qu'elle n'aurait pas du quitter. En realite, le voyage n'est utile que chez les gens qui paraissent n'en avoir pas besoin. C'est pour bien faire comprendre notre maniere de voir que nous exagerons, a dessein, la formule de notre pensee. Il est bien certain qu'entre le malade grave, qu'on ne doit pour rien au monde deplacer, et l'homme qu'on est convenu d'appeler bien portant, et qui a tout interet a faire des voyages d'agrement, il existe toute une serie d'intermediaires auxquels les voyages peuvent rendre des services. Le changement radical de milieu, si dangereux pour le malade grave, peut etre utile a l'individu qui n'est que sur la frontiere de la "maladie". Quitte a avoir dans un hotel une nourriture moins bonne, moins hygienique, moins adaptee a l'etat de son estomac, un dyspeptique pourra se trouver bien de cette nourriture, si, en arrivant a l'hotel, il laisse ses preoccupations incessantes, enervantes, de Paris. Comme toute chose humaine, le deplacement peut avoir du bon et du mauvais, et on ne peut formuler de regles absolues pour les cas moyens; c'est au medecin, s'il est consulte, a peser le pour et le contre, et a donner les indications generales. Mais il y a quelques conseils qu'il devra donner toujours au malade. C'est: 1 deg. De ne pas voyager de nuit. 2 deg. De s'interdire les changements journaliers de stations, sauf dans les cas ou, pour une raison quelconque, on est oblige de gagner les altitudes. Dans ce dernier cas, il faut, au contraire, imposer au malade des stations intermediaires, car l'experience demontre que rien n'est prejudiciable a une grande nerveuse, par exemple, comme le voyage en une seule traite de Paris en Engadine. Elle peut etre sure que, en arrivant a destination, il lui faudra plusieurs jours pour s'adapter au nouveau milieu d'altitude, pour faire son acclimatation; pendant ces quelques jours, elle aura un malaise extreme, et, en particulier, de l'insomnie, tandis que, si elle s'etait arretee deux fois en route, elle n'aurait pas eu a payer ce tribut a la depression barometrique. 3 deg. De s'interdire le voyage matinal; de ne pas croire que, parce que le lever a l'aube est favorable a l'alpiniste bien portant, il soit egalement favorable aux neurastheniques qui ont besoin de leur sommeil matinal. 4 deg. Une prescription importante, c'est encore de se reposer, a l'arrivee a destination, pendant deux, quatre jours, suivant la valeur de l'individu, pour reparer la depense occasionnee par le voyage. Ce repos sera plus ou moins complet, suivant la gravite des cas. En principe, il vaut mieux pecher par exces que par defaut de prudence. 5 deg. Pendant ces villegiatures, le malade ne devra pas faire de sorties quotidiennes, sous le fallacieux pretexte de s'entrainer; l'entrainement convient aux gens bien portants, mais le mot "entrainement" doit disparaitre du vocabulaire du malade. Certes, le role du medecin est d'entrainer le malade; mais cet entrainement, que j'appellerai medical, doit etre tellement progressif et mesure qu'il n'a, pour ainsi dire, rien de commun avec l'entrainement de l'homme bien portant et de l'homme de sport. Le malade ne devra faire un effort que tous les deux ou trois jours, et profiter des jours intermediaires pour se reposer. Ainsi il parviendra a reconquerir des forces, tandis que, s'il espere s'entrainer en depensant tous les jours un peu plus de son miserable capital, il ira droit a la ruine. On comprend aisement qu'un des facteurs importants du voyage est sa longueur. Le voyage autour du monde ne convient a aucun malade; on peut dire que, en general, il n'est pas necessaire d'aller tres loin. Le malade parisien, par exemple, se trouvera mieux d'une villegiature a Montmorency que d'une lointaine expatriation. On ignore trop l'extreme susceptibilite du malade au changement de milieu. Une simple promenade _extra muros_ impressionne le malade parisien, quelquefois en bien, mais le plus souvent en mal. Combien connaissons-nous de personnes qui ne peuvent pas aller jusqu'a Versailles sans avoir, au retour, une veritable courbature, une nuit de moins bon sommeil, et, les deux ou trois jours suivants, une aggravation de tous leurs symptomes morbides? Leurs parents, qui n'y comprennent rien, pretendent que c'est affaire d'imagination. Mais non, c'est un fait parfaitement explicable, et le medecin, qui connait cette susceptibilite invraisemblable, devrait se constituer l'avocat des patients, au lieu de faire chorus avec la famille et d'accabler le malade de conseils intempestifs. Certes, dans certains cas, par une suggestion puissante, en reveillant ce qui reste d'energie latente au malade, en faisant, en d'autres termes, de la psychotherapie reconfortante, il pourra, pour ainsi dire, dynamiser le malade et lui donner la force de supporter non seulement le voyage de Versailles, mais un voyage relativement lointain, et ce, pour le plus grand bien, car le malade reprend alors confiance en lui-meme. Mais, avant de donner cette suggestion, le medecin doit bien etudier son sujet, et savoir au juste ce qu'il vaut, sous peine de lui nuire en lui demandant un effort au-dessus de ses forces. Nous ne nous dissimulons pas que rien n'est plus difficile que de connaitre la valeur exacte d'un systeme nerveux; c'est presque impossible pour le medecin qui voit le malade pour la premiere fois. Dans le doute, il vaut mieux ne pas imposer une fatigue qui risquerait d'etre prejudiciable; on se repent rarement d'avoir ete trop prudent. Un element d'appreciation qui est d'un grand secours pour le medecin, en pareille occurrence, c'est le desir du malade lui-meme. S'il ne desire pas voyager, s'il se dit fatigue, il y a gros a parier qu'il l'est en realite. Le malade a toujours, en effet, une vague conscience de sa valeur, et il faut tenir compte de son appreciation. Si, au contraire, il manifeste vivement le desir de changer de milieu, c'est qu'il sent vaguement qu'il a des reserves de force nerveuse ayant besoin d'etre utilisees; il a un sourd instinct qui, en general, le guide bien. Mais alors, direz-vous, le role du medecin est singulierement restreint; il consiste a s'enquerir plus ou moins discretement des desirs du malade, et a les transformer habilement en prescriptions medicales? A vrai dire, ce serait encore de la psychotherapie; mais nous ne concevons pas les choses de cette facon. Quelquefois, il arrive que l'instinct du malade le guide mal; il est devoye par des auto-suggestions, des prejuges ataviques, dos theories plus ou moins scientifiques; et le role du medecin est, en ce cas, de remettre tout au point, de demontrer a son malade que son instinct, dans telle ou telle circonstance, le guide de travers; que, bien qu'il n'en ait pas envie, il doit aller de l'avant; et le medecin merite alors le beau titre de directeur de la sante. _La mer_.--Les voyages a la mer auraient du, en bonne logique, etre etudies a la suite des cures thermales, parce que, en somme, le bain de mer est un agent therapeutique comparable aux bains d'eau salee qu'on va prendre a Rheinfelden, Salies, Arcachon, Mouthiers-Salins, etc. Mais nous les placons a dessein a la suite de l'etude des voyages, parce que, dans la pratique, le bain de mer est plutot considere comme voyage d'agrement que comme traitement medical. Cela est si vrai que le medecin est rarement consulte sur l'opportunite du traitement marin, sur le choix de la plage: et c'est a tort. D'autre part, aux bains de mer, le traitement n'est pas surveille comme il l'est dans les stations d'eau salee, et c'est egalement regrettable; car la medication par l'eau de mer est active, et son emploi n'est pas indifferent, surtout lorsqu'il s'agit de malades impressionnables, auxquels la moindre intervention fait du bien ou du mal. Les principaux conseils que nous ayons a donner aux malades livres a eux-memes, a la mer, sont les suivants: 1 deg. Ne pas prendre de bains des l'arrivee, et se reposer des fatigues du voyage, comme nous avons dit qu'il fallait toujours le faire; 2 deg. Se rappeler que l'air marin a, par lui-meme, une action appreciable, et qu'il n'est pas toujours utile de prendre des bains; qu'on peut, dans certains cas, se contenter de stationner pendant plusieurs heures par jour au bord de la mer; 3 deg. Se rappeler aussi qu'une saison au bord de la mer constitue un veritable traitement mineral. Il faut donc au moins un mois pour obtenir des effets serieux; et, par consequent, il n'est pas raisonnable d'aller a la mer pour huit jours; c'est s'exposer a la fatigue du voyage et de l'acclimatation sans aucun profit. _A fortiori_, ne doit-on pas prendre un bain de mer accidentel, comme le font les maris qui, par train special, arrivent toutes les semaines aux plages voisines de Paris, et se croient obliges de prendre le bain traditionnel du dimanche. Ils ont contre eux la fatigue du voyage, fait dans des conditions plutot facheuses, l'influence du changement brusque de milieu, les trop douces emotions du revoir conjugal, et le bain de mer acheve de leur soutirer une reserve d'influx nerveux. Le tout se solde, parfois, par un etat subaigu, au retour, qui recoit le nom d'embarras gastrique, et auquel se joignent souvent des douleurs rhumatismales. Nous ne pouvons pas indiquer, dans cette etude rapide, les indications et contre-indications des bains de mer. Le principe general est qu'il ne faut pas en donner aux malades a capital restreint, et que, en realite, ils conviennent surtout aux gens bien portants. Plus le capital est entame, plus aussi il faudra de prudence dans l'administration du bain, au point de vue de sa frequence et de sa duree. Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il faut, en general, le prendre tres court, cinq minutes en moyenne. Enfin, il faut tenir compte des effets produits par les deux ou trois premiers bains. S'ils amenent de l'insomnie, c'est qu'ils sont trop prolonges, ou trop frequents, ou tout a fait contre-indiques. Il ne faut pas croire qu'on puisse s'y habituer, et que, si les premiers font du mal, les suivants feront du bien. D'une facon generale, d'ailleurs, l'organisme ne s'habitue pas a ce qui lui est nuisible; et les medications, quelles qu'elles soient, ne doivent jamais faire de mal, meme momentanement. Mais c'est la un point de doctrine dont la demonstration nous entrainerait trop loin, et en dehors de notre plan. TROISIEME PARTIE CHAPITRE I LA PERIODE DE DECLIN Nous avons a dessein place dans l'etude de l'homme adulte la plus grosse part de nos considerations therapeutiques, parce que, a vrai dire, c'est l'age adulte qui est le plus interessant au point de vue medical comme au point de vue social, et que c'est pendant cette periode de la vie que le medecin peut faire le plus de bien au malade. Au contraire, a partir du moment ou l'etre humain est arrive au sommet de sa courbe evolutive, et, par consequent, ou il va decliner, l'importance des agents therapeutiques se limite de plus en plus, jusqu'a aboutir a zero quand l'homme arrive a la fin de sa carriere. Dans les phases de la vie qui nous restent a etudier, la therapeutique doit viser, avant tout, a eviter les depenses de capital: mais son role pratique n'en reste pas moins tres appreciable; et l'on ne sait pas assez combien une bonne direction medicale pourrait prolonger l'existence de l'homme arrive a la periode de declin, voire meme a une etape avancee de cette periode. Theoriquement, la periode de declin peut commencer le jour de la naissance. C'est ce qu'on observe chez les enfants qui n'ont pas la force de vivre, et qui meurent apres deux ou trois jours. A l'extreme oppose, on voit des individus qui ne commencent a decliner qu'a un age tres avance, ou encore dont la vie est brutalement interrompue, a un age relativement avance, par un accident, avant que ne soit survenu le commencement de la periode de declin. C'est que ces hommes a prodigieuse sante sont venus au monde avec un excellent capital initial, que leurs parents ont su ameliorer pendant la premiere enfance, et qu'ils ont ensuite ameliore eux-memes en s'interdisant toute depense excessive, ou en ne risquant qu'a bon escient une certaine partie du capital, pour lui faire rapporter davantage. Chez ces individus fortunes, les affections intercurrentes ont, comme nous l'avons dit, peu de prise. Ces privilegies sont semblables a l'homme qui a recu les dix talents et qui, sachant les faire fructifier, en rapporte dix autres, et recoit encore, en surplus, une recompense. Chez ces individus, le declin n'arrive que tres tardivement, et ils peuvent atteindre soixante ans tout en restant jeunes de coeur, de corps, et d'esprit. Entre ces deux extremes, tous les intermediaires sont possibles; et nombreux sont les hommes qui commencent a decliner a trente ans, qui sont des vieillards a quarante ans. La plupart, cependant, commencent a decliner vers cinquante ans, et se maintiennent tant bien que mal pendant quelques annees, puis declinent a vue d'oeil a partir de soixante ans. Malheur a eux quand, a cet age, ils prennent une pneumonie! D'ailleurs la moindre "maladie" accidentelle les deteriore pour plusieurs mois, et l'on est tout etonne de la lenteur de leur convalescence. C'est a partir de ce moment que les tares organiques, latentes jusque-la, se revelent, que l'homme qui avait une endocardite avec laquelle il vivait en bonne intelligence, et dont parfois meme il ne se savait pas atteint, voit tout d'un coup son coeur devenir au-dessous de sa tache. A la suite d'un coup de froid insignifiant, d'une indigestion, d'un exces alimentaire, d'une emotion violente, d'une grippe qui paraissait benigne, il a de la dyspepsie, des palpitations, des intermittences du pouls, puis un peu d'enflure des jambes; toutes choses dont, au reste, le repos au lit suffit pour le debarrasser cette premiere fois, parce qu'il n'est pas encore completement use. Mais, six mois apres, sous l'influence d'une cause semblable, il a une nouvelle atteinte, un peu plus de dyspnee, un peu de congestion de la base gauche du poumon, ou quelquefois des deux bases, un peu plus d'enflure des jambes; et, cette fois, le repos au lit, la diete lactee, ne suffisent pas a le remettre en etat. La digitale est alors indiquee, a la dose de 10 centigrammes par jour en infusion dans 200 grammes d'eau, que le malade prendra de deux heures en deux heures, jusqu'au moment ou il aura une salutaire crise urinaire. Grace a ce precieux medicament ainsi administre, il fera encore les frais de cet assaut; mais, la fois suivante, les memes influences insignifiantes ameneront l'affolement du coeur avec albuminurie, et alors la decheance pourra etre irremediable. Il est certain que si, dans l'intervalle de ces assauts, notre homme s'etait ecoute vivre, s'il n'avait rien laisse au hasard, si une sage direction medicale avait dose son alimentation, son travail, son sommeil, s'il n'avait pas eu d'emotions, si, pour conserver sa vie, il avait, en quelque sorte, cesse de vivre, il aurait survecu plus longtemps et n'aurait pas eu sa deuxieme atteinte; mais ce qu'il faut bien se rappeler, c'est que, des sa premiere atteinte, ses jours etaient comptes. Cette premiere atteinte denoncait deja l'insuffisance de son systeme nerveux, incapable de donner au muscle cardiaque la force voulue pour faire son office de pompe aspirante et foulante; le declin, qui avait peut-etre commence quelques annees avant, s'etait traduit des le jour de ce premier accroc. Le declin peut n'etre qu'apparent; et les symptomes revetent parfois une gravite qui fait croire, a tort, a l'entourage qu'il existe une breche serieuse ou irremediable dans le capital vital du malade, alors qu'il n'est touche que superficiellement. C'est au medecin qu'il appartient de faire un bon diagnostic, d'ou decoulent et le pronostic et le traitement. Certes, le probleme est souvent difficile a resoudre, et, pour y arriver, le medecin n'a pas trop de toute sa finesse d'observation, de toute son experience, de toute sa penetration. C'est dans ces cas que la medecine est veritablement un art, et le medecin un artiste, appele a utiliser de son mieux les donnees scientifiques que ses etudes anterieures lui ont fournies. Il aura naturellement, pour l'aider dans cette tache, l'examen physique du malade, et, en particulier, l'exploration abdominale, le ventre etant, de tous les organes, celui qu'on peut le plus facilement explorer, par la vue, le palper, la percussion; il aura, pour l'aider, l'analyse des urines, trop souvent negligee. Il sera egalement seconde par l'etude du passe: il ne manquera pas de fouiller l'heredite, l'evolution anterieure de la vie, chez le sujet qu'il examine. Celui-ci a-t-il eu de grands assauts, et s'est-il ressaisi completement? En ce cas, c'est une presomption en sa faveur: ce passe prouve qu'il a une grande elasticite, un capital serieux, et qu'il est possible que, dans la crise actuelle, il rebondisse encore une fois.--Au contraire n'a-t-il jamais eu d'assaut important? le probleme devient alors plus difficile, car le medecin manque d'une base pour apprecier la valeur reelle du capital. Aussi fera-t-il bien de rester dans une prudente reserve, et si, dans le cas precedent, il a ete en droit de rassurer la famille malgre la gravite apparente de l'etat du malade, dans le second cas, au contraire, il ne doit dire qu'une chose: "Je ne sais pas." Pour ma part, je me mefie beaucoup des hommes a sante insolente, n'ayant jamais eu besoin de soins, que je vois brusquement atteints par une "maladie" accidentelle, par la grippe en particulier. Me trouvant sur un terrain inconnu, je me demande, tout d'abord, si leur capital etait aussi bon qu'il le paraissait, et si la grippe ne va pas provoquer la faillite, la debacle. Ce sont la, je le repete, des problemes cliniques extremement difficiles a resoudre; mais ils ont un grand interet au point de vue du pronostic a porter, et du traitement a instituer. Et cet interet est immediat: car si le medecin soupconne, chez son malade, une alteration profonde que ne traduit pas l'ensemble symptomatique, il doit redoubler de precautions, sa surveillance doit etre incessante, son zele doit prevoir les moindres incidents, ne rien laisser au hasard. Il a alors a lutter non seulement contre la "maladie", mais aussi contre le malade, souvent indocile, et contre les familles, qui trouvent qu'on en fait trop, qu'on prend trop de soins, que le malade devrait se lever pour regagner des forces, sortir pour se distraire, reprendre une partie de ses occupations pour ne pas nuire a sa carriere; estimant, _in petto_, que le medecin userait de discretion en espacant davantage ses visites, etc. Quoi qu'il arrive, ce sont de mauvais cas pour le medecin. Il est accuse, si le malade guerit, d'avoir retarde sa convalescence, et, s'il succombe, de ne l'avoir pas bien soigne. Car enfin, un homme si bien portant! et qui succombe a la suite d'une grippe, presque sans fievre! Surement, c'est le medecin qui est coupable! Il n'a, pour se consoler, que la conscience du devoir accompli. Et d'ailleurs il peut aussi se dire que, dans d'autres cas, on a attribue exclusivement a ses bons soins ce qui etait du, en grande partie, a la valeur du sujet; il y a donc compensation. En somme, le medecin qui se trouve en face d'un malade quelconque est appele a resoudre le probleme suivant: Etant donnes la valeur anterieure du malade A, et le dechet que lui fait perdre la "maladie" B, quelle est la valeur du capital restant A--B? Le simple bon sens indique que cette equation ne peut pas se resoudre par l'algebre, puisque nous ne connaissons au juste ni A ni B. Aussi le medecin ne doit-il jamais quitter le terrain, relativement solide, que lui fournit la science, pour se perdre dans les abstractions. Il doit seulement se rappeler la parole d'Hippocrate: _Judicium difficile_, et faire de son mieux pour approcher le plus possible de la solution du probleme, qui, sans etre d'ordre mathematique, a cependant une solution. "Quand on fait ce qu'on peut, on rend Dieu responsable." [V. HUGO] Existe-t-il, du moins, des symptomes permettant d'affirmer que l'homme a atteint l'apogee de son evolution, et est sur la pente du declin? Eh! non, tant qu'il est bien portant Il est evidemment moins fort, moins actif, que pendant la periode de croissance, il supporte moins les petits ecarts de regime, les fatigues, il est plus vulnerable, en un mot, mais ce n'est pas un malade par cela seul qu'il est en periode de declin. S'il veut eviter la "maladie", il le peut, dans une, certaine mesure, en s'ecoutant vivre, en surveillent son hygiene quotidienne, en ne faisant pas de fausses depenses ou de depenses exagerees, ou, s'il est oblige d'en faire par hasard, en les compensant aussitot par une exageration momentanee de prudence. Bref, la periode de declin est la periode des precautions. L'homme en declin devrait se rappeler qu'il faut "etre de sa sante" comme il faut "etre de sa condition", comme il faut etre "de son temps". En usant de ces precautions, il peut prolonger tres longtemps la duree de sa phase evolutive, et atteindre ainsi sans transition la vieillesse, qui pourra, si elle est egalement bien surveillee, le conduire, sans transition brusque, a la mort. Mais, quelques precautions qu'il prenne, les circonstances de la vie sont telles que, fatalement, il rencontre sur son chemin des influences qui font baisser brusquement sa valeur. Quelles sont ces influences inevitables? Ce sont toutes celles que nous avons deja etudiees dans l'enfance, dans l'adolescence, et dans l'age adulte: erreurs d'alimentation, causes morales surtout, etc. Y en a-t-il cependant, parmi ces influences, qui soient plus speciales a la periode de la vie que nous etudions, la periode comprise entre cinquante et soixante-cinq ans? Chez la femme, tout le monde admet que la menopause produit des perturbations considerables; la preuve, c'est qu'on s'accorde a appeler "age critique" l'age de la cessation des regles. La menopause ramene souvent des troubles de sante qui avaient disparu depuis longtemps, et amene quelquefois des troubles nouveaux, tels que ces sueurs profuses dont se plaignent amerement les malades. Nous avons en vain essaye contre elles l'emploi de l'opotherapie ovarienne, et nous croyons que c'est un moyen non seulement inutile, mais dangereux, et que le mieux est de savoir attendre, en mettant la malade a un regime restreint. Dans les deux sexes, les emotions morales jouent encore, a cet age, un role considerable. C'est une fille mal mariee, un fils qui fait le chagrin de sa famille, c'est l'isolement au milieu d'indifferents, la perte des amis de la premiere heure, l'age des desillusions, l'automne de la vie, en un mot. Dans tous les cas, les pratiques de la psychotherapie sont d'un incontestable utilite: seules, elles ne suffisent pas a guerir un homme rendu malade par des influences morales; mais, associees aux autres agents therapeutiques, elles sont toujours d'une grande utilite et souvent d'une necessite absolue. J'ai plus fait en reconciliant avec son fils un pere que le chagrin avait terrasse, en lui demontrant la necessite et la legitimite du pardon, qu'en le traitant, comme on le faisait depuis longtemps, avec toutes les ressources de la pharmacopee et des agents physiques.--Le fonctionnaire qui prend sa retraite, et se voit brusquement condamne a une oisivete forcee, ne sait pas que faire de son temps. En vain cherche-t-il, dans la societe des hommes de son age, un remede a son desoeuvrement; et quant a esperer trouver chez les gens jeunes de sa famille un reconfort quelconque, il n'y doit pas songer. Les plus jeunes ont leurs affaires, et les affaires sont les affaires; c'est tout au plus si la fille vient faire ses couches a la maison. Bref, une serie de chagrins multiples, auxquels on est encore sensible, sont l'apanage ordinaire de cette periode de la vie. C'est a cet age, aussi, que se soldent,--car tout se paie,--les erreurs du passe, les fautes contre l'hygiene. Alors arrivent les traites imprevues, et, quand le capitaliste veut mettre de l'ordre a ses affaires, il s'apercoit trop tard que, depuis plusieurs annees, il ne s'est pas contente de ses revenus et qu'il a ecorne son capital. Mais, dira-t-on, pouvait-il s'apercevoir de la mauvaise gestion de sa fortune? C'est l'eternel probleme du "Connais-toi, toi-meme!" de la sagesse antique. C'etait a lui de voir que, de temps a autre, il avait de ces petites defaillances de sante qu'il traitait a la legere, en leur attribuant des causes banales et qui auraient du etre, pour lui, des avertissements (l'avertissement sans frais du percepteur). Il aurait du, en homme bien avise, rester toujours en deca de ce qu'il pouvait donner. Mais enfin le mal est fait; et il est encore temps, sinon de le reparer completement, au moins de l'attenuer dans une notable mesure, en se surveillant de pres, et en ne laissant rien au hasard de ce qu'on peut lui enlever par prudence et par calcul. Certaines natures ultra-genereuses ne s'apercoivent pas qu'elles depensent plus qu'elles ne devraient le faire; elles n'ont pas la bonne fortune de recevoir les petits avertissements que nous venons de signaler. Leur debordante sante fait l'envie de tout le monde; mais ces privilegies sont souvent des desherites. Nous avons dit deja ce qu'il fallait en penser, quand ils se trouvent aux prises, brusquement, avec une affection accidentelle. Malheur aussi a l'homme qui, a cet age, se laisse entrainer par un renouveau de passion sexuelle! Il s'impose des depenses trop fortes pour sa reserve de sante, surtout s'il en arrive a forcer ses talents. Il faut aussi compter avec les aberrations de l'instinct sexuel, assez frequentes a cet age; et alors la neurasthenie vengeresse ne tarde pas a s'installer, sous une forme qui rappelle, par sa brutalite d'apparition et la gravite des symptomes, l'hystero-neurasthenie traumatique. En effet, du jour au lendemain, cet homme, vaillant jusqu'alors, subit un veritable effondrement. Non seulement il perd tout d'un coup l'aptitude sexuelle, ce qui est pour lui la source d'un grand chagrin, mais il perd, en meme temps, l'appetit, le sommeil, les forces. La constipation entre en scene; des douleurs nevralgiques variees,--ou, pour mieux dire, des _algies_, car la douleur ne suit pas le trajet des nerfs, le torturent nuit et jour. Il a une sensibilite excessive de l'ouie, un erethisme de tout le systeme nerveux, qui devient comme une lyre a cordes trop tendues que fait vibrer douloureusement le moindre souffle. Cet etat peut n'etre que passager, si le malade a le bon esprit de s'en avouer a lui-meme la cause determinante et de la supprimer. Mais cela meme ne suffit pas toujours: _Sublata causa, non tollitur effectus._ Le branle est donne a la cellule nerveuse, le systeme nerveux, longtemps patient, s'est tout a coup revolte, et il faut des mois et des annees de soins methodiques pour lui rendre son equilibre. C'est dire que, pendant ces mois et ces annees, le medecin devra surveiller non seulement l'hygiene sexuelle, dont il n'est plus question, mais l'hygiene alimentaire, donner les repas frequents que necessite un estomac toujours sur le point d'entrer soit en etat paralytique ou en etat spasmodique; une alimentation non excitante (pates, purees), sans vin, et sans les toniques qui passent, a tort, pour reveiller les forces. Le repos physique est egalement indique. C'est dans ces cas qu'un changement de milieu, bien compris, bien dirige, peut etre utile a divers titres. D'abord, il eloigne la victime de la cause initiale de son mal, ensuite il lui permet d'apprecier souvent les soins affectueux et tendres d'une femme momentanement negligee. La psychotherapie joue aussi un role enorme dans le traitement de ces malades qui, d'un jour a l'autre, sont devenus craintifs, scrupuleux a l'exces, ayant peur de mourir, tenailles par des remords d'une intensite morbide. Le medecin anime d'un esprit large et charitable peut leur etre d'un grand secours, en mettant toutes choses au point, et en rasserenant leur conscience dans la mesure qui convient. Ce tableau de la "maladie" de l'age critique, chez l'homme, n'a rien d'exagere. Nous avons observe plusieurs cas semblables, ou des hommes bien portants jusqu'alors ont paye cher leurs ecarts intempestifs. Le plus souvent, les malheurs de ce genre arrivent chez des hommes qui, auparavant, n'etaient pas debauches, offraient meme le modele d'une vie exemplaire; maintenus par des principes severes, ils avaient ete fideles a la foi conjugale, et, alors meme qu'ils etaient veufs, ils etaient restes fideles au dela du tombeau; et puis, un beau jour, une occasion se presente et les surprend; c'est une Sapho quelconque rencontree en chemin de fer; l'homme se trouve desarme devant la tentation, il succombe, et, une premiere chute en entrainant de nombreuses a sa suite, il devient enrage de vice. Aussi ne saurions-nous trop engager l'homme mur, trop confiant en lui-meme, a veiller toujours, car le peril est insidieux et les risques sont grands. C'est a l'age que nous etudions que se manifestent les troubles prostatiques et urinaires, resultats tardifs de blennorragies mal soignees et considerees comme une bagatelle par le jeune homme, plutot fier d'avoir pris un brevet de virilite. C'est vers cinquante-cinq ans que le retrecissement du canal provoque des miseres variees, que nous n'avons pas a decrire ici, mais qui finissent par amener la mort prematuree si le chirurgien n'intervient pas. Ainsi s'explique l'absence de tout retrecissement chez les hommes qui ont depasse soixante-cinq ans: ceux qui avaient des retrecissements sont morts avant cet age. C'est aussi vers l'age de soixante ans que la prostate entre en scene. Certes, les affections de la prostate ne sont pas toujours d'origine blennorragique; mais elles sont, plus qu'on ne le croit, dues a des erreurs dans l'hygiene sexuelle. Quant aux autres affections capables de faire brusquement baisser le capital, elles ne donnent lieu a aucune consideration particuliere. Nous devons pourtant nous arreter encore, en passant, sur trois manifestations morbides specialement frequentes a l'age en question: le diabete, l'albuminurie, et l'obesite. _Diabete_.--L'apparition du diabete est, certes, chose facheuse; mais le plus grand malheur qui puisse arriver a un diabetique impressionnable, c'est de trouver un medecin qui lui annonce, sans menagements, la facheuse nouvelle. A partir de ce moment commence, pour le malade, une incessante preoccupation morale, aggravee encore par un regime alimentaire qui lui cause plus de dommages que le diabete lui-meme. Il est vrai de dire que, depuis quelques annees, les medecins se sont un peu departis de la cruelle severite qui, autrefois, les rendait redoutables aux diabetiques. On veut bien admettre, desormais, que le regime des diabetiques comporte certains temperaments, et que les pommes de terre en robe de chambre, par exemple, peuvent etre allouees, voire meme en abondance. Mais il n'en reste pas moins vrai que la situation d'un diabetique, traite d'apres les principes classiques, est encore loin d'etre rejouissante. Elle sera telle jusqu'au jour ou l'on comprendra enfin qu'il n'y a pas deux diabetiques devant etre soignes par le meme regime, ou plutot qu'il n'y a pas de regime du diabete, le diabete n'etant qu'un symptome qui ne merite pas qu'on s'acharne sur lui. Aux uns il faudra beaucoup de viande et du vin, aux autres la diete lactee absolue pendant quelques jours, et le regime des potages au lait ensuite. Et entre ces deux extremes, toutes les combinaisons du regime peuvent etre indiquees. Le medecin doit imposer le repos au lit absolu au diabetique qui maigrit et perd ses forces, l'exercice modere dans les autres cas, mais, jamais d'exercice force, parce que le diabetique a toujours des combustions exagerees, comme le professeur A. Robin l'a tres elegamment demontre. On aura a s'occuper aussi de l'etat mental du malade, et a ne pas negliger la psychotherapie. Le diabete peut etre provoque, experimentalement, en touchant un point precis du quatrieme ventricule du cerveau; et les diabetiques vraiment graves sont ceux qui le deviennent a la suite d'une chute sur la tete: ces deux faits prouvent assez l'importance des troubles du systeme nerveux dans la pathogenie du diabete, et la necessite de faire une grosse part aux soins moraux dans le traitement du diabetique. _Albuminurie_.--L'albuminurie donne lieu a des considerations de meme ordre. Comme le diabete, elle est un symptome indiquant un etat de deterioration generale de l'organisme; c'est, le plus souvent, un symptome grave, mais quelquefois aussi un phenomene sans grande importance. Tout le monde connait l'albuminurie de l'adolescence, intermittente, venant apres la moindre fatigue. On sait encore que le seul fait de se lever du lit et de proceder aux soins de la toilette suffit pour provoquer l'apparition de l'albumine, qui n'existait pas dans l'urine emise pendant que le sujet etait au lit: c'est ce qu'on appelle l'albuminurie _orthostatique_ ou _physiologique_,--terme detestable, parce qu'il n'y a pas d'albuminurie physiologique, pas plus que de glycosurique physiologique. Cette albuminurie de peu d'importance survient toujours chez des sujets qui ne sont pas en bon etat de sante, et indique, par consequent, qu'ils doivent etre tenus a vue, et soignes suivant les principes generaux que nous avons deja enonces. Chez l'homme adulte, la presence de l'albumine dans l'urine est toujours d'un pronostic plus serieux. Parfois cependant, la encore, l'albuminurie n'est que transitoire, et coincide avec une decharge d'acide urique par les reins. Si l'on ne soumet pas le malade ainsi touche au regime lacte absolu, qui acheverait de l'epuiser, si on le laisse au repos, si on lui donne a prendre un peu de benzoate de soude, l'orage passe vite sans laisser de traces. D'autres fois, l'albuminurie, sans etre transitoire, est intermittente, meme chez l'adulte. Nous connaissons un malade qui, depuis quatre ans que nous le soignons, a de l'albumine chaque fois qu'il monte a cheval. Il peut faire jusqu'a 20 kilometres a pied sans avoir d'albumine; mais une seule promenade a cheval fait reapparaitre l'albumine et, malgre la dose considerable revelee par l'analyse apres l'exercice du cheval, il est, au demeurant, bien portant en apparence, et a une vie des plus actives.--Je connais aussi un medecin qui a, depuis des annees, de l'albumine en permanence; apres s'en etre beaucoup inquiete, et avoir suivi divers traitements et divers regimes, il a fini par ne plus faire que de l'hygiene generale, manger raisonnablement, eviter le surmenage; et il est, en somme, en aussi bon etat que possible. J'ai cite, dans une etude sur le _Cacodylate de Soude_ que j'ai publiee en 1901, l'histoire d'une jeune malade ayant, depuis 1898, a la suite d'un coup de froid, beaucoup d'albumine, et a laquelle j'ai donne des doses considerables de cacodylate, en injections, pendant un mois. J'ai eu, a ce moment, le bon esprit de ne pas attribuer exclusivement au remede la survie de la malade. Or, elle s'est mariee en 1900: depuis, elle a cesse toute medication, pour se borner a prendre de la viande crue et beaucoup de repos. Elle a encore, actuellement, 3 a 4 grammes d'albumine par jour, et va tres bien. On voit que tout est loin d'avoir ete dit sur la valeur pronostique de l'albuminurie. Mais il n'en est pas moins vrai que, le plus souvent, la presence de l'albumine chez l'etre humain, a l'age que nous etudions, est un symptome qui doit inspirer au medecin des craintes serieuses, surtout quand, en meme temps que l'albumine, il y a du sucre. Cette combinaison m'a toujours semble etre un arret de mort a breve echeance. Je dois ajouter que la situation de l'albuminurique sera encore aggravee si le medecin s'obstine a lui imposer le regime dit des albuminuriques. Il n'y a pas de regime des albuminuriques: il y a le regime qui convient a tel ou tel albuminurique. Parfois le regime lacte fait merveille, mais c'est rare; en tout cas, il ne faut pas le prolonger plus de quinze jours. D'autres fois, c'est le regime des pates, plus souvent encore le regime lacto-vegetarien, qui, combine au repos, aide le malade a sortir du mauvais pas, au moins momentanement. _Obesite_.--Au meme titre que le diabete et l'albuminurie, l'obesite appartient en propre a la periode de declin. Mais, direz-vous, il est des enfants et des adultes obeses! Qu'importe? C'est qu'ils ont commence jeunes leur periode de declin. Mais, d'habitude, c'est aux environs de la menopause que l'obesite devient, pour les femmes, une torture de tous les jours. Nous n'avons pas a en indiquer les inconvenients; rappelons seulement que l'obesite tend toujours a augmenter, parce qu'elle interdit au malade l'exercice, et qu'il s'etablit immediatement un cercle vicieux. Dans les cas d'obesite ou l'exercice serait utile, l'obese qui est condamne a en prendre de moins en moins, devient de plus en plus obese. Mais il ne faut pas croire que l'exercice soit toujours utile aux obeses. L'obesite, etant un symptome de la "maladie", est quelquefois entretenue par un exces d'exercice. J'ai connu une jeune fille de vingt-huit ans, tres obese, qui, apres avoir consulte des medecins de diverses nationalites, avait fini par suivre les conseils d'un empirique, qui n'avait rien trouve de mieux, pour la faire maigrir, que de mettre sa mere en relations avec un commandant de chasseurs a pied, de facon que ces deux dames pussent suivre tous les exercices du bataillon. Au bout d'un mois, la mere etait demi-morte, et la jeune fille grossissait toujours. Sous l'influence de l'exercice, elle mangeait davantage et buvait en consequence. Mais vint un jour ou l'estomac, fatigue par la suralimentation, se mit a protester; c'est alors que je prescrivis le regime ultra-restreint, pendant quelques jours, pour remettre l'estomac en etat, le repos presque absolu pendant cette periode, puis un regime s'adaptant au fonctionnement de l'estomac et de l'intestin, avec un exercice modere; et voici que, sous l'influence de ce traitement, la malade vit diminuer son obesite, et disparaitre, successivement, d'autres troubles varies qui, comme l'obesite, etaient symptomatiques! Il n'y a pas de regime des obeses: il y a le regime applicable a tel ou tel malade atteint d'obesite. Le plus souvent, le regime restreint est indique; d'autres fois, il faut alimenter l'obese, et rien n'est dangereux comme de le faire maigrir par insuffisance alimentaire. Il ne faut pas, non plus, le faire maigrir par l'emploi de la thyroidine. Je dois dire, cependant, que j'ai ete surpris des resultats excellents obtenus, par la thyroidine, chez un obese de vingt ans qui, en six mois, a vu son poids baisser de 105 a 80 kilogrammes, sans qu'il en soit resulte le moindre trouble pour la sante. Mais la thyroidine avait ete maniee par le Dr Polin avec une prudence extreme (2 milligrammes par jour, et pendant six mois consecutifs). En general, il faut se mefier de ce medicament, qui demande une surveillance medicale sinon quotidienne, du moins hebdomadaire; il faut enfin se rappeler que l'hygiene suffit toujours pour attenuer l'obesite au point d'en supprimer les inconvenients, et aussi qu'il est toujours dangereux de faire trop maigrir un obese, ou de le faire maigrir trop vite. Quand un obese maigrit trop vite, son ventre tombe, il est vrai; mais c'est le commencement de l'effondrement. Son systeme nerveux tombe aussi. En y mettant le temps, au contraire, c'est-a-dire en ne brusquant pas la maniere d'etre du sujet, on peut toujours arriver a des resultats excellents. J'ai commence a donner des soins il y a dix ans, a une dame de soixante-sept ans, qui pesait 97 kilogrammes. Elle est arrivee en dix-huit mois, a baisser, avec une progression continue, a 77 kilogrammes... Depuis, elle garde son poids et sa sante; son declin s'opere avec une lenteur telle qu'il est a peine perceptible. Inutile de dire que l'hygiene seule a fait les frais de la therapeutique. CHAPITRE II LA VIEILLESSE Quelle que soit l'economie qui ait preside a l'usage du capital biologique, il n'est pas possible que quelques mauvais placements n'aient ete faits, dans le courant de l'existence; que des chocs accidentels, et independants de la volonte, n'aient, a diverses reprises, ebreche le capital. L'homme qui se condamnerait a vivre a seule fin de prolonger ses jours vivrait certainement tres longtemps, mais la sentence d'Horace lui serait applicable: "Pour vivre, il aurait perdu les raisons de vivre." _Et propter vitam vivendi perdere causas_. D'autre part, le capital diminue par le fait meme de la vie, comme la vitesse initiale d'un projectile diminue progressivement par le fait de la resistance de l'air. Enfin il vient un moment ou le capital, apres avoir produit des interets considerables, ne donne plus que des interets de moins en moins eleves. Ce moment coincide exactement avec la periode de declin, de sorte que, a partir de ce jour, quoi qu'il fasse et sans qu'il s'en doute, l'etre vivant s'appauvrit fatalement et progressivement. Il en arrive enfin a n'etre plus qu'un mediocre petit rentier; et c'est alors la vieillesse. Vieillesse qui peut, d'ailleurs, survenir a tout age; temoin ces enfants qui ont l'aspect de petits vieillards, comme on dit dans le langage courant; ces hommes de quarante ans qui sont aussi des vieillards, des loques humaines. Mais, le plus souvent, la vieillesse survient a un age plus tardif, que, pour le besoins de la cause, nous fixerons, par exemple, a soixante-cinq ans. A partir de cet age, l'homme ne doit pas se borner, comme le lui conseillaient les trois jeunes gens du fabuliste, "a songer a ses erreurs passees" Il peut meme encore avoir "de longs espoirs et de vastes pensees", a condition que ce ne soit pas pour lui, mais pour ses arriere-neveux. Il peut, en d'autres termes, jouir de son experience et s'efforcer d'en faire profiter les autres; mais en se rappelant qu'il a atteint l'age du repos, des menagements et des precautions. Et de meme que, dans la premiere periode de la vie, il appartient aux parents de menager pieusement et de faire sagement fructifier le capital de l'enfant; de meme, a cette derniere periode, il est du devoir des enfants de veiller avec zele sur la frele existence dont ils ont la charge; d'eviter au vieillard toute fuite nerveuse, tout chagrin, tout souci, tout ecart de regime, et de le preserver contre toute intervention therapeutique brutale. Quelles sont les influences qui compromettent d'une facon speciale le vieillard vivotant? Les influences psychiques sont beaucoup moins importantes que dans l'age adulte. Quelques vieillards, il est vrai, gardent leur sensibilite et leur jeunesse de sentiments. L'experience de la vie ayant tempere la fougue de leurs jeunes annees, leur ayant appris l'indulgence et la misericorde, ils deviennent des etres exquis, d'un commerce aussi agreable que profitable. Mais, le plus souvent, la sensibilite s'emousse, et un egoisme tranquille preserve le vieillard de toute emotion nuisible. Apprend-il la mort d'un de ses contemporains, fut-ce de son meilleur ami? Il en est bien un peu chagrine, mais l'emotion qu'il eprouve est surtout egoiste, a cause de la crainte qu'elle lui donne de voir son tour arriver; en somme, elle est peu profonde, et n'est pas comparable au chagrin poignant de l'homme adulte perdant un etre aime. Donc, de ce cote, peu de fuites nerveuses. Du cote du systeme musculaire, il n'y en a pas non plus. Le simple bon sens fait que le vieillard n'abuse pas, en general, de son restant de forces musculaires: exception faite cependant pour les cas ou des parents ou des amis mal avises, croyant bien faire, forcent le vieillard a se deplacer sans relache, pour passer l'hiver dans le Midi, l'ete en Suisse, le printemps ailleurs. Combien ne serait-il pas plus sage, en general, de le laisser tranquillement chez lui, dut-il ne pas quitter sa chambre? J'ai longtemps donne des soins a une vieille dame que ses enfants emmenaient en villegiature, toujours malgre elle, dans le centre de la France, et ramenaient a Paris en octobre. Or, apres chaque voyage, il fallait un mois de soins assidus et de precautions pour effacer les traces de fatigue occasionnee par le deplacement. La verite est que, dans les cas exceptionnels, le sejour hivernal dans le Midi peut etre recommandable, mais que, d'une facon generale, il faudrait se rappeler un peu plus le dicton populaire affirmant "qu'on ne doit pas transplanter un vieux chene", et qu'on devrait regarder a deux fois avant de proposer, et surtout d'imposer a un vieillard, soit un lointain changement de pays, soit meme un changement d'appartement. Il faut, en general, tenir plus de compte qu'on ne le fait de son desir, qui est dicte par un vague instinct de conservation et qui trompe rarement. Ce qui menace le plus le vieillard, en dehors bien entendu des affections accidentelles, ce sont les ecarts dans l'alimentation. Une indigestion qui, chez un homme jeune, se serait traduite par un leger etat gastrique, amene chez le vieillard un effondrement colossal; et, pour peu que la therapeutique intervienne d'une facon inopportune sous la forme d'un purgatif qui semble bien anodin, la situation peut s'aggraver d'un jour a l'autre. Il faut alors des semaines pour remettre en etat le systeme nerveux bouleverse. Imaginez un foyer pres de s'eteindre, ou il ne reste plus qu'une petite flamme vacillante; irez-vous l'alimenter par un soufflet de forge, et charger le foyer de grosses buches de bois? Non, vous mettrez sur la flamme, avec d'infinies precautions, des brindilles de bois bien sec, et c'est seulement ensuite que vous mettrez des fragments un peu plus volumineux, pour arriver enfin a la buche qui entretiendra la vie du foyer. De meme chez le vieillard malade, surtout quand il a des phenomenes gastriques, prudence extreme dans l'alimentation, frequence de l'alimentation, et repos absolu: c'est la base du traitement. Mais combien, pour faire observer ces prescriptions si simples, ne faut-il pas au medecin d'energie et de foi? Qu'on veuille donc bien se rappeler que le vieillard malade n'a besoin que d'une alimentation restreinte, que ce n'est pas ce qu'il prendra qui lui sera profitable, mais bien ce qu'il assimilera, et que, chez lui, la puissance d'assimilation est extremement minime! Lui-meme, d'ailleurs, il le dit, il proteste, plus ou moins energiquement, contre les menus qu'un zele mal eclaire s'ingenie a lui proposer. En dehors de ces etats gastriques passagers, le regime du vieillard doit etre, en general, peu substantiel. Il faut surtout qu'il mange peu le soir, s'il tient a avoir quelques heures de sommeil. S'il eprouve le besoin de se nourrir, qu'il mange souvent, plutot que beaucoup a la fois. Mais on ne saurait croire combien certains vieillards ont peu besoin de manger. J'ai eu longtemps pour patiente une vieille dame qui avait trop mange pendant toute sa vie, et, de ce chef, avait eu une dyspepsie permanente accompagnee de miseres variees, en tete desquelles venait la constipation. De la obsession de tous les instants; tant qu'on ne l'eut pas mise exactement au regime convenable, elle fut torturee par ce symptome, restant huit ou quinze jours sans parvenir a aller a la garde-robe, malgre les lavements, les suppositoires, le massage abdominal, etc. On avait du meme, plusieurs fois, recourir au curetage. Or je me dis, un jour, que le regime relativement restreint que je lui avais impose tout d'abord n'etait peut-etre pas encore assez restreint. Comme elle n'avait jamais d'appetit, et qu'elle ne mangeait que pour faire plaisir a son entourage, je fis avec elle une sorte de convention, qui fut de restreindre, sous ma surveillance, son alimentation progressivement, et dans la mesure extreme du possible. Apres un mois de tatonnements, ma collaboratrice et moi en etions arrives a la formule suivante, que je transcris d'apres mes notes: "7 heures matin, une tasse a the de cafe au lait; 10 heures, une tasse a cafe de semoule au lait, ou de panade, ou de farine de Hongrie, ou de creme de riz, ou de creme d'orge aux memes doses, et un peu de confiture avec lait; Midi, un quart d'echaude; 5 heures, cafe au lait; 7 heures, comme a midi; dans la nuit, une tasse a cafe de lait." Ce regime, qui d'abord paraissait a l'entourage absolument ridicule, finit par etre accepte quand on vit la malade reprendre, progressivement, du sommeil, un peu de force, un peu d'appetit, et surtout quand on vit disparaitre sa constipation. Ses fonctions s'executaient, en effet, tres regulierement tous les deux ou trois jours, spontanement. Le regime fut continue jusqu'a sa mort, qui survint trois ans apres. Elle s'eteignit sans souffrance a l'age de quatre-vingt-quatre ans. Je pourrais relater bien d'autres exemples semblables, mais ils seraient tous calques sur ce modele. Il est, par contre, des vieillards qui ont conserve un gros appetit: il faut savoir le respecter, tout en essayant de le moderer un peu, du moment que la sante reste bonne. Pour en finir avec la question de regime, disons qu'un peu de vin genereux, etendu d'eau, est, en general, une boisson excellente pour le vieillard, bien portant ou malade; et que le lait, par contre, lui est le plus souvent prejudiciable, sauf dans les etats aigus ou subaigus prolonges. Quant aux affections accidentelles qui surviennent chez le vieillard, et qui compromettent son reste de vie, elles sont peu nombreuses, et font, neanmoins, beaucoup de victimes. La plus importante de toutes est la pneumonie. C'est, tres souvent, une pneumonie d'origine grippale: aussi ne saurait-on trop soigner la grippe des son debut, chez le vieillard plus encore que chez l'adulte. La pneumonie est insidieuse chez le vieillard. Elle ne se traduit que par un malaise general, avec tres peu de phenomenes pulmonaires, mais elle s'accompagne toujours de fievre. Si donc les familles savaient se servir du thermometre, on aurait des chances de porter secours aux malades en temps utile; et alors une injection de cacodylate de gaiacol, quelques cachets de quinine, une certaine dose de cognac ou de vin tres genereux, parviendraient, dans bon nombre de cas, a le sauver; tandis qu'en general, quand on appelle le medecin, il est trop tard, le medecin ne peut plus faire que le diagnostic, et prevenir la famille de la gravite de la situation. Les petites hemorragies cerebrales viennent souvent compromettre la survie du vieillard. Ordinairement, il echappe a la premiere atteinte, mais il en sort tellement amoindri, physiquement et intellectuellement, qu'on peut dire qu'il a cesse de vivre avant de mourir. Grace aux soins dont il est entoure, a partir de ce moment, il se survit a lui-meme pendant quelquefois plusieurs annees, jusqu'a ce qu'il se decide a mourir apres une deuxieme ou troisieme attaque. Quand aucune des causes graves ci-dessus mentionnees ne s'observe, le petit rentier qu'est le vieillard continue a vivoter plus ou moins longtemps, jusqu'au jour ou, tout son capital et tous ses revenus etant epuises, il cesse de vivre, tout simplement parce qu'il n'a plus la force de vivre. Il s'eteint alors et se repose comme le travailleur qui a fini sa tache. C'est ce que traduit d'une facon, tres profondement philosophique, l'expression courante de "defunt", la traduction litterale du mot latin _defunctus_ etant: "Celui qui s'est acquitte." Les privilegies sortent de la vie comme d'un banquet, en remerciant leur hote. Heureux s'ils peuvent leguer a une nombreuse posterite "l'exemple de leur vie!" FIN INDEX ALPHABETIQUE Albuminurie:--permanente;--son regime. Alcool. Alimentation: de l'enfant ne avant terme;--du premier age;--Gouttes de lait;--chez le petit enfant;--chez l'enfant du deuxieme age;--defectueuse; excessive;--ration d'entretien;--observation d'une malade guerie par le regime restreint;--insuffisante en quantite;--a la sonde;--observation d'une malade febricitante guerie par l'alimentation forcee;--insuffisante en qualite;--chez le vieillard. Aliments adulteres par les procedes chimiques; physiques. Auto-intoxication, (Hypothese de l'). Avarie. Bains: chauds dans les pneumonies;--prolonges;--de briques;--de vapeur;--electriques;--de mer. Blennorragie, ses dangers tardifs. Boissons: fermentees;--distillees;--le vin chez l'homme bien portant;--chez le malade:--dans la ration du soldat;--eau sterilisee en usage dans l'armee. Cancer, son heredite. Capital biologique (hypothese du). Causes morbigenes: ambitions decues;--passion amoureuse;--inquietudes; --vie brisee;--frayeur. Causes accidentelles. Chaleur seche (dermotherme). Choc: traumatique;--chirurgical;--moral. Coeur: "maladies" du coeur--leur heredite;--observation d'un faux cardiaque;--la periode de declin. Constipation;--et entero-colite;--provoquee chez les operes;--son innocuite;--guerison par le repos;--dangers des purgatifs;--obsession de la constipation;--lavements d'huile;--injections de Brown-Sequard;--chez le vieillard;--Convalescence, sa rapidite chez l'enfant. Course en flexion. Declin: age de declin;--pouvant n'etre qu'apparent;--problemes cliniques a l'age du declin, leur difficulte. Diabete: regime;--traumatique, sa gravite. Dyspepsie: observation d'une malade avec predominance de troubles dyspeptiques. Eaux minerales;--table de regime;--de Carlsbad;--Chatel-Guyon, Bagnoles, Brides, Vichy;--Vittel. Education: chez la jeune fille;--chez le jeune homme;--de la volonte;-- Electricite;--bains electriques. Emplatre. Enfants: preservation contre la tuberculose;--couveuses artificielles;--alimentation de l'enfant ne avant terme:--le capital biologique de l'enfant doit etre cree par les parents;--puericulture;--alimentation du premier age, son importance pour toute la vie;--Goutte de lait;--pathologie infantile;--sa simplicite relative;--ses difficultes;--necessite du sommeil prolonge;--mastication;--convalescence rapide;--enfants du type musculaire;--cerebral;--du deuxieme age, alimentation:--fievre digestive. Epilepsie. Exploration abdominale. Exercice: difficulte de le doser chez les jeunes filles nerveuses; --dans un grand college moderne;--chez les professionnels;--chez les jeunes gens (danger des sports);--et entrainement;--et gymnastique respiratoire;--Institut Zander;--chez les obeses. Fatigue;--et epuisement. Fievre digestive des enfants;--typhoide. Folie: chez la jeune fille:--delire de la persecution;--l'alienation mentale et la "maladie";--menstruation chez l'alienee;--du doute;--obsession:--manie aigue. Frictions. Grippe, son influence pathogene. Grossesse ("maladies" de la mere pendant la). Hemorragies cerebrales, chez les vieillards. Heredite: etymologie;--generalites;--protestation contre la fatalite des tares hereditaires;--de la longevite;--de la tuberculose;--du cancer;--des tares nerveuses, 15;--de la paralysie generale, 16;--des "maladies" de coeur, 16;--des affections renales, 17. Hydrotherapie: froide, 223;--tiede 225;--maillot humide, 225. Hypnose, 189;--chez les alienes, 191;--ses dangers, 194. Hygiene de la procreation, 21. Hysterie (simulant une "maladie" organique de la moelle), 114. Hypothese (son role dans la science), 1. Injections: action dynamogenique de tout liquide injecte, 232;--hypodermiques d'eau de mer, 234;--de cacodylate de magnesie, 235;--de cacodylate de soude, 235;--de gaiacol, 238;--de quinine 239;--d'heroine,239;--de mercure, 240;--de morphine, 240;--huileuses,240;--d'huile mercurielle, 241;--d'huile creosotee, 242;--etsuggestion, 244;--injections de Brown-Sequard, (constipation), 353. Influences morbigenes, generalites, 30. Isolement (en maison de sante, ses dangers), 70. Jeune fille: voyage de noces, ses dangers, 20;--education sexuelle--, 21;--menstruation--,66;--despotisme de certaines meres, 68;--difficulte de doser l'exercice chez les jeunes filles nerveuses, 66;--alienation mentale--, 71;--vocation contrariee, 72;--mariage contrarie--, 73;--utilite du mariage chez les jeunes filles nerveuses, 74;--surmenage scolaire--, 75. Jeune homme: surmenage scolaire, 75;--necessite du sommeil, 76;--exercice chez les jeunes gens (danger des sports), 78; --exercice physique chez les jeunes gens, 79; --education sexuelle, 81;--psychotherapie, 83. Ligue des peres de famille, 80. Longevite: heredite de la, 8;--humaine, 9. Malade: son entourage, 204;--ne voulant pas guerir, 207;--regime des grands malades, 217;--n'osant pas manger, 220;--danger des voyages, 267. "Maladies": accidentelles, 42;--la "maladie", 94-95;--petits symptomes de la "maladie", 95,--la "maladie" et les "maladies" accidentelles, 97;--causes morales, generalites, 142;--causes accidentelles de la "maladie", 162;--du coeur a la periode du declin, 279. Mariage: contrarie chez la jeune fille, 73;--son utilite pour les jeunes filles nerveuses et ses dangers, 74. Massage, 228;--abdominal, 229. Meningite, 55. Menstruation: utilite du repos, 66;--chez l'alienee, 165;--chez la grande malade, 166;--menopause, 296. Migraine, 40. Mort naturelle, 310. Nevrose (sa contagion), 148. Obesite, 297;--exercice chez les obeses, 298;--regime chez les obeses, 299. Obsession: de la constipation, 251;--de la rougeur, 187. Observations: d'une malade avec predominance de troubles dyspeptiques, 99;--d'une malade avec predominance de troubles de nutrition, 105;--d'un faux cardiaque, 107;--d'une malade suivie pendant trente ans, chez laquelle presque tous les appareils ont ete successivement atteints, 110;--d'une grande malade guerie par le regime restreint, 128;--d'une malade febricitante guerie par l'alimentation forcee. 132. Operes: operations de complaisance, 155;--morphine chez les, 156; --role medical du chirurgien, 156;--purgation chez les, 157;--constipation provoquee chez les, 158. Opotherapie: hepatique, 236;--ovarienne, 286. Paralysie generale, heredite, 16. Pertes: materielles, 143;--au jeu, 144. Pneumonie: bains chauds dans la;--chez le vieillard, 308. Protection, loi de protection des faibles, 10. Psychonevroses, leur traitement moral, 213. Psychotherapie: chez le jeune homme, 83;--savoir prendre un parti, 175;--respect du temps, 176;--derivative. 180; --sedative, 181;--reconstituante, 182;--resignation, 182;--foi religieuse, 208;--et probleme religieux, 210. Ptose: abdominale, 169;--et ceinture hypogastrique, 167;--passagere, 169. Purgatifs et constipation, 249. Regime: ration d'entretien, 125,--des Chartreux, 125;--des Trappistes, 125;--des soldats, 127-140;--des guides alpins, 127;--observation d'une grande malade guerie par le regime restreint, 128;--en cas d'effondrement abdominal, 172;--et suggestion, 215;--des grands malades, 217;--monotone, 218;--sec (ses dangers), 219;--a boisson restreinte, 219;--et eaux minerales, 255;--des diabetiques, 293;--des albuminuriques, 297;--des obeses, 299;--lacte chez les vieillards, 308. Repos: dans les etats aigus, 173;--cure de--, 205;--constipation guerie par le--, 205;--avant le repas, 221;--apres le repas, 222;--au lit, 265. Sommeil: necessite du sommeil chez l'enfant, 57;--necessite du sommeil chez les jeunes gens, 76;--diurne (ses bons effets) 173;--l'aliment favorise le--, 221;--et repos au lit, 221. Sports, chez les jeunes gens (leur danger) 78. Suggestion et regime, 215. Symptomes morbides, 32;--petits symptomes de la "maladie", 95. Syphilis: polynatalite, 10;--et meningite, 12;--Societe de prophylaxie sanitaire et morale, 13;--necessite d'un traitement pour prevenir la transmission hereditaire de la, 23; --age a laquelle se contracte la--, 84;--manifestations tertiaires, 164;--et assurances sur la vie, 164. Travail: cerebral insuffisant, 119; --cerebral excessif, 119;--musculaire excessif, 121;--ration de--, 125. Tuberculose heredite, 13;--oeuvre de preservation de l'enfance contre la--, 14 et 89;--dans l'armee, 87;--et sanatorium populaire, 38;--et dispensaire, 88. Vacances: leur necessite, 261;--colonies de--, 262. Vesicatoires, 255. Vieillards: voyages, 304;--alimentation, 306;--constipation, 307;--pneumonie, 308;--regime lacte, 308;--hemorragie cerebrale, 309. Vin: chez l'homme bien portant, 139;--chez le malade. 141; Voyages: de noces (ses dangers), 20;--leur utilite chez les gens bien portants, 261;--leur danger chez les malades, 267;--chez les vieillards, 304. AUTEURS CITES Dr BARADUC, 37. BRIEUX, 83. BROWN-SEQUARD, 236. Dr CHARCOT, 194 Dr CAMPENON, 156. Dr CHAILLOU, 76. Dr DELORME, 158. Dr DUBOIS, 213. Dr DUPRAT, 194. FLOURENS, 9. Dr FONSAGRIVES, 55. FONSAGRIVES (Abbe), 81. Dr A. FOURNIER, 13. Dr ED. FOURNIER, 84. Dr GRANCHER, 14. Dr GRASSET, 194. Dr HUCHARD, 17. Dr KELSCH, 87. KNEIPP, 224. Dr LAGRANGE, 79 et 86. Dr LAUMONIER, 64. Dr LEGENDRE, 80. Dr LEREDDE, 231. Dr MATHIEU, 33. Dr PINARD, 21 et 45. PLANTET, 262. POINCARE, 1. Dr ROBIN, 293. Dr RUNGBERG, 164. SERTILLANGES (Abbe), 125. Dr SIGAUD, 171. Dr R. SIMON, 234. VANCAUWENBERGHE, 48. Dr VARIOT, 47. Dr A. VOISIN, 194. TABLE DES MATIERES PREFACE PREMIERE PARTIE CHAPITRE I LE CAPITAL BIOLOGIQUE Notre postulatum: le capital biologique. Sa valeur variable selon chaque individu et selon chaque periode de la vie. Capital initial; influences qui le font varier. CHAPITRE II HEREDITE Definition de l'heredite; son role. Heredite de la longevite. Role de l'heredite dans l'alcoolisme; la syphilis; la tuberculose; le cancer; les tares nerveuses: les "maladies" de coeur; des reins. CHAPITRE III CONCEPTION La valeur des generateurs au moment de la conception.--Loi de protection des faibles. Hygiene de la procreation: education sexuelle de la jeune fille. CHAPITRE IV GESTATION Les influences qui ont pu atteindre le produit pendant la gestation.--Emotions, miseres physiologiques, "maladies" de la mere pendant la grossesse. Enfants nes avant terme. CHAPITRE V INFLUENCES MORBIGENES ET SYMPTOMES MORBIDES La vie de l'etre humain peut etre figuree par une courbe evolutive: les influences morbigenes modifient cette courbe. La meme influence peut se traduire par des symptomes varies; et, inversement, des influences variees peuvent se traduire par le meme symptome (ex.: constipation) ou par le meme ensemble de symptomes (ex.: epilepsie). Tous les systemes organiques peuvent etre troubles a la fois. Le plus souvent, c'est l'organe le plus faible qui traduit le malaise. Le systeme nerveux est la clef de voute de la pathologie, c'est lui qu'atteignent le plus les causes morbigenes. CHAPITRE VI DE LA NAISSANCE AU SEVRAGE.--PUERICULTURE Importance de l'alimentation du premier age pour toute la duree de la vie. Le lait de la mere appartient a l'enfant. Gouttes de lait (de Belleville, de Saint-Pol). La pathologie enfantine est, le plus souvent, simple; quelquefois, de la plus grande difficulte. Succes therapeutiques chez les petits enfants atteints de syphilis, de pneumonie. CHAPITRE VII DU SEVRAGE A LA PUBERTE 1 deg. Chez l'enfant du deuxieme age. Necessite du sommeil prolonge, d'une mastication parfaite. Les "maladies" accidentelles a cet age evoluent vite, sans convalescence.--Chez l'enfant de sept ans a la puberte. Enfant du type musculaire (hygiene qui lui convient); du type cerebral. Les deracines. "maladies" accidentelles chez l'enfant. "maladies" tres souvent provoquees par une alimentation defectueuse. CHAPITRE VIII DE LA PUBERTE A L'AGE ADULTE I. _Chez la fille_.--Precautions a prendre a l'apparition des regles. Chloro-anemie. Causes speciales de "maladie": --A. Surmenage intellectuel.--B. Causes morales (despotisme de la mere, vocation contrariee); brevets: mariage rendu impossible; besoin du mariage.--C. Surmenage musculaire. Quelle que soit la cause, les symptomes sont les memes, mais le traitement varie avec la cause. Facilite relative de la guerison. II _Chez le garcon_.--1 deg. Surmenage scolaire (insuffisance du sommeil).--2 deg. Surmenage physique (abus des sports, de l'escrime, utilite des exercices automatiques _(Ligue des peres de famille_).--3 deg. Deviation de l'hygiene sexuelle: education sexuelle. Par qui elle doit etre donnee. Enseignement individuel et enseignement collectif. Utilite de l'exercice pousse au maximum de la tolerance. Aberrations de l'instinct sexuel: psychotherapie. III. _Causes morbigenes communes aux deux sexes_.--"maladies" accidentelles: tuberculose (le sanatorium, les dispensaires, oeuvres de preservation). DEUXIEME PARTIE CHAPITRE I MATURITE L'homme doit travailler et produire. Necessite des periodes de repos. Le coup de collier. La fatigue. L'entrainement. L'epuisement (ses signes premonitoires). Surmenage cerebral-musculaire (ses signes premonitoires. La "maladie". CHAPITRE II CARACTERES GENERAUX DE LA "MALADIE" Ce que c'est que la "maladie". Maniere d'etudier un malade. Quatre observations de patients atteints de la "maladie" sous ses diverses formes. Troubles fonctionnels pouvant simuler les affections avec lesions d'organes. Role du systeme nerveux central dans la pathogenie de la "maladie". Embarras gastrique. CHAPITRE III LES CAUSES DE LA "MALADIE" I. _Causes physiques_.--1 deg. Surmenage cerebral, travail cerebral insuffisant. La "maladie" due au surmenage cerebral peut revetir des formes cliniques tres diverses.--2 deg. Surmenage musculaire.--3 deg. Vices d'alimentation. Generalites, auto-intoxication, irritation.--_A_. Alimentation excessive en quantite. Ration d'entretien. Regime des Chartreux, des Trappistes, des soldats, des guides alpins. Observation d'une grande malade guerie par le regime restreint.--_B_. Alimentation a la sonde.--_C_. Alimentation insuffisante en qualite. Adulteration des aliments: _a_) par les procedes chimiques, _b_) par les procedes physiques. --_D_. Alcool. Boissons fermentees, leur utilite. Boissons distillees, leur danger. II. _Causes morales_.--Leur importance preponderante: _A_. Pertes d'argent. Jeu. Ambitions decues.--_B_. Influences compromettant la quietude de l'ame. Passions. Incompatibilite d'humeur.--_C_. Inquietudes d'origine altruiste. Separation momentanee, definitive.--Choc traumatique: _a_) Hystero-neurasthenie traumatique. _b_) Choc chirurgical. Danger de l'intervention medicale des chirurgiens. Danger de la morphine aux operes. Des purgations. Constipation provoquee chez les operes, ses avantages. III. _Causes accidentelles_.--Fievre typhoide. Grippe: son grand role pathogenique. Syphilis. IV. _Influences morbigenes speciales a la femme_.--Menstruation. Grossesse. Ptose abdominale: Exploration abdominale. CHAPITRE IV PSYCHOTHERAPIE Definition. Ne pas s'exagerer l'importance de son role 1 deg. Son action s'etend aux deviations mentales.--2 deg. A un grand nombre de troubles somatiques.--_A. Moyens par lesquels on diminue les depenses d'influx nerveux:_ savoir prendre parti; avoir des principes; le respect du temps; des habitudes d'ordre. Application de ces preceptes. Un cas de folie du doute. Psychotherapie dans la manie aigue, dans les obsessions. Resignation passive et active.--_B. Moyens par lesquels on augmente les recettes._ 1 deg. Gymnastique de la volonte, quelques procedes pratiques (gymnastique respiratoire, gymnastique suedoise).--Moyens par lesquels on augmente artificiellement le capital insuffisant: hypnose. Action personnelle de l'hypnotiseur, indications du traitement par l'hypnose. Ce qui limite l'emploi de l'hypnose en therapeutique, c'est que: 1 deg. ceux qui en auraient le plus besoin sont les plus difficiles a hypnotiser.--2 deg. C'est que c'est un moyen qui peut etre trop actif. C'est un agent therapeutique utile, non dangereux, s'il est bien manie; le medecin seul peut le bien manier. Conseils pratiques pour l'application des procedes psychotherapiques. --1 deg. Le medecin doit soigner avec son coeur, plus qu'avec son intelligence.--2 deg. Paraitre ne jamais etre presse.--3 deg. Ni meme etre presse.--4 deg. Savoir parler au malade.--5 deg. Ne lui imposer que le strict minimum de prescriptions. Difficultes du traitement psychotherapique: 1 deg. Absence de foi chez le malade (malades a theories medicales. Malades qui ne veulent pas guerir).--A l'hostilite de l'entourage. Le medecin confident.--Psychotherapie et sentiment religieux. CHAPITRE V AUTRES AGENTS THERAPEUTIQUES 1 deg. Regime alimentaire (les prescriptions dietetiques n'agissent pas seulement par suggestion). Diete liquide. Regime des potages. Regime a boisson restreinte. De la frequence des repas. Du repos apres et avant le repas. 2 deg. Moyens accessoires.--A. _Hydrotherapie_: froide, exceptionnellement indiquee. Methode de Kneipp. Drap mouille. Hydrotherapie tiede: tub, bain. Malades dont il ne faut pas mouiller la peau. Chaleur seche. Massage. Frictions. Bains de vapeur. Bains electriques. Electricite.--B. _Injections hypodermiques._--1 deg. Influence utile de l'injection en tant qu'injection (serum artificiel, eau de mer).--2 deg. Action propre du liquide injecte. Cacodylate de soude, de magnesie, de fer. Injections de Brown-Sequard. Strychnine. Cacodylate de gaiacol dans la "maladie" post grippale. Quinine, heroine et morphine, leurs dangers. Injections huileuses: _a_. Mercurielles. _b_. Creosotees. Role alimentaire de l'huile injectee.--3 deg. Des injections hypodermiques comme procede de suggestion.--C. Vesicatoires. Emplatres. Purgatifs. Etude de la constipation et des constipes.--D. _Eaux minerales_, leurs indications. Les tables de regime. Carlsbad. Vichy. Bagnoles. Brides. Vittel. Chatel-Guyon, Bourbon l'Archambault, etc. Les medecins des eaux.--_Voyages_. Leur utilite chez les gens bien portants. Leur danger chez de grands malades. Precautions a prendre pour qu'ils soient utiles aux malades moyens. La grande malade et le ciel de la Cote d'Azur. Voyage et entrainement. Vacances. Colonie de vacances.--F. _La mer_.--La cure marine. Le train des maris. TROISIEME PARTIE CHAPITRE I LA PERIODE DE DECLIN Le declin peut survenir a tout age. Exemples de limites extremes. Les tares organiques. Les cardiopathies se revelent. Le declin peut n'etre qu'apparent (difficulte du diagnostic). Petits symptomes premonitoires du declin. Menopause. Opotherapie ovarienne. Influences morales. Aberrations tardives de l'instinct sexuel. Age critique de l'homme. Forme que revet souvent la "maladie" a cet age. Traitement psychotherapique, regime, precautions. Le diabete. Role du systeme nerveux dans le diabete. Il n'y a pas de regime du diabete, ni meme des diabetiques. Albuminurie: transitoire, intermittente, permanente. Pronostic variable. Il n'y a pas de regime de l'albuminurie, ni meme des albuminuriques. Obesite. Exercice chez les obeses. Thyroidine. Il n'y a pas de regime de l'obesite. Danger de l'amaigrissement rapide. CHAPITRE II LA VIEILLESSE Elle peut survenir a tout age. Influences speciales a la vieillesse de l'homme age. Necessite du repos et dangers des voyages. Alimentation restreinte. Accidents qui font mourir le vieillard. De la mort naturelle. INDEX. AUTEURS CITES. TABLE DES MATIERES. End of the Project Gutenberg EBook of La lutte pour la sante, by Dr. Burlureaux *** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA LUTTE POUR LA SANTE *** ***** This file should be named 12105.txt or 12105.zip ***** This and all associated files of various formats will be found in: https://www.gutenberg.org/1/2/1/0/12105/ Produced by Joris Van Dael, Renald Levesque and the Online Distributed Proofreading Team. Updated editions will replace the previous one--the old editions will be renamed. 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It exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from people in all walks of life. Volunteers and financial support to provide volunteers with the assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will remain freely available for generations to come. In 2001, the Project Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 and the Foundation web page at https://www.pglaf.org. Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit 501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by U.S. federal laws and your state's laws. The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered throughout numerous locations. Its business office is located at 809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact information can be found at the Foundation's web site and official page at https://pglaf.org For additional contact information: Dr. Gregory B. Newby Chief Executive and Director gbnewby@pglaf.org Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide spread public support and donations to carry out its mission of increasing the number of public domain and licensed works that can be freely distributed in machine readable form accessible by the widest array of equipment including outdated equipment. Many small donations ($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt status with the IRS. The Foundation is committed to complying with the laws regulating charities and charitable donations in all 50 states of the United States. Compliance requirements are not uniform and it takes a considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up with these requirements. We do not solicit donations in locations where we have not received written confirmation of compliance. To SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state visit https://pglaf.org While we cannot and do not solicit contributions from states where we have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition against accepting unsolicited donations from donors in such states who approach us with offers to donate. International donations are gratefully accepted, but we cannot make any statements concerning tax treatment of donations received from outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff. Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation methods and addresses. Donations are accepted in a number of other ways including including checks, online payments and credit card donations. To donate, please visit: https://pglaf.org/donate Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic works. Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be freely shared with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper edition. Each eBook is in a subdirectory of the same number as the eBook's eBook number, often in several formats including plain vanilla ASCII, compressed (zipped), HTML and others. Corrected EDITIONS of our eBooks replace the old file and take over the old filename and etext number. The replaced older file is renamed. VERSIONS based on separate sources are treated as new eBooks receiving new filenames and etext numbers. Most people start at our Web site which has the main PG search facility: https://www.gutenberg.org This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, including how to make donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. EBooks posted prior to November 2003, with eBook numbers BELOW #10000, are filed in directories based on their release date. If you want to download any of these eBooks directly, rather than using the regular search system you may utilize the following addresses and just download by the etext year. https://www.gutenberg.org/etext06 (Or /etext 05, 04, 03, 02, 01, 00, 99, 98, 97, 96, 95, 94, 93, 92, 92, 91 or 90) EBooks posted since November 2003, with etext numbers OVER #10000, are filed in a different way. The year of a release date is no longer part of the directory path. 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