The Project Gutenberg EBook of Contes a la brune, by Armand Silvestre This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org Title: Contes a la brune Author: Armand Silvestre Release Date: May 12, 2004 [EBook #12331] Language: French Character set encoding: ASCII *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK CONTES A LA BRUNE *** Produced by Tonya Allen and PG Distributed Proofreaders. This file was produced from images generously made available by the Bibliotheque nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr. ARMAND SILVESTRE CONTES A LA BRUNE _Illustrations de Kauffmann_ A.C.L. _Je dedie ces contes a la tres belle qui les a inspires. Je les publie pour les lecteurs fideles de mes_ Pleines Fantaisies. _Ils y retrouveront mes meilleures pages et aussi le meilleur de moi, tout ce qui y est profond et sincere. La melancolie et la gaite s'y sont melees d'elles-memes, puisque ce sont des contes d'amour et que l'amour est, a la fois, le supreme tristesse et la supreme joie._ ARMAND SILVESTRE. Juillet 1888. [Illustration] L'HYMNE DES BRUNES _A Catulle Mendes._ Vous doutiez-vous, mon cher Mendes, que vous souleveriez l'ire des brunes avec votre jolie chanson des blondes? Vous voila confondu dans un meme anatheme avec Maizeroy, egalement convaincu de n'aimer que les toisons dorees baisant l'ivoire des epaules. Or voici que les porteuses de chevelures noires, dont un Styx jaillit du front marmoreen, ont eleve vers moi leur plainte et m'adjurent d'etre leur champion contre vous. Ils montent de toutes parts, leurs cris de vengeance, et le plus amer m'arrive de par dela la Mediterranee, comme un alcyon dont l'aile s'est trempee au flot sale. Une lettre, une lettre terrible, mon cher, datee de Mustapha-Alger. N'affrontez pas ces rivages, mon ami, ou vous y trouveriez certainement le sort d'Orphee qui n'eut d'autre tort peut-etre que de trop pleurer devant la beaute farouche des Menades, les charmes dolents et baignes de melancolie d'Eurydice. Par quoi ai-je merite d'etre ainsi choisi pour defendre la splendeur sombre des crinieres faites de nuit et pour repeter aux echos le doux vers Virgilien: Alba ligustra cadunt, vaccinia nigra leguntur. ou est chantee la saveur de la noire airelle? Sans doute par la sincerite d'un passe amoureux qui demeura, en effet, presque constamment fidele a la beaute brune, malgre quelques excursions dans les champs de bles tout noyes de soleil vivant. Je ne blasphemerai pas cependant vos charmes exquis, filles qui portez au front des rayons de miel, et a qui je dus mes seuls plaisirs tranquilles dans le monde passionnel ou presque tout me fut torture. La verite est que mes vraies douleurs et mes profondes ivresses ne me vinrent pas de vous. Celle qui porte en elle le secret horrible de mes desespoirs et de mes joies, dont le pied triomphant m'ecrasa le coeur, est coiffee d'un casque d'ombre; et cela est ainsi depuis que j'aime. Je ne mentirai donc pas en celebrant ses splendeurs cruelles. * * * * * Plus souples, plus legeres que les fils dont la nuit Tisse le voile obscur ou son front se recele, Et plus enveloppants sont les cheveux de celle Vers qui mon seul espoir desespere s'enfuit; Quand ma bouche en tremblant les effleure sans bruit, Leur magnifique eclat sous ma levre etincelle, Comme, dans le ciel noir ou l'ombre s'amoncelle, Des etoiles le choeur soudain s'allume et luit. Comme dans un linceul vivant et que souleve Chacun des battements ou se rythme mon reve, Dans leur reseau divin j'ai mon coeur enferme. Et, jaloux d'une mort plus douce que la vie, Au cou d'ivoire pur qu'ils inondent, j'envie Le doux et cher fardeau de leur flot parfume. * * * * * O vous qui portez le signe redoutable des defaites innombrables de mon coeur, Sulamites aux tempes nimbees d'ebene, je dirai, puisque cela vous amuse, l'ineffable torture ou me mit la contemplation de vos graces triomphantes. Tandis que, dans le teint des blondes, roule comme un Pactole de lait ou palpitent, ca et la, des parcelles de soleil; tandis que tout est gaiete dans le printemps rose de leurs joues, l'eclat de votre peau, a vous, est comme tisse de rayons de lune, de rayons d'argent pale ou frissonnent les mysteres sacres de la nuit, et votre paleur mate, votre paleur divine semble avoir besoin de notre sang pour y boire les chaleurs inquietes de la vie. C'est lui qu'aspire silencieusement le baiser de vos levres froides, tragiques amantes dont le sourire meme cache d'invisibles morsures. Sur les epaules doucement veloutees de vos rivales semble toujours flotter une lumiere d'aurore; ce sont les clartes stellaires du soir qui baignent d'un frisson votre poitrine ou la transparence des chairs fait courir le reseau bleu des veines, le reseau d'azur pale qui se perd dans le marbre. Tandis que la beaute des blondes est comme un eternel appel au plaisir, votre attirance, a vous, est surtout faite du besoin de souffrir qui, pour beaucoup, se confond avec le besoin d'aimer. Aussi n'ai-je guere pour vous moins de haine que d'amour, o vous qui m'avez traine dans les gehennes, femmes au front lilial encadre de flottantes tenebres! * * * * * Je veux vous dire cependant quelque chanson bien douce: Comme le vol d'une hirondelle, Sur un ciel d'aube aux blancs rideaux, Double, en passant, une ombre d'aile, Se dessinent tes noirs bandeaux. Leur ombre jumelle se joue Sur le ciel de ton front qui luit, Et jusqu'aux roses de ta joue, De sa corolle etend la nuit. Avant que l'hiver n'effarouche L'oiseau fidele, si tu veux, Je poserai longtemps ma bouche Au sombre azur de tes cheveux. * * * * * Mais, au fait, si celles qui m'ont elu pour plaider contre vous, o Maizeroy, o Catulle, etaient ce que nos aieux appelaient des: "brunes piquantes"! Oui, vous savez, ce qu'on nomme encore, dans la campagne, de simples "brunettes!" Ah! que j'aurais ete daube dans ma defense et comme je me trouverais vraiment quinaud, tout comme l'Anglais dont se moqua Panurge. J'avoue n'avoir jamais rien compris a la beaute du Diable. Je m'en tiens encore a celle du Bon Dieu. Aussi bien ce culte est-il le seul dont je l'honore. Au cas ou ma religion aurait ete indignement surprise, je veux conclure par une bien nette profession de foi: La Nuit dans les cheveux, la Nuit dans les prunelles; Le jour,--blanc sur le front,--sur la bouche vermeil: C'est cette ombre jumelle et ce double soleil, Que celles que je sers doivent porter en elles. Et je leur veux aussi les graces solennelles Des deesses d'antan sortant de leur sommeil. Car mon esprit paien au ciel meme pareil, Ne resplendit qu'au choc des beautes eternelles. Il faut a mes baisers des soins fermes et blancs; Mes bras ne s'ouvrant bien qu'a la rondeur des flancs Dont le marbre vivant s'elargit en amphore. Telle est la Femme au corps par mon desir mordu En qui s'incarne l'heur de mon reve eperdu Et dont l'amour cruel sans treve me devore! [Illustration] I CONTES DE PRINTEMPS [Illustration] LA PREMIERE DU PRINTEMPS C'est la premiere du Printemps Au theatre de la Nature, comme chantait Suzanne Lagier dans quelque antique feerie des Folies-Dramatiques. Oui, mes amis, c'est aujourd'hui la premiere du Printemps. Le calendrier l'affirme; j'ouvre ma fenetre, plein d'esperance, et la referme, aveugle par la neige. Encore un mensonge de ce mechant bout de carton que nous apporte, avec l'innocence perfide de Pandore, devant que chaque annee soit finie, l'emissaire quotidien de l'administration des Postes! Voila un cadeau qui m'ennuie! D'abord c'est le signal de tous ceux que j'aurai a faire sous le nom futile d'etrennes. Puis c'est absolument comme si on m'offrait gracieusement le catalogue de tous les ennuis a venir. Tous les jours de terme sont marques la et tous les jours d'echeance, toutes les nuits sans lune et tous les jours sans gaiete! Il faut avoir ete bien constamment heureux pour aimer a prevoir, et je suis de ceux qui sont reconnaissants a Dieu de nous celer l'avenir. Le calendrier est le grand obstacle a l'oubli, qui peut seul consoler de vivre. Il ramene les anniversaires ou l'on pleure, les plus nombreux de tous! Les plus beaux moments de la vie sont ceux ou on voudrait que le temps arretat sa course. C'est par decence que l'Ecriture pretend que, ce fut a l'occasion d'une bataille, que Josue lui en donna l'ordre. S'il n'etait pas le dernier des imbeciles (et nous en avons connu beaucoup d'autres apres lui) et s'il etait vraiment investi de ce feerique pouvoir, j'estime qu'il en a du profiter pour l'amour et non pour le carnage. Suspendre, o ma chere, le vol de l'Heure, durant que je suis dans vos bras! Ce fut toujours mon reve et mon voeu inexauce. Mais il semble que son aile est plus rapide encore quand vous dormez ce sommeil dont chaque souffle est un baiser! Oh! ce calendrier qui nous prend au flanc comme un eperon! Et puis, j'ai encore contre lui une rancune personnelle. Jamais il n'a daigne citer, dans sa nomenclature stupide, l'humble saint dont je porte le nom, bien que celui-ci ait ete un homme vertueux et bienfaisant, comme je l'ai etabli d'apres les legendes. En revanche, sainte Beuve y est nommee, car c'etait une bien heureuse que le celebre ecrivain avait pour patronne, ce qui lui donna un gout immodere des femmes durant toute sa vie. Tandis que moi!... O saint Armand, qu'on surappelait le chaste dans toute la province, quelle injustice on nous fait a tous deux! * * * * * L'impunite dont ont joui jusqu'ici les jeunes gens qui achevent volontiers une nuit de plaisir en coupant la gorge a la femme qui la leur a procuree porte ses fruits. Les femmes galantes que Vacquerie, longtemps avant l'invention des _horizontales_ et des _agenouillees_, appelait galamment des _universelles_ et le pauvre Philoxene Boyer des _conciliantes_ (avouez que le mot etait joli et bien trouve) vivent maintenant sous un veritable couteau de Damocles. Leur sommeil coupable est peuple de cauchemars sanglants. La vertu profitera, je l'espere, de celle terreur, et le degout viendra a beaucoup de ces dames d'une carriere qui n'avait eu jusqu'ici que des fleurs. C'est un bien pour un mal. Seulement, je trouve que les messieurs qui ont entrepris cette morale en action vont un peu loin. Ils ne se contentent plus de decapiter leur bonne amie d'une nuit, pour emporter le chapelet de ses salaires honteux; ils massacrent en meme temps ses domestiques et les enfants de ceux-ci. Si on les laisse faire, il extermineront, par la meme occasion, toute la maison. Car, soyez certains que si, au devant de l'homme que la police cherche partout ou il n'est pas, avec le flair de ses fins limiers, le concierge de la maison ou s'est commis le crime et toute sa famille, ou quelque imprudent locataire s'etait presente au moment de sa fuite, il n'eut pas hesite davantage a leur trancher le chef. J'en conclus que les immeubles ou ces dames loueront des appartements deviendront dangereux a leurs voisins. Il y a la une question de risques locatifs, au moins aussi considerable que pour l'incendie et qui donnera a reflechir aux gens prudents. Nos aieux etaient plus sages qui ne laissaient pas "divaguer", comme disent les maires de village en parlant, dans leurs affiches, des chiens errants, les personnes faisant le metier de ramener chez elles les voyageurs, les rufians et les rodeurs de nuit, mais leur prescrivaient de vivre entre elles et comme cloitrees dans de profanes couvents ou habitait la felicite antique. _Hic habitat felicitas_. La mode de ces maisons de retraite se perd de plus en plus, et c'est grand dommage pour la dignite des rues et des boulevards, et j'ajouterai pour le plaisir des gens raisonnables. Car il eut suffi d'un peu d'imagination et de luxe oriental pour en faire la realisation du Paradis de Mahomet sur la terre. Le ruisseau dans lequel elles se sont videes a ete comme une terre grasse et feconde pour le vice qui y a pullule. Ah! comme les Romains et les gens d'Herculanum etaient d'autres artistes et d'autres philosophes que nous! Aujourd'hui c'est pour proteger les jours (non! les nuits) de ces pauvres filles, de leurs gens et de leurs colocataires, que je supplie le gouvernement de les enfermer a nouveau. Elles ne chomeront pas, pour cela, de visites, vous pouvez etre tranquilles; mais ceux qui les viendront voir ne le feront pas dans l'intention de les assassiner. Ce sera toujours un progres. * * * * * Que l'homme s'exagere volontiers ses maux, et comme il se plaindrait moins de sa destinee, s'il considerait plus souvent les sorts pires que le sien et que d'autres ont subis avant lui! L'etude de l'histoire ne devrait nous servir qu'a connaitre ces exemples monstrueux de deveine, chez certains heros, qui font dire aux gens raisonnables: "Enfin! en voila un qui etait plus malheureux que moi!" Ce serait une excellente lecon de philosophie resignee, puisqu'il est entendu que, par une sage ordonnance de la Providence, nous sommes tous destines a souffrir plus ou moins, et qu'il est logique de mesurer nos cris et nos revoltes a la part d'ennuis qui nous est faite. Cette reflexion melancolique me vient du bruit que font messieurs les bookmakers a propos de la mesure peu bienveillante, j'en conviens, dont ils viennent d'etre l'objet. Il faut les voir, dans la banlieue, que presque tous habitent, exhaler leur colere le long du fleuve, comme les Hebreux a Babylone ou comme les damnes au bord du Styx. Le grand gemissement entendu dans Rhama n'etait qu'une musiquette de quatre sous aupres de la douloureuse symphonie dont ils regalent les oreilles. A les entendre, tout est perdu pour la paix publique, et ils renverseront le gouvernement. C'est comme si c'etait deja fait! Ceux-ci geignent et ceux-la clament; tous vociferent et se demenent. On a ose toucher a un des corps les plus respectables de l'Etat moderne et secouer, dans leur personne, les assises de la societe!... Que leur a-t-on fait pourtant, bon Dieu! Retire tout simplement un inerte morceau de bois qui, ne leur servait qu'a ficher en terre pour faciliter leurs operations. On affirmait, dans mon village, que plusieurs s'etaient tues de desespoir. Eh bien, si, dans les champs Elyseens d'un monde meilleur, leurs ombres toujours gemissantes rencontrent l'ombre eternellement melancolique d'Abelard et que le grand erudit entende le sujet de leur plainte, quel ironique sourire sur ses levres ou le nom sacre d'Heloise brule encore, et quel regard de dedain dans ses yeux abaisses! * * * * * --C'est le Printemps! vous dis-je, ma chere! C'est le Printemps! Et vous vous repeletonnez, frileuse, au coin du feu clair et ronflant, comme une chatte, le dos sous votre belle chevelure denouee, les coudes sur les genoux et les mains ramenees vers la flamme qui fait courir, dans leur transparence delicate, de delicieux petits reflets roses. Et je vous repete: --C'est aujourd'hui le Printemps, mignonne! ne m'entendez-vous pas? Alors vous fermez les yeux, sans toujours me repondre, et j'imagine que mes paroles vous frappent l'oreille sans aller plus loin, comme un son indecis, comme une romance lointaine dont les mots echappent et dont l'air seul parvient jusqu'a vous, vague et mele dans le vent. Mais ces melodies inconsciemment percues ont le don d'evoquer les visions et les souvenirs. Vous fermez les yeux et c'est certainement pour vous recueillir dans le reve des verdures renaissantes, des violettes bordant les chemins, des brises pleines d'odeurs vivaces et douces, des longues promenades sous le soleil tiede deja, de toutes les splendeurs en boutons dont la Nature devait etre paree aujourd'hui, si mon almanach n'avait effrontement menti! Vous ne revez pas tant que cela, mon ame. Le Printemps n'est-il pas dans cette chambre chaude et pleine de fleurs ou vous aimez a vivre en hiver? Le Printemps n'est-il pas partout ou vous etes? Et ne pouvons-nous pas chanter la comme dans les bois, et chaque jour, tant notre joie s'y renouvelle: C'est la premiere du Printemps Au theatre de la Nature! [Illustration] [Illustration] MIMOSAS Comment ne pas songer qu'ils viennent de la-bas ou la terreur et l'effarement ont marque la fin des jours de gaiete carnavalesque, ces beaux panaches de mimosas que les petites charrettes parisiennes promenent et qui semblent verser une pluie d'or sur les roses alanguies des marchandes ambulantes? Que la Nature est indifferente a nos miseres! Tandis que la fourmilliere humaine s'eparpillait affolee, croyant encore sentir le sol s'ouvrir sous ses pas, les fleurs, tranquilles, s'epanouissaient dans la serenite du matin, sous cette premiere blancheur de l'aube qui est comme le sourire d'argent du ciel. La mythologie grecque, qui savait si bien meler aux fables grandioses les plus exquises imaginations, n'avait pas dedaigne de chercher une legende aux fleurs. Rappelez-vous celle d'Hyacinthe; Ainsi au Japon, dont je vous ai dit, un jour, le joli poeme des lilas. L'Orient est plein de ces traditions charmantes. Je les regrette vivement, ma chere, et constate l'inferiorite de notre imagination a ce sujet. Ce n'est pas assez pour moi de comparer sans cesse les lys a vos doigts et les roses a votre bouche. Tous les madrigaux d'autrefois n'etaient pleins que de ces choses-la. Et puis ce n'est ni vrai ni vraiment flatteur. Les lys n'ont pas les jolis reflets d'azur qui courent sous le satin blanc de votre main, et vos levres ont des parfums vivants que n'ont jamais eus les roses. Il faudrait en finir avec ces continuelles comparaisons qui, si belles que soient les fleurs, sont encore a l'humiliation de la femme. Je voudrais faire mieux et plus digne de vous que cela dans une mythologie nouvelle. Tout est symbolique autour de nous. Mais, entre toutes choses, les fleurs dont les plus humbles, suffisamment contemplees, evoquent mille images diverses, comme vous le savez bien, vous qui passez des heures entieres en contemplation devant un myosotis. Voila ce que j'ai reve, moi, il y a quelques jours devant une branche de mimosa. * * * * * La Mediterranee et son bleu manteau couches sous le ciel, par un soir d'ete plein de l'odeur des lauriers-roses, et, dans une ile aujourd'hui disparue,--car je parle d'un temps lointain et inutile a preciser, puisqu'on a aime toujours,--deux amants goutant l'extase de cette heure mysterieuse ou s'ouvre le jardin des etoiles. L'ile est proche de la terre, et la solitude en semble faite pour le mutuel enchantement de leurs ames. Vous souvient-il que nous avons souvent reve d'une thebaide pareille, ou rien ne nous atteindrait des clameurs lointaines et des banales gaietes? Ils marchent sur le rivage, les mains unies. Je les vois si bien que je pourrais vous dire maintenant vers quel siecle lointain ils ont vecu. Ils portent la blanche tunique grecque. Elle a, comme vous, de longs cheveux noirs qui sont comme une nuit repandue sur la double colline de neige de ses epaules; comme vous, elle a le profil fier de la race elue, et, comme vous, je ne sais quel eclat fatal de pierrerie dans les yeux. Et c'est lentement qu'ils s'avancent le long du flot qui chante, tout en poussant jusqu'a leurs beaux pieds nus, son ecume pareille a des palmes d'argent. Les grands oiseaux que le soir exile des hautes mers passent au-dessus de leurs tetes avec un doux balancement d'ailes. C'est comme un grand recueillement de la Nature autour d'eux, dans ce magnifique paysage serenal ou leurs ombres grandissent et bleuissent, a mesure que la lune se leve, la lune melancolique qui roule dans les flots comme une grosse larme brisee. * * * * * --Que la vie est douce ici, ma bien-aimee! fait l'amant, rompant soudain le silence. Et elle lui repondit, comme quelqu'un qui se reveille: --La mort serait plus douce encore, car elle nous reunirait pour jamais. Et, leurs regards plongeant l'un dans l'autre, comme si leurs ames s'y melaient, ils y mesurerent l'infini d'une tendresse que rien au monde ne pourrait briser; car l'espoir fou d'immortalite, par dela le trepas, qui nous devore ne nous vient que de l'amour. --Oui, reprit-il, tout est beau autour de nous, tout est charmant, mais tout cela pourrait disparaitre que, si tu me restais, je n'y prendrais meme pas garde. Elle lui repondit: --Le ciel n'est pas si grand que tes yeux ni la mer si profonde que ton amour. Ainsi, comme il arrive dans les tendresses exaltees, s'immaterialisait leur pensee dans un reve ou s'aneantissait l'univers. Ils sentaient bien qu'en dehors l'un de l'autre, rien ne leur etait rien ni a l'un ni a l'autre, que tout pouvait s'ecrouler autour d'eux, mais non pas rompre l'invisible chaine que leurs levres tendues dans un baiser supreme allaient fermer. * * * * * Jamais la serenite du ciel n'avait ete si grande dans aucune nuit d'ete. A peine un frisson sur la mer qui, par places, en allongeait les ondes en un sillon d'argent. Les etoiles y posaient leurs images apaisees, comme des oiseaux lasses dont le vol s'arrete sur un arbre ou ne passe pas le vent. Non, jamais, une telle serenite du firmament n'avait enveloppe toutes choses d'une telle caresse.... Un grondement! puis un choc sous les pas. La mer soulevee et hurlante. Un bouquet de feu montant dans l'air avec un fracas epouvantable et, plus loin, par dela la rive, quelque Vesuve ou quelque Etna s'ouvrant dans une lourde fumee de soufre.... Plus d'ile charmante! Plus d'amants soupirant une idylle dans le calme de ce beau soir! Comme ils l'avaient souhaite, la meme flamme avait mele leurs esprits pour les emporter au ciel! Au printemps qui suivit, sur la plage ou etaient retombees quelques terres de l'ile dispersee, une fleur nouvelle fleurit, semblant un bouquet de feu qui monta vers la nue comme celui des volcans. C'etait le mimosa ou respire encore l'ame douce et fidele de ces amants fortunes! * * * * * Et pour finir moins tristement, ma chere, que par cette sombre legende: Vous connaissez la fleur legere Bordant le flot bleu qui s'endort? On dirait que, sur la fougere, Le soleil tombe en neige d'or. Comme un panache de fumee Que le couchant teint de safran, Comme une poussiere embaumee Que pousse la brise en errant, Elle monte dans l'air humide Ou le flot roule un souffle amer, Et mele son parfum timide Aux acres senteurs de la mer. Elle flotte parmi l'espace Ou l'oranger tend ses bras lourds; L'aile du papillon qui passe Y met un fragile velours. Mimosa! presque un nom de fee! Quelque naiade, assurement, S'en etant autrefois coiffee, Parut plus belle a son amant. J'aime cette fleur parfumee Au souffle furtif et coquet, Pour ce qu'une main bien aimee Un jour en portait un bouquet. [Illustration] [Illustration] LE BUIS Le premier vrai dimanche de printemps dans un village de banlieue! Vous devinez si c'etait un remue-menage. A chaque train c'etait un flot nouveau de voyageurs bruyants se dispersant sur les chemins, par groupes, s'appelant ou se disant adieu. Paris a une population speciale d'emigrants hebdomadaires suburbains qui ne rappelle que de fort loin les hautes traditions de la noblesse francaise, brave petit monde assurement, mais d'une societe plus provinciale que la province elle-meme. Quel bavardage insipide monte de ce microcosme! Le bourdonnement des mouches est, a cote, fort interessant. Mais quelle providence pour les debitants indigenes qui ne vivent guere que de l'empoisonner une fois par semaine! Il faut voir les gate-sauces se ruer en cuisine dans les arriere-boutiques et les garcons des estaminets secouer les chaises du vent emporte par leurs tabliers blancs. Les notables du pays en promenade aussi, avec leurs chiens, ou simplement assis devant leurs portes, regardent avec une joie debonnaire cet element de prosperite se repandre autour de leurs lares. Ils applaudissent au progres contemporain, au sage gout de ce peuple pour les plaisirs faciles, au developpement des industries alimentaires; ils se rejouissent d'etre nes dans un si beau temps ou tout le monde ne songe qu'a s'amuser. Les grands cacatoes de la democratie locale tronent dans cet epanouissement, semblant dire, la main dans le revers de leur redingote: Ce beau temps-la, c'est nous qui l'avons fait! La verite est qu'il se vend dans le pays, chaque dimanche, beaucoup plus de petits verres et de charcuterie qu'il y a dix ans. Allez donc nier, apres cela, la prosperite nationale et le bien-etre croissant des classes autrefois opprimees. Je jouis comme un autre du philanthropique spectacle de tous ces gosiers arroses et de toutes ces tripes repues, mais j'en jouis sobrement, sans m'y appesantir, avec l'enthousiasme d'un homme qui n'aurait pas pris ce chemin s'il n'y avait pas ete oblige. --C'est aujourd'hui Paques-fleuries, dit un enfant a son pere en passant aupres de moi. Son pere le regarda d'un air qui voulait dire: Qu'est-ce que ca nous fait! * * * * * Eh bien! moi, ca me dit quelque chose. Le mot est si joli, d'abord: Paques-fleuries! Ce fut comme une bouffee de souvenirs d'enfance qui me monta au cerveau, pendant qu'il tintait dans mon oreille. Tout un monde d'emotions douces se reveilla en moi, douces et lointaines comme la voix d'un clocher perdu dans les brouillards. Je revis les seuils de l'eglise tout jonches de rameaux de buis et les foules cheminant, recueillies, sous cette verdure, comme cela etait quand j'avais douze ans. Des relens d'encens et des gemissements d'orgue passerent dans l'air, et je me complus singulierement a cette vision qui me rajeunissait et me vieillissait tout ensemble. Des hymnes chantaient en latin dans ma memoire, et cette musique m'etait la plus douce du monde. Quoi d'etonnant? Dans l'uniforme ennui des premieres annees qu'emplissent de fastidieuses etudes et de stupides exercices de memoire, je ne me souviens pas de meilleur repos que celui des fetes religieuses. Passer des murs froids de l'etude crasseuse dans l'enceinte radieuse et illuminee de l'eglise; quitter les bouquins noircis et cornes pour le missel aux enluminures naives; entendre les melodies sublimes du plain-chant au lieu du nasillard discours du pion; respirer a pleins poumons le benjoin apres les fades parfums de la cuisine scolaire, n'etait-ce pas vraiment quitter les realites immondes pour les visions les plus aimables? N'etait-ce pas franchir la porte d'un paradis longtemps ferme? En ce temps-la, le jour des Rameaux etait un grand evenement dans ma vie, et la noble image du pardon triomphant descendant sur l'humanite prosternee m'apparaissait dans le simple rameau de buis que je promenais fierement au retour de la grand'messe. * * * * * Je ne sais pas encore par quoi la philosophie contemporaine compte remplacer le symbolisme qui faisait le grand charme des religions disparues. Grace a lui, la Nature etait de toutes leurs fetes. C'etait un element essentiellement paien de poesie et de grandeur, qui n'effrayait pas le spiritualisme bon enfant de nos aieux. Cette consecration des choses par un commerce glorieux avec la Divinite n'etait pas pour nous montrer le neant de la Matiere. J'avoue que celle-ci m'apparait beaucoup plus infime et humiliee sous le scalpel et dans les cornues, se brisant, s'evaporant, se multipliant a l'infini, comme une vermine, sous des noms scientifiques et barbares. J'ai horreur de vivre parmi tous ces gaz decomposes. Dut un dogme indeniable surgir un jour de toute cette cuisine, je lui prefererais encore le mensonge de la Verite nue s'elancant des eaux candides d'un puits. Cette recherche de l'infini dans l'infiniment petit des pourritures me repugne horriblement, et j'aimais mieux les efforts brises de l'ame humaine vers un ideal fuyant toujours, mais rayonnant comme le soleil qui nous eclaire et nous rechauffe sans que nous l'atteignions davantage. Il y avait un beau fond de pantheisme dans les ceremonies chretiennes, qui leur venait de l'Orient plus encore que de Rome et de la Grece. C'etait toujours une attache a l'eternelle verite qui est dans le respect mysterieux de la vie et dans l'adoration meditative du Beau dans toutes les formes accessibles a nos sens et a notre esprit. * * * * * Comme j'etais loin des promeneurs parisiens et des indigenes rejouis dont je n'entendais plus le bruit que comme celui d'un reflux, rythme par la distance et s'affaiblissant a chaque nouveau retour! C'est que j'avais pris la pleine campagne tout en meditant et me perdant dans ces pensees, un chemin de traverse que je rebroussai pour rentrer avant le declin du soleil. Il me fit passer presque devant l'eglise, vide alors, mais sur les marches de laquelle une mendiante continuait sa psalmodie, avec des rameaux de buis beni dans son tablier. Elle m'en tendit un, en echange de mon aumone, et je ne l'ai pas jete. Je l'ai meme rapporte avec moi, et, pour que vous n'ayez aucune envie de me railler, ma chere ame, je vous avouerai que je l'ai mis avec des fleurs que vous m'avez donnees autrefois et que j'ai toujours precieusement gardees. C'est un souvenir de jeunesse que je veux meler a nos souvenirs d'amour. [Illustration] [Illustration] PROSE DE PAQUES Tandis que, dans mon jardin, deja, une verdure tendre suit, d'une vapeur d'emeraude, le squelette des arbustes, qu'aux cimes des lilas, de petites grappes de rubis se degagent des feuilles pales et serrees, que les pousses nouvelles des fusains nuancent de fleches jaunes leur masse sombre, qu'a terre les bordures s'emaillent, epaissies, piquees ca et la de petites fleurs sauvages, je sais, dominant ce menu paysage, un grand peuplier encore marque au sceau de la desolation hibernale. Son tronc noir monte droit dans le ciel et se separe tres haut en brins formant comme un fuseau dechiquete. Ces petites lignes noires et precises tracent, sur l'azur indecis d'avril, comme un dessin a la plume, une facon d'arabesque extremement delicate. Sur un point seulement, une touffe met une bavure d'estompe, une sorte de pate comme en pose sur leur cahier la maladresse des ecoliers. Au premier abord, vous croiriez le gui sacre que nos aieux des Gaules ne fauchaient qu'avec une serpe d'or. Et, dans la prairie large qu'emplit la solitude exquise et silencieuse du matin, le reve evoque volontiers l'image de Velleda la vierge aux jambes nues, le corps agite de prophetiques frissons, et, plus que jamais, sous le casque ardent de sa chevelure, meditant les destins obscurs de la terre douce et feconde ou s'achevent les gloires de la race. Car c'est plus que jamais qu'il les faut invoquer ces tutelaires genies du sol natal, ces dieux longtemps endormis dont la pitie marquait d'un signe les peupliers et les chenes, patrons agrestes des ancetres au coeur viril dont le sang tarit dans nos veines! Mais non! Moi qui connais, dans ses moindres details, le petit coin de nature ou je vis, je sais fort bien ce qu'est cette houppe sombre accrochee a la nervure tourmentee de l'arbre eplore, dont les souffles mauvais de la lune rousse courbent la tete flexible. J'en ai vu partir, l'an dernier, un peu plus tard, il est vrai, une volee de ramiers, de ces ramiers confiants de banlieue que l'inexperience des chasseurs dominicaux prendra pour des pigeons domestiques, et que protegera la crainte salutaire des dommages et interets. C'est un nid de l'autre printemps qui est la, un nid ou chuchoterent beaucoup d'angoisses et beaucoup de tendresses, un nid abandonne, dont les feuillages renaissants voileront bientot la melancolie, comme les espoirs nouveaux ou s'ensevelissent nos tristesses dans un linceul de gaiete, sans que celles-ci en demeurent moins attachees au plus solide de notre etre, au plus vivant de nos entrailles. * * * * * Par quelle association bizarre de pensees, par quel caprice de rapprochement, me suis-je constamment souvenu de ce gite delaisse, flottant dans le vent et suspendu dans les branches, devant les boutiques fastueuses ou l'oeuf pascal, sous toutes ses formes, emplissait hier les devantures? Non plus le petit oeuf teint de rouge qui constituait, dans notre enfance, le plus economique des presents. Car c'est tout au plus si quelques marchands ambitieux et dans le but coupable d'en augmenter le prix, decoupaient sur les plus beaux, avec la pointe d'un canif, le portrait d'une cathedrale. Mais l'oeuf nouveau, l'oeuf magnifique, obligatoire mais non gratuit, qui est comme le cafe des etrennes dont le petit Noel avait ete l'aperitif, invention des petites dames plus que des meres de famille, joie des cocottes beaucoup plus que tranquillite des parents. De tous les arts qui ont progresse dans le siecle, celui de demander est certainement un des mieux partages. Ce temps a ete dur pour les fois reconfortantes et les illusions genereuses, mais il a beaucoup fait pour la quemanderie. Il a tue les nobles coleres, mais il a perfectionne le pourboire. Le laurier a symbolyse certaines epoques. La carotte servira d'embleme a celle-ci. Je dis tout cela sans amertume; car je ne sais rien de plus charmant que la mode des cadeaux entre gens qui s'aiment. C'est l'idee de reglementer cette mode qui me convient moins et lui ote, pour moi, beaucoup de sa poesie. Oeufs sur oeufs derriere les vitrines! Oeufs de moineaux et oeufs d'autruche! Oeufs monstrueux qu'on pourrait prendre pour le globe de l'oeil des mammouths immenses recemment decouverts et qui nous prouvent que nous autres de la race humaine sommes une simple vermine sur la peau recroquevillee d'un monde qui s'eteint. Est-ce que l'univers va finir dans une immense omelette? Surprises que tout cela! Mais surprises inouies. Boites a jouets ou boites a bijoux. Plus rien de l'ancienne legende qui donnait un sens particulier a cette nature de presents. Et, malgre moi, je me detournais de ces chapelets insupportables aux grains inegaux, aux contours sans harmonie pour me rappeler, dans le grand peuplier de mon jardin, le nid desert que mouillaient les giboulees, le nid que n'agitaient plus de craintifs fremissements d'ailes. Et cette antithese prenant d'etranges proportions dans mon esprit, je murmurais, sans dire tout haut ma preoccupation ridicule: Nid sans oeufs, oeufs sans nid. La triste chose! * * * * * Et, tout en marchant par les rues qu'emplissait un grand desoeuvrement de foule, je pensais aux maisons ou l'on pleure aujourd'hui les absents de la derniere guerre. L'enfant a grandi, intelligent et vigoureux, portant en lui l'immense espoir de tous. Il avait coute cher a faire ainsi, mais il etait celui qui devait s'envoler plus haut que les autres du meme nom et rapporter, un jour, dans l'arche, un brin de laurier. Il etait l'orgueil futur et la consolation certaine. Quand le devoir viril de servir son pays est venu a lui, il l'avait accueilli comme un ami et il etait parti promettant de revenir. Qui raillera maintenant les pressentiments des meres? C'est dans le vacarme de la poudre qu'il a rencontre l'eternel silence. C'est la mort anonyme que crache au hasard la gueule des canons qui lui a mis au front le froid du dernier baiser. Est-ce l'ongle subtil des betes de proie ou la pointe d'une pique ennemie qui, le retournant sur le sable ensanglante, donnera a sa face l'adieu de la lumiere? Tandis que les clairons se taisent dans l'eloignement de la retraite, son dernier souffle s'exhale et va rejoindre dans le ciel la clameur des cuivres rassemblant les courages prets a de nouveaux combats. Celui-la ne reverra plus le doux toit ou il avait ete comme l'oiseau tremblant que rassurent les maternelles caresses, le doux toit dont il s'etait trouve l'hote en naissant et ou les choses elles-memes semblaient l'aimer! Et lui donc! n'avait-il pas reve, a son tour, la demeure tranquille ou il amenerait un jour la jeune epouse toute blanche? La porte n'etait-elle pas ouverte deja, perdue dans un echevelement de glycine, donnant sur le jardin ou les causeries seraient si douces a la clarte amie des etoiles, sous l'odeur fragile des lilas? Ne savait-il pas deja la place du banc de pierre ou les confidences meurent dans l'imperceptible bruissement des mousses froissees quand s'allument doux projets morts dans leur germe! Maison vide et reve sans asile! Nid sans oeufs! oeufs sans nid! * * * * * Vous rappelez-vous, mon amour, la place que nous avions choisie pour nous aimer bien longtemps quand le printemps viendrait, apres l'hiver qui nous fut si doux et qui devait contenir toutes nos tendresses? C'est en marchant dans la neige qui craquait delicieusement sous vos petits pieds, le long du bois desole et sous un ciel froid ou le soleil pale, et las de lutter, soufflait a peine quelques vapeurs de cuivre que nous parlions, votre bras tenant de tres pres le mien, du renouveau des choses fetant le renouveau de notre bonheur. Au lieu de la fourrure frileuse qui vous enveloppait cependant si bien, vous porteriez une toilette tres legere et je verrais vos jolis bras sous les transparences nacrees de l'etoffe. Nous nous arreterions longtemps sous ce toit rustique dont les murs porteraient des capucines en fleur parmi les lierres. Et vos baisers apres avoir ete le foyer ou nos ames croisaient leurs etincelles, seraient devenus la fraicheur des sources ou elles seraient venues boire ensemble. Avril est venu trop tard pour nous trouver encore amis. Les calendriers se moquent bien de nos miseres. Et vous,--comme le temps fuit!--qui futes ma compagne d'une nuit seulement; d'une nuit chaste mais pleine de desirs, dans l'emportement du train qui nous emmenait l'un et l'autre pour nous separer a l'arrivee; d'une nuit trop courte ou ne s'echangerent que des paroles presque banales, mais ou tous deux nous sentions deja l'enlacement delicieux des chaines qui allaient se briser, croyez-vous que j'aie oublie les reves absurdement exquis que je sentais en vous aussi bien qu'en moi et qui me reviennent parfois sur des ailes d'esperance? Nos vaines tendresses sont souvent comme des voyageurs sans gite. Des bonheurs ignores nous attendent la ou ne nous menera jamais notre chemin. Nids sans oeufs! oeufs sans nid! La triste chose! [Illustration] [Illustration] AU SALON Nous cheminions, celle que j'aime et moi, dans les grandes salles, les yeux deja un peu perdus de peinture, dans cette griserie vague de couleurs qui vient d'une orgie de tableaux et qui ne permet guere, a nos Expositions annuelles, les patientes etudes. Autour de nous la foule grouillait, et l'on eut dit que, nouvelle Pandore, M. Prudhomme avait ouvert sa boite mysterieuse, tant il se disait de sottises et d'heresies autour de nous. Les admirations ecoeurantes allaient aux succes faciles. Je vous recommande le gout des jeunes filles du monde en peinture. Nous marchions, deja lasses, dans ce bouhaha de dessus de palettes et de paroles inutiles, dans le mouvement banal d'art qui est devenu une fabrication, et dans ce mouvement banal d'esprit qui s'exerce a la critique sans rien savoir. Car tout le monde tente et tout le monde juge aujourd'hui, ce qui ne laisse a personne le temps d'apprendre. Infidele a mon bras, la promeneuse que j'avais conduite laissait errer un regard distrait par dela les cimaises, vers les sommets ou s'en vont ceux qui n'avaient cependant pas pris pour devise: _Quo non ascendam!_ Tout a coup elle s'arreta net: --Et de cinq, fit-elle. --Quoi, cinq? lui dis-je en approchant; car ce m'etait une occasion delicieuse de froler de plus pres les charmes que la possession m'a rendu plus chers, a rencontre des paresses ordinaires qui sont le lot de la satiete. --Mais les Eves cueillant une pomme! Je regardai dans le sens que son doigt m'indiquait. C'etait bien une Eve, en effet, qui, dans une nudite correcte, tendait son bras blanc vers un fruit rond qui ferait supposer que le Paradis terrestre etait dans notre Normandie et non pas ou l'on mit d'ignorants restaurateurs de geographie. Car toutes les decouvertes nouvelles tendent a prouver que l'ancienne Palestine etait dans notre France. Je ne desespere pas de trouver a Montmartre des traces authentiques du Calvaire. J'y ai deja choisi une Madeleine pour y faire aussi mon petit faubourg Saint-Antoine hebreu, a l'instar de celui du Champ-de-Mars. Nous y jouerons la Passion comme nos ancetres representaient les Mysteres. Je figurerai Simon le Nazareen, parce que j'ai une facon tres distinguee de porter la croix, et Gailhard Ponce-Pilate parce que ce lui sera une occasion unique de se laver les mains. --C'est bien une pomme! fis-je avec conviction. * * * * * Et j'ajoutai: --Parions, madame, que si c'etait vous qui eussiez ete notre premiere mere,--et vous auriez porte mieux que personne le costume traditionnel,--ce n'est pas pour une simple pomme que vous auriez livre au ridicule le front de votre mari, et condamne a des maux sans nombre votre innocente posterite? --Pour quoi, alors? Et elle me regardait avec un etonnement doux dans les yeux. Me rememorant ses gouts personnels, je repris: --Mais pour des fraises, par exemple; car vous m'avez toujours paru les aimer bien davantage. Vous vous en fussiez servi a vous-meme tout un plat sur le coeur d'une feuille de vigne, et vous m'en auriez surement offert. J'aurais certainement refuse les fraises pour vous les laisser toutes, mais j'aurais baise la feuille parce que vos jolis doigts l'auraient touchee, et devinant peut-etre qu'elle serait bientot votre premiere jupe. Vous rappelez-vous nos fouilles gastronomiques dans le bois de Meudon, quand vous poussiez de petits cris de joie a chaque perle rouge et savoureuse decouverte par vous, dans la profondeur humide des gazons, et que les merles s'effarouchaient a votre approche tandis que les rossignols continuaient pour vous leur plus belle chanson? Vous aviez des gourmandises charmantes et vous trainiez, comme une gamine, a genoux, m'offrant le radieux spectacle de vos montagnes naturelles.--Comme c'est bon! repetiez-vous. Et moi, j'attendais une autre occasion pour vous dire aussi:--Comme c'est bon! Car j'aime a partager vos impressions en toutes choses. Oui, des fraises; c'est pour des fraises seulement, madame, que vous auriez consenti a coiffer Adam du bonnet de Sganarelle et a precipiter votre race dans les maux infinis, dont cependant, a mon humble avis, l'amour est une suffisante consolation. Oui, sournoise adoree qui, dans ces printanieres excursions, faisiez semblant de chercher seulement des violettes et portiez rapidement votre jolie main a votre bouche, avec un grain de corail aux doigts! --Vous vous trompez, fit-elle. * * * * * --Alors, c'eut donc ete pour des cerises? Parbleu! je n'en serais pas surpris; car vous n'avez pas non plus oublie nos belles promenades a Montmorency, d'ou vous reveniez avec de lourdes et savoureuses boucles d'oreilles, mettant de chaque cote de votre cou deux larges gouttes de sang? Je me souviens de vos intrepidites, madame, et j'ai garde delicieusement la memoire des coups d'oeil que je glissais entre les branches, quand vos jolis pieds poses sur quelque fourche naturelle de l'arbre, vous ecartiez les mollets pour vous donner plus d'assise, vos jupes formant au-dessus de moi comme une cloche blanche qui sonnait silencieusement les antiennes du desir. Tel, quand un lys dont le vent a brise la tige penche vers le sol, son calice retourne, le bourdon tombe de son coeur d'or entrevoit, entre les plis candides des petales, la poussiere embaumee des etamines. Car vous etes, madame, une fleur plus belle et plus pure que le lys et etes aussi bien mise que lui, sans filer davantage. Vous aviez quelquefois une idee charmante et dont je vous etais specialement reconnaissant: celle de relever le devant de votre robe et un peu de ses dessous, sans oublier la batiste de votre chemise, pour y entasser votre moisson. Ce m'etait un agrandissement tout a fait agreable du panorama ou s'obstinait mon regard. Et c'etait comme un chapelet aux grains de pourpre vivante sur lequel couraient vos jolis doigts blancs, ma belle devote, un chapelet que vous baisiez de temps en temps, melant le rouge des fruits avec le rouge encore plus vif de vos levres. Comme vous buviez a toutes ces petites coupes de rubis! Et quand nous revenions le soir, nous aurions pu retrouver le lendemain notre chemin, comme le Petit Poucet, aux noyaux eperles tout le long. Ah! decidement, c'est pour des cerises que vous auriez seulement ferme sur le nez de vos petits-fils la porte immaculee de l'Eden. --Pas davantage, poursuivit-elle avec un rire moqueur sur les levres. * * * * * --J'y suis enfin! m'ecriai-je; vous n'eussiez ecoute le maudit serpent qui nous a tous perdus et que Dieu a condamne pour cela a souffler eternellement dans les eglises, que s'il vous avait montre sur l'arbre de la science du Bien du Mal une belle peche au duvet parfume comme celui de votre joue. Nous allions aussi a Montreuil dans la saison, ma charmante, et vous y faisiez une cour assidue aux espaliers. Un jour, en levant le bras trop haut, vous glissates le long de la muraille ensoleillee; votre jaconas,--car vous etiez mise en campagnarde avec un large chapeau de paille sous lequel vos beaux cheveux faisaient une tache noire--s'accrocha a un clou plante entre les pierres et se dechira tout du long. Ainsi me fut revele l'envers de la medaille que j'avais numismatisee amoureusement en d'autres circonstances. Puissent toutes les medailles avoir des revers pareils! J'en fus positivement ebloui. Bien vite relevee et, sans meme prendre le soin de reparer votre toilette, vous vous barbouilliez effrontement du jus luisant du fruit vole, vous vous barbouilliez les levres et meme un peu les joues. Allons, j'ai devine, cette fois, et c'est pour une peche que vous nous auriez tous condamnes a payer nos contributions dans cette vallee de larmes. --Pas le moins du monde, reprit-elle, et s'il faut etre franche, c'est, comme Eve, pour une pomme que je vous aurais tous damnes, en meme temps que moi-meme. Car seule, sous les dents de la femme, la pomme resiste et se dechire, en saignant, avec une plainte, comme si elle mordait dans un coeur. [Illustration] [Illustration: TULIPES] Derriere les vitres embuees d'un marchand de fleurs, dans un panier ridicule affectant la forme d'un chapeau de bergere, enrubanne et accroche, au mepris du bon sens, a un chevalet de palissandre, un faisceau de ces tulipes precoces qui nous viennent de loin composait un bouquet aux couleurs tentantes et variees. Comme humiliees du decor que leur faisait la betise humaine, les fleurs demeuraient fermees, pareilles aux pointes emoussees de lourdes fleches, legerement inclinees sur leur tige, mais souriantes cependant de l'eclat de leurs tons orientaux et de leur persane splendeur. A peine l'une d'elles montrait-elle son coeur noir comme la langue bavarde des perroquets. Tout autour s'eplorait l'or poudreux des mimosas, et au pied, des roses anemiques languissaient sous les pleurs inutiles de l'arrosoir, compatissamment regardees par l'oeil bleu des violettes de Parme et de Toulouse. Ce coin menteur de jardin avait je ne sais quel charme apprete qui faisait, a la fois, plaisir et peine, comme ce qui reste de la beaute des femmes sur le retour. J'en emportai toutefois la vision obstinee pendant le reste de ma promenade dans la nudite des Champs-Elysees sans verdure ou le pas des chevaux sonnait sec sur le sol gele, avenue de squelettes d'arbres hypnotises dans l'air charge de neige, melancolique souvenir des gloires estivales et des triomphantes toilettes montant vers les fraicheurs du bois dans la rose caresse du soleil couchant. C'est la surtout que l'hiver est triste de tout ce qu'y furent doux le printemps et l'automne. Dans ma course qui faisait plus piquante encore la bise qui me soufflait au visage, l'image des tulipes contemplees un instant me suivait, comme le mirage d'un oasis, et arretait sa douceur dans mes yeux, celles-ci d'un rouge vif traverse de paraphes noirs, celles-la uni-colores et du ton frais des bengales, une surtout presque blanche avec une moucheture de sang pale, toutes pensives de ma propre pensee et portant, en elles, comme moi, les tristesses de l'exil. Car nous sommes les proscrits du soleil, nous qu'obsede, au coeur meme des frimas, le reve immortel de la lumiere. * * * * * J'ai vu Haarlem, la patrie des plus grands paysagistes du monde et des fous tulipiers. Des botanistes m'ont montre la-bas ces varietes fameuses qui s'appelaient l'_Amiral Dieskem_, le _Semper Augustus_ et dont les moindres oignons valaient des monceaux de florins. Le nom de Clusius, l'importateur de la plante sacree, est encore venere la-bas et maudit celui d'Edvar Forstius qui, nouveau Tarquin, fauchait d'une baguette impie les magnifiques parterres. Les legendes abondent la-bas sur cette fleur qui y fut passionnement aimee, comme une femme, avec des folies et des desespoirs. Il y en a de lamentables, comme celle du savetier qui avait enfin decouvert la tulipe noire et qui mourut de chagrin parce qu'un jury jaloux en ecrasa les caieux devant lui. Voila qui prouve qu'il vaut mieux quitter la cordonnerie pour diriger l'Opera, sous l'oeil paterne des commissions budgetaires, que pour se livrer a l'agriculture qui est moins directement protegee par l'Etat. Mais il y en a aussi de fort gaies parmi ces histoires. Celle-ci, par exemple: un malheureux matelot attendait patiemment son reengagement d'un riche armateur qui ne se pressait guere, comme ont coutume de faire les gros seigneurs vis-a-vis des petites gens. Seul, dans une salle ou l'avait oublie le caprice du maitre, l'homme aux flancs cuirasses d'un triple airain y sentit bientot descendre une faim abominable. Il n'avait dans sa poche qu'un mechant morceau de pain. Mais sur une planche, et, dans un ordre admirable, de gros oignons etaient ranges. Il en prit un, le mordit et le rejeta, le trouvant amer. Il essaya ainsi successivement tous les autres. Quand l'armateur revint, le matelot avait mange le plus clair de sa fortune, laquelle consistait surtout dans cette collection d'oignons uniques qu'il se disposait a vendre pour remettre ses bateaux a la mer. Plusieurs varietes introuvables de tulipes s'aneantirent dans ce desastre. C'est assurement un malheur, mais quelle admirable lecon pour tous les gens qui font faire antichambre au petit monde! * * * * * Decidement, de toutes les tulipes que j'ai admirees la-bas, derriere le vitrage, et que je ne puis oublier, celle que je prefere est la blanche qui semblait comme eclaboussee de pourpre vivante. Celle-la evoque un poeme que je lus autrefois, a moins que je ne l'aie invente et que je prefere encore aux bavardages des botanistes hollandais. Il avait pour heros un prince persan, beau comme le jour et amoureux comme un fou, amoureux d'une de ces belles filles d'Orient qui portent, dans leurs cheveux, des reflets d'azur sombre semblant tomber des cieux nocturnes. Et, dans leurs yeux, un scintillement d'etoiles. Je crois meme me rappeler qu'il s'appelait Hamsah, de par ma volonte, du moins, sinon de par l'histoire. Les princes de ce temps et de ce pays etaient poetes quelquefois, comme notre Charles d'Orleans qui fut un des bons rimeurs de son epoque, ce qui valait mieux que de faire guillotiner ses cousins, comme s'y appliqua un de ses petits-fils. Hamsah chantait, sur les rythmes les plus harmonieux, les melancolies de son ame et les cruautes de l'adoree. J'ai meme traduit, sinon simplement imite sans l'avoir connu, un de ses courts poemes dans le sonnet qui suit: J'ai cache dans la rose en pleurs Les larmes qu'il faut qu'on ignore, Pour que la rosee et l'aurore Les confondent avec les leurs. Puissent-elles, a ses couleurs, Apporter plus d'eclat encore, Et puisse la main que j'adore La trouver belle entre les fleurs! Entre toutes la rose est celle Dont l'ame jalouse recele Le mieux ses parfums au soleil, Et de qui la levre embaumee Garde le plus d'ombre enfermee Sous son beau sourire vermeil! Mais bah! l'adoree se moquait bien des roses que le pauvre Hamsah cueillait pour elle. Elle etait capricieuse comme toutes celles qui sont belles. Son caprice etait l'amour de quelque fleur plus rare, plus sauvage et que ne possedat aucun jardin. L'ideal de la femme est le plus souvent dans ces inaccessibles fantaisies, dans ces reves deraisonnables. Il est chimerique en diable, tandis que le notre, qui est vivant dans sa beaute, nous induit en courage et en sacrifices reels. Ses imaginations nous sont de veritables tortures. Un jour qu'elle se promenait avec Hamsah dans une campagne lointaine, elle lui montra, par dela un precipice, sur le bord escarpe d'un torrent qui courait sous une toison d'ecume argentee, une plante etrange que surmontait une pointe brillante comme un bouton de lis.--"Voila la fleur que je voudrais, dit-elle. Mais je vous defends de me l'aller chercher." Elle n'avait pas fini qu'Hamsah avait plonge dans le gouffre, en sortait comme par un miracle, et violemment jete sur l'autre rive, mourait la main tendue vers la fleur qu'ensanglantait la blessure de ses doigts dechires aux rocs. Ces taches sacrees en avaient mouchete l'immaculee blancheur; ces gouttes rouges avaient baptise la premiere tulipe pareille a celle que je preferais dans le ridicule panier. Ma fable ne vaut-elle pas bien celle de ce miserable Narcisse Dont les honteuses mains creuserent le tombeau, comme a fort bien dit le poete Henri Cantel? C'est decidement cette tulipe-la que je vais acheter pour vous, ma chere ame, cette tulipe blanche ou coule le sang de l'amour. Si je n'ai pas la beaute du prince Hamsah, j'en ai, du moins, la tendresse et vous, vous etes de tout point pareille a celle pour qui il fut heureux de mourir, puisque la nuit a mis ses ombres bleues dans votre chevelure et que vos yeux sont les etoiles qui menent les bergers aux pieds des Dieux! [Illustration] [Illustration] POEME DE MAI Vous ne voulez pas le croire, ma chere, mais nous sommes en Mai. Pourquoi ne le voulez-vous pas croire? Parce que les lilas ne sont pas venus sonner dans l'air des messes amoureuses avec leurs clochettes parfumees? Parce que le coeur des roses est encore enfoui dans son armure d'emeraude? Mais le mien, tout pret a fleurir, me dit que le Printemps est bien la malgre la melancolie du ciel et la pauvrete des premieres verdures. Je suis fidele aux dates comme le calendrier lui-meme. Je vous jure que le temps est arrive d'aller cueillir des bouquets dans l'herbe et de murmurer de douces choses a l'oreille sous l'ombre tremblante des arbres. Mais vos petits pieds se mouillent dans les gazons noyes de pluie et les marronniers n'ont pas encore ouvert leurs innombrables parasols que traversent des filets de lumiere. Nous n'irons donc pas sur le bord de la riviere qui chante, comme au Mai de l'an passe qui ne nous fut, a tous deux, qu'une longue promenade dans les bois. C'est aupres du feu flambant encore que nous evoquerons la vision des riants paysages inondes de soleil, des eaux glissant sous un rideau d'argent et d'azur, des horizons mourants dans les vapeurs roses du soir. Si tout cela n'est pas autour de nous, que, du moins, tout cela soit en nous! Car tout cela n'est que le reveil des impressions qui sont la jeunesse et la saveur de la vie. Tout cela n'est qu'un sursaut divin de l'amour vers de nouvelles tendresses. Ah! les lilas et les roses nous ont trahis! Vous n'en recevrez pas moins, ma chere ame, l'hommage du jardin que je porte en moi et dont les floraisons sont infiniment plus fideles que celles des autres parterres. Mes rimes imiteront de leur mieux la voix caressante des fauvettes sous l'epaisseur obscure des feuillees. Le trouble ou me met votre beaute sera comme le frisson que le vent matinal fait passer dans les branches. Ecoutez plutot: * * * * * A l'ombre douce de la nuit De tes cheveux l'ombre est pareille. Et la nacre des perles luit Aux fins contours de ton oreille. De lis ton front est veloute: Sur ta bouche meurt une rose, Car tout rappelle, en ta beaute, Le teint de quelque belle chose. Pour tes yeux seuls je cherche en vain. Il semble qu'en eux se confonde Le ton changeant qui fait divin Le mirage du ciel dans l'onde. Tous tes charmes ont leur couleur Ou mon coeur se complait sans treve.... Mais tes beaux yeux quelle est la leur? --La chere couleur de mon Reve! * * * * * Il faut nous souvenir, madame. Je ne vous demande pas de revivre avec vous les jours passes; car ils ne suffiraient plus a ma vie d'aujourd'hui. Ma tendresse, sans cesse accrue, a senti se doubler en elle l'impatience du desir et la puissance des joies. Les bonheurs accumules ont fait comme un lit de fleurs tres profond et tres eleve au bonheur que je reve. En vous suivant, je me suis tout naturellement rapproche du ciel. Je plane tres au-dessus des routes autrefois suivies et, si douces qu'elles aient ete, votre bras s'appuyant sur le mien, je ne veux pas redescendre. L'abime qui me tente est celui d'en haut, profond et plein d'etoiles comme vos yeux. Souvenons-nous cependant; mais pour etre plus assures que nos ames se sont melees davantage et que tout ce qui nous fut doux nous serait encore plus doux maintenant. Ah! dans les sentiers silencieux ou nous marchions l'un pres de l'autre, ou je buvais votre souffle, ma tete penchee vers votre tete, il me semble que si nous y revenions, mes levres n'y quitteraient plus vos levres. Ah! sur les gazons pleins de marguerites, ou nous allions nous asseoir, quand le soleil declinait derriere les grands arbres teintes de rouge et d'or, si nous nous retrouvions encore, la nuit nous surprendrait dans un embrassement sans fin. Les caresses que nous avons semees, nous les retrouverions grandies comme des plantes vivaces. Souvenons-nous! Souvenons-nous! Ceux qui sentent leur amour decroitre ont, seuls, raison de chercher l'oubli. Celui que votre beaute m'inspire n'est pas de ces affections perissables. Il est en moi plus que moi-meme, toute ma douleur comme toute ma joie. * * * * * Dans l'amour farouche ou, sans treve, Je m'abime et dont je mourrai, J'ai mis l'orgueil desespere D'un coeur qu'avait trahi son reve. Car je porte au flanc gauche un glaive Invisible et si bien entre Qu'il s'enfonce, plus acere, Quand ma lache main le souleve. S'alourdissant sous mon effort, Il fouille, plus avant, plus fort, Dans ma poitrine, jusqu'a l'ame, Et son poids grave dans ma chair Un nom, ton nom cruel et cher Qu'un jour ecrivit sur sa lame. * * * * * Mais vous ne m'ecoutez pas, ma mie. Ah! femme que vous etes! Comme, au fond de votre etre, vous etes bien plus a la Nature qu'a l'Amour. Tandis que je vous chante mes tortures et mes delices, vos yeux se perdent vers des lointains ou ma voix ne parvient guere. Mes vers vous consolent mal des roses absentes et votre pensee est toute au regret des lilas attardes. Ce n'est pas flatteur pour moi. Mais patience! Si les fleurs de cette annee viennent tard, peut-etre dureront-elles plus longtemps, et vous verrez, comme moi, dont le dernier et tardif amour est le plus fort, qu'il est doux de respirer les parfums du printemps en automne! [Illustration] [Illustration] CHOSES VECUES Il faudrait en finir cependant, madame, avec notre eternel sujet de discussion. Vous ne passez pas un jour sans me demander la fleur que je prefere, et comme je vous reponds tantot: la rose! tantot: l'heliotrope! tantot: le jasmin! suivant que c'est l'une ou l'autre qui meurt dans vos sombres cheveux, comme dit un vers celebre de Coppee, ou qui palpite en haut de votre corsage au rythme harmonieux de votre souffle, vous en concluez que je n'ai aucune fixite dans les gouts et vous m'accusez tres haut d'inconstance, vous a qui je me suis lie par une immortelle tendresse. Vous allez jusqu'a me dire que je ne sais pas ce que je veux, ce qui est tout simplement une impudence de votre part. Car ce que je veux, vous le savez aussi bien que moi, et d'autant mieux que, seule, vous me le pouvez donner. Ah! ce que je veux, c'est.... Non! j'ai jure d'etre decent aujourd'hui. J'ecris pour les academiciens et pour les demoiselles. Ou en etais-je vraiment? Vous me troublez l'esprit avec des questions aussi inattendues. Eh bien! pour clore un debat qui a trop dure, je vous avouerai aujourd'hui cyniquement que je vous ai toujours menti. Non! la fleur que j'aime le mieux, ce n'est pas la rose qui fleure comme votre bouche, ni l'heliotrope dont le bleu changeant et profond fait penser a vos yeux, ni le jasmin dont les blancheurs semblent etre demeurees a vos doigts effiles; ce n'est pas non plus la pivoine dont les petales transparents vibrent au moindre souffle comme les ailes de votre joli nez latin, ni l'iris marin qui a les delicieux balancements de votre tete mutine, ni la glycine qui, massive et en grappes serrees, a les lourds frissons de votre chevelure, ni l'anthemis dont l'innombrable epanouissement et la gloire constellee n'a d'egal que le faisceau fleuri de vos graces et de vos splendeurs. La fleur que je prefere, je ne sais pas son nom,--ni vous non plus sans doute, bien que vous soyez plus savante en botanique que moi;--c'est une fleur a peine, une facon de petite herbe sauvage. Elle s'est trouvee prise dans la feuille de lierre que vous cueillites au bord d'une haie, quand je vous guettai pour la premiere fois et que vous pliates en deux pour la cacher dans mon portefeuille. J'imagine que c'est quelque plante magique dont le voisinage ensorcela mon coeur pour jamais et vous le soumit par un mysterieux et inexorable pouvoir. Elle s'appelle pour moi: la Destinee! c'est-a-dire: le Bonheur! si cela vous plait, ou: l'immortelle Detresse, s'il vous convient de me faire souffrir. Cela vaut bien, ce me semble, une appellation barbare de Linne ou de Jussieu! * * * * * Nous en sommes a peine aux fraises, ma tres chere et tres belle aimee. Je crois meme avoir fait rouler dans votre assiette les premieres que le Midi nous ait envoyees. Vous avez deja reve de cerises et vous m'avez signale des framboises que vous croyez avoir vues chez un joaillier probablement. Mais moi qui habite les jardins, je puis vous assurer que vous en avez pour quelque temps encore avant de croquer des guignes sur le chemin de Montmorency et de voler dans les haies d'authentiques framboises. Contentons-nous donc des fraises pour le present, des fraises d'un rouge plus vif, mais d'un parfum moins divin que vos levres. Ah! laissons, je vous prie, chacune de ces joies gastronomiques, que nous garde le developpement des saisons, venir a son epoque. Il est imprudent de vouloir hater l'heure toujours factice des plaisirs. N'en avez-vous pas trouve un, fort cruel pour moi, a me faire attendre longtemps, longtemps, et jusqu'a me desesperer, un bonheur dont je faillis ne plus savoir porter le poids? Ce fut pour nous le temps des fraises de l'amour dans le bois mysterieux des esperances. Votre beaute m'apparaissait alors comme dans une de ces brumes printanieres qui donnent aux splendeurs du renouveau un aspect flottant de reve, je ne sais quoi d'enchante ou le desir s'ose, a peine, aventurer. L'idee de toucher de ma bouche seulement le bout de vos doigts me donnait le frisson, et l'odeur vivante de vos cheveux me grisait, rien qu'a effleurer votre joue. Nous avons goute des joies tres douces et tres incontestables a ces innocentes caresses: joies pour vous a me faire souffrir, me voyant de plus en plus dompte, et joies pour moi-meme a me perdre dans l'extase ou me plongeait votre seule vue. Cela ne pouvait Dieu merci! durer toujours. Mais vous avez sagement attendu que la felicite plus complete qui devait suivre l'immense felicite des tendresses sans reserve fut comme le fruit mur qui se detache de la branche au moindre souffle. Patience! Les cerises viendront aux chairs fermes, aux duretes virginales; puis l'egrenement de rubis des groseillers suivra; l'or rougira aux flancs veloutes des abricots; les raisins revetiront leurs transparences nacrees; puis enfin la peche apparaitra dans les corbeilles, la peche dont le duvet imperceptible fait penser a celui dont vos belles epaules sont parees. Nous ne sommes qu'au printemps, Madame! n'appelons pas encore l'automne et gardons la douceur d'esperer jusqu'a ce que vienne celle de se souvenir! [Illustration] II CONTES D'ETE [Illustration] FETE DES FLEURS C'est un reve que j'ai fait tout simplement au fond de mon jardin; car il y a longtemps deja que j'ai donne pour unique horizon a ma vie mondaine le rideau de peupliers dont les plis de verdure frissonnent au-dessus de mon mur interieurement etoile de pavots, vivant la les fetes communes, tandis que leur rumeur m'arrive lointaine, lointaine et multipliee par les echos innombrables de la riviere. J'ai pris les foules en horreur pour la tyrannie bete qu'elles imposent a la marche, pour la curiosite banale qui les pousse en tous sens comme un torrent qui se dechire aux cailloux; mais j'en aime assez le bruit confus pourvu qu'une solitude douce m'en separe, pareil a cela a l'egoiste qui, voluptueusement, ecoute de son lit tomber l'averse dans la rue sur les tetes indifferentes des passants. Non, vraiment, l'idee de tous les fiacres de Paris echangeant, dans la poussiere d'un long chemin, des bouquets de trois sous n'etait pas pour m'arracher aux delices de mon hermitage et au spectacle des fauvettes a tete noire a qui j'ai abandonne ma moisson de cerises. D'autant que nous autres, horticulteurs desinteresses des parterres de banlieue, nous ne sommes pas pour ces gaspillages de roses sous les pieds des chevaux. Nous avons la piete de ces magnifiques parures du sol qui n'en sont arrachees qu'en saignant empourprees comme d'odorantes blessures. Sur leur tige, elles apparaissaient comme des levres souriantes, s'entr'ouvrant, comme sur des dents sur les perles de la rosee. Et puis, nous pensons au mal que chacune d'elles nous a donne pour grandir. Car l'etat de jardinier dans le departement de la Seine n'est pas une sinecure et je sais nombre de bacheliers qui seraient fort empeches de le remplir, n'ayant pas dans l'ame ce je ne sais quoi d'ingenieusement agreste qu'a laisse dans le notre l'admiration du doux Virgile. Enfin ces orgies nous revoltent, nous qui ne consentons a cueillir une gloire de Dijon ou une Guilleminot que pour la voir refleurir au corsage de la bien-aimee, la ou notre coeur lui-meme, invisible, est suspendu, traverse aussi par une longue epingle d'or. * * * * * Je n'en ai pas moins pris de loin ma part de ce brouhaha bienfaisant et destine a entretenir parmi les pompiers le sentiment du devoir. Il n'est pas malaise de s'imaginer Paris debordant de sa ceinture, Paris envahissant le Bois, Paris grouillant sur les gazons brules, Paris range en deux files autour de ses citadines et de ses urbaines mises bout a bout, puis les orchestres bruyants des saltimbanques, l'envahissement des tentes ou les garcons s'evertuent, rafraichissant les boissons de la sueur de leur front; le tournoiement des chevaux de bois dans le hoquet des orgues mecaniques; le roulement vertical des ballons captifs initiant les populations terrestres aux delices du mal de mer; les mats et leur mince claquement d'oriflamme dans l'air traverse de rares brises; les musiques militaires lancant a pleine volee leurs ....Concerts riches de cuivre, Dont les soldats parfois inondent nos jardins, Et qui, dans les soirs d'or ou l'on se sent revivre, Versent quelque heroisme au coeur des citadins. Comme l'a si bien dit Beaudelaire, a qui l'ingenieux Scherer ne devait trouver plus tard ni genie ni talent. Car ce Scherer merveilleux est bien autrement comique que les avaleurs d'etoupes du carrefour, et je serais fort capable de me deranger pour l'aller voir seulement passer dans le cocasse infini de son serieux. Car il est, en litterature, de l'ecole de Leonce en theatre et c'est sans rire qu'il debite ses plus amusantes bouffonneries. Je vous dis que, de mon banc rustique ou ma chienne noire me tenait compagnie, je me representais, comme si j'y etais moi-meme, cette tant mirifique ceremonie du bois de Boulogne, au point d'en voir circuler le promoteur parmi les voitures, en homme qui, tout petit, a eu l'habitude de frequenter leurs portieres. Et, tout doucement, l'illusion me vint si intense que, d'un geste mecanique et abandonne, je jetais d'imaginaires gratte-culs a un tas de vieilles hetaires dont ma jeunesse a vu l'age mur. * * * * * C'est alors que l'idee me vint, madame et belle lectrice, de vous proposer une chose absolument saugrenue; traversant toute une bande de prairie, nous descendions jusqu'au lac lui-meme dont ce defile n'occupait que la haute rive. Accueillis avec enthousiasme par une bande de canards encore ignorants des petits pois qui les guettent dans leur gaine de soie verte, nous appelions un gondolier et, sournoisement, nous nous faisions conduire dans l'ile qu'un chalet decore, dans l'ile presque deserte ou, plus heureux que Robinson, j'allais avoir une compagnie plus aimable que celle de Vendredi. Rebelles aux agaceries des garcons limonadiers, ventres d'un tablier blanc comme les petites bonnes, nous cherchions quelque bosquet bien tranquille d'ou nous voyions seulement, dans le decoupage des feuilles et derriere une barricade d'ombre mouvante dans l'air et dans l'eau, se continuer dans la poussiere lumineuse, a l'horizon et dans l'odeur tiede des beignets, cette theorie banale de promeneurs barioles secouant autour d'eux des gerbes defleuries, eparpillant des petales anonymes dans ce tohu-bohu. N'oubliez pas que je continue a rever, madame et chere lectrice, et n'allez pas vous offusquer du plaisir que je pris a regarder le petit bout de vos souliers mordores a peine sortant des soies de votre jupe, comme de jolis oiseaux qui n'osent pas s'aventurer encore hors de leur nid. On n'a pas de raison pour se gener en songe. Une fourmi bien avisee (Michelet n'en a pas dit encore assez sur le genie de ces insectes) vous piquait le mollet, et d'instinct, par un mouvement aussi imprevu qu'involontaire, vous portiez le bout de vos doigts gantes de suede a la partie blessee, soulevant un nuage de taffetas. Ce ne fut qu'un detail, quelque chose comme si l'ange biblique qui garde le seuil du Paradis interdit, posait un instant son epee flamboyante pour se moucher et laissait s'entr'ouvrir la porte defendue. Combien le peu que je vis valait mieux que tout le spectacle de la-bas! * * * * * Et, comme la nuit descendait, precedee des rouges adieux du couchant que clament, trop loin pour etre entendus, d'immenses trompettes de cuivre, nous ne songions pas a quitter ce coin paisible, cette oasis de silence dans le bruyant desert des coudoyeurs inconnus, si bien qu'une ombre plus epaisse, coupee celle-la par les sillons d'argent de l'eau, palmes d'ecume semblant glisser a la surface des lacs comme celles des triomphateurs que le temps emporte nous surprit toujours assis sur l'herbe, mais plus pres l'un de l'autre, subissant, comme tous les etres et comme toutes les choses, cet alanguissement des declins. Cependant partout s'allumaient des girandoles; des colliers de grosses perles se brisaient, puis se renouaient, puis s'egrenaient silencieusement dans l'onde; des rosaires aux grains lumineux fremissaient sous d'invisibles doigts. L'illumination propice envahissait l'espace de ses caprices opalins et les musiques se reveillaient, plus vibrantes, dans l'air vide des clartes du jour. On valsait de l'autre cote, on valsait au pied de Metra devenu neigeux aujourd'hui comme les cimes du Mont-Blanc et secouant dans la brise enfin levee les divines harmonies de la _Vague_ ou de l'_Esperance_. Car c'est un vrai poete que ce blanc et melancolique garcon qui a plus ecrit que personne, ce qui a suffi a lui constituer une grande reputation de paresse. J'avoue, Madame et belle Lectrice, que mon reve prit ici une tournure dangereuse a vous confier. Mais bah! puisque c'est toujours du mensonge!... Nous nous etions si bien rapproches que vous me mordilliez delicieusement les levres dans un baiser qui ne finissait pas, dans un baiser "la saveur en la bouche", comme disait le bon poete Ronsard, au front couronne d'immortels lauriers ... que voulez-vous! Il n'est rien, dans ce monde qui, mieux et plus que le vacarme des cohues, me donne le desir de quelque retraite a deux dans une Thebaide au pied de laquelle cette rumeur vienne mourir. J'ai reve encore qu'en me quittant vous m'aviez donne un magnifique brin de _vergiss mein nicht_, cette petite fleur qui regarde avec un oeil bleu, un oeil pale et doux charge de souvenir. Donc, non seulement j'avais eu ma fete des fleurs comme les autres; mais j'en avais garde quelque chose, la memoire exquise de votre toilette, Madame et honoree Lectrice, et de vos jolis souliers mordores. [Illustration] [Illustration] EN MESSIDOR Le beau pommier si fier de ses fleurs etoilees, Neige odorante du printemps! Est-ce que vous aimez vraiment les fruits, madame? Je vous ai vue parfois mordre dans une peche au velours ruisselant sous vos dents blanches, voire engloutir, avec de delicieuses petites mines, des fraises qui n'emportaient rien de la pourpre sanglante de vos levres, et meme dechirer la chair d'or d'un abricot. Mais peut-etre etait-ce par pure condescendance? Moi je ne suis pas de l'ecole des gens qui gardent des poires pour la soif. Je prefere infiniment a celles-ci, par les vesprees alterees, la fraicheur des sources susurrant dans l'epaisseur humide des gazons. La vraie raison d'etre des fruits, c'est les confitures, quand la main delicate d'une femme y a mis son parfum. Non? Vous n'etes pas de mon avis? Vous aimez les fruits pour eux-memes, pour leur gout personnel? Soit! parions cependant que si je vous disais: Vous ne mangerez cette annee ni cerises, ni pommes, ni peches meme, mais les arbres qui les devaient porter demeureront comme ils sont aujourd'hui, tout en fete sous la blancheur de leur floraison printaniere; tels ils vous apparaissent comme l'eparpillement d'une coiffure de mariee, tels ils resteront, en ete, variant la profondeur epanouie des verdures; en automne, egrenant leurs perles sur le fond d'or sombre des feuillages rouilles. Oui, si je vous disais: le temps respectera cette parure divine de l'Esperance, et ces rameaux ne se depouilleront pas de ce frileux et delicat ornement....--Eh! me diriez-vous, qu'il en soit ainsi! Vous aimez tant les fleurs, madame! Et vous etes si peu gourmande, helas! Le fait est que rien n'est si beau au monde que les jardins en ce moment. Aux pechers pendent encore des petales d'un rose tendre; les cerisiers semblent, de loin, des arbres ou, par touffes menues, le duvet de quelque cygne celeste s'est accroche; et voici maintenant que les pommiers s'etoilent, les pommiers dont la fleur, plus largement ouverte, semble les ailes d'un double papillon. Ah! cette floraison des arbres fruitiers, quelle note exquise elle met parmi les choses! C'est comme un ressouvenir charmant des neiges disparues. Neige odorante, comme l'a dit le poete; neige qui ne descend pas jusqu'aux fanges du chemin et qui s'envole, aerienne et impolluee, dans les souffles tiedes du soir! * * * * * Ayant garde, par ce temps d'indifference, le gout obstine des legendes paradisiaques, il m'arrive souvent de vous meler, ma chere, a leur poetique memoire. C'est ainsi que j'ai reve, cette nuit, que nous etions Adam et Eve dans leur premier sejour. Cette imagination m'etait la plus aimable du monde. Car tandis que vous me conjuriez de passer un pantalon, pour ne me pas enrhumer,--et cela avec une tendresse dont les instances m'emplissaient de joie et de reconnaissance,--je goutais, moi, mille delices sournoises et profondes a vous contempler dans le costume leger que l'air seul tissait autour de votre corps bien-aime. Dut votre pudeur souffrir de cet aveu, je vous preferais ainsi, meme en evoquant le souvenir de vos plus jolies toilettes. Vous aviez une facon de porter la nudite qui etait un chef-d'oeuvre d'aristocratie! Ah! je me fichais pas mal du motet delicat que la musique lointaine des anges dispersait, pour nous dans les brises, aussi bien que de la longue barbe du Pere Etemel qui nous souriait dans un coin particulierement lumineux de l'azur. Tout m'etait egal dans cette splendeur des choses creees, tout hormis le beau ton nacre de votre chair, le rythme divin suivant lequel vos formes augustes sont modelees, le triomphe de vos seins tendant aux baisers des papillons une double fleur, la gloire de vos hanches ou se brise le desir, l'ombre de vos cheveux ou s'engloutit le reve, la blancheur liliale de vos pieds ou vient s'abattre le baiser. Ah! bien que la, sous le coeur, je sentisse encore une brulure cruelle, je ne regrettais pas un instant la cotelette qui m'avait ete volee par Dieu pendant mon sommeil et d'ou tant de charmes etaient sortis! Et tandis que, muet d'extase je m'abimais dans la delicieuse et vehemente contemplation de votre personne, j'ecoutais, ravissement nouveau, le son de votre voix ou chantait l'ame elle-meme des sources et des oiseaux. Vous vous moquiez de moi comme a l'ordinaire, mais plus affectueusement que dans la vallee de larmes ou nous avons coutume de nous promener ensemble, vous en robe trainante et moi en simple pet-en-l'air. Oh! le Paradis, tel que je l'ai vu cette nuit, quel adorable endroit, ma chere! Plus d'ombre et plus de mystere que dans les bois memes de Vaucresson et de Saint-Cucufa. Pas d'auberge d'ou l'oeil poursuit les promeneurs sentimentaux! Aucun lieu n'est si beau dans toute la Nature. comme a dit Chenier en parlant des coteaux d'Erymanthe, tres inferieurs cependant. Le Pere Eternel, lui-meme, n'etait pas genant. Au-dessus de nos tetes, un arbre immense dispersait ses lourds rameaux et s'epanouissait en un grand enchevetrement de branches. C'etait le fameux pommier. Mais aucun fruit n'y pendait. Il etait bien plus beau qu'a l'heure de la tentation biblique: il etait tout en fleurs. * * * * * Oui, plus beau, mais plus redoutable aussi. Car si je vous crois, madame, incapable de me tromper pour le don d'une rainette ou meme d'un calvile, je vous crois infiniment plus accessible au present d'une simple fleur que votre caprice eut souhaitee. L'auteur de la Genese a mal connu la Femme. Ce n'est pas a mon appetit, mais a sa fantaisie qu'il faut toujours frapper, comme a une porte fragile et prete a s'ouvrir. L'Eve de la Bible ressemble vraiment un peu trop a la Marguerite de Goethe, laquelle ne regarde meme pas le bouquet du pauvre Siebel, mais s'eprend bien vite de l'Inconnu qui a mis une cassette sur son chemin. Je trouve que la femme est calomniee dans l'une et l'autre de ces legendes. Je ne me defie, madame, que de celui qui vous offrira une rose juste a l'instant ou votre reve s'egarait sur un rosier. Je n'aime pas non plus beaucoup le colloque entre notre mere commune et un simple serpent; je le trouve egalement mal observe. Plus ingenieux et plus vrai, l'art paien a choisi un cygne pour tenter Leda, le cygne embleme, tout a la fois, de la grace et de la force, le cygne qui a des ailes et peut emporter la pensee vers de lointains azurs. Je ne vous chicanerai pas d'ailleurs, madame, sur le choix de l'animal destine a me rendre ridicule comme autrefois Adam et plus tard Joseph. Je vous avouerai cependant que l'homme serait encore celui qui me serait le plus desagreable. Avec un cygne, j'aurais, au moins, l'espoir que vous me pondriez des oeufs frais, ce qui est bien une petite consolation. La premiere fois que l'obligeance d'un songe me ramenera, en votre compagnie, sous les ombrages parfumes de l'Eden qui, sans vous, n'en serait pas un pour moi, il est donc entendu que si vous succombez, ce sera entre les ailes d'un cygne qui vous aura apporte une petite branche de pommier fleuri. Ce sera bigrement plus poetique que dans la fable chretienne, et je vous en excuserai davantage. * * * * * Mais le temps fuit durant que je vous conte mes imaginations nocturnes. Le temps fuit et, suivant le vol des petales roses des pechers, la neige des cerisiers et des abricotiers se disperse deja, rien qu'au vent des fleches encore obscures du soleil. Ainsi les pommiers se deconstelleront bientot, leurs etoiles se detachant une a une comme les astres d'un ciel desole. N'attendez pas cet instant; madame, pour realiser par pitie, par simple pitie, tout ce que vous pouvez du reve ou je me suis tant complu, par amour de vous! C'est le seul lambeau qui nous reste du paradisiaque decor ou je vous vis sans voiles, durant ce reve trop court. Tout le reste nous manque, l'orpheon melodieux des archanges s'essoufflent pour nous dans les profondeurs de l'Infini, l'hommage des lions et des tigres venant se coucher a nos pieds, la barbe souriante du Pere Eternel ruisselante comme un fleuve de lait descendant des collines d'azur de l'horizon. Mais si vous saviez comme je me moque de tous ces accessoires! Le pommier fleuri me suffit. Et encore me passerai-je parfaitement du pommier si son ombre ne vous est pas necessaire pour devetir votre auguste beaute. Car le vrai paradis, il est la, ma chere, dans le spectacle de votre personne nue autant que le permettait l'envahissante splendeur de vos cheveux denoues et vous faisant un manteau vivant. Et ce paradis-la est en vous, et vous seule etes l'ange impitoyable qui en gardez l'entree contre l'affolement de mes desirs. Il ne depend pas de moi de me deguiser en cygne, pour me tromper moi-meme. Mais dites-moi la fleur que vous voulez, vous qui n'etes ni Eve ni Marguerite, et qui aimez les fleurs plus que tout! [Illustration] [Illustration] BATEAUX ROUGES I Au fond d'une petite mauvaise caisse en bois que je croyais vide, en remuant des vieilleries ou un peu de tout ce qui fut une vie est reste, bouquins jetes au rebut, bouquets autrefois baises et qui ne me rappellent plus aucun nom, anonymes souvenirs qui n'eveillent plus rien dans mon ame, j'ai trouve ... devinez quoi...? un jouet de mon enfance, mon jouet favori, un petit bateau aux matures brisees, a la voile dechiree, a la carcasse lamentable et mignonne, comme celle d'un oiseau mort. Comment cette relique ridicule m'avait-elle suivi au hasard des deplacements et des exils, a travers la vie troublee qui fut la mienne, pleine de separations, de departs eplores et d'adieux? Je n'en sais rien vraiment, moi qui ai egare mes plus beaux livres, mes objets d'art les plus chers et qui suis comme un roc melancolique entoure d'epaves et de naufrages flottants. Non, je n'en sais rien vraiment, et l'attendrissement que m'a cause sa decouverte est pour me faire croire a quelqu'une de ces fatalites douces qui, de bien loin, inattendues et furtives, viennent nous toucher au coeur. Ce navire en miniature, il est comme une image gravee a la premiere page du livre dont bien de feuillets encore me restent peut-etre a parcourir. Il a la solennite bete des mauvaises gravures sur bois. Je le trouvais charmant dans ce temps d'enthousiasmes faciles et j'admirais surtout sa coque d'un vermillon aigre, criard, implacable dont les tons vifs se sont amortis aujourd'hui et ne sont plus qu'une facon de reseau sur la peinture ecaillee. De petits canons en bois etaient colles aux sabords figures par des trous noirs mal dessines par un inhabile pinceau. Ah! que de belles heures ont vogue sur ce vaisseau en caricature! Que d'heures douces et baignees de soleil levant comme les petales de roses qui s'envolent aux premiers souffles du matin! Ce joujou qui pouvait bien avoir coute cinq francs a l'oncle genereux qui me l'avait donne pour mes etrennes etait un objet d'envie pour tous les jeunes polissons dont je faisais ma compagnie ordinaire. Ce n'etait qu'a mes meilleurs amis que je permettais d'y toucher. Les plus chers seulement, je les emmenais en cachette vers quelque coin, bien secretement enfoui sous les saulaies de la petite riviere, pour y tenter, avec eux, d'impossibles navigations. La mise a l'eau du bateau etait une ceremonie d'une importance sans egale. Nous etions deux ou trois a genoux pour le poser en equilibre sur les mille petites rides d'argent qui l'allaient bercer. Il etait un peu rouleur de sa nature, comme on dit en canotage, et le poids lui manquait absolument pour fendre le flot minuscule et pourtant paisible a qui je confiais cet _animae dimidium mex_. On descendait de ce cote, a la riviere par une pente douce, mais sans verdure, le sol y etant souvent foule par les sabots des lavandieres et les rudes pas des chevaux qu'on y menait boire. Elle etait couleur de terre mouillee avec des petits cailloux luisants. L'autre rive, au contraire, qui bornait une admirable prairie, etait emaillee de marguerites blanches et de rouges coquelicots, et de mille autres fleurs encore, sauvages et charmantes, celles-ci en grappes violettes, d'un violet pale et tres doux, celles-la en forme de clochettes qui semblaient sonner la messe silencieuse et parfumee d'encens du printemps. Bien qu'attache solidement a une longue ficelle qui nous permettait de le ramener a nous, en cas de naufrage, notre bateau allait quelquefois assez loin de la berge d'ou nous suivions ses evolutions, avec l'attention d'un conseil d'amiraute. C'etait les jours ou un peu de vent emplissait sa voile et mettait dans sa course quelque fantaisie. Ces lointains voyages a la decouverte d'iles formees par de hauts bouquets de roseaux, d'archipels constitues par la floraison etoilee des nenuphars, de recifs dont un tronc de saule mort faisait tous les perils, nous rendaient haletants et nous mettaient dans la gorge de petits cris d'angoisse. Nous avions une ambition cependant et, plus qu'aucun autre, moi, le proprietaire de l'embarcation, je meditais cette chose hardie que mon batiment traversat la riviere tout entiere, dans sa largeur complete, et allat aborder dans cette facon de paradis terrestre qui etait a l'autre bord, et dont nous voyions seulement, de loin, les anthemises, les pavots, les gazons merveilleusement embellis par une flore agreste, exuberante, aux mille couleurs et aux mille enchantements. Helas! jamais un souffle favorable a cet imperieux desir ne poussa le petit bateau rouge jusqu'a ce rivage que mon imagination emplissait d'un mystere charmant et feerique. Ce petit bateau rouge est brise; il est demeure la fidele image de mon reve! II Jamais la mer ne m'avait paru plus belle. Tres calme, elle semblait, de la jetee au pied des dunes, une immense pierrerie passant des transparences de l'emeraude aux opacites azurees de la turquoise, partout traversee d'un scintillement d'etincelles. A peine quelques vagues venaient-elles accrocher aux galets leur chevelure d'argent qui se divisait bien vite comme un echeveau trop leger. Jamais serenite si grande n'avait habite le flot. Au-dessus, le ciel, d'un ton tres fin, presque gris, etait borde, a l'horizon, par une large bande de brume d'un violet pale qui mettait un reflet d'amethyste sur tout cela. Les voiles se faisaient de plus en plus rares, les barques s'eloignant pour la peche nocturne; elles ne semblaient plus que des ailes de mouettes rosees par le soleil couchant et quelques-unes pareilles a des ailes d'ibis. Un grand vaisseau qui avait ete visible tout le jour, se perdait dans la buee profonde et lumineuse qui bientot allait confondre la mer et le ciel comme deux levres dans un baiser. Vous etiez assise a cote de moi, ma chere ame, et vous reviez comme moi, devant ce magnifique paysage. Tout a coup, le soleil, qui avait disparu, depuis un instant, derriere le rideau de nuees qui semblait un rempart dresse sur l'horizon, le perca de sa clarte rouge et sans rayons. On eut dit un trou de feu beant dans le ciel, une blessure large et ronde et pleine d'un sang vermeil, le coeur du monde arrache et pendu en l'air, comme a l'etal d'un boucher. C'etait terrible et superbe a la fois. Mes yeux chercherent les votres et j'y trouvai l'apaisement d'un firmament plein d'etoiles. Cependant le nuage blesse reprenait le combat et l'ombre revoltee s'acharnait a l'astre un instant triomphant. Le magnifique globe se deforma soudain et ne fut bientot plus qu'une bande eclatante, une dechirure dans le linceul de nuit qui l'enveloppait. Chose etrange et qui vous frappa autant que moi! Cette dechirure avait la forme d'un bateau, d'un bateau de flammes voguant sur les vapeurs comme sur une autre mer. Ce navire flamboyant perdu dans l'immensite, m'apparut comme le vaisseau qui emporte nos reves vers l'infini, nos tendresses vers le neant et que colore la fleur vivante et pourpree de nos veines; comme le navire a qui nous confions plus de la moitie de notre ame, nos aspirations supremes et nos desirs desesperes. En vain il tentait de monter plus haut dans le ciel sur le dos ecumeux des nuees, ou de s'enfoncer plus avant dans l'horizon, pousse par le vent amer qui soufflait de la rive. Il demeurait immobile, rive au flot qui semblait le porter et qu'on eut dit fige autour de lui comme les flots d'une mer de glace. Ainsi, pensai-je, le meilleur de nous reste suspendu entre la terre et le ciel, attache au roc comme par une ancre invisible. Et peut- etre, pensiez-vous comme moi, ma chere ame. Car une grande melancolie etait dans vos yeux profonds et d'un vert changeant comme celui de la mer. Les choses du ciel ont-elles donc aussi leurs naufrages! Soudain le vaisseau de feu que nous emplissions du fantome de nos pensees fut comme traverse par une raie d'ombre qui le separa en deux. On eut dit une lame qui le coupait dans toute sa longueur. Et ce ne fut plus qu'une double epave, toujours lumineuse, mais comme mordue et rougie par la Nuit et s'amincissant sous le travail destructeur des elements. Bientot deux fils paralleles seulement et vibrant comme les cordes douloureuses d'un violon. Puis, rien! Rien que la nappe obscure, tranquille et vaguement violette qui s'elevait, comme une muraille flottante au-dessus de la nappe d'emeraude pale et comme jonchee de palmes d'argent qui eclaboussait la mer ou le vent du soir faisait passer de vagues trainees de lumiere. Quand le temps aura brise la barque fragile et lumineuse qui emporte nos amours vers la meme douleur et nos tendresses vers le meme adieu, vous vous rappellerez, comme moi, n'est-ce pas? madame, la vision que nous eumes ensemble de ce soleil couchant et dechire, pareil a un vaisseau de flamme tentant en vain le voyage impossible du ciel! [Illustration] [Illustration] AU PAYS DES REVES Nous avions regarde, durant tout le jour, l'eau rayer le ciel. Pas une eclaircie depuis l'aube, pas un entr'acte a ce long drame aquatique. L'uniforme spectacle de la pluie se precipitant en averses ou s'etalant en lentes ondees; le bruit monotone des gouttes fouettant les vitres; l'impression melancolique d'une grande ville inondee et dont tous les toits pleurent sur tous les paves. Ce devait etre affreux pour les pietons qui pataugeaient dans les poudres delayees de la circulation dominicale, pour les chiens sans maitres qu'on chassait des seuils entr'ouverts, pour les petits vagabonds dont les mains impatientes des passants repoussaient le chapeau tendu. Mais de tous les malheureux de ce temps nefaste, vous ne plaigniez absolument que les fleurs des jardins aux calices pendants, aux corolles alourdies. Car votre pitie s'en va plus volontiers aux roses qu'aux coeurs souffrants. Vous etes meilleure aux plantes qu'au pauvre monde. On dirait que l'ame de la deesse Flore habite votre jolie poitrine et respire dans votre souffle embaume. Ah! que vous etiez triste du sort des geraniums, des clematites et des chevrefeuilles qui n'osaient s'ouvrir! Durant ce temps, des gens futiles couraient le grand prix et amelioraient la race chevaline en lui enseignant l'art de lutter avec le canard. Vous verrez qu'on mangera du cheval aux petits pois, cette annee, dans tous les restaurants de banlieue. On imaginera meme le cheval a la Rouennaise pour les gourmets. Beaucoup de belles et honnetes dames etaient en train de gemir sur leurs toilettes enfouies au fond des voitures. O vanite des futurs enivrements! En vain la mode avait invente, pour cette journee fastueuse, de nouveaux chefs-d'oeuvre. Impossible d'exhiber ces merveilles. Seule la Verite devait rire au fond de son puits, la Verite eternellement nue et que j'aimerai toujours, rien que pour le choix de ce costume qui vous va si bien. Vous voyez clairement, n'est-ce pas, en cette circonstance, le neant des falbalas et l'inanite des jupes. Ce sont stupides inventions de couturieres et de personnes mal faites. Si vous jetiez un peu vos robes par les fenetres?... Mais non, vous ne le ferez pas!... Donc nous avions regarde, ma chere, toute la journee l'eau rayer le ciel gris. * * * * * Nos reves nous viennent, le plus souvent, des impressions du jour evanoui. Rien d'etonnant donc a celui que je fis et que je vais vous conter, durant que vous peignerez votre longue chevelure, ce qui me permettra d'etre prolixe. Car il faut un long temps a cet ocean d'ombre pour s'etendre en flux pesant sur vos epaules, et remonter en reflux jusqu'au-dessus de votre nuque ambree. Pour etre le plus naturel du monde, mon songe n'en est pas moins curieux et mele d'imaginations surhumaines. Dieu ne m'apparut-il pas! Mais un Pere Eternel a la moderne, ne portant plus la longue barbe blanche dont les peintres ont sensiblement abuse; un Jehovah rase comme un comedien, ce qui n'a d'ailleurs rien que de logique, puisque les gens de theatre sont certainement les dieux de cette epoque. S'il eut ete seulement en trois personnes, j'aurais cru a un troisieme frere Lyonnet. Il avait garde d'ailleurs toute l'autorite d'un premier role dans la comedie de la creation, et je crus entendre le magnifique et suave organe de Coquelin lui-meme quand il me dit sur un ton de protection: --Je viens de commander un nouveau Deluge, en ayant assez de l'humanite, mais je te sauverai. --Vous savez, Seigneur, lui repondis-je avec franchise, si vous ne sauvez pas, en meme temps, ma bonne amie, je refuse ma grace. Vivre sans elle me serait mille fois plus douloureux que mourir. --Tu es un bon Jobard, reprit le Maitre du monde en riant; je te jure qu'elle vivrait fort bien sans toi et se ficherait pas mal que tu meures. Mais c'est peut-etre pour ta naivete obstinee avec les femmes que je t'aime; je la sauverai aussi pour qu'elle continue a se moquer de toi. Tu sais ce qui te reste a faire? --Je ne m'en doute pas, Regent des etoiles. --Rappelle-toi l'exemple de Noe. --Quoi, vous voudriez, Inventeur du soleil, que je me grise comme un portefaix et que je montre mon derriere a mes fils? Et comment le ferai-je, Dieu de bonte, vous ne m'avez pas donne de posterite? --Noe ne se contenta pas de cet acte de mansuetude paternelle. Ne te souviens-tu plus de l'arche? --Il faut que je construise un immense bateau pour m'y installer durant quarante jours avec mon adoree et une partie de toutes les betes creees? --Tu n'emporteras avec toi que les animaux qui te plairont. --Ce sera vite fait; notre cage de serins me suffira. --Je te previens que tu auras l'air d'un concierge qui demenage. Mais que te peut faire l'opinion publique, puisque tu subsisteras seul de la deplorable espece a laquelle tu appartiens! --J'aimerais bien, Seigneur, que vous me permettiez d'emmener un domestique. Je consentirais a la rigueur a brosser les mignons souliers de celle que j'aime; mais les miens, jamais! --Va pour un valet de chambre, mais rien qu'un; tu le choisiras a ton gre. Adieu, je vais me faire raser. Si tu savais ce que la societe des elus est embetante! Ah! si je n'avais pense qu'a la gaiete de mon Paradis, j'aurais bien mieux fait d'encourager le vice que la vertu. Et sur cette pensee morale, Dieu disparut, en imitant le petit bruit enchifrongne des narines de M. Delaunay. * * * * * L'arche etait achevee. J'avais choisi le bois de rose, parce que je sais que vous l'aimez. L'interieur etait confortable avec des portieres et des tapis partout, et je vous avais menage, a la poupe, une serre pleine de fleurs admirables, un veritable jardin. Au moment ou nous allions nous embarquer: --Et Francois? me demandates-vous. --Qui ca, Francois? --Mais le valet que vous m'avez promis. Je vous ai dit que je voulais l'appeler Francois! --Bon! m'ecriai-je; il est encore temps. C'etait bien juste. Le deluge commencait; les cataractes du ciel s'etaient ouvertes; la nue s'effondrait sur l'effroi de tous les etres vivants. Les monuments etaient deja submerges. Un malheureux s'agitait a la cime d'un paratonnerre; je lui jetai une corde et je l'embarquai, mouille comme un chat de gouttiere. Au lieu de me remercier, comme j'y avais droit, j'imagine, il s'ecria d'un air de mauvaise humeur: --Allons, bon! et mon exemplaire du budget de 1887 que j'ai oublie! Quand je lui proposai de nous aider a mettre le couvert, car j'avais une faim horrible apres ce gigantesque travail, et vous-meme vous m'aviez promis de manger une aile de poulet. --Ah bien! dit-il, j'ai d'autres chats a fouetter. Et mon amendement sur la question des sucres! et ma commission des princes! et mon discours sur les credits de Madagascar! L'illusion n'etait plus permise. Nous n'avions pas eu de chance. Nous etions tombes sur un animal politique. Il confirma notre pronostic douloureux en devorant comme quatre, sans avoir contribue en rien a la confection de notre repas. Ne voulait-il pas vous chipper votre aile de poulet! Nous nous dimes tout d'abord: Voila une bouche inutile! Mais nous pensames plus tard: C'est une bouche nuisible! quand il recommenca a parler. Car, a peine gave, il reprit son abominable et nauseabond bavardage; il nous etourdit de ses emphatiques propos; il nous revolta de son mauvais francais; il empoisonna nos paisibles entretiens de ses billevesees progressives et sociales. Nous tenions bon, cependant. Enfin, il fit deborder le vase de notre mansuetude en s'asseyant lourdement, dans la serre, sur votre plus beau massif de roses et en asphyxiant un de vos serins avec la fumee de son cigare. Vous me fites un signe terrible. J'avais menage, a deux pas de la, une trappe pour le nettoyage de l'arche. Je le poussai affectueusement de ce cote et je le fis basculer traitreusement dans l'Infini, qui se referma sur lui en eternuant. Nous etions deja a une hauteur si considerable, toujours souleves par le flot montant, que j'entendis chuchoter entre elles deux etoiles jalouses de vos yeux. * * * * * Mais que la vie nous devint douce, ma chere, une fois debarrasses de cet hote facheux! Entre le parfum des fleurs et le gazouillement des oiseaux, nos jours s'ecoulaient exquis, suivis de nuits plus exquises encore. Une seule pensee nous preoccupait: c'est que cela n'eut qu'un temps et que ce bienheureux deluge ne put durer toujours. Nous etions parvenus a une telle elevation que les astres etaient obliges de retirer leurs rayons sous eux, comme une dame rocoque-ville ses jupes sous son derriere afin que le bout n'en fut pas mouille. Une imprudente comete, qui voulut vous contempler de trop pres, eut la queue completement eteinte, ce qui fit enormement rire les constellations voisines. Votre beaute fut universellement acclamee par les planetes, et Jupiter composa meme en votre honneur quelques vers qui tonnerent dans l'immensite avec un grand retentissement de trompettes. Je ne me rappelle que les deux derniers, dont la rime nous parait insuffisante a nous que la science de mon maitre Banville a pervertis. Mais a ces hauteurs siderales les assonnances prennent de telles ampleurs tonitruantes, que l'oreille est bien moins difficile: Par de mortels attraits, je vais, astre vaincu, Durant l'eternite rever a votre dos. Ce qui n'est vraiment pas mal pour une sphere de lumiere tres vieille et qui a deja beaucoup roule. Oh! oui, j'etais heureux, mignonne, dans cette solitude que vous emplissiez seule de votre chere presence et de votre chere voix dans ce desert en miniature suspendu entre deux abimes! Desert! non; mais oasis toute parfumee de votre haleine, toute frissonnante des fraicheurs de votre beaute. Et ce Paradis edifie sur des ruines, cet Eden surnageant au-dessus de l'aneantissement universel ne suffisaient-ils pas, puisqu'il abritait l'amour sauve et l'emportait jusqu'au lyrique sejour des immortelles poesies, dans des immortelles etoiles! Une ombre d'ailes passa soudain sur mes paupieres fermees. La colombe sans doute qui m'apportait, comme a feu Noe, le rameau d'olivier au sortir de l'arc-en-ciel triomphal. Pont de lumiere jete entre la terre suppliante et le ciel misericordieux.... Non! l'heure implacable du reveil qui me presentait, oiseau maudit, une plume dans son bec, la plume avec laquelle je viens d'ecrire ces lignes veridiques, ou le plus heureux de mes reves est conte. [Illustration] [Illustration] NUIT BLANCHE Une atmosphere pesante ou s'amassent les prochaines ondees; un ciel si lourd que la masse profonde et obscure des arbres semble le soutenir avec peine; un air tiede tout charge de l'agonie des fleurs, fade, avec des relents de roses mortes. Impossible de dormir dans cet enervement douloureux des choses a la fois impatientes et craintives de l'orage. Je me resigne a ne plus fermer les yeux et je pense a vous, ma chere ame, dont le souvenir me fait l'heure plus rapide que le sommeil. Vous rappelez-vous le premier bouquet de roses moussues que je vous apportai dans sa large et humide collerette? Les roses etaient rares deja; nous etions en septembre et vous portiez une delicieuse robe bleue qui se modelait aux souples beautes de votre taille, melant des transparences d'ambre, sur votre poitrine, a des coulees de lapis clair. Vous m'avez gronde, mais quand je vous ai quittee, vous m'avez donne une des fleurs de la gerbe, la moins ouverte pour qu'elle durat plus longtemps. Puis chacune de vos lettres contint le petale encore flexible, odorant, et comme vivant d'une rose. Il n'en est guere dans mon jardin dont je n'aie dechire le coeur pour vous repondre dans le meme langage. Helas! Bientot les ondees eparpillerent dans l'herbe leurs feuilles mouillees. C'etait une des poesies de notre amour qui se brisait et que le vent emportait. Mais d'autres printemps l'ont ramenee plus vivace et plus fidele. Nous approchons de la meme saison, celle ou je vous ai connue. Bien des roses sont deja mortes, mais des boutons sourient encore sur les tiges. Et puis, quand il n'y en aura plus, je cueillerai, pour vous, les hauts dahlias fous et serres comme les ruches tuyautees de vos dentelles, des marguerites blanches et des marguerites d'un violet tendre dont le demi-deuil a quelque chose de charmant et de melancolique comme la tristesse presque consolee d'une veuve. Et puis apres?... Apres, j'ai peur. Car, je m'en souviens, quand je vous offris, en tremblant, mon premier present, vous avez fait plus attention a mes roses qu'a moi-meme, et peut-etre est-ce leur souvenir seulement que vous avez aime. * * * * * J'ouvre ma fenetre pour regarder la nuit. Le temps s'est leve. De petits nuages blancs traversent le firmament, se frangeant d'orange aux approches de la lune. Les saintes melancolies, que l'homme moderne a voulu chasser de sa vie, revivent dans tout ce qui lui vient du monde exterieur. Quoiqu'il fasse, il n'empechera jamais la mer de gemir aux confins du monde qu'il habite, ni le ciel de rouler sur sa tete, avec le char des astres et l'avalanche des nuees, les preoccupations de l'infini et les tristesses du souvenir. C'est ainsi que, dans votre vol palissant, etoiles sous qui s'allumera bientot le formidable bucher de l'aurore, je cherche les images ailees des bien-aimees d'autrefois, de celles qui ont pris un peu de ma vie et l'ont emporte sur d'autres routes que la mienne. Vos yeux de lumiere s'attendrissent pour moi, et des regards s'y rallument qui descendent jusqu'a mon coeur; bientot votre rayonnement n'est plus qu'un scintillement de larmes et c'est un baiser que le premier souffle de l'aurore m'apporte, apres avoir effleure vos levres de feu. Dans le lent tourbillon qui vous entraine, je vois passer mes ivresses et mes fureurs, les fleches brisees de mes desirs et les fleurs souillees de vos trahisons, tout ce qui fut mon ame et votre jouet eparpille en fugitives etincelles, balaye par l'inexorable vent des destinees. O joies ameres que la Beaute donne et reprend, mortelles extases de l'amour que le temps mesure a notre faiblesse, frisson divin que la chair de la femme met a notre chair, infini menteur dont elle fait eclater notre ame, aiguillons de feu que son regard plante dans nos reins, tortures indicibles de la passion immortelle, je vous sens renaitre aux silences de cette nuit etoilee, aux splendeurs mysterieuses de ce ciel ou les flammes eteintes se sont rallumees! Cependant une nuee de vapeurs blanches monte a l'horizon. Dans un instant le jour gravira les premieres marches encore obscures de son escalier de feu. Un a un les astres craintifs vont s'envoler devant le rayonnement d'argent de son armure. Je salue la derniere etoile obstinee au manteau flottant du ciel. C'est Venus, comme si tout devait proclamer, dans ma pensee, qu'alors que tout s'evanouit comme un reve, le culte de la Beaute et les chers supplices de l'amour assurent au souvenir une immortalite. Sous l'aile blanche du matin, Toute la terre se recueille; Un frisson passe de la feuille Du chene a la feuille du thym. Tandis que palit la grande Ourse, Descend un long fremissement De l'oeil profond du firmament A l'oeil entr'ouvert de la source. Ainsi, partout, autour de moi, Comme un torrent tombant des cimes, Roulant des faites aux abimes, S'etend l'universel emoi. Il n'est que mon coeur solitaire, Loin de tes yeux, aux morts pareil, En qui ne vibre aucun reveil, Quand tout se reveille sur terre! [Illustration] [Illustration] PARAPHRASE Pour charmer mes heures moroses, Je chante, le coeur plein de vous: Ce n'est pas aux levres des roses Qu'est le sourire le plus doux. J'evoque vos candeurs insignes Et vos virginales fraicheurs: Ce n'est pas au cou blanc des cygnes Que sont les plus pures blancheurs. Je vous vois passer sous les branches Sur vos noirs cheveux se penchant Ce n'est pas aux yeux des pervenches Qu'est le regard le plus touchant. Votre image, en tous lieux suivie, Seule, brille a travers mes pleurs Tout ce que j'aime dans la vie, Ce n'est ni le ciel ni les fleurs! * * * * * Heureux ceux que n'atteint pas la melancolie des spectacles trop beaux et qui, pareils aux moineaux francs ebouriffes de bien-etre dans un rayon de soleil, se grisent sans amertume de la gaiete triomphante des choses. J'ai beau remonter aux heures de ma jeunesse les plus insolentes d'espoir, j'y trouve une tristesse involontaire et fatale devant les gloires de l'ete. Mes yeux se sont toujours blesses a l'azur froid d'un ciel implacablement pur et, comme la neige, sans cesse traverse d'etincelles. Il n'est pas jusqu'a l'eblouissement des jardins que les fleurs font pareils a d'immenses et vivantes joailleries qui ne m'offense par sa richesse. J'ai bien les grands bois ou l'ombre amortit toutes ces splendeurs, les bois dont le mystere reve au bruit murmurant des sources. Mais cette vigueur excessive et debordante des seves, ce rut innombrable des verdures jaillissantes en tous sens m'irrite encore secretement. Non! Tout ce decor-la est trop beau pour la vie humaine! La piece ne vaut pas ce luxe et cette magnificence d'accessoires! Nous sommes comme des acteurs impuissants dans cette admirable feerie, comme des genies aux ailes coupees et qui ne portent plus que des etoiles eteintes au front! La nature n'a plus besoin de se faire si belle pour nos amours degenerees, pour nos passions sans colere! La grande resignation des automnes vaut mieux au declin de nos reves, a l'attiedissement de notre sang. Oui, l'ete, dans son eclat sans merci me navre. Il dresse un temple vide, inutile et comme funeraire aux dieux depuis longtemps envoles. Il nous apporte l'ironie d'un Eden entr'ouvert seulement et nous emplit d'aspirations decevantes. Adorer, dans un retrait silencieux, et sous la transparente douceur d'une nuit factice, la beaute nue de la femme, seul lambeau d'ideal pendue devant nos detresses, me semble le seul emploi logique et consolant de ces longues, admirables et funebres journees brulees par un desolant soleil! * * * * * Fou de printemps, ton coeur s'etonne De me voir, prophete attriste, Penser quelquefois a l'automne, Sous les premiers feux de l'ete. Oui, je pense, en voyant les roses Ouvrir leurs vivantes couleurs, Que l'aile des autans moroses Effeuillera toutes les fleurs. Que, des feuillages ou tout chante, Tous les oiseaux seront bannis, Et que, sous l'averse mechante, Se briseront les pauvres nids? Va! que l'autan ouvre son aile! Que l'averse attriste les cieux! De l'An la jeunesse eternelle Reste sur ton front gracieux. * * * * * Comment cela s'est-il fait? Mais c'est en automne que, par deux fois--les deux seules de ma vie,--j'ai vraiment commence d'aimer. Le printemps me poussait aux tendresses faciles et me fut toujours un aimable pourvoyeur de belles filles, mais vite oubliees. J'ai dit quelle deception l'ete est pour moi. L'automne m'est fatal ou precieux, suivant que je pense aux grandes joies que j'ai eues ou aux grands martyrs que j'ai soufferts. Car l'Amour est invariablement fait de ces deux choses. Est-ce le grand attendrissement qui me venait de tous les declins, et que subissent tous les etres ayant un semblant d'ame, qui me faisait le coeur pret a recevoir une plus durable empreinte, comme une cire amollie ou les sceaux s'impriment plus profondement? Toujours est-il que c'est sous un ciel embrume, devant un paysage s'effritant en poussiere d'or, a la lumiere des couchants rayes de cuivre et de topaze, que mes reves obscurs sont devenus de puissants desirs, que j'ai senti ma chair mordue par l'inexorable, despotique et exclusif besoin d'une autre chair. Saison redoutable et charmante! Je lui ai du des annees pleines de larmes et de caresses, les seules que je veuille compter dans ma vie. Car de tout le reste je ne sais plus rien. Je te pardonne et je t'aime, pale soleil d'octobre dont la melancolie s'est faite aureole, pour moi, au front de la femme; doux et traitre soleil qui aspirait vers la peau rougissante des raisins le sang vermeil des vignes et faisait monter le mien vers la coupe mortelle du premier baiser! [Illustration] [Illustration] MATUTINA C'est bien, parbleu! une feuille morte qui, par ma fenetre ouverte, est venue voler jusque sur le papier ou ma plume allait courir. Elle est tres jaune, tres seche et toute recroquevillee. J'y reconnais cependant, sous l'ondulation des brulures solaires, sa forme en fer de fleche. C'est une feuille de lilas qu'un coup de vent matinal m'a apportee. Qu'allais-je vous conter deja? Une histoire d'amour, sans doute, ou quelque reverie pleine d'un souvenir d'absente. J'allais peut-etre vous dire les vers tres simples que j'ai ecrits pour que Capoul les chante sur une musique de Lacome: Je demande a l'oiseau qui passe Sur les arbres, sans s'y poser, Qu'il t'apporte, a travers l'espace, La caresse de mon baiser. Je demande a la brise pleine De l'ame mourante des fleurs, De prendre un peu de ton haleine Pour en venir secher mes pleurs. Je demande au soleil de flamme, Qui boit la seve et fait les vins, Qu'il aspire toute mon ame, Et la verse a tes pieds divins! et qui sont presque traduits d'une de nos belles chansons toulousaines. Oui, je me sentais l'esprit alerte et dispose a d'aimables confidences. Ah! maudite fenetre! Pourquoi es-tu venue tout bouleverser dans mon cerveau? * * * * * Je regarde dans mon jardin. Tout y celebre encore la gloire de l'ete triomphant. C'est d'un horizon sans brumes que le soleil a jailli, precede par un grand rayonnement d'or dans l'espace, comme un ostensoir immense montant des mains obscures d'un levite inconnu. Aucune inquietude dans le vol des hirondelles qui se perdent, points invisibles, dans les infinis de l'azur. Les peupliers tres verts decoupent sur le ciel leurs fuseaux vivants, et les tilleuls, masses odorantes, y enchevetrent, comme des troupeaux, leurs dos moutonnants. Tout est joie dans mon parterre. Des roses en boutons y consolent la detresse des roses defleuries; de la tige de mes glaieuls, comme d'une veine ouverte en plusieurs endroits, jaillissent de belles fusees de sang clair; une constellation d'oeillets s'eparpille dans les bordures, et mes cheres acanthes pyreneennes epanouissent leurs larges feuilles architecturalement dechiquetees comme des souvenirs dont l'ombre enveloppe l'ame. La gaiete vorace des oiseaux s'acharne aux prunes encore fermes et aux abricots qui tombent en se fendant d'une large blessure aux levres pourprees. Je devine, derriere ce rideau riant, le fleuve tranquille et tiede ou les barques glissent entre les calices odorants des nenuphars, ou les pecheurs matinaux guettent, patients, l'ablette, encore paresseuse de ses printanieres amours, au pied des joncs qui bordent la rive. Tout semble d'une eternelle serenite dans ce paysage ou rien ne menace, des coleres du ciel ou des caprices de l'eau sous le vent qui la fouette.... Ah! maudite feuille, de quoi es-tu venue me parler? * * * * * Car j'ai beau te faire crepiter sous la pointe rageuse de mon canif, je ne pourrai aneantir, avec toi, le symbole que tu portes, le mauvais presage dont ton aile etait chargee. Dans cette orgie radieuse des choses sous la tendresse caressante du soleil, tu es tout simplement le _mane, thecel, phares_ apparaissant sur l'obscurite des murailles lointaines faites des orages amoncelees et des frimas a venir. O faux bijou d'or fauve, l'automne est cache dans l'entortillement cassant de ta mouture! Chacun de tes replis, feuille, de tes replis friables, contient quelqu'une des miseres qui sont le declin de l'annee. Voici les matins obscurs qu'un brouillard envelope et d'ou le soleil ne se degage, tardif, que comme le visage pale d'un mourant deja couche dans ses toiles: les soirs impatients sonnant a l'horizon, dans de longues trompettes de cuivre, de muettes fanfares, des adieux pleins de silence; tout ce cortege de tristesses vagues occupant la lenteur plus grande des jours plus courts et dont le poete Leon Dierx a si magnifiquement dit, dans un vers comparable aux plus beaux de Beaudelaire: Le monotone ennui de vivre est en chemin. Voici cette effroyable resurrection des corps qui nous montre, se degageant de la terre comme des morts revoltes qu'un signal appelle, les squelettes decharnes des arbres n'agitant plus, a leurs cimes, que des lambeaux de verdure, des arbres dont l'ame s'est enfuie avec le murmure de la brise dans les feuilles, avec les chansons des oiseaux exiles! C'est sur le sable un grand bruissement de menus branchages que le vent balaye et les derniers dahlias se ferment, captifs des longs fils d'argent que tissent les araignees, inutiles ouvrieres d'octobre, qui tentent de recoudre les uns aux autres et de soutenir encore dans l'air tous ces coins de nature s'effondrant. La pitie des chrysantemes fleurit le mausolee des floraisons mortes. Ah! maudite feuille, voila le tableau melancolique que tu evoques sous mes yeux! * * * * * Les choses de la Nature sont fraternelles aux choses de l'Amour; ou plutot la Nature n'est qu'un grand decor symbolique dresse par le ciel autour de nos tendresses. Celles-ci ont leur printemps tout fleuri d'esperances, leur ete que le baiser du soleil rechauffe et murit, leur automne ou le souvenir met encore des douceurs inquietes, leur hiver qu'etreignent les neiges profondes de l'oubli. Heureux qui, fait plus sage par les detresses passees, sait arreter son coeur dans cette course et l'arracher a cette loi fatale, pour l'asseoir dans la serenite d'une passion qui defie le lent travail des choses et des pensees se hatant vers un meme declin! Cette force consciente et revoltee contre le destin lui-meme ne nous vient pas en pleine jeunesse. C'est un fruit de la douleur, et toutes les ames n'ont pas en elles ce qu'il faut pour le porter. Heureux, dis-je, celui qui menager de son dernier bonheur, le seul qui soit, celui d'aimer encore, le fait aussi long que sa vie! Qu'il veille aux presages muets, aux avertissements obscurs et surtout qu'il se rappelle. Les gens senses mettent dans leur amour tout ce qu'ils ont de meilleur et ne laissent pas autre chose s'y meler. Ils le degagent des jalousies stupides, des orgueils faciles a blesser, des lassitudes que la satiete apporte. Ils en font l'heure rare et exquise entre toutes qui est l'oubli de toutes les autres heures; la fleur precieuse de leur coeur et de l'esprit; le tresor avare de leurs joies. Ainsi, garderont-ils longtemps en eux l'ete resplendissant des caresses toujours savoureuses, des ames se fondant dans le meme infini, s'abimant melees dans le meme reve immortel! Mais qu'ils prennent garde a la premiere feuille morte, au premier froissement qui est comme la chute d'une premiere illusion dans ce monde enchante! Bien vide viendrait l'automne qui n'est qu'un long adieu! [Illustration] III CONTES D'AUTOMNE [Illustration] DANS LES JARDINS I PLUIE D'OR Un souffle de vent dans les peupliers et c'est autour de nous un tourbillon d'or, d'or disperse qui court sur le sol avec un bruit innombrable de chocs invisibles et joyeux. J'ai toujours pense que la fable des amours de Jupiter n'etait que l'histoire poetique des saisons. En ce moment c'est Danae qu'il tente. Danae qui a depouille les chastes parures dont l'avait enveloppee le Printemps, Danae deja nue et bientot feconde. Car de toutes ces feuilles mortes dont la terre boira les dernieres seves, renaitra l'orgueil immortel des lis et des roses, la gloire des floraisons futures sortira rajeunie, et les bouquets monteront vers vos petites mains blanches, o vous devant qui je veux voir la Nature entiere agenouillee comme devant l'autel de la Beaute infinie. Un souffle de vent dans les peupliers et c'est autour de nous un tourbillon d'or, d'or disperse qui court sur le sol avec un bruit innombrable de chocs invisibles et joyeux. Le beau manteau d'illusions qui couvrait les choses est dechire; quelques lambeaux a peine sont demeures suspendus au squelette froid des realites. Les verdures se sont evanouies au front pensif des forets qui ne sont plus qu'un brutal enchevetrement de branches noires. Le frisson d'emeraude vivante qui courait aux bordures des chemins quand l'haleine du soir caressait les hautes herbes, s'en est alle vers l'horizon des reves perdus. Ainsi quand la main des Destinees a secoue l'or au-dessus des tetes, l'or bruyant, l'or maudit que portait l'arbre du Mal et non pas la pomme biblique, ce fut pour l'ame humaine un effarement de toutes les noblesses de la pensee, l'oubli de l'ideal entrevu, l'hiver apre qui n'a plus de fleurs, le cliquetis furieux dans la tempete apres la chanson de l'amour dans les bois profonds et verts, au bord des sources sacrees! Un souffle de vent dans les peupliers et c'est, autour de nous, un tourbillon d'or, d'or disperse qui court sur le sol avec un bruit innombrable de chocs invisibles et joyeux. Oui, ma chere ame, ce sont tous les baisers qui passent, les baisers figes aux levres de ceux qui ne savent pas aimer. II CHRYSANTHEMES Pour savoir a quel point je t'aime, Effeuille, en revant, mon tresor, Non la marguerite au coeur d'or, Mais ce coeur blanc du chrysantheme. Car plus serres et plus nombreux, Ses petales, faisceau de glaives, Diront mieux l'infini des reves Ou se perd mon coeur amoureux. "Un peu!--beaucoup!" mots sans pensee; Et meme: "passionnement", Un mot qui ne dit rien vraiment Du mal dont mon ame est blessee. C'est par mille et mille douleurs Que mon etre se multiplie Et, languissant, vers toi se plie Comme le chrysantheme en fleurs. La marguerite plus ne dure, Quand l'automne, de ses doigts lourds, Des mousses jaunit le velours Et disperse au vent la verdure. Meme apres l'adieu du soleil, Seul, dans les jardins qu'il decore, Le chrysantheme s'ouvre encore, A mon coeur fidele pareil. Pour savoir a quel point je t'aime, Effeuille, en revant, mon tresor, Non la marguerite au coeur d'or, Mais le coeur blanc du chrysantheme! III BOUTON DE ROSES Sous les feuilles jaunes et degouttantes de pluie d'un rosier sauvage, un bouton tres pale s'obstine, dont les petales ne se developpent que pour se recroqueviller aussitot comme des oiseaux frileux qui replient leurs ailes dans l'air trop froid. Voila plusieurs jours deja que je le vois et plus d'une fois la tentation m'est venue de le cueillir pour vous l'apporter. Puis j'ai trouve qu'il etait bien peu digne de votre beaute triomphante, ce brin de fleur mourante, agonisant dans la melancolie d'automne. Il vous eut bien dit pourtant qu'a vos pieds s'effeuillera ma derniere pensee et qu'une rose fleurit toujours pour vous dans le jardin derobe de mes reves, une rose immortelle dont la racine est au profond douloureux de mon coeur. Quelque chose de fraternel pleure en moi sur ce desespere des floraisons defaillantes, venu trop tard pour la gloire des epanouissements et pareil a l'amour tardif qui compte moins les bonheurs a venir que l'inutile tresor des bonheurs perdus! IV OEILLETS ROUGES L'oeillet d'automne est sans parfums. Sous l'orgueil de ses pourpres vaines, Il semble porter dans ses veines Le sang glace des coeurs defunts. Fleur sans parfum, ame sans reves! Oiseaux sans ailes, toutes deux, Dont jamais les vols hasardeux Pour les cieux n'ont quitte les greves. Malgre ses velours eclatants Dont ton regard charme s'etonne, Ne cueille pas l'oeillet d'automne, Toi dont le coeur est tout printemps! Toi dont l'etre est tout envolee Vers les firmaments apaises, Ou monte l'odeur des baisers A l'odeur des roses melee. Si c'est du rouge que tu veux Pour eclairer leur ombre, impregne De mon sang la fleur que ton peigne Tient mourante dans tes cheveux, Et par les souffles embaumee Autour de ton etre flottants, Toi dont la grace est tout printemps. Vivant Avril, ma bien-aimee! L'oeillet d'automne est sans parfums. Sous l'orgueil de ses pourpres vaines, Il semble porter dans ses veines Le sang glace des coeurs defunts. [Illustration] [Illustration] SUPER FLUMINA J'ai garde certaines habitudes dominicales de mon enfance, et c'est comme malgre moi que, tous les huit jours, un acces de paresse qu'aucune fatigue n'excuse me pousse vers quelque promenade sans but, vers quelque flanerie a l'aventure, dans la campagne ou meurt le tintement des cloches lointaines, a l'heure ou les derniers fideles franchissent les porches des eglises avec une fade odeur d'encens dans leurs habits. Ce sont mes vespres que je dis ainsi en pleine nature, egrenant sur ma route le chapelet des souvenirs, fervents de tous les cultes oublies, levite de toutes les religions meprisees, supreme croyant de toutes les croyances dechues. Ainsi, il y a deux jours, m'en allai-je le long du fleuve, qu'un vent de bise ridait, sur une rive a peu pres deserte, suivant le quai dont la pierre limee par les cordes des halages se dentelait sous l'usure, dans un de ces paysages de banlieue que Rafaelli excelle si bien a decrire et dont le ciel est comme une page grise sur laquelle les maigres silhouettes des arbres depouilles, semblent des griffonnages d'enfants. De toutes les choses, l'eau est peut-etre celle qui proteste le plus tard contre les melancoliques aspects de l'hiver. Elle garde, jusqu'aux grandes averses, des transparences qui leurrent et des frissons de lumiere qui passent, a sa surface, comme les derniers eclairs d'epees d'une bataille. Elle demeure l'image de la vie, au moins jusqu'aux gelees qui la figent, tandis que partout regne la grande immobilite de la mort. Il faisait un grand calme sur le chemin ou je n'entendais guere que le bruit de mes propres pas, quand une rumeur s'y mela, une rumeur de torrent qui grondait au-dessous de moi, un glapissement humide et sourd, quelque chose de sinistre qui melait une note d'horreur a cette melancolie. Je m'arretai, je regardai et trouvai que j'etais arrive, sans y prendre garde, jusqu'a la gueule debordante d'un egout, la ou la grande ville deverse son opulent tresor d'ordures, infectant au loin la riviere et portant, bien loin dans les campagnes, le relent de ses odeurs malsaines, la fetide haleine de tout ce qu elle vomit. * * * * * Et comme toutes nos pensees ne sont que les impressions reflechies qui nous viennent du dehors et se font intellectuelles dans notre esprit, le haut-de-coeur qui me monta devant ce spectacle souleva en moi comme un ocean de degout qui y dormait, et que toutes les hontes auxquelles nous assistons depuis quelques jours y avaient amasse. De l'image materielle qui m'avait fait detourner les yeux, une vision morale se degagea, celle de l'immonde societe qui, pareille a ces eaux croupies et deshonorees, nous jette jusqu'au visage ses impurs bouillonnements et l'ignoble parfum de ses vices. Tout ce monde horrible qu'un proces,--celui meme de notre etat social,--nous revele, occupant toute l'echelle des classes, depuis ce qui devrait etre l'honneur a jamais respecte jusqu'au devoir inexorablement subi; toute cette canaille remuee comme une mare putride ou tombe une pierre, et qui grouille avec des eclats de rire, comme grisee de sa propre infection; tous ces types revoltants de cynisme qu'une cause, insignifiante en apparence, fait surgir, tout cela passe, dans mon cerveau, avec les detritus, les trognons, les immondices que l'egout roule a mes pieds. Pas un cri d'honneur dans cette musique de mensonges; pas une revolte de la conscience dans cette clameur de coquins se jetant l'ignominie a la face les uns des autres; pas une foi qui surgisse, de ce desarroi de toutes les confiances, pas une foi dans un homme dont on ose dire: Celui-la ne peut etre soupconne! Magistrats, ministres, ce qui est la loi, ce qui est la force, tout est confondu dans le scepticisme gouailleur de la foule, qui sait bien qu'on la trompe et qui prefere s'en amuser que s'en indigner. Pas une virilite qui se regimbe, dans cet abaissement de tous les principes, dans cette jetee au vent de tous les respects. Des accuses, encore sous la menace des peines, blaguent leurs juges dans les cabarets, au grand plaisir de la galerie. Les mains se tendent vers une vieille proxenete et son infame amant, relaches, sans doute, parce que les prisons aussi ont quelquefois besoin d'etre assainies. Il ne se trouve personne pour cracher au nez de ces ignobles droles, pour les chasser comme on balaye les ruisseaux. Pas un soulier qui se rue au derriere de cette pourriture vivante! Ah! nous ne sommes pas difficiles sur le choix de notre compagnie. * * * * * J'entends des gens dire qu'il en a toujours ete ainsi. Ce n'est pas vrai. Cette promiscuite de tous les appetits fraternisant dans la meme honte lucrative, cette democratie qui unit, dans la malproprete d'une immense etreinte, toutes les mains sales, celles qui descendent et celles qui montent, pour se joindre et puiser dans le meme sac d'ecus, sont d'invention tres contemporaine et bien ce qu'on est convenu d'appeler des "signes des temps." Ce n'est pas la premiere fois que de pareilles eclipses du sens moral sont signalees dans notre astronomie historique. La seconde moitie du siecle dernier ne presentait pas, a son debut, un spectacle beaucoup plus ragoutant. Il a fallu beaucoup de sang pour laver cette boue. Nous en reste-t-il encore assez pour nettoyer notre fange? Je n'en sais rien, et nous sommes certainement descendus plus bas qu'alors, parce que la virilite des races s'epuise a ces rouges metamorphoses. Heureux ceux qui ont vecu dans des temps meilleurs et mieux epris de tout ce qui fait la dignite de l'ame humaine! Parmi nous, ceux-la sont les sages qui volontiers tournent leurs yeux vers le passe et ne veulent vivre que de la memoire des ages ou fleurissait l'ideal. Et, pensant ainsi, je remontai de quelques pas la rive ou s'etait arretee ma promenade, et le fleuve m'apparut, plus haut dans son cours, non plus souille et comme encombre de ruines, mais limpide et emportant, avec lui, une poussiere fluide d'argent. Sur cette nappe frissonnante, le couchant etendait, ca et la, de grandes opacites fulgurantes, comme des lambeaux de pourpre immobiles dans la vibration du vent. Une eclaircie s'etait faite, a l'horizon, dans le ciel d'hiver et le soleil, sans rayons, rouge comme une sorbe, semblait un disque pose sur une large lame de cuivre, en equilibre, comme on voit faire les bateleurs forains. Ce qui fut les verdures estivales frangees de rouille par l'automne, n'est plus qu'un enchevetrement de petites branches noires se decoupant sur ce fond d'or. La vision mauvaise avait deja disparu pour moi, celle du cloaque ou mes regards etaient tombes, celle du gouffre ou avait plonge mon esprit. Que m'importe, apres tout, cette fange qui descend dans le fleuve!--Le fleuve coule et la mer l'attend. Que me fait la honte qui envahit la vie contemporaine!--Le temps marche et le neant est au bout. La nature est la, impassible et douce pour nous faire prendre patience. L'amour est la, vibrant et cruel pour ne pas souffrir que nous avions d'autres tourments que les siens. Admirons les splendeurs des choses et aimons, nous qui sommes demeures fideles a l'ideal de poesie et de tendresse qui berca si longtemps les douleurs de l'humanite! Plus haut que les ruisseaux debordants, plus haut que cette mer de boue qui peut s'etendre mais ne saurait s'elever,--car les oceans bleus ont seuls des vagues audacieuses,--planent l'immortel soleil de nos esperances et l'immortel objet de nos desirs. Plus haut, sur un autel tout embrume de l'encens de mes voeux, sont poses tes pieds divins et blancs, ma bien-aimee aux noirs cheveux, grand lis debout dans la solitude jalouse de mes reves, consolation du terrestre exil, toi qui, d'un sourire, me fermes l'horizon, et qui, d'un baiser, m'ouvres l'infini! [Illustration] [Illustration] DERNIERES VIOLETTES Voici que les premieres violettes d'automne ont reparu a Paris; rares encore, car j'eus infiniment de peine, madame, a vous en trouver un assez petit bouquet; toutes petites, a peine ouvertes comme des yeux d'enfant, d'un bleu tendre et toutes languissantes sur leurs tiges trop longues et menues. Tres artificieusement, la marchande qui me les vendit les avait enveloppees de solides feuilles de lierre: mais votre premier soin fut de les arracher de cette armure pour les clouer, avec une epingle, pendantes et bien vite fletries a votre corsage. J'enviai leur sort neanmoins comme celui de tout ce qui vous touche et de tout ce qui meurt par votre divin caprice. Le parfum si doux qu'elle elevaient vers vous, comme une derniere haleine, n'etait-il pas un pardon? Douce, bien douce cette odeur de fleur trop tot cueillie et trop vite s'etiolant. J'ai pense que l'ame de ces violettes etait faite de tout ce que nous avions reve pour l'ete disparu et que le temps ne nous a pas permis de realiser. Car nous avions bien fait des projets de quoi remplir vingt-quatre mois de jours sans pluie, promenades lointaine dans le beau paysage dont les verdures semblent aussi denouees, la Seine qui le traverse vingt fois etant pareille a un large ruban bleu flottant sous une main capricieuse; voyages a travers ce beau pays de France qui est comme un panorama de merveilles. Ici borde de neiges eternelles par la dentelure profonde des montagnes, la doucement vallonne par le calme ocean des collines bleues, ayant plus loin les horizons infinis de la mer, partout baigne de lumiere et caresse par des souffles feconds. Nous devions voir ensemble des villes ou le souvenir du passe nous ferait croire que nous nous sommes aimes toujours, vous sous les parures anciennes des belles femmes d'autrefois et moi sous le costume des antiques chevaliers dont je sens le coeur fidele dans ma poitrine. Mon Dieu, ma chere, qui nous dit que cela n'est pas vrai absolument? Il m'a semble que je vous revoyais la premiere fois comme l'unique maitresse d'une vie anterieure a ma naissance. Vous ne croyez peut-etre pas a la metempsychose? Moi j'y crois tout a fait. Je vous dis que nous nous etions rencontres deja et que cette passion nouvelle n'a fait que reveiller, sur nos levres, des baisers endormis. Tous les bonheurs reves auront leur jour dans l'eternite de notre tendresse. En attendant, les violettes d'automne nous reprochent ceux que nous avons laisses s'envoler! * * * * * A Toulouse, il n'y a pas encore de violettes. Je n'aimerais pas cette vieille cite pour les liens d'affection et les amities qu'elle me garde, que je lui serais reconnaissant d'attendre l'hiver et les premiers froids pour s'emplir de violettes admirables, vivaces, plus belles que celles de Nice cent fois et dont les bouquets enormes, promenes dans les rues ou pendant derriere les vitrines, protestent contre les images melancoliques qu'evoque, dans la pensee, le ciel triste, morne, gris, paraphe de dessins noirs par les branches depouillees ou s'abat, des que le soir arrive, le vol bruyant des moineaux. Les villes meridionales, dont l'ame est le soleil, semblent plus mortes encore que celles du Nord, quand s'appesantit sur elles le linceul etouffant des nuees que ne traverse ni rayon de clarte ni rayon vivifiant de chaleur. Elles dorment un sommeil trouble de cauchemars sous le fouet des ondees et la colere des ouragans. Plus de chansons et plus d'eclats de rire! Est-ce que cette desolation est pour durer toujours?--Non! disent les violettes de leurs levres silencieuses, de leurs petites levres parfumees et toujours humides comme celles des amoureuses. Il y a longtemps de cela, madame, j'etais en exil la-bas, et je crois que mon premier present fut un envoi de ces belles violettes toulousaines. Elles vous parlerent sans doute pour moi. Car je vous trouvai meilleure au retour et moins cruelle a mon desir. Vous voyez bien que j'ai raison de les aimer? Nos fleurs d'hiver, a nous, Parisiens, sont si tristes! Je ne sais si vous partagez ce sentiment, mais j'ai en horreur le chrysantheme, cette parure des jardins mondains, dont la duree ne m'interesse pas plus que celle des fleurs en papier dont les cheminees bourgeoises sont encore decorees au Marais. Car, eux non plus, les chrysanthemes, n'ont jamais paru vivants et fremissants sous le zephir et jamais parfum n'a palpite dans leurs petits petales secs, pointus et serres, pareils qu'ils sont a des etoiles sans lumiere, a des etoiles terrestres ou ne scintille aucun celeste regard. Je ne veux pas, rappelez-vous le bien, de ces petits soleils eteints sur ma tombe. Ils diraient mal le feu que j'emporterai dans mon coeur plein de vous, comme la braise qui longtemps brille encore sous les cendres embaumees des encensoirs. Mais, quelquefois, quand mon souvenir chantera quelque appel mysterieux dans votre memoire, vous ferez venir un petit bouquet de belles violettes que vous avez connues par moi, et qui vous ont dit deja, par dela le temps et l'espace, que je vous aimerai toujours! Il me semble que je serai fort rejoui de les sentir et qu'a mon tour, elles me parleront de vous, ces muettes eloquentes dont le langage est un parfum! * * * * * Je ne veux pas etre cependant injuste pour nos petites violettes des bois parisiens qui meurent sous la premiere neige. Nous irons, s'il vous plait, en cueillir nous-meme a Saint-Cloud ou a Ville-d'Avray, a Vaucresson ou a Garches. Nous nous partagerons ce bucholique travail; vous glorieusement assise sur un banc, le dos tourne au soleil tiede qui mettra des flammes mourantes dans l'ombre de votre lourd chignon, vos petits pieds croises sur le sable, ou le bout de votre inutile ombrelle tracera de capricieux dessins; moi, courbe comme un bucheron sur les mousses et furetant dans le gazon mouille pour y trouver les rares petites fleurs. Quand vous serez lasse de tant de peine, nous reprendrons notre chemin dans le cliquetis des premieres feuilles mortes, qui est comme le bruissement du grand orchestre hibernal essayant ses instruments avant d'entamer sa sonate desesperee ou semble gemir l'ame heroique de Beethoven dechainee parmi les elements. Car ce doit etre une satisfaction des grands musiciens trepasses de meler encore aux souffles eternels de l'air le souffle eternel de leur genie, modulant, suivant des rythmes mysterieux, dans la voix tumultueuse des forets sonores et les flots vibrants comme des lyres. Vous rapporterez, vous, l'humble bouquet que je vous aurai cueilli, a votre ceinture, et vous m'en donnerez une fleur, une seule, celle qui aura ete la plus pres de vous et dont l'odeur sera le mieux devenue la votre, violette d'automne qui me sera plus chere que toutes celles du printemps a venir et meme que ces admirables violettes de Toulouse d'un bleu si tendre et tel que j'imagine le bleu des yeux de Clemence Isaure, l'immortelle soeur des trouveres, dont le nom seul est un poeme de lointaines amours. [Illustration] [Illustration] L'AGE D'OR Vous rappelez-vous, madame, l'adorable coin de paysage ou nous etions assis, l'un aupres de l'autre, il y a deux jours, a l'heure du soleil declinant vers les horizons clairs d'une tiede apres-midi? Deux jours, ce n'est pas bien long, meme pour une memoire de femme, et vous pouvez vous en souvenir encore, sans rougir comme d'une histoire qui nous vieillit tous les deux! C'etait sous une feuillee toute verdoyante et comme printaniere, malgre la saison ou nous sommes. Caprice d'exposition, sans doute, protegee des ardeurs caniculaires, des pluies fouettantes et du vent qui brule. Mais rien n'etait plus frais que cet ombrage, ni plus jeune, ni plus caressant aux yeux, et vos regards s'arreterent sur un marronnier charge de fleurs et de pousses nouvelles, comme si avril, le plus menteur des mois de l'annee, avait promis de revenir bientot. Pas une rouille au tapis profond des mousses, mais quelques petites fleurs eparses dans leur uniforme de velours. Votre beaute rayonnait dans ce decor a la fois eclatant et doux comme dans un reposoir de Fete-Dieu eleve pour elle. On eut dit que c'etait votre jeunesse qui se repandait autour d'elle sur les choses et sur les etres, par une divine contagion de renouveau. Car tous les oiseaux etaient venus chanter autour de nous, et de bonnes odeurs de plantes sauvages s'elevaient, a vos pieds, d'invisibles encensoirs. J'etais sous le charme d'un isolement complet du reste du monde dans l'amoureuse contemplation de vos graces, plein d'adorations mystiques et de desirs fous. Car l'ame est, chez moi, bien voisine de la chair, et le paradis des purs esprits n'est pas le mien. Oui, paradis! C'etait un paradis tout petit que ce bouquet d'arbres au detour profond d'une allee, un morceau du paradis qu'avait oublie de garder l'ange qui porte le glaive. Quel contraste, en effet, avec tout ce qui l'entourait et frappait nos yeux! Partout ailleurs, en avant, de droite et de gauche, c'etait bien octobre avec ses tons jaunes ou pourpres qui sont comme la couleur des declins. C'etait une debauche d'ocre sur la grande palette de la nature, tres clair aux branches fremissantes des peupliers, plus fonce sur les masses plus denses des autres essences. Mais partout la brulure des etes prete a s'envoler aux premiers vents d'automne dans un tourbillon de feuilles seches. On eut dit que le fer rouge qui marquait jadis les condamnes avait ete promene sur toutes ces splendeurs vivantes, y gravant l'implacable arret dont est atteint tout ce qui doit perir. Certes, il y avait beaucoup de melancolie dans cette gloire sans lendemain; mais quel eclat et quelle magnificence fragile! Le jour semblait finir dans un feerique embrasement; le fleuve lointain paraissait une coulee de metal scintillante de paillettes et bordant le manteau rose du couchant. Des lumieres couraient sur toutes les aretes vives ou s'etendaient, par ondees, sur les plaines. --On dirait que ce paysage est tout en or? dites-vous tout a coup, rompant le silence ou se complaisait ma tendresse recueillie. * * * * * Et ce simple mot, tombe de vos levres, m'a valu, cette nuit, un des cauchemars les plus facheux qui m'aient laisse pensif au reveil. Vous ne parliez plus par metaphore. La folie humaine qui poursuit l'or avec des rages de damnee avait touche sa recompense. Midas ressuscite voyait refleurir son reve monstrueux. Suscitee par quelque sublime decouverte, une immense convulsion avait retourne le globe sur lequel nous vivons. La terre avait vomi ses entrailles a sa surface, ses entrailles lasses et dechirees par le travail obscur des chercheurs de filons. Toute la nature exterieure etait en or, en or dur et cristallin, mais tiede encore des fusions anciennes au centre de notre planete. Les arbres sans murmures, les montagnes sans souffles vivifiants, les fleuves arretes dans leur cours, les vallees sans ombres fremissantes, tout en or. De l'or, de l'or, rien que de l'or! C'etait superbe d'abord, puis odieux et insupportable a regarder. Des pepites gisaient sous toutes les formes; tous les corps resonnaient avec le meme bruit sec la meme musique barbare. Tous les oiseaux avaient fui sous le ciel poli comme un miroir ou se refletait toute cette richesse insipide, sous le ciel sans infini, sans au dela, sans voiles, ou les astres figes dans leur course s'eteignent comme des flambeaux qui palissent dans le grand jour. Les animaux qui courent et ceux qui rampent, mais qui, tous, sont la vie et le mouvement, avaient disparu dans ce cataclysme et dormaient sans doute, sous ce tombeau fastueux dont Sardanapale lui-meme n'eut ose caresser la chimere.... L'homme seul etait reste de toutes les betes, l'homme affame, l'homme chatie par son propre vice, victime de sa longue demence, l'homme eperdu dans cette realisation cruelle de son desir acharne. Le metal qu'il avait poursuivi comme l'unique bien, qu'il avait longtemps paye de la sueur des miserables, et cherche jusque dans le sang, ce metal le debordait, l'envahissait, l'etreignait. Il lui brulait les pieds, lui dechirait les mains, aveuglait ses yeux et lui mettait au ventre les morsures de la faim. Il eut vendu son ame, l'homme miserable, pour trouver une seule goutte d'eau dans ce Pactole! Et tout ce qu'il avait profane, souille, foule sous ses pas dans ses recherches impies, emplissait sa memoire de remords et d'ironie. L'ideal conspue y pleurait ses immortelles joies; l'amour y comptait ses larmes et ses baisers perdus; la poesie y chantait sa chanson a jamais envolee. Puis c'etait la torture physique compliquant l'angoisse morale. Le souvenir des bles magnifiques et nourriciers oscilants, lourds de grains et comme dores, sous les souffles murissants du matin; l'image des vignes empourprees et celle des pommiers en fleurs semant dans l'air l'espoir des fruits prochains; la vision imperissable de cette nature maternelle et douce, l'_alma parens_ antique, pleine de graces fecondes et de fertiles beautes! Ah! vous auriez fremi, comme moi, a voir ce fantome de l'homme s'agiter dans cette apotheose implacable de la Matiere jugee la plus pure et la plus glorieuse par les alchimistes de tous les temps. * * * * * Eveille, je restai longtemps sous l'impression de cette fantasmagorie nocturne. Il y avait des moments ou je croyais que je n'avais pas reve. Car un symbole tres clair et tres aisement saisissable etait au fond de cette vision au premier aspect saugrenue. Celui de la vie des races futures compromise par les horribles instincts de lucre qui sont l'honneur de la notre et de ce temps meprisable. Oui, l'homme crevera, faute d'ideal et faute de pain, apres avoir epuise, pour en venir la, plus de genie qu'il n'en eut fallu pour rendre d'eternelles generations heureuses dans l'amour simple des etres et le respect facile des choses.... Mais je ne vous veux pas epouvanter, madame, de ces sombres propheties. Je serai mort certainement avant ce temps-la, d'une mort naturelle et douce si mes yeux, en se fermant, voient encore votre sourire, vous-meme, peut-etre, ma chere ame, serez-vous egalement trepassee; car la beaute, pour etre immortelle, ne donne pas l'immortalite. J'imagine toutefois que, comme a nous, l'autre jour, a ceux qui s'aimeront encore, en ces temps maudits, la pitie du destin gardera quelque oasis pareille a celle ou, dans une illusion de printemps, nous avons vu, sous nos regards, l'or mortel de l'automne tendre, sur les fenetres, son melancolique linceul. Car l'amour seul conservera le secret du rajeunissement infini dans quelques ames elues. Et cela suffira pour que les oiseaux chantent encore, se sachant ecoutes, pour que les ruisseaux roulent leur fraicheur parmi les mousses, pour que les sources recueillies semblent attendre l'image de celles qui vous ressemblent. C'est l'Amour, seul, qui dans cet age d'or sans pitie, gardera, comme un ange debonnaire, un coin de ce paradis biblique a nos fils eperdus! [Illustration] [Illustration] CHOSES D'AMOUR Vous n'avez pas voulu, ma chere ame, me suivre au pays des montagnes natales qui, comme des vieilles decoiffees par le vent, portent a leurs tetes nues et ridees des lambeaux de nuages pareils a des chiffons de toile; dont les pieds lourds et frileux sont a peine chausses de verdure et semblent reculer devant l'eclaboussure argentee des torrents; dont le front plein d'ombre roule, sous sa rare chevelure de neige, d'eternelles melancolies. Vous avez redoute cette nature sauvage et ce grand silence des choses recueillies autour du murmure lointain d'un fleuve qui semble seul vivant. Et pourtant je vous jure qu'il est admirable le spectacle du ciel qui semble comme soutenu par cette terrestre colonnade qui fait penser aux epaules montueuses et lassees d'Atlas, le spectacle du ciel nocturne decoupe par ces masses sombres et crible de lumineuses blessures par les dernieres fleches du soleil couchant. Oui, je sais la des coins merveilleux de paysage ou nous eussions peut-etre goute des repos inconnus, ou nous nous serions sentis plus pres l'un de l'autre qu'en tout autre lieu du monde. Pour qui s'y trouve seul, la montagne est comme un ecrasement douloureux de la pensee, que je n'ai jamais pu supporter longtemps. C'est qu'elle ferme l'horizon, et est comme une muraille obscure entre nos regards et l'inconnu tentant que la lumiere inonde. Mais a deux, ma chere ame, a deux! La montagne est comme une porte sacree qui nous enferme dans un reve de solitude et cache notre bonheur, et nous fait pareils a ces belles eaux chantantes dont le resserrement des rochers fait la chanson plus sonore et qui ne mirent que le ciel. Vous ne connaissez pas les beaux soirs pyreneens au bord de l'Ariege, ou je voulais que vous me suiviez, et j'en ai seul savoure la douceur amere, sous l'oeil attendri des etoiles qui, toujours, ont des larmes pour les amoureux! * * * * * Vous reviez de la Mer qui attirera toujours la femme par je ne sais quel lien mysterieux dont la Poesie grecque a cherche l'image dans le tableau gracieux de la naissance de Venus. J'aime mieux, pour ma part, la fable d'eve foulant, de ses beaux pieds nus, les langes fleuris de son berceau. Il fallait l'epanouissement des jardins a la premiere apparition de celle qui porte encore des lis au front et des roses sur les levres lesquels y sont demeures depuis ce temps-la. Et, cependant, la mer fait penser a la femme et la femme fait penser a la mer. La trahison vous fit parentes eternelles. Femme au coeur sans meret, mer aux gouffres sans fond! Le mensonge du ciel habite vos prunelles, Double abime d'azur ou notre espoir se fond. Si la femme porte, sur sa bouche, la pourpre d'une fleur et la candeur d'une autre sur ses joues, c'est la mer dont elle a garde quelque chose dans ses yeux pleins de l'image trompeuse du ciel, dans ses yeux ou la pensee sonde des infinis qui la troublent, dans ses yeux qui nous attirent vers les irreparables naufrages du coeur. Oui, les votres, madame, me sont comme deux gouffres ouverts sur des tortures innomees et, dans leur verte transparence, sans cesse traversee d'un scintillement, je cherche ma route comme un matelot perdu dont l'insensible ocean berce les prieres inutiles et les desespoirs silencieux. Il est implacable comme celui de la mer, le charme de votre regard, et souvent il y passe des eclairs d'epee comme lorsque le flot s'illumine dans toute sa longueur coupante d'une lame dont l'espace glauque est sillonne. Aussi, vous complairez-vous, sans doute, au spectacle de cette perfidie eternelle dont les trahisons n'ont jamais rassis le coeur de ses virils amants, pas plus que vos cruautes n'ont pu decourager ma tendresse. Le grand symbole de la beaute toujours adoree et pardonnee est fait pour vous seduire, vous qui ne vivez que de cette sublime impunite! * * * * * Je vous ai dit l'attrait profond de la montagne sous le ciel constelle et les souffles tout parfumes de l'ame des bruyeres; vous m'avez avoue le charme mysterieux et pervers peut-etre que la Mer avait pour vous. Ainsi nous sommes-nous separes sans que mon ame se soit, un seul instant, eloignee de vous qui etes, pour elle, comme une de ces patries qu'on emporte partout ou l'on va. J'ai entendu pleurer le torrent et soupirer la flute du patre. Vous vous etes bercee sans doute, au bruit monotone et profond des vagues a l'heure ou les dernieres voiles semblaient a peine les ailes d'une mouette qui regagne la pleine mer. Que m'avez-vous garde de vous dans ces heures de reveries? Comme les barques lointaines qui s'enfoncaient dans les brumes rougies par le couchant, votre pensee a-t-elle, par dela l'horizon incendie, tente l'immortel voyage du souvenir? Je n'ose l'esperer et je devrais vous dire, sans doute, que moi aussi j'ai trouve des oublis charmants au caprice des promenades. Mais je n'ai jamais su vous mentir, ce qui m'a fait tout d'abord un etre desarme devant vous. Devant le magnifique panorama des pics neigeux qui semblaient monter vers le ciel une floraison de lis, des vallees profondes le long desquelles les grandes ombres pendaient comme des chevelures, des ravins ou l'eau se brisait avec des clameurs et de grandes coleres d'ecume, savez-vous ou s'en allaient mes regards, plus loin que toutes ces merveilles? Vers cette tranquille allee du bois ou, pour la premiere fois, votre main s'est posee sur mon bras, vers ce paysage a demi parisien qui fut le decor de mes premieres et timides tendresses. Voulez-vous que je vous dise la toilette que vous portiez ce jour-la? Nous aimons le bleu, tous les deux, par-dessus toutes les autres couleurs, et peut-etre est-ce ce gout qui nous a faits tout d'abord presque amis. Comme vos pas sonnaient legerement sur le sable humide des premieres fraicheurs de l'automne! Ils dictaient un rythme nouveau a mon coeur qui leur fut un docile ecolier. Un frisson de rouille passait deja sur les feuilles et vous vous sentiez toute triste du declin des dernieres roses. Car vous avez pour les fleurs toutes les pities que vous n'avez pas pour moi! Nous suivions une toute petite allee, tandis que tout pres, dans une large avenue, le roulement des voitures disait la vie active des citadins en promenade. Moi je n'entendais rien que la musique de votre voix. Oui, ma chere, voila tout ce que j'ai reve devant le grandiose paysage des Pyrenees: cette allee dont un soleil deja pale de septembre traversait le sol de bandes jaunes et poudreuses, dont les bordures de gazons etaient brulees et pietinees, cette petite allee du bois ou je respirais l'odeur divine de vos cheveux dans un baiser si craintif que vous ne le sentites meme pas. [Illustration] IV CONTES D'HIVER [Illustration] PREMIERE NEIGE Nous nous etions quittes avec un serrement de main a peine ebauche, sans la chaude etreinte accoutumee, sans la reconciliation franche qui terminait d'ordinaire nos futiles querelles, apres des propos vraiment cruels echanges et de mauvaises paroles restees sur le coeur. Elle ne m'avait pas tendu furtivement, d'un mouvement delicieusement brusque, sa belle chevelure debordante sur le front pour que j'y misse un dernier baiser. Elle etait remontee en voiture sans se retourner, sans me montrer longtemps encore, par la petite vitre de derriere, un coin de visage blanc eclaire par une caresse des yeux. Moi, j'avais continue mon chemin a pied, sous le jour tombant, ce jour parisien qui meurt dans le clignotement des becs de gaz, constellation terrestre allumee avant les celestes etoiles; dans le froid que l'ombre ajoute au froid de la saison; a travers un decor plein d'une bruyante melancolie. C'etait l'heure ou l'activite populaire agonise avant le calme du repas du soir. Tout le boulevard etait dans les cafes, hors quelques rodeuses affamees, ombres vivantes attachees aux rares passants et dont les zigzags captifs laissaient derriere elles un fade parfum. La gaiete de ce spectacle n'etait pas pour me distraire des meditations douloureuses qui m'assaillaient. Apres une longue periode de foi aveugle, je me reprenais a douter que la femme fut autre chose qu'un mensonge delicieux fleuri de regards et de sourires ou elle ne laisse rien de son ame. Tout ce bruit charmant de tendresse dont elle nous enveloppe et qui nous leurre, rien qu'un bruit comme celui de l'onde indifferente ou du vent impassible qui passe. A quoi bon garder precieusement dans la memoire le souvenir des etreintes ou notre coeur s'est fondu en delices desesperees? Nous ne sentions pas son coeur au travers. Une invisible et mysterieuse cuirasse le defend de nos faiblesses, et des seins magnifiques ou meurt notre desir ne sont qu'un rempart qui l'eloigne davantage du notre. Elle est l'illusion qui charme et qui tue, l'eternelle embuche dressee sur le chemin de nos hautes aspirations et de nos viriles energies. Ainsi pensais-je, decourage de l'amour par un amour plus grand et plus vrai que tous les autres, et je marchais silencieux comme un pretre parmi les ruines d'un temple ecroule, me meurtrissant dans la nuit a des debris d'idoles. Soudain des voix amies m'appelerent, et je me trouvai subitement mele, en pleine lumiere, a des groupes de causeurs joyeux assis devant des verres ou riaient des poisons couleur d'emeraude, d'or brun et de rubis sanglant. * * * * * Quand je les quittai, une heure apres, la neige avait tombe abondamment, rayant encore de legeres broderies blanches le manteau gris du ciel, pareille a un vol de fleches obliques criblant les maigres arbres nus comme des saints Sebastiens. Les toits, les voitures, les chaussees, tout etait blanc, et c'etait un craquement sous les pas s'enfoncant dans ce froid tapis. Une vague clarte montait de toutes ces candeurs repandues, argentee comme si cet orient eut ete fait de rayons de lune en fusion. Les etoiles ont souvent l'air de rever. Peut-etre Perrette devenue etoile, comme c'est le commun destin des belles ames, avait-elle laisse choir a nouveau, du firmament, un immense pot au lait. Les astres aussi doivent perdre quelquefois leurs illusions, surtout s'ils nous regardent. Impossible de trouver un fiacre. Les cochers roulaient, insolents, avec une garniture d'ouate a chaque roue, les chevaux philosophes manquant d'un pied, au moins, a chaque pas, resignes aux cinglements du fouet inutile qui avait au moins le merite de le rechauffer, ayant des buees aux naseaux, des buees ou les reflets des reverberes mettaient des fumees de sang clair. Puisque j'etais condamne a la promenade, l'idee me vint d'y meler un peu de pittoresque et de rentrer chez moi, en traversant un coin du bois de Boulogne qui ne m'ecartait pas beaucoup de mon chemin. Idee miraculeuse et vraiment geniale, car je me trouvai, des les premiers arbres, devant le plus aimable tableau du monde. Odieuse a Paris, ou elle se resout presque immediatement en boue noire, la neige apporte a la Nature un merveilleux element de feerie. C'etait un enchantement que tous ces massifs confondus sous une blancheur egale, etales en eblouissements sous le ciel redevenu clair, pareils aux vagues d'une mer immobile et figee dans une rigidite marmoreenne. Les routes larges, et d'un seul jet immacule, scintillaient aux premiers plans, et les masses moutonnaient a l'horizon, comme un troupeau couche dans la penombre d'une colline. Pas un bruit! Une grande meditation de toutes les choses et un mysterieux recueillement sous ce bapteme de purete rajeunie. * * * * * Une impression soudaine me traversa soudain le coeur, froide comme un coup de couteau. Ce paysage, si souvent parcouru au temps de nos ferventes tendresses, ce paysage dont chaque coin, chaque repli avait ete un souvenir de nos amours, vaillantes sous le sourire du ciel, pourquoi s'etait-il soudain couvert d'un suaire? Est-ce que mon bonheur etait mort a jamais, que tout ce qui y avait touche m'apparut tout a coup comme enseveli? Etait-ce sur nos coeurs que ce magnifique tombeau de marbre s'etait eleve? Car c'etait un peu de notre coeur que ces verdures, sous lesquelles avaient sonne nos premiers baisers, furtifs comme des oiseaux qui s'envolent au moindre bruit, que les allees ou nous nous etions si souvent serres l'un contre l'autre sans nous parler; que ces gazons, d'ou les violettes nous avaient regardes passer, de leurs yeux pales et bleus; que cette eau dormante, qui laissait glisser vers l'infini avec un bruit monotone de rames, la barque aux voiles transparentes de nos reves. Ah! comme nous croyons bien, fous que nous sommes, que tout n'a ete fait que pour servir a nos tendresses, l'azur, les fleurs, tout ce qui embaume et tout ce qui chante! C'est stupide, n'est-ce pas? Ce qui est vrai, au contraire, c'est que nous laissons un peu de nous a tout cela comme le mouton qui passe laisse aux buissons un peu de sa laine; soupirs envoles, joies perdues, tout ce qui s'en va de nous dans les extases ou se consume le meilleur et le plus pur de notre vie. Et je m'abimais de plus en plus dans cette idee sombre que tout etait, autour de moi, la sepulture eclatante de mon bonheur, et que ce blanc mausolee avait surgi a l'heure meme ou nos coeurs sans pardon s'etaient desunis. Le lendemain l'aube se leva, sous ma croisee, par un decor tout pareil, le froid nocturne ayant durci l'enveloppe virginale de la terre, et,--comme nous etions brouilles encore,--je me retrouvai sous la meme impression, oppressee et superstitieuse. Mais, a midi, le soleil vint, qui fondit cette legere epaisseur de la premiere neige, laquelle est plutot comme une mousseline que comme une lourde draperie. Les arbres se mirent a pleurer d'attendrissement et de joie, et de lents ruisseaux coururent sur le sable, tandis que certaines verdures obstinees degageaient, comme des carquois de Diane, une fleche d'emeraude. Une fleur, une fleur meme qui s'etait ouverte sur les derniers pas de l'automne, emergea de ces blancheurs defaillantes. Etait-elle, elle aussi, un symbole m'annoncant que notre amour allait refleurir. Ce qui me reste de cette reverie, c'est que la facherie, meme la plus legere, est mauvaise aux vrais amants. Toutes les neiges ne fondent pas ainsi au premier rayon de soleil, et le coeur de la terre, ce coeur aux chaleurs sacrees qui s'epanouissent dans le sang vivant des roses, ne bat plus dans les montagnes qui dorment ensevelies sous des neiges eternelles. [Illustration] [Illustration] CARNAVAL AMOUREUX Savez-vous ce que j'ai reve? ma chere. Que vous aviez parie de vous deguiser si bien, pour ce mardi-gras, que je ne vous pusse reconnaitre. L'enjeu? Je n'ai pas besoin de vous l'apprendre. Vous qui pouvez me donner l'infini, je serais bien sot de vous demander autre chose! Un heritage tombe du ciel,--je les aimerais mieux ainsi que montant de la terre, comme des fleurs empoisonnees et mouillees de larmes,--me permettait du donner un libre cours a votre caprice. Pour que rien n'y fit obstacle, je vous ouvris un credit illimite chez les costumiers les plus somptueux, chez les bijoutiers les plus magnifiques. Nous nous etions rencontres au bal masque que donne, chaque annee, a cet anniversaire et dans son somptueux hotel du quartier de l'Etoile, cette fameuse Mme de C... dont les fetes sont justement recherchees. Vous sachant des intelligences dans la maison, j'etais certain que tout y conspirerait avec vous contre moi et que j'y jouerais le role des Nigaudinos de feerie. Mais je me voulais un tres grand merite dans cette epreuve, un merite qui vous touchat et me valut un de ces infinis des grands soirs que vous ne me prodiguez pas; n'etais-je pas sur de vous reconnaitre a la fin? De quelques voiles qu'il fut enveloppe, votre etre ne me crierait-il pas votre presence? Pourrais-je mettre seulement le pied dans votre ombre sans sentir ployer mes genoux? Votre souffle ne me guiderait-il pas surement dans le parfum des fleurs? Ma confiance vous faisait sourire et vous y repondiez par un air de future victoire absolument insolent. Que je vous aime ainsi triomphante, vous dont le premier regard me fut comme un defi qui me valut tant de souffrances. * * * * * Les songes marchent vite;--il est malheureux qu'on ne puisse les atteler aux Petites-Voitures;--le mien m'avait emporte deja au bal ou nous nous devions retrouver. Mon ambition avait ete de vous y reconnaitre du premier coup, de marcher droit a vous comme le prophete au Dieu qui l'appelle. Mon impatience avait trahi ce miraculeux projet. Vous n'etiez pas encore arrivee et toute l'attention etait pour cet aimable prince negre venu en France pour y conquerir la main d'une de nos compatriotes et qui, pour paraitre plus beau, a emmene le fils d'un de ses ministres en facon de repoussoir. Fort disgracieux naturellement, ce dernier est peint tous les jours en pure ebene, de sorte qu'aupres de lui le prince semble porter sur le visage un clair de lune. C'est une maniere agreable de faire faire le tour de France a son favori. La foule des invites etait considerable deja, mais, je vous le jure, j'etais moralement sur que vous n'y etiez pas encore. Car il me semblait qu'il n'y eut personne. Je pourrais vous dire le moment precis ou vous entrates. Mais tant de monde m'entourait deja que vous aviez depuis longtemps franchi la porte quand je tentai de vous surprendre a votre entree. La ruse sur laquelle vous comptiez m'etait deja, d'ailleurs, revelee aussi depuis longtemps. Toutes vos amies, dans votre confidence sans doute, avaient revetu le meme costume que vous. Plus de cent deguisements pareils sur de jeunes femmes ayant sensiblement votre taille avaient frappe mes yeux. Ils etaient les plus ingenieux du monde pour embarrasser l'esprit, enveloppant les formes dans un vague volontaire et ne laissant, dans leur mauresque pudeur, rien voir a peu pres du visage. A peine un rayonnement d'yeux dans les mousselines, comme apparait celui des etoiles sur un ciel balaye de rapides nuees. * * * * * La danse dissemina les groupes et les couples y passerent. Vous dansiez certainement. L'angoisse que je ressentais durant toute cette valse! Il y avait la un homme que j'aurais etrangle avec une joie feroce: celui dont le bras soutenait votre taille; qui respirait, sous les etoffes legeres et imperceptiblement flottantes, l'odeur de vos cheveux; pour qui la vraie musique etait le rythme harmonieux de votre souffle; sur qui la lassitude vous penchait dans un abandon que je veux croire involontaire. Il me sembla que ce supplice durait des siecles. Quel immoral divertissement! Rendez-nous les menuets congrus, solennels et compasses de nos peres! Je me mis a errer comme les betes de proie qui fouillent des narines les souffles epais dans le vent. Un de vos raffinements encore: le meme parfum tres doux, mais tyrannique et penetrant, baignait les ombres pareilles a vous. Un son de voix saisi au hasard? Toutes etaient rigoureusement muettes. Les hommes seuls parlaient et je m'apercus qu'ils etaient terriblement plus bavards que les femmes. Et mes tortures recommencaient sous forme de mazurkes, de polkas, de tournoiements methodiques ou mon coeur etait broye comme sous une meule. J'eus un moment de desespoir. Vous avez un signe auquel je ne me tromperais pas. Mais la! Vous savez comme moi ou il est place. Il aurait fallu simuler un glissement maladroit sur le parquet et fourrager sous les jupes. Je sais que ce sont des manieres que Mme de C... n'aime pas, que vous appreciez peu vous-meme. Si j'allais justement tomber sur vous, a la premiere passe! Vous seriez furieuse.... Oui, mais je n'en aurais pas moins gagne mon pari et vous n'en seriez pas moins obligee de me donner l'Infini convenu. * * * * * Mon respect de la decence luttait mal contre mon desir de vaincre a tout prix. _Hoc signo vinces!_ m'ecriai-je en moi-meme, m'inspirant des etendards du pieux Constantin. Un eclair de vrai genie descendu certainement sur moi du trone Paradisiaque ou siege aujourd'hui, dans les phalanges sacrees, ce monarque sanctifie, traversa le desordre de mon esprit et l'illumina. "Tu vaincras par un signe", me repetai-je en bon francais. Si je vous forcais, vous, a me reconnaitre! Je me souvins que vous m'aviez menace de quelque chose la premiere fois que j'aurais de la cendre de cigarette sur le visage ou dans la barbe, comme il m'arrive quelquefois. Je m'eclipsais un instant et revins barbouille de ces debris de fumerie. Oh! une simple pointe grise seulement, sur une aile du nez. Mais l'effet fut immediat, une petite main,--la votre,--me lanca un soufflet, et une petite voix,--la votre aussi,--ajouta a ce geste charmant ces mots aimables: --Animal, je te l'avais promis. A moi l'Infini, ma chere! Vous vous etiez trahie. Helas! je me suis reveille avant que vous avez eu le temps d'acquitter votre dette. Mais les inspirations du reve nous viennent certainement des dieux et c'est un religieux devoir d'y obeir quand la pleine conscience de nos actes nous est rendue. Donc, mon Infini, s'il vous plait! [Illustration] [Illustration] BROUILLARDS Une poussiere d'argent clair fluide et froid flotte entre ciel et terre, comme si quelque planete eteinte s'y etait brisee a l'infini. C'est comme un voile de lumiere diffuse entre nos regards et les choses qui y deviennent vagues et vacillantes et comme delivrees des lois rigides de la pesanteur. Les contours s'estompent, les formes s'indecisent, les images se confondent; un peuple d'ombres a pris la place du monde des realites vivantes. C'est, je l'avoue, pour moi, une grande joie d'imagination que ce phenomene maudit des gens hatifs et des cochers et qui s'appelle: Brouillard. Aller enfin un peu sans savoir ou l'on va! Pouvoir rever au bout de son chemin l'horizon de son reve! marcher dans l'inconnu; construire autour de soi des paysages de feeries; emporter sous son front le decor de sa pensee! Et cette revolte elle-meme de toutes les activites banales empetrees dans ce filet d'obscurite menteuse! Tout cela a pour moi un charme que je ne saurais dire. C'est comme une revanche materielle de l'Idee, un instant affranchie des servitudes coutumieres. Et cette lutte entre le jour brutal et le suaire trame sur la route par l'aube! Sans rayons, simple disque de pourpre pendu dans le firmament, le soleil ne semble-t-il pas le coeur rouge de Lazare, battant a l'inutile voix d'un Christ et violemment maintenu dans le linceuil qu'il ensanglante? C'est un spectacle grandiose vraiment que celui de ce mort glorieux et que ce combat silencieux dont la Nuit ensevelira le secret. La Nuit est descendue, mais sans arracher ce rideau de vapeurs qui cache maintenant le mysterieux lever des etoiles. C'est le meme milieu ou tout est confus; mais ce ne sont plus les ombres qui y passent, ce sont les lumieres traversant cette ombre d'eclairs pales pareilles a des feux follets, et nous rappelant que la vie erre encore autour de nous, inquiete, affolee, _quaerens quem devoret_. Tout cela est empreint d'une melancolie et d'une terreur ou je me suis complu souvent. * * * * * Ce que j'aime encore dans le brouillard, c'est qu'il me rappelle comment les amours vraies commencent. Tout a coup et, sans qu'on sache vraiment pourquoi, l'esprit s'embrume et tout ce qui fut le passe y descend derriere un voile d'oubli; les anciennes tendresses ne sont plus que des spectres charmants et l'echo de leurs voix envolees ne tinte plus que des adieux. Une grande confusion se fait dans le souvenir ou plutot le souvenir lui-meme n'est plus qu'un horizon flottant dont un souffle inconnu balaye et fait pirouetter les nuees comme des feuilles mortes. C'est un vague ondoiement des chevelures longtemps baisees et dont les couleurs se confondent. Le cerveau goute une douceur secrete a se sentir comme balance dans ces fumees. C'est l'approche d'un de ces rares matins de l'ame qui la renouvellent. Un regard, un sourire; moins que cela quelquefois et il n'en a pas fallu davantage pour envelopper l'etre tout entier dans cette nuit bienfaisante qui lui garde le rajeunissement d'une aurore! C'est ainsi que vous avez passe pres de moi, o vous que je n'avais jamais vue et ne croyais jamais revoir! En vous quittant, j'etais pareil au voyageur que des brumes epaisses ont surpris et qui ne retrouve plus le chemin des tendresses accoutumees. Dans cette demi-clarte diffuse, vos yeux luisent tout a coup, troublants et furtifs. Apres eux la nuit me sembla plus profonde ou s'abimaient toutes mes impressions. Je traversai des periodes d'angoisse et de doute, perdu dans ce neant ou ma main mit si longtemps a retrouver la votre! L'aube fut lente a naitre, mais enfin elle naquit, triomphante sous la paleur divine de sa face pareille a la votre, semblant porter, dans le flot noir de ses cheveux denoues, les ombres qu'elle venait de chasser et de vaincre, comme Diane portait a son epaule son butin trainant apres son carquois! * * * * * Nous fimes, s'il vous en souvient, des promenades adorables par des temps decries comme celui de ces derniers jours, quand le brouillard enveloppait Paris. Nous allions consciencieusement au Bois, comme si le Bois n'etait pas partout quand rien ne le distingue des boulevards et des rues. Les passants, qui ne se revelaient a nous qu'en nous frolant, nous causaient les terreurs les plus comiques du monde et j'en eprouvai, par le pressement de mon bras, un contre-coup delicieux. Vous n'aviez aucune bonne raison a me donner quand mes levres cherchaient tout a coup les votres, aucun temoin possible a evoquer pour reprimer mes audaces. Nous ne causions presque pas, parce que vous craigniez que le froid penetrant vous fit mal, et ce silence a deux semblait nous isoler encore davantage, mieux consacrer une communaute de pensees qui n'a pas besoin de s'affirmer par des mots. Nous etions, pour moi, pareils a ces fiances juifs qu'un meme drap enveloppe sous le dais matrimonial, et c'etait un encens d'hymenee dont nous etions comme baignes et rendus invisibles. Une musique immaterielle emplissait le vide de nos propres paroles, une musique d'epithalame qui chantait les graces infinies de votre personne et les folies innombrables de mon amour. Que votre souffle m'effleurait alors doucement le visage! C'etait l'ame du printemps prochain qui venait deja me promettre sur votre bouche les ivresses a venir dans le reveil sacre des choses! Et l'ame du printemps ne mentait pas!... Helas! pourquoi le brouillard n'evoque-t-il pas seulement les delices de mon unique tendresse? Il en fait revivre aussi les angoisses, quand le doute me vint et que l'ame de celle que j'aimais me fut soudain si obscure sur ma route que je ne marchai plus que comme un aveugle et comme un desespere! Je me retrouvai seul alors dans ces brumes maudites, seul en me disant que, peut-etre et grace a leur trahison, elle passait tout pres de moi, doucement appuyee au bras d'un autre ami. TAIAUT Je m'etais endormi, je ne sais pourquoi, en murmurant ce vers mediocre: L'homme absurde est celui qui ne change jamais. Ajoutons, pour la defense de cet alexandrin pitoyable, qu'il n'y a plus d'hommes absurdes aujourd'hui. Nous vivons dans un temps d'eclectisme ou les opinions ont, pour le plus grand nombre, la duree d'un vetement, et tout le monde sait comment les vetements sont confectionnes avec les draps sophistiques et les machines a coudre contemporaine. Il n'y a plus que les academiciens qui se commandent des habits solides, les academiciens et les trepasses opulents, par l'excellente raison que, comme le dit un vieux et sage proverbe: Quand on est mort, c'est pour longtemps. Le reve appesantit notre imagination et notre pensee sur les derniers mots qui, pendant la veille, ont donne dans notre oreille et meme simplement dans notre cerveau. "Ce vers a raison, me dis-je a peine engourdi dans mon premier sommeil. Il est tout naturel qu'apres avoir ete immuable dans mes gouts, pendant une quarantaine d'annees, j'eprouve un vague besoin d'essayer des gouts des autres et de consacrer une periode de ma vie au moins egale, s'il plait a Dieu, a bruler soigneusement tout ce que j'ai adore et a adorer tout ce que je brulais consciencieusement. Je vais rechercher l'amitie des dames maigres pour connaitre par quel charme mysterieux elles remplacent ce qui leur manque au bas du cou et au bas du dos. A moi la chastete des carmes qui s'adressent a des mythes et des illusions fondantes sous l'audace decue des doigts amoureux! Non, ma belle, vous n'etes pas encore mon fait, puisque vous ne pouvez vous asseoir dans le de de Jenny l'ouvriere. Jeunez cinquante jours comme Merlatti, mon enfant, sous la surveillance du docteur Monin, si vous le pouvez, car c'est un homme d'esprit qui vous amusera a passer le temps. Vous repasserez ensuite. Pendant ce temps-la, fidele a mon programme de palinodie complete, je lirai de la prose de Caro et des poesies de Camille Doucet, pour apprendre comme la banalite des pensees peut exalter l'ame et la mediocrite des rimes enchanter l'ouie; ou bien je ferai ma societe ordinaire d'hommes politiques qui m'apparaitront desinteresses, patriotes et pleins de talent pour bien constater le renversement absolu de toutes mes opinions. A moins que je ne parie aux courses, mele a la foule sympathique des boucs Maquaires (tant pis pour l'orthographe anglaise, mais j'ecris en francais comme je prononce), ou que je m'habille en sportsman dans les villes d'eau. Je veux tenter, en un mot, le secret de toutes les joies que je n'ai jamais comprises et que je me permettais de trouver imbeciles pour cette puerile raison!" * * * * * Et, les formes du songe d'abord indecises se figeant, plus solides dans mon cerveau, comme ces nuees legeres qui, apres leur course vague dans le ciel, semblent prendre corps a l'horizon, marches de marbre rose, sur lequel le soleil declinant posera son pied d'or, j'entrai nettement dans le domaine de l'action et, ayant medit de la chasse plus que de tout autre exercice elegant, je m'imaginai que j'allais prendre un permis. Ma memoire me disait bien mille choses desagreables, me rappelant que, la veille encore, je tenais a un Nemrod endurci ce discours plein de prud'homie: "Que voulez-vous, mon cher! je ne puis me livrer, par temperament, a un acte belliqueux que mu par un sentiment extraordinaire de haine ou de vengeance. Or, j'ai beau me fouiller jusqu'au fond de l'ame, je n'y trouve aucune cause d'inimitie contre les lievres et contre les lapins. Tout enfant, j'ai beaucoup vecu dans les bois et j'adorais voir passer, rapides, ces sauvages amis qui aiment, comme moi, l'eclat de l'aurore, le parfum du thym et les larmes de la rosee. Je retenais ma respiration pour ne les pas troubler et j'etais presque fier de leur confiance quand ils venaient brouter l'herbe aupres de moi, en ayant l'air de m'admettre dans leur intimite. Un sentiment de fraternite s'elevait en moi a leur approche, et puisque les oreilles ont ete donnees aux etres pour s'instruire, je m'imaginais volontiers, a voir la longueur des leurs, qu'ils etaient des quadrupedes doctes et savants, venus pour m'observer moi-meme et faire, aux sujets de mon espece, des memoires a leurs societes d'encouragement. Loin de songer a les tourmenter, je m'efforcais donc de leur paraitre beau, noble, intelligent, afin qu'ils disent du bien de moi dans leurs gazettes. Car, s'il est flatteur d'etre loue par son semblable, combien l'est-il davantage de voir sa gloire franchir les bornes de la simple humanite!" J'avais dit tout cela! Eh bien, je disais exactement tout le contraire, comme un simple depute. Mon permis etait en regle, mon fusil charge. A moi, Rustaud! A moi Medor! Taiaut! Taiaut! * * * * * Les impressions se melent volontiers dans l'etat ou j'etais le penseur endormi. J'avais lu dans la journee le tres curieux livre et tres instructif de mon ami Leonce Detroyat: _La France dans l'Indo-Chine_, et le passage suivant sur la facon dont on chasse le cerf dans l'ile de Battambang m'etait reste dans l'esprit. Le voici, sans y changer un mot: _Cette chasse est pratiquee par des chevaux d'une race particuliere, a demi sauvages et dresses a cet effet. Monte par son cavalier, des que le cheval apercoit le cerf, il se precipite a sa poursuite avec une vitesse vertigineuse qui lui permet meme de le depasser. Des qu'il l'a atteint, il se jette sur lui, il le mord avec rage et l'acheve a coups de sabots. Comme recompense, on charge la victime sur son dos et il rentre ainsi triomphant au village...._ J'en avais deja assez de leurs chiens; Medor et Rustaud etaient deux betes assourdissantes. Et, sans tirer un seul coup de mon fusil que je pendis a un arbre, je fis venir, avec la rapidite dont nos voeux disposent dans le reve, un de ces petits chevaux de l'ile de Battambang pour tenter une chasse vraiment originale et digne d'un homme qui lit les livres de voyage. J'avais deja enfourche ce diabolique coursier a la criniere noire comme vos magnifiques cheveux, ma chere, et il ne me manquait plus qu'un cerf convenable pour le courir ou pour le courre, comme vous aimerez le mieux. Il faut vous dire que, ne connaissant pas le chemin de l'ile de Battambang et etant, comme vous le savez, un peu casanier de nature, j'etais reste dans le bois de Boulogne, tout simplement, ce bois qui m'est cher pour nos anciennes promenades. C'etait un samedi soir, apres le depart des cavaliers et des pietons, dans une solitude relative que troublait seul le bruit de la respiration de la grande Ville, sous une belle clarte de lune qui etendait, par les allees, de grandes nappes d'or pale comme pour inviter les esprits nocturnes a leur souper habituel, quand les sylphes boivent du vin d'etoile dans la coupe rapidement formee des vobulis. Je m'abandonnais, je l'avoue, a mille pensees tres lointaines de la chasse commencee. Je vous revoyais sous ces belles ombres tranquilles, et la douceur des premiers aveux chantait autour de moi, dans la musique des branches a peine detendues par un frisson de brise. Tout a coup, mon petit cheval dressa furieusement les oreilles; sa criniere se herissa, si haute qu'elle me fouetta le visage, et, comme fou, il m'emporta a la poursuite d'une ombre qui fuyait, devant nous, laissant trainer apres elle l'image allongee et double des appendices jumeaux dont son front etait pare. C'etait un cerf! un cerf magnifique echappe sans doute du Jardin d'acclimatation! Ma monture etait comme ivre de carnage entrevu! J'avais une peur horrible qu'elle ne me flanquat par terre. Elle allait atteindre sa victime et levait deja sur elle la menace mortelle de ses sabots fumants quand l'ombre se retourna, suppliante. J'eus le temps et la force de maitriser, avec les brides, ce maudit cheval battanbamgien. Au risque de lui briser les dents avec le mors, ses dents deja tendues sur l'echine du fuyard, je le clouai sur place. Il etait temps! Ce n'etait pas un cerf que nous avions force, mais un homme, un monsieur tres bien, un marie du jour que nous avions rencontre dans l'apres-midi, sa jeune femme toute blanche au bras, et en tete d'un cortege d'amis. Toujours en habit noir, il s'etait jete a genoux: --Eh quoi, monsieur, deja? ne pus-je m'empecher de lui dire avec compassion, pour excuser l'erreur dont il avait ete l'objet de la part de mon cheval et de la mienne. * * * * * Mais l'emotion avait ete trop forte et je me reveillai. Je resolus immediatement, pour ne plus m'exposer a de tels perils, de reprendre mes gouts anterieurs et mes antiques manies. Je vous en donne avis, ma chere ame, pour que vous ne vous avisiez pas de perdre, par des traitements intempestifs, les charmantes rondeurs qui me font si doux le commerce de vos charmes, comme on disait peu galamment dans un temps plus galant pourtant que le notre! [Illustration] [Illustration] AMOROSA Un tapis de neige, mais si leger que partout le gazon le percait de mille fleches d'emeraude et que le sable des allees, apparaissant au travers, lui faisait comme une doublure transparente d'or clair; une poussiere de neige courant le long des branches noires et saupoudrant les buissons comme des vieux rabougris sous des perruques surannees. Le soleil irradiant ces blancheurs furtives, promenant sur les troncs rugueux ses lumieres decomposees qui les faisaient apparaitre bleus a l'envers de sa course. Des lointains presque violets, tres estompes de gris clair et rayes imperceptiblement par l'enchevetrement des futaies. Sur tout cela, la serenite silencieuse d'une heure matinale. Jamais ce coin du bois ne m'avait paru si charmant, et le vol des souvenirs y descendait avec celui des moineaux et des mesanges s'abattant sur les mousses avec de petits cris ou pleurait la desesperance du printemps. Quelques jacinthes ca et la crevaient cependant la terre noire, et des bourgeons trop tot venus perlaient aux branches. Un peu de patience, mesanges et moineaux! Un peu de courage, o coeur impatient de renaitre! Apres une longue promenade sous le fouet de l'air vif qui me piquait au visage, je m'etais assis sur un banc, dans un coin largement illumine, ce qui lui donnait une impression de tiedeur relative. Mes yeux, fatigues de l'horizon scintillant ou semblaient passer des vapeurs de givre, s'etaient abaisses vers le sol, mille clartes roses me passaient sous les paupieres et de minuscules etoiles d'or a travers les cils. Mon regard flottait, avec ma pensee, dans un vague tres doux, quand il s'arreta soudain sur une place d'une blancheur immaculee que traversait un dessin bizarre trace par la course d'un oiseau. Les petites pattes avaient seme comme un trefle noir qui courait suivant une ligne capricieuse. On eut dit des hieroglyphes et je me pris, le plus serieusement du monde, a vouloir dechiffrer cette mysterieuse ecriture, a chercher un sens a ces caracteres si nets, et se succedant suivant un rythme inconnu. On a toujours sa bonne volonte pour complice du hasard dans ces enfantillages, et de la meilleure foi du monde, je lus un nom, comme si mon coeur etait soudain tombe sur cette neige. L'oiseau tout seul etait remonte dans la nue, sans y emporter mon ame. * * * * * Et je me souvins d'un autre hiver, dans ce meme bois, d'un hiver ou la neige aussi etait partout, comme si un fleuve de lait se fut soudain ouvert au flanc de quelque montagne du ciel. Car les nuages sont comme les collines d'un paysage suspendu au-dessus de nos tetes et souvent semblent-ils, a l'horizon, prolonger les chaines de nos collines terrestres dans la clarte rouge et moutonnante des couchants. Oui c'etait par un hiver tout pareil et dans un pareil decor que j'avais aime pour la derniere fois peut-etre. Une longue reverie a deux, telle avait ete l'histoire de cette tendresse; des baisers furtifs en avaient ete tout le langage, et la douceur m'en etait restee comme celle d'un parfum bien penetrant qu'on a respire sans avoir cueilli la fleur qui le donne. Qui nous avait pousses l'un vers l'autre? Un hasard. Sans coquetterie, elle avait pose sa main sur mon bras et nous etions parti pour je ne sais quel voyage a la fois tendre et sans but, ne voulant savoir ou nous allions, pourvu que ce fut ensemble. Et tous les chemins nous etaient aimables pour marcher ainsi cote a cote, meme ceux que la gelee avait fait durs, meme ceux que la neige rendait froids et glissants. Quelquefois il me fallait la retenir dans une etreinte ou se fondait mon coeur; souvent sa jolie tete brune dut se coller a mon epaule pour fuir les fouaillees des bourrasques. Je respirais alors de si pres son haleine qu'il me semblait que j'allais mourir. Jamais mes levres n'avaient ose se pencher jusqu'a son front, mais elles s'appuyaient aux bords de son chapeau, dans le fremissement de sa plume et dans le chatouillement de sa voilette. Nous etions l'idylle egaree, je ne sais de quoi de fou et d'innocent tout ensemble, mais de plus troublant cent fois que l'ardeur des caresses. Que d'heures de passion virile, de plaisir apre et partage sont tombees pour moi dans le gouffre de l'oubli, tandis que tout est reste dans ma memoire de cet enfantillage cruel et delicieux! Telle s'engloutit, dans les profondeurs d'un lac, la splendeur pourpree des pierreries, tandis qu'une simple feuille tombee d'un arbre y surnage longtemps sur l'eau bleue qui la berce. O derniere feuille tombee de l'arbre automnal que je suis! * * * * * Tout en elle etait exquis; mais ses pieds, ses pieds tout petits et d'un dessin superbe etaient un de mes platoniques ravissements. Une fois que nous marchions au hasard sur la neige durcie, elle s'amusa a en graver l'empreinte sur le sol, une empreinte bien nette, en y pesant de tout son poids. La semelle de sa bottine s'y moula et le talon y fit un creux. Elle eut grand'peine a m'empecher de me mettre a genoux pour baiser cette trace. Mais ce qu'elle ne put faire, ce fut de m'empecher de revenir le lendemain seul, a cette place, et d'y demeurer longtemps en contemplation devant ce rien fragile. J'y retrouvais comme un piedestal de marbre sur lequel se dressait mon idole, dans le temple tout parfume encore de sa presence et de l'encens de mes adorations. Je la revoyais debout dans l'epaisseur moite de ses fourrures d'ou son noble profil emergeait comme sculpte dans un ivoire vivant, et le rayonnement clair de ses yeux aux reflets d'amethiste m'enveloppait, un noyau d'extase attirait a soi tout mon sang comme le rayonnement du soleil boit la matinale rosee. Ce m'etait une terreur qu'un autre pas vint profaner celui-la, qu'une neige nouvelle vint estomper puis aneantir ce contour, qu'une journee de chaleur emportat cette image dans les coulees indifferentes du degel. Mais le lieu etait solitaire et nul n'y passa de longtemps apres nous; le ciel ne roulait plus d'avalanches dans ses profondeurs ardoisees et le temps demeura froid durant plusieurs jours encore. Aussi puis-je refaire quotidiennement mon pelerinage, reprendre, chaque matin, mes courses devotieuses vers cette relique etrange, n'osant confier a celle meme que mon culte patient adorait ainsi, cet enfantillage de ma pensee toute remplie d'elle! Qui dira ce qui s'en va de notre ame dans ces aspirations muettes vers l'infini de l'Amour, celui que ne comblent pas meme les delices furieuses de la chair rassasiee? Un jour de soleil vint cependant qui fondit la neige ainsi sculptee. Mais sa chaleur ne vint pas jusqu'a mon coeur ou l'empreinte est demeuree, toute saignante encore du talon qui l'avait meurtri. * * * * * Ainsi s'effaceront demain, apres demain peut-etre, les traces qu'avait laissees hier, sur la neige, a l'endroit que je regardais sans penser, la course capricieuse de la mesange ou du moineau. L'oiseau s'est envole; Dieu sait ou! Heureux ceux qu'emporte dans l'azur le caprice vainqueur d'une aile toujours ouverte! Entre ciel et terre il s'en va, aussi pres du ciel qu'il lui plait! Telle s'envole aussi ma pensee vers celle qui me donna la joie inattendue de l'aimer comme je n'en avais aime aucune autre, et qui m'apprit que le poete eut raison, qui dit: Ce sont les plus petites choses Qui temoignent le plus d'amour. En attendant les grandes, comtesse, cependant! [Illustration] [Illustration] MENSONGES Un feu mourant dans la cheminee longtemps flambante, un soleil admirable au dehors etendant, a l'angle de ma table, une nappe oblique doree; un rideau d'azur derriere ma vitre et autour de moi une temperature de serre, tiede dans un air sans frissons; je goutais le repos dominical, allonge sur mon divan, une cigarette aux spirales bleues entre les doigts, un livre sous les yeux, des vers, parbleu! le beau volume de mon ami Laurent Tailhade, celui que j'avais baptise moi-meme: _le Pays des Reves_. Ce poete exquis connu de tous les delicats, vient de se marier et m'a cru devoir envoyer une facon de testament lyrique, ses dernieres rimes, pense-t-il. Je n'ai jamais fort aime le mariage, mais j'en demanderais l'abolition immediate s'il etait vraiment mortel aux poetes. Par bonheur, il n'en est rien, mon cher Tailhade, et j'en connais de fort grands--vous aussi, qui avez dine avec moi a la table de Banville--lesquels lui ont survecu. C'est ce que je vous souhaite de toute mon ame! Je lisais, ou mieux je chantais en moi-meme,--car la musique du vers eveille en moi un orchestre invisible, comme si les doigts magiciens de sainte Cecile, si bien nommee par Mallarme: "Musicienne du silence", y couraient sur un clavier mysterieux--les belles strophes, bien empreintes de sucs latins, de ce noble recueil quand un parfum tres subtil de lilas envahit mon cerveau, une odeur extremement delicate et penetrante, comme le vol d'une ame de fleur. Et comme rien n'invite mieux a la lente reverie que le bercement des rythmes et les cadences ailees qui emportent la pensee vers les mondes inconnus, vous me pardonnerez, Laurent, mais mon regard se souleva peu a peu de votre livre, se perdit dans des horizons vaguement baignees de lumiere: votre musique ne fut plus dans ma tete qu'une serie d'echos comme ceux que repercutent les monts plongeant leurs grandes ombres dans un lac nocturne. Cette senteur de lilas m'avait grise certainement. * * * * * Eh oui! cette bonne chaleur dont je me sentais penetre et que je savourais comme font les moineaux le ventre dans le sable; cette eblouissante clarte qui descendait des vitres et cet eclat limpide du ciel que j'admirais au travers; ces harmonies qui vibraient en moi; ce souffle embaume dont je me sentais poursuivi ... le printemps etait venu tout a coup certainement, et c'etait la fete immortelle des choses dans la beatitude inquiete des etres et l'epanouissement des renouveaux. Qui donc avait dit que cet hiver obstine ne finirait jamais! Les voila reduites a neant, les propheties des astrologues qui nous montraient Avril posant sur la glace mordante ses pieds roses et frileux! Evohe! le printemps s'est souvenu! C'est dans les allees des jardins que resserrent leurs bordures touffues, parmi les mousses des grands bois dont le velours se renouvelle, le long des ruisseaux delivres, une floraison eperdue de violettes et de muguets tintinnabulants dans la brise. Mais non! Les violettes et les muguets ne sont deja plus. Ce sont les lilas superbes qui, comme des guerriers, secouent leurs panaches au vent, sous la fanfare de cuivre des aurores. Les oiseaux amoureux ne se poursuivent plus dans les branches, mais la chanson tremblante des nids arrete ca et la le promeneur religieux. Le printemps ne s'est pas seulement souvenu; il a franchi d'un bond les marches de l'apotheose et couru vers sa splendeur comme un astre vers le zenith. L'immense joie de tout ce qui est salue l'hote glorieux qui passe le front couronne de soleil. * * * * * Et c'est comme une tristesse horrible qui m'etreint, seul, dans le torrent des universelles gaietes, un _De Profundis_ qui monte de mon coeur dans la voix des hosannas. Car vous n'etes pas pres de moi, ma chere ame, dans ce reveil triomphant des ames appareillees se melant dans l'air charge de baisers. Je vous cherche aupres de moi, sans vous y trouver, vous m'aviez dit pourtant: Quand donc nous aimerons-nous avec toutes les fleurs? Et vous m'aviez promis le retour des belles promenades, le long des taillis obscurs ou le rossignol court a terre, au bord des eaux calmes ou descendrait votre noble image tremblante dans un frisson d'argent, sur les routes lointaines ou l'on marche entre les genets constelles comme au milieu des debris d'un ciel ecroule. Et votre bras devait se poser encore sur le mien, a l'heure des douces lassitudes, quelques pas encore, et votre belle tete brune, aux cheveux denoues par le vent, s'inclinerait sur mon epaule, tendant votre front vers ma bouche comme un lis battu que releveront les rosees. Vous m'aviez jure que nous irions ainsi par des chemins faits de caresses sous la grande caresse du ciel. Vos toilettes plus legeres et vos pudeurs mieux vaincues me laisseraient respirer les odeurs divines de votre etre dans l'innombrable parfum de toutes les fleurs epanouies. Vous seriez comme un jardin vivant dans le Paradis. A vous entendre, ce printemps serait plus doux encore que le dernier ou mon desir osait vous effleurer a peine, mais ou je goutais deja mille joies intimes et profondes a entendre le son de votre voix, a boire votre haleine, a contempler, craintif, votre impeccable beaute.... Et vous n'etes pas la! quel cimetiere de bonheurs et de reves, je foule dans les sentiers fleuris! * * * * * L'impression m'avait ete si cruelle que je me levai brusquement pour etre mieux sur de m'en reveiller. Je quittai brusquement le livre, le divan et la chambre tiede; je descendis dans le parterre qui s'etend au bas de ma croisee et ce fut comme une coupure de givre qui me passa au visage. Le mirage du printemps s'evanouit en meme temps. Oui, le ciel etait clair et bleu, comme il m'avait apparu a travers la croisee et le soleil battait la nue de son aile de feu, mais si haut qu'aucun souffle de chaleur n'en descendait jusqu'a la terre. Celle-ci etait encore dure et gelee, crepitante sous le pied et rayee ca et la d'aiguilles de glace ou bien portant, a l'ombre, de vagues moisissures de neige, comme une peau d'hermine mangee aux vers. Pas une feuille naissante aux arbres! Les lilas! un enchevetrement de ramures noires avec, ca et la, un bourgeon rabougri, refrene, pareil au bout d'une fleche emoussee. Les seves, inutilement appelees, etaient venues mourir a fleur d'ecorce, impuissantes a percer l'enveloppe encore lourde de frimas. Oh! j'avais reve, bien reve! J'avais dit trop vite adieu a mon beau songe. Vous n'avez pas ete parjure, ma chere ame, le temps n'etait pas encore venu. Voila tout! Et tout joyeux de l'horreur encore repandue partout, l'hiver refusant d'abdiquer, je rentrai bien vite dans la piece a l'atmosphere moite ou m'attendait le volume interrompu, ou la cigarette eteinte ajoutait sa melancolie au desordre de ma table de travail. * * * * * Decidement j'etais hante. La meme odeur de lilas me courait aux narines. J'avais repris le _Pays des Reves_ a la page ouverte et, ayant relu les derniers vers, comme un rameur qui, avant de reprendre sa route, s'entraine au rythme par une serie de mouvements jumeaux, je tournai celle-ci. Il en tomba sur mes genoux quelque chose qui etait sans doute reste colle au verso. Je le ramassai bien vite et tout me fut explique de l'illusion qui m'etait subitement venue et menacait de me reprendre. C'etait une toute petite branche de lilas, le sommet d'une grappe seulement qui avait ete aplatie entre deux feuilles du volume, un bout de fleur dessechee, mais qui avait garde toute son ame odorante, une de ces reliques d'amour que les fervents gardent et qui ne font sourire que les sots. Et l'histoire me revint bien vite de ce rien precieux, une histoire comme tant d'autres. Vous l'aviez cueillie dans un jardin defendu, cette petite branche, et je l'avais conservee en memoire de votre aimable peche, si charmante je vous avais vue, craintive dans le larcin et tendant vos cheres mains blanches vers la branche trop haute que je tentais d'abaisser vers vous. C'est en nous quittant seulement que vous me l'aviez donnee, la petite grappe qui, tout le jour, avait pendu a votre corsage, bercee par votre souffle, renouvelant au votre son parfum. Et je l'avais enferme, dans un de mes livres aimes, la ou j'etais sur de la retrouver, dans un beau cercueil cloue de rimes d'or. O lilas, chers lilas, que j'ai respire avant la floraison du lilas, fleur de souvenir, tu m'es encore, Dieu merci, une fleur d'esperance! [Illustration] [Illustration] ENTRE TERRE ET CIEL I J'avais fait un reve vraiment delicieux: j'etais redevenu l'enfant rose avec de longs cheveux boucles dont ma famille a religieusement garde le portrait fait au pastel par la fille du ministre Salvandy,--vous voyez que ce n'est pas d'hier!--J'avais recite mon catechisme avec une conviction particuliere et, pour me recompenser de ma condescendance a accepter les mysteres de la foi, on m'avait mene chez le patissier, au bout du pont ou j'ai peche mes premiers goujons en faisant l'ecole buissonniere. Un admirable spectacle etait devant mes yeux: de hautes meringues blanches s'effondraient sur un lit savoureux de croquants; de beaux filets de sucre blanc soutachaient des cremes solides aux couleurs nationales du cafe et du chocolat. Un superbe croquembouche, majestueux comme une cathedrale, lechait avec mille langues de caramel, pareilles aux flammes d'un incendie, de hautes murailles de nougat. Jamais gobichonnades plus variees n'avaient sollicite l'humeur friande d'un innocent. Reveille, j'ouvris ma fenetre, et,--a part que j'avais une trente-cinquaine d'annees de plus qu'en ce temps-la,--il ne me semblait pas que je fusse sorti de mon reve. La nature n'etait qu'une immense boutique de confiseur. Sous la neige menue tombee la nuit, les arbres avaient l'air saupoudres de sucre rape. Les petits ruisseaux geles avaient les cristallins reflets du sucre candi. Une mousse blanche avait fait des buissons autant de saint-honores et un commencement de degel faisait les ardoises des toits pareils a des babas pleurant leurs larmes de rhum. Mais tout cela n'etait pas aimable comme la boutique du bout du pont ou il faisait une si bonne chaleur, impregnee d'odeurs succulentes! Un froid horrible dans mon jardin, un froid qui fait pousser au nez des rubis, et, pensant a l'auteur de ce deplorable hiver, je ne pus m'empecher d'appliquer au createur de toutes choses cette epithete qui etait, chez le pauvre Hennequin, le dernier signe du mepris: Sale patissier! Et je pensais aussi a ce mot melancolique d'Aubryet sur son lit de douleur, disant a un ami: --Sapristi, mon cher, si nous nous revoyons dans la vallee de Josaphat, tu verras, quand on nommera l'auteur de la piece, comme je sifflerai! II Voila quelques instants deja qu'une musique mysterieuse me chante aux oreilles. Elle ne vient pas du dehors et ce n'est peut-etre que la chanson d'un reve dans mon esprit. J'ecoute au-dedans de moi. C'est comme un susurrement de ruisseau lointain sur le sable. Non! ce n'est pas encore cela. Un bruissement de feuilles sous le vent matinal et que roule a l'horizon des nuages roses? Pas encore. Un crepitement vague de friture dans l'air ou passe la gaite d'une fete foraine? Non! non! je me prete de plus pres encore une oreille attentive. C'est decidement un gazouillement d'oiseaux, un gazouillement melancolique comme celui des passereaux se groupant, en hiver, sur les branches. Ah! je sais maintenant: ce sont les hirondelles de la-bas qui voudraient revenir et que leurs sentinelles avancees, leurs eclaireurs aux noires ailes, retiennent derriere la barriere que ne franchit plus le soleil, dont la tiede caresse est leur vie. Et ces compatissants volatiles, se rappelant les nids laisses aux toits de Paris, ont la nostalgie de ce ciel de France ou s'obstinent les bourrasques, ou les frimas s'accumulent au mepris des avertissements du calendrier. Et elles nous saluent de loin, ces cheres exilees qui se demandent si le printemps nous reviendra jamais et si les pruniers porteront, cette annee, d'autres fleurs que ces fleurs de givre dont les immobiles petales ne fremissent pas aux souffles du matin! III J'avais absolument besoin de m'en prendre a quelqu'un ou a quelque chose du facheux etat de l'atmosphere ou je grelottais. J'eprouvais un desir immodere de vilipender meme un innocent, une de ces soifs ridicules de revanche qui font que lorsqu'une femme a ete malheureuse avec un amant, elle le fait payer a celui qui vient apres. Je pensai mechamment que le marronnier du vingt mars devait faire une drole de tete cette annee, et je fis le voyage des Champs-Elysees, uniquement pour aller faire la nique a ce vieillard. Son air piteux depassait encore tout ce que j'avais prevu. Je lui tirai ironiquement mon chapeau et lui tins ce langage: Eh bien! vieil arbre politique, as-tu chaud aux pieds? Sous une bourrasque de vent, il me sembla qu'il hochait insensiblement la tete comme pour me dire: Non. Et comme il avait ete bon raillard dans son temps, j'entendis, en meme temps, un craquement singulier dans son ecorce. --Ah! ah! repris-je, mon gaillard, vous non plus vous ne vous contentez pas de dodeliner du chef, mais vous barytonnez aussi du reste a l'occasion. Un zephyr tiede etait-il passe dans les branches de mon silencieux interlocuteur? Mais une goutte d'eau me tomba sur le nez. Je levai les yeux. L'arbre pleurait. Je regrettai vivement d'avoir ete aussi loin et pour lui temoigner de mon respect pour son age, en abordant un plus serieux sujet: --Voyons, noble Ratapoil, lui dis-je, toi qui mieux que personne, dans le recueillement mysterieux des choses, as penetre l'ame cesarienne, crois-tu vraiment que Boulanger voulait devenir dictateur et jouer les Napoleons? Je n'eus pas le temps d'en dire davantage. A la base de l'arbre je vis un tressaillement de la terre. Une pousse rugueuse et noire en sortit violemment, noueuse, au milieu, comme une jambe au genou. Epouvante, je me retournai, mais ce fut une maladresse. Je recus une accolade d'un genre particulier en travers de mon haut-de-chausse. Je courus, mais ce fut inutile. Car, jusqu'a la place de la Concorde ou je deboulai comme un fiacre emballe, le marronnier me poursuivit, suivant une image heroique du poete Gustave Mathieu, a grands coups de racine dans le derriere. IV Il neigeait aussi a Francfort, et la maison du bon Hans von Bourik, sa petite maison rouge aux dentelures de bois, etait comme posee sur un tapis epais et blanc comme une immense fourrure d'hermine. Hans von Bourik possede une fort jolie femme et qui casserait fort bien son cent de noisettes en s'asseyant dessus. Or, l'ancien fiance de Gudule,-- ainsi se nomme cette opulente creature,--se consola de ne l'avoir pas epousee en faisant cocu formidablement l'impertinent qui avait pris sa place a l'autel. Hans von Bourik a bien quelques soupcons, mais il manque absolument de preuves. Il se sent interieurement deshonore sans pouvoir articuler aucun fait. L'ancien fiance qui s'appelle Fritz von Sauciss rentre de la brasserie, sa longue pipe a la bouche, a une heure de la nuit fort avancee, l'esprit nageant dans une blonde vapeur de biere. Il se souvient tout a coup qu'il a oublie de dire a Gudule l'heure a laquelle il la verrait le lendemain, pendant une absence de son facheux mari. Pour reparer cet oubli condamnable, il s'en vient roder autour de la petite maison rouge aux dentelures de bois de Hans von Bourik. Mais on y dort profondement. Et puis sous quel pretexte en reveiller les hotes--Ecrire alors!--Bon! Fritz s'apercoit encore qu'il a laisse son crayon et ses tablettes sur la table de la brasserie qui est certainement fermee maintenant. C'eut ete si simple de glisser un mot dans une cachette entre deux pierres ou le genie fureteur de Gudule l'aurait certainement trouve le lendemain matin. Un trait de lumiere jaillit au cerveau de Fritz von Sauciss, comme un rayon de soleil qui traverse les brouillards. Il lui vient directement de la vessie, ce qui n'est pas la marche ordinaire des idees chez un homme a jeun. Mais notre gaillard avait bu infiniment de chopes mousseuses et il ne les pouvait decidement plus contenir. Or, voyez comme l'inspiration nous peut venir de n'importe ou! Fritz pense que ses expansions naturelles et tiedes feront des trous dans la neige et, convenablement dirigees, pourront meme y tracer des caracteres. Avec cette encre nouvelle et sur ce papier nouveau--je ne parle pas du nouveau porte-plume--il parvient donc a tracer tres distinctement, devant la porte de Hans, ces mots destines a sa femme: _A midi demain._ Et, en se gardant bien de signer, il se retire, enchante de son imagination. Le malheur fut que c'est Hans, qui, etant sorti, le premier, lut avant personne ce billet de par terre. Les yeux des cocus se dessillent quelquefois de la facon la plus inattendue. Il rentra furieux et dit a Gudule: --Un homme vous a donne rendez-vous en ecrivant sur la neige, et cet homme est Fritz, votre ancien fiance. --Est-il possible, s'ecria Gudule, et quelle idee! --Inutile de nier, madame, continue le justicier domestique, j'ai reconnu son ecriture! V C'est dans l'intention formelle de vous acheter des fleurs que j'etais sorti, ma chere ame, je vous le jure. Mais les volets etaient clos et close aussi la porte de mon fournisseur ordinaire. Il y avait meme ecrit dessus: "Ferme pour cause de deces." De deces? pourvu que ce ne soit que le sien! C'etait un petit vieillard desagreable et qui surfaisait sa marchandise. Dieu ait son ame! Mais pourvu que le deces dont il s'agit ne soit pas celui du Printemps! Voyez-vous Avril n'ouvrant a Mai qu'une porte embarrassee de frimas, et celui-ci passant comme un corbillard de pauvre, sans fleurs epanouissant leurs gerbes meme sur son cercueil! Et les promenades projetees le long des eaux claires ou, nouvel Ulysse, j'aurais poursuivi, en vous, une Nausicaa plus charmante que celle des Odyssees! Et les licites promesses sous les aubepines! Tout cela sera-t-il donc enterre avec ce mot exquis, dont l'ame sera partie, sans doute dans le parfum de la premiere violette? Je ne veux pas penser, ma chere, a cet ecroulement de tous les bonheurs medites au coin du feu durant les mois qui viennent de finir. Je ne veux pas vous offrir, non plus, bien qu'elle soit la plus charmante du monde, cette branche de fusain sur laquelle la neige a cependant dessine, en blanc, des fleurs tout a fait curieuses suivant le caprice des feuilles. Un rayon de soleil n'aurait qu'a venir et a les fondre! L'image d'un imperissable amour ne saurait etre un si perissable present! [Illustration] [Illustration] JACINTHES Roses et bleues, violettes et mauves, les jacinthes ouvrent seules leur coeur dechiquete, leur coeur de marbre vivant, tendre et veine comme une chair delicate. Quand donc aimerons-nous avec toutes les fleurs? Cet hiver sans fin qui tient les germes captifs sous l'ecorce durcie de la terre etend son oppression jusqu'a nos pensees qu'il etreint, jusqu'a notre ame qu'il referme sur ses desirs. En vain le Temps nous a-t-il petris d'artifices, il n'a pu nous arracher encore a la grande loi qui fait tristes ou gais les etres et les choses, tout ce qui meurt d'ombre et tout ce qui vit de soleil. D'ailleurs, quand il n'en sera plus ainsi, il sera temps que l'humanite finisse et tombe, comme un fruit pourri, dans le neant, comme un fruit ou s'est tarie la derniere goutte des seves universelles. En attendant, resignons-nous a etre comme les betes et comme les plantes qui souffrent des matins trop lents et des soirs trop rapides, eperdues des lumieres et des chaleurs a venir. C'est encore le meilleur de notre lot et ce qui nous reste de divin. Quand donc aimerons-nous avec toutes les fleurs, nous qui n'apportons encore aux bien-aimees que des lilas de serre, chlorotiques et mourants, sans haleine et sans feuillage, ou des roses frileuses qui pleurent leurs petales sur les tapis, ou des violettes lointaines que ne gonfle plus le souffle sauvage des bois? Et cependant de quel sourire joyeux, de quelle main blanche avidement tendue vers nos indignes presents elles accueillent les fantomes de fleurs, celles qui portent, en elles aussi, l'espoir meurtri des nouveaux immortels! C'est une grande pitie qui s'echange entre ces exilees de l'azur. Les fleurs semblent tendre leurs levres vers celles des femmes comme pour y chercher un peu des tiedeurs obstinees du sang qui les empourpre. Et la bouche des femmes se penche volontiers vers celle des fleurs pour y boire un peu des fraicheurs humides et parfumees qu'ont gardees leur corolle. * * * * * Quand donc reverrons-nous ensemble, mignonne, les coins de bois que les matins ensoleilles emplissent d'une vapeur doree, d'une poussiere de clarte rose roulee par les brises a l'horizon? Il advint plus d'une fois quand, deja lasse de notre course aurorale, vous vous etiez assise sur un banc, que je me pris a contempler votre tete brune se detachant sur ce fond d'apotheose, comme les figures des vierges sur le fond des vitraux et des missels. Vous etiez toute nimbee comme une sainte, vous qui ne savez de litanies que celles des baisers et dont le mysticisme tout sensuel n'a pas les ambitions de celui de sainte Therese, l'amante, attardee d'un Dieu. Oui, ma chere, cette aureole vous seyait a ravir et tous nos paganismes ressuscites s'agenouillaient devant vous. Car vous etiez la comme une deesse d'un temple plein d'encens vagues et de musiques mysterieuses. Tout chantait autour de vous l'hymne de votre Beaute sacree, l'orgueil de votre chevelure ou les souffles mettaient de longs frissons d'azur sombre, l'eclat de votre front radieux de ces triomphes intimes, la cruaute charmante de vos yeux et les dedains exquis de votre bouche, tout ce qui vous fait redoutable et adoree. J'imagine que ma pensee s'imposait a la votre et que vous vous preniez volontiers au serieux, sans en rien dire, dans le role d'idole qui vous va si bien. Car vous aviez le bon gout de ne pas interrompre mes extases delicieuses et vous sembliez respirer, avec une joie recueillie, l'ame de mes adorations melees a l'adoration des choses. Celle des fleurs vous flattait un peu plus que la mienne. Voila tout. Et, comme vous etes une personne bien decidee a n'etre ingrate qu'avec moi, vous rendiez aux fleurs hommage pour hommage, les admirant avec des tendresses enfantines, et refusant de les cueillir de peur de leur faire du mal. Ce que les femmes ont de pitie pour les roses des haies! Au fait, toute la pitie qu'elles n'ont pas pour nous! * * * * * Leurs bons mouvements ne sont pas d'ailleurs eternels. Apres m'avoir dit de bien justes et bien eloquentes choses, d'une voix ou tintait l'echo de vos larmes de petite fille, sur l'iniquite profonde qu'il y avait a deparer ces pauvres eglantines de leurs branches maternelles, a trancher mechamment leur belle tige verte, a les arracher a la grande vie libre pour les emprisonner au bord d'un vase, vous reveniez toujours, je ne sais comment, avec des bouquets dans les mains; a moins que vous ne me les fissiez porter, quand il y avait beaucoup d'epines. Vous preniez meme un grand plaisir a me voir piquer les doigts, excellente creature que vous etes! Et moi, je vous avoue que ce martyre me donnait beaucoup de petites joies ameres. Lequel est le plus fort et le plus vif, le besoin qu'ont les femmes de nous torturer et le bonheur que nous avons a etre tortures par elles? Le metier de victimes a toujours eu du bon, meme dans l'antiquite, ou l'on ne manquait jamais de les combler de provenances culinaires et de les couronner de fleurs avant de les coucher, pantelants, sous le couteau de sacrifice. Je vous rends cette justice, mon amie, de n'etre jamais allee avec vous jusqu'a cet exces de familiarite. Il est vrai que vous n'avez jamais non plus pris la peine d'essayer des guirlandes de roses sur le marbre de mon front. Vous la gardiez pour vous et me jetiez meme un mauvais regard quand je les reniflais de trop pres, comme si mon nez allait boire tout leur parfum. Vous me rendrez cette justice que je n'ai pas ete jaloux de toutes les preferences pour de simples vegetaux champetres tres incapables cependant de composer pour vous un sonnet aussi congrument rime que les miens. J'ai ete meme jusqu'a celebrer ces plantes, en vers de huit pieds, pour vous etre agreable. Ah! que vous etiez jolie, revenant du bois sous le grand fremissement des feuillages, fuyant la caresse deja brulante du soleil, une gerbe fleurie dans les bras, poursuivis par les bourdons qu'attirait l'odeur de votre butin ou se melait le parfum vivant de votre haleine! * * * * * Vous avez eu beau acheter, dans les jardins ambulants que de faux campagnards promenent devant eux dans les rues, toute la flore de cette triste saison, les renoncules rouges pareilles a de larges taches de sang, les anemones etoilees qui semblent de petits astres en train de s'eteindre, les mimosas mediterraneens qu'on prendrait pour des constellations que le vent a jetees a terre; en vain, vous disposez artistement tout cela au faite de porcelaines japonaises, attendant, patiente, que les tiedeurs de votre chambre le fasse epanouir; il est temps, n'est-ce pas, que le printemps revienne avec l'innombrable epanouissement des aromes et des couleurs. Nous reprendrons le chemin des grandes allees que bordent les mousses emaillees de marguerites blanches. Tout nous sera souvenir dans ces promenades perdues ou je retrouverai ma route a la clarte d'un regard ou d'un sourire qui m'a fait immortellement sacree quelque place que je reconnaitrai toujours. Ce sera pour mon ame comme une fete Dieu, ou j'irai de reposoir en reposoir, dans le balancement des encensoirs que les branches de lilas agitent, sous le rayonnement de vos yeux et de votre front plus blanc que la plus blanche hostie; oui, une fete Dieu toute ensoleillee et toute pleine de muets hosannas. Les chardonnerets a la tete rouge courront devant nous sur le sable comme des enfants de choeur avec une petite musique effarouchee. Oh! vienne! vienne le printemps! En attendant, roses et bleues, violettes et mauves, les jacinthes ouvrent, seules, leur coeur dechiquete, leur coeur de marbre vivant, tendre et veine comme une chair delicate. [Illustration] [Illustration] PREMIER SOLEIL Un matin indecis avec des vapeurs legeres, des brises d'argent qu'aucun souffle ne balaye; le jour grandissant dans un air tranquille; une aurore sans flamme et lentement montee d'un horizon sans pourpre. L'homme demeure indifferent a ce spectacle sans incidents; mais, possedant un sens plus subtil des choses, les oiseaux sont comme vibrants et, mus par une surprise pleine de joie, se poursuivent a travers les arbres depouilles et piaillent le reveil encore obscur des heures amoureuses. Les pigeons roucoulent sur les toits avec cette marche scandee par les oscillations du cou que rythme la musique interieure du desir. Cependant midi s'avance derriere une avant-garde de lumiere. Le ciel s'est eclairci et son azur aux paleurs lointaines est comme celui d'un grand lac sur lequel navigue superbement le vaisseau d'or vivant du soleil. Une tiedeur oubliee emplit l'atmosphere. L'illusion du printemps a venir passe dans la nature et une joie triomphante de tous les etres salue ce retour des journees etincelantes dans la gloire des renouveaux. Avant les fleurs dont les tiges sont encore sans feuilles, les ames s'ouvrent a des brises mysterieuses ou flottent, pour ce reve, de vagues parfums. On dirait que l'astre d'ou descend la vie s'attarde sur le chemin longtemps delaisse et s'assied, comme un voyageur las de sa course, aux portes roses de l'occident. Pour lui aussi, c'est une fete, et ce Dieu bien-faisant qu'ont adore tous les peuples sages se complait dans son temple rouvert et dans cette fumee bleue d'encens. Le soir vient enfin, mais un soir tout different de celui de veille, un soir tout impregne de la chaleur de cette premiere journee, un soir dont les etoiles scintillent, non plus comme des fleches de givre piquees dans le firmament, mais comme de petites roses de feu s'epanouissant dans un grand jardin d'ombre. * * * * * Mignonne, voici le printemps, --Aimons-nous bien au temps des roses.-- L'azur, dans les cieux eclatants. Rouvre ses portes longtemps closes, D'ou la lumiere, en flots vainqueurs, Descend jusqu'au fond de nos coeurs. --Aimer! chanter!--les douces choses! Les taillis sont pleins de chansons; --Aimons-nous bien au temps des roses;-- Et l'ombre met de doux frissons Au coeur tremblant des fleurs ecloses. Sur nos fronts l'aile du matin Fait passer un souffle incertain. --Aimer! rever!--les douces choses! Nos reves sont vite lasses. --Aimons-nous bien au temps des roses.-- Les beaux jours sont vite passes; Le coeur a ses metamorphoses, Mois le temps n'y saurait ternir La floraison du souvenir. --Aimer! souffrir!--les douces choses! * * * * * O reveil d'un printemps que consacrent deux annees de souvenirs! Un soleil se leve aussi dans notre coeur, et le grand bois nous rappelle, le grand bois tant de fois parcouru dans les lumieres, dans l'odeur rajeunissante des seves, dans les joies fraternelles de tout ce qui aime. Tu remettras bientot tes toilettes claires ou se moule, dans une intimite plus tentante, la grace de ton corps, qu'on dirait illuminee, comme des lampes d'albatre, par la clarte interieure que tes formes portent en elles. Car, pour moi, toute flamme vient de ta beaute. Reprenons les chemins ou les premiers baisers ont fleuri sur nos levres, les baisers furtifs et delicieux ou s'exhale l'espoir tremblant des tendresses innocentes encore. Qui dira les douceurs chastes de cette souffrance? Elle occupa tout le premier printemps que nous passames ensemble. Le suivant fut fait de caresses heureuses, d'amours largement epanouies. Celui qui vient nous donnera plus de joies encore, le temps ayant fait plus profondes les attirances qui sont devenues notre vie. Viens par les allees dont aucun feuillage ne festonne d'ombre les sables lumineux. Je te montrerai cependant des bourgeons poussant, le long des branches, leurs petites tetes d'emeraude. Ce sont nos espoirs vivants. Tes yeux cherchent deja des fleurs dans l'etendue et ma main se tend pour les cueillir. Quel bonheur de piquer la premiere rose a ton corsage! Mais les roses ne sont pas encore ouvertes. Il a suffi de la vision du soleil dans le grand bois pour evoquer cette floraison menteuse dans mon cerveau avide de vous donner des joies. Mon coeur est comme un jardin d'hiver ou toute saison est fleurie. Je voudrais qu'il s'epuisat sous ta main et que ma derniere pensee vint remplacer a ton corsage la rose que je t'ai promise et qui n'est meme pas encore en bouton. [Illustration] TABLE DES MATIERES L'HYMNE DES BRUNES I.--CONTES DE PRINTEMPS La premiere du printemps Mimosas Le buis Prose de Paques Au salon Tulipes Poeme de mai Choses vecues II.--CONTES D'ETE Fete des Fleurs En messidor Bateaux rouges Au pays des reves Nuits blanches Paraphrase Matutina III.--CONTES D'AUTOMNE Dans les jardins Super flumina Derniers violettes L'age d'or Choses d'amour IV.--CONTES D'HIVER Premiere neige. Carnaval amoureux Brouillards Taiaut Amorosa Mensonges Entre terre et ciel Jacinthes Premier soleil End of the Project Gutenberg EBook of Contes a la brune, by Armand Silvestre *** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK CONTES A LA BRUNE *** ***** This file should be named 12331.txt or 12331.zip ***** This and all associated files of various formats will be found in: https://www.gutenberg.org/1/2/3/3/12331/ Produced by Tonya Allen and PG Distributed Proofreaders. This file was produced from images generously made available by the Bibliotheque nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr. Updated editions will replace the previous one--the old editions will be renamed. Creating the works from public domain print editions means that no one owns a United States copyright in these works, so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United States without permission and without paying copyright royalties. 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Redistribution is subject to the trademark license, especially commercial redistribution. *** START: FULL LICENSE *** THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free distribution of electronic works, by using or distributing this work (or any other work associated in any way with the phrase "Project Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project Gutenberg-tm License (available with this file or online at https://gutenberg.org/license). Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm electronic works 1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to and accept all the terms of this license and intellectual property (trademark/copyright) agreement. 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