Project Gutenberg's Cent-vingt jours de service actif, by Charles R. Daoust This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org Title: Cent-vingt jours de service actif Author: Charles R. Daoust Release Date: September 30, 2004 [EBook #13557] Language: French Character set encoding: ASCII *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK CENT-VINGT JOURS DE SERVICE ACTIF *** Produced by Renald Levesque from documents made available by the BNQ (Bibliotheque Nationald du Quebec) [Illustration 003.png LE DRAPEAU DU 65eme, PRESENTE PAR LES DAMES DE MONTREAL, DANS L'EGLISE DU GESU, LE JOUR DE PAQUES 1886.] CHARLES R. DAOUST. CENT-VINGT JOURS DE SERVICE ACTIF RECIT HISTORIQUE TRES COMPLET DE LA CAMPAGNE DU 65eme AU NORD-QUEST AVEC DE NOMBREUSES ILLUSTRATIONS MONTREAL-1886 TABLE DES MATIERES. Avis au lecteur. Preface. Tableau chronologique. PREMIERE PARTIE. LA MARCHE. Chapitre I.--De Montreal a Calgarry. Chapitre II.--Sejour a Calgarry. Chapitre III.--Le Bataillon Droit.--De Calgarry a Edmonton. Chapitre IV.--Le Bataillon Gauche.--De Calgarry a Edmonton. DEUXIEME PARTIE. LE BATAILLON DROIT. Chapitre I.--D'Edmonton a Victoria. Chapitre II.--De Victoria a Fort Pitt. Chapitre III.--Fort Pitt et la Butte-aux-Francais. Chapitre IV.--A la poursuite de Gros-Ours. Chapitre V.--Lemay et Marcotte. TROISIEME PARTIE. LE BATAILLON GAUCHE. Chapitre I--Port Ostell. Chapitre II.--Fort Edmonton. Chapitre III.--Fort Saskatchewan. Chapitre IV.--Fort Ethier. Chapitre V.--Fort Normandeau. QUATRIEME PARTIE. LE RETOUR. Chapitre I.--De Fort Ostell a Fort Pitt. Chapitre II.--De Fort Pitt a Montreal. Notes. AU LECTEUR. En presentant ce livre au public, l'auteur remplit un devoir. Pendant quatre longs mois tout un peuple a eu les yeux fixes sur les vastes territoires du Nord-Ouest, pendant quatre longs mois des centaines de familles canadiennes ont vecu dans l'anxiete la plus cruelle; pendant ce temps-la, des centaines de jeunes Canadiens bravaient toutes les miseres, toutes les fatigues, la mort meme, pour retablir la paix et supprimer la revolte. Et personne ne racontera leurs souffrances! personne ne redira leurs miseres! Laisser passer cette page d'histoire canadienne sans la graver dans nos annales serait une negligence impardonnable, presqu'un crime. Voila la mission! voila le devoir! Quelqu'inexperimente que fut l'auteur, il n'a pas recule devant la grandeur de la tache imposee. Il confesse son incapacite et prie le lecteur de prendre en consideration sa jeunesse et sa bonne volonte et de lui pardonner les mille imperfections de son oeuvre. Lachine 1886. CHARLES R. DAOUST. PREFACE. Est-il reellement necessaire de faire une preface a cet ouvrage? Telle est la question que je me suis posee et qu'apres mure reflexion j'ai resolue dans l'affirmative. Il faut une preface, quand ca ne serait que pour expliquer au lecteur le plan sur lequel le livre a ete ecrit et en donner la raison. Avant d'entrer en matiere, il est de mon devoir de prevenir le public que ce livre n'a aucun but politique. J'ai voulu m'elever au-dessus de toute discussion de parti et presenter cet ouvrage qui n'aura d'autre merite que sa valeur historique. Si, de l'avis de tous ceux qui ont pris part a la campagne de 1885, j'ai fait un recit fidele de tous les evenements qui ont accompagne le passage du 65eme dans le Nord-Onest, mon but aura ete atteint. Pour rendre le recit plus clair et le mettre a la portee de tous, j'ai divise l'ouvrage en quatre parties distinctes: 1 deg. La Marche; 2 deg. Le Bataillon droit; 3 deg. Le Bataillon gauche et 4 deg. le Retour. La premiere partie est le recit des incidents qui ont marque le depart du 65eme de Montreal et les details de sa marche jusqu'a Edmonton. Cette partie est subdivisee en quatre chapitres: 1 deg. De Montreal a Calgarry; 2 deg. Sejour a Calgarry; 3 deg. Le Bataillon droit de Calgarry a Edmonton et 4 deg. Le Bataillon gauche de Calgarry a Edmonton. Dans le compte rendu de ces trente-cinq premiers jours de la campagne ainsi que dans tout le reste de cet ouvrage, je me suis borne a raconter les faits sans m'attacher beaucoup a la forme de style sous laquelle je les ai presentes. La deuxieme partie est divisee en cinq chapitres: 1 deg. D'Edmonton a Victoria; 2 deg. De Victoria a Fort Pitt; 3 deg. Fort Pitt et la Butte-aux-Francais; 4 deg. A la poursuite de Gros-Ours et 5 deg. Lemay et Marcotte. La troisieme partie, qui est le recit de la vie de garnison des differentes compagnies du bataillon gauche est naturellement subdivisee en autant de chapitres qu'il y avait de forts: 1 deg. Fort Ostell; 2 deg. Fort Edmonton; 8 deg. Fort Saskatchewan; 4 deg. Fort Ethier et 5 deg. Fort Normandeau. La quatrieme partie est "Le Retour." Elle n'est subdivisee qu'en deux chapitres: 1 deg. De Fort Ostell a Fort Pitt et 2 deg. De Fort Pitt a Montreal. Comme on peut le voir le plan est des plus simples et la division de l'ouvrage est des plus claires. Ce n'est cependant pas sans beaucoup de travail que j'ai pu arriver a un resultat aussi satisfaisant. Separe du gros du bataillon et relegue avec ma compagnie a soixante-dix milles au sud d'Edmonton, je n'ai pu me procurer le recit complet; de la campagne qu'en compilant les notes des officiers en charge des autres detachements du bataillon. Je saisis l'occasion pour remercier chacun des officiers qui m'ont assiste de leur concours. Leur temoignage, corrobore par les soldats sous leurs ordres, est de la plus grande valeur au point de vue de la veracite du recit et son authenticite est au dessus de tout doute. Il est tres possible que certains faits de peu d'importance aient pu etre oublies, mais l'histoire generale est complete. Pour rendre le recit plus interessant, j'ai fait inserer les vignettes des principaux officiers qui ont pris part a la campagne ainsi que les forts ou le bataillon a passe. Les photographies ont ete faites avec soin par les premiers artistes de cette ville, entr'autres M. L. Gr. H. Archambault, dont la reputation est etablie. Les vignettes sont dues a MM. Cassan et Babineau et ont ete faites avec autant de soin que possible. En un mot, je n'ai rien neglige pour faire de cet ouvrage une oeuvre parfaite sous tous les rapports et le lecteur, prenant en consideration mon trouble et ma bonne volonte, me pardonnera, je l'espere, les quelques erreurs de style qui, a cause de mon inexperience, ont pu se glisser dans ces pages. Montreal, 1886. CHARLES R. DAOUST, Sergent, Compagnie No. 1, 65eme Bataillon. TABLEAU CHRONOLOGIQUE DES EVENEMENTS DE L'EXPEDITION DU 65eme AU NORD-OUEST Mars 28.--Appel du 65eme en service actif. Avril 2.--Depart du bataillon de Montreal. Avril 3.--Passage a Mattawa. Avril 4.--Arrivee a Dalton.--Voyage en traineaux. Avril 5.--Arrivee au Lac-au-Chien.--Nuit en chars a boeufs. Avril 6.--Marche sur le lac Superieur.--Arrivee a Jackfish Bay. Avril 7.--Sejour a Jackfish Bay. Avril 8.--Arrivee a Red Rock.--On remonte a bord de bons chars. Avril 9.--Passage a Port Arthur. Avril 10.--A Winnipeg. Avril 11.--Passage a Regina. Avril 12.--Arrivee a Calgarry. Avril 13.--Alerte au camp. Lt. Starnes prend le commandement des avant-postes. Avril 14.--Tempete de neige appelee _Chinouck_--On se retire dans les casernes. Avril 15 et 16.--Dans les casernes. Avril 17.--Retour aux tentes.--Arrivee de l'Infanterie Legere a Calgarry. Avril 18.--Grande fete au village. Avril 19.--Premiere messe du bataillon a la mission. Avril 20.--Depart du bataillon droit pour Edmonton. Avril 21.--Arrivee a Calgarry d'un canon du Port McLeod, Avril 23.--Depart du bataillon gauche pour Edmonton.--Le Major Dugas fait ses adieux au bataillon. Avril 24.--Passage du bataillon gauche a l'Anse McPherson. Avril 25.--Arrivee du bataillon droit a la Traverse du Chevreuil Bouge. Avril 26.--Le bataillon droit traverse la riviere du Chevreuil Bouge. Avril 27.--Passage du bataillon droit a la riviere de l'Aveugle. Avril 28.--Arrivee du bataillon gauche a la Traverse du Chevreuil Rouge. Avril 29.--Passage du bataillon droit a la Ferme du Gouvernement. Avril 30.--La compagnie No. 8 est laissee a la Traverse du Chevreuil sous le commandement du Lieut. Normandeau. Mai l.--Depart du bataillon gauche de la riviere du Chevreuil Rouge.--Arrivee du bataillon droit a Edmonton. Mai 2.--Passage du bataillon gauche a la Riviere Bataille.--Depart de la compagnie No. 7 pour le Fort Saskatchewan sous le commandement du Capitaine Doherty. Mai 3.--Le bataillon gauche a la Ferme du Gouvernement. Mai 4.--La balance du No. 8 et des soldats des compagnies Nos 1, 3 et 4 sont laisses a la ferme du Gouvernement sous le commandement du Lieutenant Villeneuve. Mai 5.--Arrivee du bataillon gauche a Edmonton.--Depart des compagnies Nos 5 et 6 pour Victoria.--Le Capt. Ethier retourne a la Ferme du Gouvernement. Mai 6.--L'aile gauche du bataillon droit (les compagnies Nos 5 et 6) passe au Fort Saskatchewan. Mai 7.--Depart de l'aile droite du bataillon droit (les compagnies Nos 3, 4 et l'etat major du 65eme) pour Victoria--L'aile gauche traverse la riviere Eturgeon.--Depart de la compagnie No. 1 pour la Riviere Bataille. Mai 8.--L'aile gauche du bataillon droit arrive a la Riviere Vermillon. Mai 9.--Reunion des deux ailes du bataillon droit. Mai 10.--Arrivee de la compagnie No. 1 a la Riviere Bataille--L'Infanterie Legere de Winnipeg arrive a, Edmonton--Le bataillon droit traverse la Riviere Vermillon. Mai 11.--Arrivee du bataillon droit a Victoria. Mai 12.--Passage au Lieutenant-Colonel Ouimet a la Riviere Bataille. Mai 13.--Sejour du bataillon droit a la riviere Vermillon. Mai 14.--Passage du Lieutenant-Colonel Ouimet a la Ferme du Gouvernement. Mai 16.--Arrivee du General Strange a Victoria, escorte de 190 hommes de l'Infanterie Legere de Winnipeg. Mai 20--Depart de la colonne d'Alberta de Victoria. Mai 21.--L'aile droite du 65eme en bateaux sur la Saskatchewan. Mai 22.--Nuit passee a St. Paul.--Alerte au camp. Mai 23.--Traverse de l'Anse de la cote du Renne par la colonne Strange. Mai 24.--Traverse de l'Anse du Lac aux Grenouilles par le bataillon droit du 65eme. Mai 25.--Le 65eme eleve une croix a la memoire des martyrs du Lac aux Grenouilles.--Arrivee de la colonne Strange a Fort Pitt. Mai 26.--Enterrement du jeune Cowan. Mai 27.--Premiere rencontre du 65eme avec Gros-Ours. Mai 28.--Bataille de la Butte-aux-Francais. Mai 30.--Depart de la colonne Strange de Port Pitt pour la Riviere a l'Oignon,--La compagnie No. 6 reste au Fort Pitt. Mai 31.--Le Major Perry rejoint la colonne Strange. Juin 1.--Des prisonniers de Gros-Ours arrivent au camp du General. Juin 2.--Arrivee du General Middleton a bord du vapeur North-West. Juin 3.--Les commissaires Royaux arrivent a Edmonton. Juin 4.--Visite de Mgr Grandin a la Riviere Bataille. Juin 5.--Une compagnie de l'Infanterie Legere de Winnipeg rejoint la colonne Strange. Juin 6.--Passage de la colonne au Lac aux Grenouilles. Juin 8.--Le bataillon droit a Bear's Run. Juin 9.--Le R. P. Legoff visite le Major Hugues. Juin 10.--Les RR. PP. Legoff et Prevost sont delegues aupres des Montagnais. Juin 11.--Le Capt. Giroux arrive a Bear's Run avec sa compagnie. Juin 12.--Les Montagnais se soumettent. Juin 17.--Le Capt. Giroux part pour Montreal. Juin 23.--Le bataillon droit recoit l'ordre du depart pour Montreal. Juin 24.--Depart du bataillon droit de Bear's Run. Juin 28.--Le bataillon gauche recoit l'ordre de se mettre en marche pour Fort Pitt. Juin 27.--Depart de la compagnie No. 1 de la Riviere Bataille.--La compagnie No. 8 quitte la Traverse du Chevreuil et le Fort Ethier.--Le bataillon droit arrive a Port Pitt a bord du North-West. Juin 28.--La garnison du Fort Ethier et celle du fort Saskatchewan arrivent a Edmonton. Juin 29.--Les detachements du Fort Normandeau et du Fort Ostell arrivant a Edmonton. Juin 30.--Depart du bataillon gauche a bord de la "_Baroness_." Juillet 2.--Le 65eme reuni a Fort Pitt. Juillet 3.--Mort du Lieutenant-Colonel Williams des Midlands et du. Sergent Valiquette du 65eme. Juillet 5.--Arrivee a Battleford.--Funerailles du Lieutenant-Colonel Williams et du Sergent Valiquette. Juillet 7.--Passage des bateaux a l'Anse du Telegraphe. Juillet 8.--A Prince Albert.--Visite a la prison de Gros-Ours. Juillet 9.--Traversee dea Rapides. Juillet 10.--Passage au Fort a la Corne. Juillet 11.--Marche de cinq milles le long des Grands Rapides. Juillet 12.--A bord de la barge "Red River."--Messe basse a bord. (C'etait la seconde a laquelle assistait le bataillon depuis son depart de Montreal.) Juillet 13.--Depart des bateaux et commencement de la traversee du Lac Winnipeg. Juillet 18.--Arrivee a Selkirk.--Le bataillon monte a bord des chars.--Depart. Juillet 16.--Passage a Port Arthur. Juillet 17.--Red Rock. Juillet 18.--Jackfish Bay. Juillet 19.--Passage a North Bay et Mattawa. Juillet 20.--Arrivee du bataillon a Montreal. [Illustration: LT. COL. OUIMET] PREMIERE PARTIE. LA MARCHE. CHAPITRE I. DE MONTREAL A CALGARRY. La neige tombait en gros flocons... le ciel semblait vouloir couvrir d'un epais linceul bien des douleurs et bien des larmes! C'etait le jour du depart. Apres avoir parade a travers les rues de la metropole, le bataillon arriva en bon ordre a la gare du Pacifique. Une foule innombrable d'amis et de parents remplissait tous les alentours de la gare. Le moment des adieux etait arrive. Quel spectacle! Ici, un vieillard, aux cheveux blancs, donne a son fils sa derniere benediction dans un baiser, et une larme perle a sa paupiere en lui donnant la derniere poignee de main; la mere, trop faible pour assister a cette scene etait restee a la maison. La, une femme s'evanouit. C'est une malheureuse epouse, qui, comptant trop sur son courage, a voulu accompagner son mari jusqu'au dernier moment. D'autres, plus stoiques, donnent a leur mari le dernier baiser, et plongees dans un desespoir muet, regardent immobiles, les yeux secs, leur epoux monter a bord des chars. Sur les degres d'un waggon, un ami donne une derniere poignee de main a son compagnon de college en lui souhaitant, de nombreuses couronnes de lauriers a son retour. Et dans l'arriere-plan, la foule repandue un peu partout, grimpee sur les toits, massee sur le parapet, acclame les jeunes soldats et les salue de cris enthousiastes. Enfin tout le monde est a bord. Apres quelques minutes d'attente, le sifflet crie et le train se met en marche. Malgre la tristesse de la separation et l'incertitude de l'avenir, quelques soldats faisant contre mauvaise fortune bon coeur, se mettent a chanter les gais refrains de chansons canadiennes. Bientot la gaiete devient, generale. A peine sortis de la ville, MM. Davis et Portier nous distribuent des cigares, et en quelques instants, n'eut-ce ete l'uniforme, on aurait pu nous prendre pour des touristes en voyage. Dans la veillee, le Lt-Col. Ouimet passe de char en char et presente au bataillon son aumonier le R. P. Provost et son nouveau chirurgien, le Dr. Pare. Partout ils sont accueillis par des cris de joie. Vers deux heures et demie du matin, l'on arriva a Carleton Place. Le train arreta et tout le bataillon alla reveillonner a l'hotel voisin de la gare. Le repas fut des mieux servis et tres goute des soldats qui devoraient les servantes des yeux tout en mangeant a pleine bouche; le ventre et le coeur s'emplissaient a la fois, celui-la de mets et celui-ci D'esperances. [Illustration: REVD. PERE PROVOST, O.M.I.] Plusieurs profiterent de cet arret pour ecrire des lettres a l'adresse de leurs parents et de leurs amis. Une demi-heure plus tard le train se remit en marche. Apres quelques minutes de divertissement, les soldats se mirent au lit et tout rentra dans le silence. Vers les neuf heures, le reveil sonna. A dix heures et demie, l'on passa a Pembrooke. Des soldats du 42e vinrent nous rendre visite et nous firent plusieurs dons de tabac, etc. En cet endroit le colonel recut une lettre de Sa Grandeur Mgr Lorrain, vicaire apostolique de Pontiac. Le saint eveque nous souhaitait beaucoup de succes dans notre entreprise et terminait par ces paroles: "N. Z. Lorrain, ancien volontaire de l'armee des hommes maintenant officier dans la paisible armee du Seigneur." A une heure de l'apres-midi, nous descendions a Mattawa, L'appetit avait eu tout le temps de se faire ressentir chez les soldats, et ce fut avec joie qu'on se hata de descendre des chars pour aller diner. Mais bernique! plusieurs furent desappointes; malgre que ce fut le Vendredi Saint et qu'il y eut de la viande, le repas fut court; chacun se contenta de devorer en imagination les mets qu'il s'etait promis de manger. Ici, l'on se procura des bas, etc., crainte d'en manquer plus tard; car plus on avancait, plus le froid augmentait. Le train continua sans arret jusqu'a Scully's Junction, ou l'on devait avoir a souper; mais par malheur on n'avait pas ete averti a temps et l'on n'avait que des cigares pour les officiers. Vers trois heures du matin, samedi, le train arreta. Tout le monde fut bientot sur pied et le nom harmonieux de Biscotasing sonna comme une trompette aux oreilles a moitie ouvertes des volontaires affames par le fameux repas de Mattawa. Si le nom fit une mauvaise impression sur l'esprit deja prejuge des soldats, l'apparition de grands vaisseaux remplis de pruneaux confits, de feves roties, etc., leur remit le moral en ordre. Apres un bon repas dont chacun se declara satisfait, l'on continua. La journee parut longue. Quelques-uns passerent le temps a confesse ou ailleurs, chacun suivant ses gouts. On arreta quelques minutes a Nemagosenda, puis le train se remit en marche et arriva a Dalton a neuf heures et demie le soir. L'on s'attendait a descendre des chars en cet endroit, mais le chemin de fer avait ete continue avec beaucoup de vitesse depuis deux jours et l'on se rendit jusqu'a Algoma, ou l'on arriva vers les dix heures. Ici, un spectacle des plus gais s'offre a nos yeux. Des feux de bois d'epinette ont ete prepares d'avance et eclairent notre route jusqu'a une certaine distance. Tous descendent des chars avec joie, car la monotonie du voyage commencait a ennuyer les esprits des soldats. Que de fois ne regretta-t-on pas plus tard les bons chars qui nous avaient portes pendant deux jours et deux nuits a travers un pays civilise! En voyant les traineaux en attente les soldats poussent des cris de joie, on veut changer de transport a tout prix et la nuit parait si belle que tous ont hate de s'enfoncer dans les profondeurs mysterieuses des bois que les feux de joie leur font apercevoir dans le lointain. L'on part en chantant et bientot les echos de la foret, repetent les gais refrains des chansons canadiennes. La nouveaute des paysages et le violent contraste des grands bois silencieux avec le va-et-vient et le vacarme des villes excitent l'imagination des esprits les moins poetiques. Il etait curieux de voir les charretiers s'enfoncer sans hesiter a travers ces arbres touffus, dans des bois ou le chemin etait disparu, enfoui sous la neige, et ou les moins braves voyaient surgir de temps a autres d'enormes tetes de Sauvages indomptes. Vers minuit le silence commence a regner parmi les promeneurs deja fatigues de la marche et c'est avec une satisfaction prononcee qu'on arrive a "l'hotel de la Foret" vers une heure du matin. Ici on nous sert a manger, mais les hommes encore peu habitues a la nourriture qui fut distribuee, preferent s'en passer et choisissent leurs places autour d'un feu de camp. Apres une heure de halte au camp, on remonte en "sleighs" et la marche se continue a travers les bois. A neuf heures du matin, le jour de Paques, on atteignit la fin de notre penible voyage en traineaux. Deux tentes furent levees a la hate en cet endroit appele vulgairement "Lac aux Chiens." Ici, un accident des plus deplorables arriva a un des hommes de la compagnie No. 2, nomme Boucher. Cet individu, fatigue sans doute par la longueur et les miseres de la route et decourage de la vie militaire, se jeta sur le chemin de fer au moment ou notre train reculait, mais perdant tout a coup courage devant la mort cruelle qu'il s'etait choisie, il essaya au dernier moment de se sauver. Il etait trop tard. Les roues lui passerent sur le pied et le blesserent douloureusement. Il fut immediatement transporte sous la grande tente sur l'ordre du chirurgien Simard en attendant l'arrivee du chirurgien major. Cet accident, bien qu'il fut l'acte d'un insense, jeta la consternation parmi le camp. C'etait; le premier accident serieux qui arrivait a un membre du bataillon, et sa nature etait loin de compenser la peine que son etat de priorite lui donnait. Toute la journee se passa a attendre le colonel qui s'etait attarde a Algoma, et la marche forcee qu'on avait faite pendant la nuit devint inutile. Enfin, vers quatre heures de l'apres-midi, on nous servit nos rations, puis on nous fit monter dans de mauvais chars plates-formes dont quelques-uns meme etaient decouverts. On s'installa du mieux que l'on put le long des bancs de bois brut en attendant l'heure du coucher. On nous distribua des couvertes de laine; chaque homme en avait une. Elles furent bientot etendues sur le plancher du char et les soldats se placerent comme ils purent sous les bancs. On nous donna en meme temps des tuques en laine; il etait temps! car notre figure etait des plus comiques avec nos petits kepis sur le coin, de l'oreille. Tout alla assez bien pendant une demi-heure mais bientot la fraicheur des glacons transperce les couvertes et le sommeil devient impossible. Plusieurs, Pour ne pas dire tous, se levent et passent le reste de la nuit, colles les uns contre les autres le long des bancs. La nuit etait des plus froides et le vent qui s'engouffrait par les fentes du char rendait la situation des soldats intolerable. Avec quelle anxiete chacun attendait en silence le premier village ou l'on pourrait enfin descendre! Enfin a six heures du matin le train arreta a la Baie du Heron, En moins de cinq minutes tout le bataillon etait descendu en ligne. Pour la premiere fois une pauvre ration de rhum fut donnee a chaque homme, et sans rien exagerer, elle avait ete richement gagnee. Bientot apres on nous servit a dejeuner dans les chantiers du Pacifique. Certains journaux anglais, entr'autres le News de Toronto, ont rapporte qu'en cet endroit les soldats avaient devalise les magasins de la compagnie et bien d'autres histoires toutes aussi mensongeres et infames les unes que les autres. C'est ici l'endroit de refuter ces sots rapports et de leur donner un dementi formel. Jamais un regiment dans de pareilles circonstances ne s'est aussi bien comporte et c'est meme etonnant qu'aucun des mauvais rapports qui ont ete faits n'ait le moindre fondement de verite. Apres un copieux dejeuner, le bataillon remonta a bord et l'on continua dans les memes chars jusqu'a Port Munroe, ou l'on arriva vers neuf heures de l'avant midi. Ici, on laissa les chars et la marche a pied commenca. Chaque soldat portait sur lui, outre sa carabine et ses munitions, toutes les parties de son accoutrement, havresac et autres. Apres une aussi mauvaise nuit, la marche le long de la rive nord du Lac Superieur, vingt-cinq milles, faite en moins de dix heures, tient du prodige. Peu d'hommes, meme de vieux militaires auraient pu resister aussi bravement a une aussi forte etape, et chose plus etonnante encore, pas un seul homme ne fut malade. Une seule halte fut faite pendant la marche, a Little Peak, ou l'on fit une distribution de rations, fromage et "hard tacks." Si la fatigue fut grande, on eut une faible compensation par le magnifique coup d'oeil presente par le coucher du soleil sur le lac. L'astre du jour tomba comme un immense globe d'or dans le rideau, aux couleurs variees, que lui tendait l'Occident et qui semblait plier sous la masse qui s'y engouffrait; au fur et a mesure que l'astre disparaissait a l'horizon, chaque nuage se nuancait d'une facon grandiose. Que de poetes auraient fait deux fois la meme route pour contempler un pareil spectacle! Vers huit heures du soir tout le bataillon etait remonte dans: de nouveaux chars, pires que ceux qu'on venait de laisser. Ceux-ci n'etaient formes que de plates-formes simples avec une planche chaque cote pour servir de garde-fou. Sur ces planches d'autres plus minces etaient posees aussi pres que possible les unes des autres et servaient de sieges aux soldats fatigues. L'on marcha ainsi tout le reste de la nuit et il etait une heure du matin quand on descendit a Jackfish Syndicate. A peine les soldats etaient-ils descendus des chars que la, pluie commenca a tomber. Malheureusement il n'y avait aucun abri pour recevoir tous les soldats et plusieurs compagnies attendirent au-dela d'une demi-heure exposees a l'intemperie de la saison. Quelques murmures se firent entendre, mais ca ne dura pas longtemps, car comme en bien d'autres circonstances semblables plus tard, le bon esprit des soldats reprit le dessus et bientot des chante joyeux se firent entendre. Quelques-uns, chanterent a contre-coeur, mais tout le monde chanta. A deux heures du matin, apres avoir bien mange, les compagnies 2, 3, 4, 5 et 6 se retirerent dans les hangars de la compagnie du Pacifique, situes aux environs, tandis que les autres, 1, 7 et 8, remonterent en chars et furent conduites au village de Jackfish, ou un grand hangar avait ete prepare pour elles. Un bon feu fut entretenu toute la nuit dans les deux poeles de l'habitation et pour la premiere fois depuis leur depart de Montreal, les volontaires dormirent bien et se reposerent. A dix heures l'on se reveilla et les compagnies qui avaient couche au village retournerent en chars au Syndical pour y prendre le dejeuner. La maison ou se servaient les repas etait encore remplie, les autres compagnies qui avaient couche au Syndicat n'ayant pas encore fini leur dejeuner. La pluie continuait a tomber de plus belle et les soldats furent forces de s'entasser les uns sur les autres dans les hangars. Pendant l'apres-midi, les volontaires se refugierent sous des tentes et l'on s'amusa a chanter pour passer le temps, car la pluie ne cessait pas. Quelques-uns se dirigerent vers une vieille masure dont l'enseigne moins pretentieuse par la forme que par le nom qu'elle portait avait attire leur attention. On vendait de la boisson dans ce chantier, la biere s'y debitait, a 15 contins, et ce qu'on etait convenu d'appeler du "whiskey" a 25 contins le verre. A quatre heures, le repas du soir fut servi a tout le monde, puis chaque compagnie rentra dans ses quartiers. A sept heures, le coucher fut sonne et a huit heures, tout le monde reposait. Des quatre heures, le lendemain matin, les trois compagnies qui avaient passe la nuit au village, se leverent et les chars n'arrivant pas, elles se mirent en marche et traverserent le lac a pied jusqu'au Syndicat. Apres une heure de marche, ces soldats n'eurent pour tout dejeuner qu'une tranche de lard entre deux morceaux de pain. A huit heures a.m. les premiers traineaux, charges de soldats, se mirent en marche et les autres ne tarderent pas a les suivre. Ce nouveau trajet le long du lac Superieur, malgre qu'il se fit en voiture, ne fut guere plus plaisant que le premier. Le froid etait tres-grand et les soldats entasses dans les voitures furent souvent obliges de descendre pour ne pas geler des pieds. Enfin, vers deux heures de l'apres-midi, le premier traineau entra dans une baie profonde dont on ne put connaitre le nom. Apres une halte d'une heure et demie en cet endroit, le bataillon remonta en chars plates-formes et continua jusqu'a McKay Harbour ou il y avait un hopital. Ici, on laissa notre invalide Boucher, en meme temps que l'on prenait a bord le sergent Nelson devenu si fameux depuis l'affaire du "Toronto News." Il fut installe dans notre char, le premier du train, et ne connaissant l'individu que par ce qu'il voulait bien nous dire de lui-meme, chacun l'entoura de soins et le traita avec une hospitalite toute canadienne. Apres que les soldats eussent mange quelques galettes et de la viande, le train se mit en mouvement et continua jusqu'a la fin de la ligne du chemin de fer a Michipicoten. Arrives ici a sept heures et demie, les soldats durent traverser de nouveau a pied une longueur de onze milles sur la Baie du Tonnerre et arriverent a Red Rock a onze heures du soir. Ici des chars a passagers attendaient le regiment, et vers minuit le train partait. Cette journee fut une des plus rudes pour les soldats. De quatre heures du matin a onze heures du soir, on n'avait pas cesse de marcher un seul moment. Quatorze milles a pied, vingt-deux en traineaux et plus de cent milles en mauvais chars decouverts, en tout pres de cent cinquante milles parcourus dans la journee. Vers six heures, jeudi matin, l'on entra dans Port Arthur. Les soldats furent bientot eveilles par les cris de la foule qui les attendait a la gare. Pendant que les compagnies s'eloignaient, chacune de son cote, pour dejeuner dans les differents hotels de la ville, les officiers se rendirent a l'hotel Brunswick. sur l'invitation du maire de la localite. Apres dejeuner, profitant d'un conge de quelques heures, les soldats visiterent les environs de la ville et s'amuserent beaucoup, etant royalement recus partout ou ils allaient. Enfin, l'heure du depart sonna. Les differentes compagnies remonterent chacune dans son char et le train quitta la gare au milieu des acclamations de la foule. De dix heures jusqu'a minuit, la route se continua en chars. Chacun se mit u tuer le temps du mieux qu'il put et n'y reussissait qu'a demi. De minuit a six heures du matin, la route se continua sans incident remarquable. A six heures le reveil sonna, et chacun se mit a nettoyer ses armes et a brosser ses habits pour obeir aux instructions recues. Enfin, quelques minutes avant sept heures, les premieres maisons de Winnipeg parurent dans le lointain et furent saluees par des cris de joie. Bientot le train entra dans la gare. La ville avait revetu sa toilette de fete; les pavillons flottaient partout, et les jeunes filles avaient mis leurs robes des dimanches pour recevoir le bataillon. Parmi la foule qui se pressait dans la gare, on remarqua le juge Dubuc, le Col. Lamontagne, les Messieurs Royal, fils de l'hon. Royal, M. P., et M. Pilet. Le dejeuner fut aussitot servi dans la gare meme et fut aussi vite devore que servi, car tous avaient hate de visiter la reine de l'Ouest. On nous en avait tant raconte sur les merveilles qui ont entoure la naissance de cette fille des Plaines et sur les speculations gigantesques qui s'y etaient faites, que l'empressement des volontaires, a se repandre dans les rues de la ville ne surprendra personne. Avant, de partir cependant, chacun signa la liste de paie pour une semaine. Plusieurs officiers se rendirent a Saint-Boniface et payerent une visite a Sa Grandeur Mgr. Tache ainsi qu'a quelques amis. A midi, le diner fut pris a la gare. Dans l'apres-midi, ayant obtenu un conge de quatre heures, les soldats retournerent a leurs places de predilection, les uns a l'hotel, d'autres chez leurs amis, pendant que quelques-uns allaient chez le photographe se procurer un souvenir qu'on se hata d'expedier a sa famille. A trois heures et demie une patrouille fut organisee et visita tous les quartiers pour en ramener les malades. Heureusement il n'y en avait que deux. Avant le depart, du tabac a fumer fut distribue aux soldats; chacun en recut une livre. Ce don etait du a la generosite de la maison de Geo. E. Tucker & Son. A quatre heures le train partit. Vers une heure du matin l'on arriva a Brandon. Malgre l'heure avancee de la nuit, les dames de la ville nous attendaient avec des provisions de bouche. Les soldats a peine eveilles crurent continuer quelque beau reve en voyant ces jolies jeunes filles et ces bonnes dames leur distribuer a pleines mains des friandises et des bonbons, sans compter les sourires, et les doux regards servis a doubles rations. Tous etaient des plus joyeux excepte le quartier-maitre qui voyait d'un mauvais oeil une concurrence aussi dangereuse. Apres une heure bien passee, le train se remit en marche, emportant avec lui les bons souhaits des habitants de Brandon. Quand les soldats se reveillerent, on arrivait a Broadview. La principale ressource de cette place est le travail fourni aux habitants par les ateliers de la compagnie du Pacifique. On ne la vit qu'en passant. Quelques heures plus tard on arretait a Qu'Appelle, ou etait deja rendue la Batterie B. Qu'Appelle est situee a quelques milles au sud du fort du meme nom. La place presente le plus beau coup-d'oeil possible. Les rues, larges et bien entretenues, se perdent sous les peupliers et s'etendent sur un parcours de plusieurs milles. C'est d'ici que partent les diligences pour Prince-Albert et les villages du nord. Les bureaux d'immigration du gouvernement y sont Situes. Apres quelques minutes de halte, le train partit de nouveau et l'on passa bientot Regina, la capitale de l'Assiniboine. Ses rues qui ont plusieurs milles de longueur sont larges et bien droites. Ici sont les quartiers-generaux de la police a cheval et des bureaux des Sauvages. C'est ici que se trouve le plus grand reservoir de l'Ouest; nous n'y vimes que des Sauvages mal vetus qui nous regarderent passer de loin. On nous avait promis un bon diner en cet endroit, mais on dut le remplacer par une ration de pain et de fromage, en attendant mieux. Une heure plus tard, on arreta a Moosejaw. Deux chefs sauvages vinrent a notre rencontre et echangerent des signes et des protestations d'amitie contre des biscuits et du tabac. Aussitot sortis de la gare, on nous distribua dix rondes de cartouches et l'on nous donna l'ordre de dormir sous les armes. Malgre tant de preparatifs, la nuit se passa sans incident. L'on arriva de bonne heure a Medecine Hat. Le Rev. Pere Lacombe monta a bord du train et passa de char en char, repandant partout la joie et la consolation sur son passage. Ici l'on traversa le plus grand pont du Nord-Ouest, au-dessus de la Saskatchewan. Puis le trajet se continua a travers les prairies. De temps a autre, l'attention des soldats etait attiree par des bandes de chevaux sauvages ou des volees d'outardes et chacun faisait des commentaires a sa facon. Enfin, vers une heure de l'apres-midi, le 12 Avril, l'on entra dans Calgarry, le terme de notre long voyage, apres avoir parcouru au-dela de deux mille cinq cents milles. CHAPITRE II. SEJOUR A CALGARRY. Il etait environ une heure de l'apres-midi, le 12 du mois d'avril, quand le 65e descendit des chars pour s'installer dans Calgarry. Malgre la chaleur qu'il faisait, on nous fit parader en uniforme complet comme pendant la marche sur le lac Superieur. Aussitot le bataillon forme, les compagnies furent separees les unes des autres et conduites aux differents hotels de la ville. La, on nous permit de nous deshabiller, puis apres nous avoir fourni de l'eau, du savon et des peignes, et que nous nous fumes laves et peignes, on nous introduisit dans la salle a manger. Le repas fut bon et nous rappela le dejeuner de Port Arthur. Aussitot le diner pris, le bataillon se rendit par compagnies dans une prairie au sud des casernes de la police a cheval. Les tentes furent bientot fixees et la vie de camp commenca a dater de ce jour. Vers les six heures, on nous ramena au village ou le souper fut servi dans les memes hotels ou l'on avait pris le diner et vers sept heures, tout le monde etait de retour au camp. A 9 heures le repos sonna et bientot tout fut silence dans le camp. Vingt-quatre gardes de nuit furent nommees, mais rien n'attira leur attention d'une maniere particuliere excepte le bruit lointain du "pow-wow" des Sauvages. Le mot de passe ce soir-la etait "Frontenac." Le lendemain a six heures du matin le lever fut sonne. Vers huit heures on alla encore dejeuner au village. A peine de retour on fit l'exercice, puis on commenca les preparatifs pour faire la cuisine au camp. Des feux furent allumes a l'extremite Est du camp et vers une heure la marmite etait suspendue. Le diner ne fut pret que vers trois heures. Aussitot le diner pris, les soldats se retirerent sous leurs tentes et tout etait tranquille quand tout a coup un courrier apporta la nouvelle que des Sauvages s'etaient campes a deux milles du camp du 65eme. Apres la premiere excitation passee, on choisit vingt sentinelles qu'on envoya sur la montagne voisine sous le commandement du lieutenant Starnes et la compagnie No. 1 recut l'ordre de se tenir sous les armes toute la nuit. Le mot de passe cette nuit-la fut "Montreal." Rien d'extraordinaire pendant la nuit. A six heures, mardi matin, nous etions debout. Vers onze heures une pluie fine commence a tomber. Dans l'apres-midi le temps se refroidit et la neige tombe toute la journee et toute la nuit. Le mot de passe etait "Quebec." De bonne heure le lendemain, les soldats allerent se laver a la riviere. On n'eut pas d'exercice ce jour-la. Pendant l'apres-midi, la tempete de neige, que les indigenes appellent _chinouck_, prit de telles proportions qu'en peu de temps les tentes furent remplies de neige et l'on fut force de retraiter dans les casernes, avec les quelques hommes de la police a cheval qui y restaient; on y passa une bonne nuit etendus autour d'un bon feu. Le mot de passe fut "Edmonton." Le 16 au matin, a dix heures, une grande inspection fut faite par le major general Strange et un exercice eut lieu. Vers midi, le Lt.-col. Ouimet part pour Ottawa. [Illustration: CAPT. BOSSE, DE L'ETAT-MAJOR.] La tempete continua toute la journee. Vers huit heures, le soir, apres le souper, le caporal des postes nous apporta des lettres arrivees de l'Est par la derniere malle. La soiree se passa a la lecture des lettres. La garde se fit comme d'habitude, le mot de passe etant "Alberta." Le lendemain, le lever eut lieu a l'heure habituelle. Le temps etant devenu beau, on retourna aux tentes. Les soldats se mirent a nettoyer leurs armes et dans l'apres-midi les compagnies 1 et 2 allerent s'exercer au tir dans un champ situe a un mille au nord-ouest du camp. Vers cinq heures, un conge fut donne a plusieurs pour aller porter leurs lettres au bureau de poste. Une demi-heure plus tard, le 92e bataillon d'infanterie legere de Winnipeg, sous le commandement du Lt.-Col. Osborne Smith, arriva a Calgarry. Ils allerent camper de l'autre cote de la ligne du chemin de fer, un peu au sud-ouest du 65e. Le mot de passe, cette nuit, fut "London." Le 18 au matin, lecture fut faite de l'ordre du General envoyant une moitie du bataillon a Edmonton. Personne ne savait quelles compagnies seraient envoyees de l'avant et chacun etait anxieux de savoir si son ami dans telle autre compagnie serait force de le quitter. Vers quatre heures de l'apres-midi les waggons pour le transport arriverent et furent places pres des casernes. Un detachement de la police a cheval arriva aussi vers les cinq heures et alla se loger dans le fort. Un conge general fut donne pendant la veillee, et les soldats en profiterent largement. La plupart se rendirent au premier restaurant, dont le proprietaire avait offert aux volontaires une espece de theatre situe au fond de la batisse.. Un concert impromptu fut donne, chacun des volontaires presents y prenant part. On y representa la pantomime du _Barbier de Seville_; plusieurs chansons comiques, des danses et des jeux sur la barre horizontale remplirent le reste du programme. La soiree se passa de la maniere la plus gaie et pour plusieurs, la paie recue la veille, y passa. Pendant la journee le juge Rouleau et le sherif Chapleau vinrent faire visite aux officiers. Pendant le peu de temps qu'ils passerent aux casernes, ils discuterent la question du jour, et donnerent plusieurs conseils aux officiers sur les precautions a prendre pendant le voyage qu'ils allaient entreprendre. Le mot de passe, cette nuit, etait "Calgarry." Dimanche matin, a peine leve, chacun alla a la riviere se donner un bon lavage, puis proceda a sa toilette, car pour la premiere fois depuis le depart de Montreal, on devait avoir une basse-messe. A sept heures et demie tout le monde etait pret et le bataillon se dirigea vers la mission a environ deux milles du camp. Apres vingt minutes de marche on vit poindre a une faible distance l'humble croix de bois qui orne l'entree de la petite chapelle. Cette maison, oeuvre des pieux missionnaires etablis dans cette partie du pays avant meme que le premier commercant y eut fixe sa baraque, n'est pas un modele d'architecture, mais semble plutot avoir conserve le cachet d'humilite qui caracterisait le premier apotre qui l'a habitee. Le rez-de-chaussee sert de logis au missionnaire, et le second etage est la maison du Seigneur. L'impression des volontaires au moment ou ils penetrerent dans cette modeste chapelle a peine assez grande pour les contenir tous est difficile a depeindre. Habitues a aller adorer Dieu dans des temples ou le peintre rivalise de perfection avec l'architecte, ou la civilisation moderne a fait tailler dans le bronze et le marbre des autels grandioses, ils se sentaient emus de voir que Dieu habitait ce faible reduit; quatre murs blanchis, deux prie-Dieu, un petit maitre-autel, ca et la quelques statues de la Vierge et de St. Joseph et une: centaine de bancs en bois brut etaient tout l'ameublement de la Mission. Mais c'est toujours le meme Dieu qui y reside! Celui qui crea le monde, qui le gouverne, le meme qui siege sur nos autels a Montreal et qui continue la-bas sa mission de bonte et de salut. Plus le temple est modeste, plus la grandeur du Tout-Puissant impressionne le coeur du visiteur. Pendant le service divin, notre aumonier nous fit une courte adresse. Chacun se sentait emu au fond du coeur en ecoutant cette voix grave et solennelle qui nous rappelait avec quelle pompe nos amis de Montreal recevraient apres la campagne ceux qui auraient le bonheur de retourner dans leurs foyers, et d'autre part quel triomphe attendait dans le ciel ceux qui, plus chanceux, succomberaient pendant la campagne. Immediatement apres la messe eut lieu le retour au camp. L'on dejeuna en arrivant. Le reste de la journee fut employe a charger de provisions les waggons qui devaient accompagner l'aile droite du bataillon. A neuf heures du soir, tous les soldats etaient retournes au camp et a dix heures chacun sommeillait. De bonne heure le lendemain matin tout le bataillon etait debout. Les compagnies 2, 5, 6 et 7, qui devaient partir ce jour-la, jeterent leurs tentes a terre avant le dejeuner et a huit heures elles etaient pretes a partir. Cependant tout l'avant-midi s'ecoula sans que le bataillon ne recut aucun ordre. Enfin vers deux heures de l'apres-midi l'on se mit en rangs et apres l'inspection generale des armes et des accoutrements, l'aile droite se mit en marche. La fanfare du 92e accompagna nos freres jusqu'aux limites de la ville, et tous les citoyens de Calgarry, les saluaient pendant qu'ils passaient a travers les rues. Quant a nous (ceux qui restaient) nos coeurs se serrerent et plusieurs commencerent a murmurer "n voyant notre bataillon deja divise. Nous retournames sous la tente et l'apres-midi s'ecoula dans le silence. CHAPITRE III. LE BATAILLON DROIT. De Calgarry a Edmonton. Le premier detachement qui prit la route d'Edmonton se composait comme suit: Commandant-en-chef: Major-General Strange. Major de brigade: Capt. Dale. Aide-de-camp: Strange. Trente hommes de cavalerie sous le major Steele; vingt eclaireurs commandes par le capt. Oswald, et du 65e bataillon: Lt-Col. Hughes. Major Prevost. Adjudant Lt. Starnes. Aumonier: R. P. Provost. Chirurgien-major Pare. Compagnie No. 2: Capt. des Trois-Maisons. Lt. DesGeorges. No. 5: Capt. Villeneuve. Lt. Lafontaine. No. 6: Capt. Giroux. Lt. Robert. Sous-lieut. Mackay. Lt. Labelle. Quartier-maitre: Capt. Right. [Illustration: MAJOR-GENERAL STRANGE.] JOURNAL. 20 avril.--Le temps est beau, marche de cinq milles a pied. La nuit fut froide. 21 avril.--Beau temps. La marche est de dix-huit milles. Nuit froide. Voyage dans la prairie tres ennuyeux. 22 avril.--Rien d'interessant. Vingt-deux milles de marche. Temperature un peu froide. Toujours dans la prairie. Il neige pendant la nuit. 23 avril.--Marche dans la neige tout l'avant-midi. Temps froid. 24 avril.--Nuit froide. Toujours la prairie! 25 avril.--Temps froid. Arrivee a la riviere du Chevreuil Rouge a trois heures et campement. 26 avril.--Reveil a quatre heures et demie du matin. Nuit pluvieuse. Belle journee. Traversee de la riviere pendant l'avant-midi. Camp a trois milles. 27 avril.--Aussitot le bagage arrive, la route se reprend vers les neuf heures et se continue jusqu'a la riviere de l'Aveugle. Belle nuit. 28 avril.--Depart a six heures. Vingt-neuf milles a travers un pays magnifique. Camp leve a la Riviere Bataille. Rencontre du Pere Lacombe. 29 avril.--Lever a quatre heures et demie a.m. Depart a six heures. Trente-deux milles de marche. Camp fixe a un mille de la Ferme du Gouvernement. 30 avril.--Lever et depart comme la veille. Temps froid. Chemins impraticables. 1er mai.--C'est aujourd'hui la douzieme journee de la marche. Arrivee a Edmonton vers midi. *** La marche pendant ces deux cent treize milles a ete pour la plupart du temps assez penible. Jusqu'a la riviere du Chevreuil Rouge, la route s'etendait a travers la plaine et les chemins etaient assez beaux. Mais de la riviere du Chevreuil Rouge la route devint plus difficile. En quelques endroits il fallait traverser des marais, ou les soldats enfoncaient jusqu'aux genoux dans l'eau et dans la boue. Quelquefois l'odeur qui se degageait de ces marais etait vraiment insupportable. Les voitures etaient moins que suffisantes pour le transport, il n'y en avait que pour la moitie des hommes, de sorte que pendant que deux compagnies marchaient les deux autres se reposaient et vice versa au bout de chaque heure. Les cochers se distinguaient par leur insolence et plusieurs fois, il n'eut fallu qu'un mot de plus, pour que les soldats furieux ne les assaillissent. La marche se reprenait avec gaiete, chaque matin, et il semblait y avoir un concours entre les marcheurs ou le prix devait appartenir a celui qui monterait le moins souvent en waggon. Les 28 et 29 avril, la marche fut encore plus penible que d'habitude. Il fallait traverser des marais puants, et aider les chevaux a tirer les waggons de la boue noire ou ils etaient enfonces; puis lorsque les chemins etaient beaux, les voitures etaient trainees si vite que les soldats devaient se mettre au pas de course pour les suivre. Ajoutez a cela une chaleur atroce et vous aurez quelqu'idee de la fatigue des soldats et de leurs miseres. L'avant-derniere journee avant d'arriver a Edmonton, les habitants de ce dernier endroit se rendirent a la rencontre du bataillon avec des voitures et la route s'est terminee d'une maniere assez confortable. Le voyage dans les prairies ou l'immensite est le seul horizon qui s'offre a la vue ennuyee de la monotonie des tableaux, est long et fatiguant. Quelques fois, arrives au pied d'un coteau, les soldats s'elancaient au pas de course pour le gravir esperant trouver quelque changement dans la mise en scene, mais s'arretaient sur le sommet desappointes et plus decourages qu'avant a la vue de la plaine qui se deroulait immense devant leurs pas. Apres la traversee de la riviere du Chevreuil Rouge, la scene changea quelque peu, et souvent les plus ennuyes se reposaient la vue par la contemplation de jolis tableaux. Ici, une belle prairie arrosee par un joli petit lac, au pied de quelque coteau verdoyant, la un bosquet aux decors gracieux, eleve au milieu de la plaine par quelque fee antique et entretenu par les nymphes des prairies pour recevoir leurs fiances ailes. Un peu partout, dans un desordre charmant, de jolis petits bois parsement la vaste plaine. Les rivieres le long de la route sont peu profondes, et sont toutes gueables a l'exception de la Saskatchewan. L'eau de ces rivieres alimentee par les lacs des montagnes du Nord est froide, souvent troublee et d'une apparence bourbeuse; cependant elle est generalement potable. La nourriture pendant tout le voyage se composa de, biscuits durs (hard tacks), de viandes en boite ou de bacon et de the; avec ces mets les grands festins etaient rares. Cependant le gibier abondait de toutes parts, mais la defense de tirer etait des plus severes. Les canards etaient innombrables, les poules des prairies s'abattaient a quelques pas des soldats et les lievres leur passaient entre les jambes, mais la regle du, general etait inflexible; aussi le gibier fut-il laisse en paix. Le premier detachement a beaucoup souffert du manque de sel. Il y en avait deux sacs mais le quartier-maitre ne les trouva que le dernier jour. Le service etait assez penible. Tous les soirs, gardes doubles et trois patrouilles pendant la nuit. Ces dernieres ne sont pas ce qu'il y a de plus amusant, vu la vigilance qu'elles demandent et la responsabilite qu'elles imposent. Cependant, la sante a toujours ete bonne pendant le voyage, malgre la fatigue, les changements de temperature et les nuits passees pres de marais pestilentiels. Quelques fois, apres une longue journee de fatigues, on se couchait sur la terre humide pour se reveiller etendu dans l'eau. La salubrite du climat ne saurait donc etre trop vantee. Quelques jours le soleil chauffait avec tant de force que plusieurs soldats eurent la figure brulee, d'autres changerent de peau une couple de fois. Il faut dire que les coiffures dont le gouvernement avait pourvu ses defenseurs en partant de Montreal n'etaient d'aucune utilite dans la plaine; c'etait le grand chapeau de feutre a larges bords qu'il aurait fallu. _Tel pays, tel chapeau_. Le premier detachement, arriva a Edmonton, le 1er mai. Il fut saluee par une salve d'artillerie et par les acclamations de la population qui s'etait rendue sur la rive pour le recevoir. On y attendit le second detachement dont nous allons maintenant nous occuper. CHAPITRE IV. LE BATAILLON GAUCHE. A travers la Plaine. Le bataillon gauche du 65e se Composait comme suit: Major Dugas; adjudant Robert. Quartier-Maitre: Capt. LaRocque. Chirurgien: Dr. Simard. Instructeur: Labranche. Compagnie No. 1: Capt. Ostell. Lt. Plinguet. No. 3: Capt. Bauset. Lt. Villeneuve. No. 4: Capt. Roy. Lt. Ostell. No. 8: Capt. Ethier. Lt. Normandeau. Sous-Lt. Hebert. De bonne heure, le 21 avril, chacun fut debout et alla se laver a la riviere. Vers les sept heures on eut une messe basse dans les quartiers des officiers. Plusieurs soldats communierent a cette messe. Apres la messe le dejeuner. A dix heures eut lieu la lecture des ordres du jour. Pendant l'apres-midi, on eut l'exercice au tir Vers les quatre heures, un canon nous arriva du fort McLeod. Dans la veillee une nouvelle tempete: de neige s'abattit sur le camp. [Illustration: DR. SIMARD, ASSISTANT-CHIRURGIEN.] Le lendemain on se leva a six heures. Apres le lavage ordinaire a la riviere, on eut une autre messe basse a laquelle il y eut encore plus de communions que la veille. Immediatement apres le dejeuner, chacun se mit a nettoyer ses armes pour l'inspection du lendemain. Rien de particulier ce jour-la. Tous les soldats ecrivirent a leurs familles, car le depart etait fixe au lendemain. La nuit se passa sans incident. A quatre Heures, jeudi, le 23 avril, tout le monde etait sur pied; a neuf heures le camp etait leve et le bataillon gauche pret a partir. Le lieut.-col. Smith fit l'inspection, puis l'on se mit en marche. Tous etaient joyeux; car on nous avait donne a entendre que nous pourrions peut-etre rejoindre le bataillon droit en faisant des marches forcees. La bande du 92e nous accompagna comme elle avait accompagne nos freres trois jours auparavant. A deux milles de la ville, le major Dugas fit ses adieux au bataillon. Il parla assez longuement, disant qu'il etait des plus peine de se separer de ceux que la gloire attendait dans le Nord et souhaitant a tous un heureux retour a Montreal. L'adjudant Robert le remplaca aupres de nous, tandis que le Capt. Perry, de la Police a cheval, eleve au rang de major par le general Strange, etait commandant en chef du detachement. On campa, vers les cinq heures, dans un endroit appele Shaganappy Hill. Le lendemain a quatre heures tous etaient debout et pendant que deux soldats de chaque compagnie nous faisaient chauffer notre the, les autres jetaient les tentes a terre et pliaient bagage. A dix heures eut lieu la premiere halte, a McPherson's Creek, vingt-trois milles au nord de Calgarry. A deux heures, apres avoir pris le diner, l'on se remit en marche. Rien d'extraordinaire le long de la route, excepte la rencontre d'un transport de sauvages. Un de nos charretiers, un Metis, fit remarquer, en route, qu'il etait surpris de nous voir marcher si vite et ajouta qu'il etait anxieux de voir combien de jours nous pourrions resister aux fatigues de la route. Il serait bon d'ajouter ici que notre coiffure etait loin de convenir au pays que nous traversions. Partis de Montreal avec nos kepis, nous n'avions eu, en route, que des tuques en laine, et plusieurs prefererent porter la tuque que le kepi pour se proteger contre les ardeurs d'un soleil brulant. La nuit, pas de difficultes, la tuque etait preferable, car il etait rare que nous nous reveillions le matin sans avoir au moins un pouce de neige autour du camp. Cependant, malgre tout, on avancait toujours courageusement et, vers cinq heures on fixa le camp au bord d'un lac. Aussitot apres souper, plusieurs soldats se mirent a faire toutes sortes de jeux, pendant que d'autres chantaient les gais refrains du pays. On joua et on s'amusa jusque vers les huit heures et demie, et le major Perry ainsi que la Police a cheval n'etaient pas les moins surpris de nous voir si enjoues apres une aussi, longue marche. Nous etions a trente-deux milles de Calgarry. Le samedi matin, a quatre heures, le lever. En peu de temps le camp fut leve et aussitot le dejeuner pris, en route! Pour la premiere fois, ce jour la, nous commencames a souffrir de nos bottes. Chaque soir on les otait avec l'aide d'un confrere; mais, le matin, on les reprenait tellement roidies par le froid que ce n'etait qu'avec beaucoup de douleurs qu'on les mettait. Les premiers milles de la marche semblaient toujours les plus longs et etaient les plus difficiles a parcourir, car notre souffrance aux pieds etait atroce. Cependant, apres trois ou quatre milles, le pied devenait insensible, plutot engourdi par la douleur, et l'on marchait mieux. Vers deux heures et demie a.m. on traversa le ruisseau "de la Veuve." L'eau etait tellement haute, qu'on fut oblige de se servir de deux charrettes pour le transport. On les vida, puis les mettant l'une devant l'autre dans l'eau on en fit une espece de pont d'un genre nouveau. Vers quatre heures, on eut a traverser un second ruisseau; l'eau n'etait pas bien haute, on le passa a pied. A quatre heures et demie a.m. on campa. Aussitot, apres souper, il y eut grande fete a l'occasion de l'anniversaire de la naissance du major Robert. Ou chanta "En roulant ma boule" et beaucoup d'autres. Il y eut discours par le heros de la fete et le major Perry. Ce dernier complimenta beaucoup le bataillon sur son bon esprit et son energie. La fete se termina par ce que les Anglais appellent "_Grand Bounce_." A dix heures tout le camp etait silencieux. Nous etions a cinquante milles de Calgarry. [Illustration: CAPT.-ADJUDANT ROBERT.] Le dimanche matin, a l'heure habituelle, nous etions debout et prets a partir. Ce jour-ci, les chemins furent plus mauvais que jamais. A onze heures quand nous fimes notre premiere halte, nous n'avions parcouru que huit milles, et chacun etait heureux de pouvoir se reposer. A cinq heures et demie a.m., quand nous fixames le camp, nous etions a soixante-sept milles de Calgarry. Pendant cette journee, il arriva un incident qui fut le commencement de troubles serieux et qui aurait pu se terminer d'une maniere tragique sans le sang-froid du major Perry. Jamais les chemins n'avaient ete aussi mauvais; a un certain endroit, nous eumes a traverser un ruisseau, et comme l'eau etait trop haute pour passer a pied, le major nous dit de monter dans les waggons. A peine arrives de l'autre cote, il y avait une cote a monter. Depuis une journee ou deux, les charretiers ne semblaient plus nous traiter aussi amicalement, ce n'etait qu'avec peine que Pou reussissait a les faire consentir a embarquer un soldat epuise par la fatigue de la route. Or ce matin-ci, le sergent Beaudoin de la Cie No. 1 etait monte avec deux soldats dans une voiture. A peine arrive au bas de la cote, il sauta a terre et, voyant sa carabine entre les roues de la voiture, il cria; ail charretier d'arreter, en meme temps qu'il se baissait pour la prendre. Loin d'arreter le charretier lui repondit grossierement et frappa le sergent avec son fouet. En un clin-d'oeil, vingt crosses de carabines etaient levees sur le charretier et, n'eut-ce ete l'intervention prompte du major Perry, il aurait ete tue sur place. Par respect pour le commandant, les soldats se calmerent un peu et, apres quelques explications, le charretier fut severement reprimande, en attendant une enquete qui devait avoir lieu le soir meme au camp. Le soir, l'enquete eut lieu. Le charretier fut renvoye avec sa charge et tout son salaire fut retenu pour payer la carabine brisee. Malgre tout cela, il y eut fete au camp ce soir-la, On mangea du bacon, dont le major Perry nous avait fait present. C'etait bon, car c'etait nouveau; depuis Calgarry nous n'avions eu que du corn beef et des hard-tacks. Lundi, les chemins continuerent a etre mauvais comme la veille. A un certain endroit surtout ou il fallait traverser un ruisseau sur des branches, posees dans ce but, trois soldats perdirent pied et tomberent a l'eau: ils en furent quittes pour un bain froid et quelque peu vaseux. Une couple d'autres ruisseaux plus profonds furent passes sur des charrettes. Apres douze milles de marche, nous nous arretames vers les onze heures. Pendant que les cuisiniers preparaient le repas du midi, le bataillon fut rassemble et le major Robert nous lut les ordres du jour entre autres le suivant: 1. Obligation stricte de ne pas se debarrasser de ses armes ni de ses munitions pendant la marche. A peine retournes a nos places sous les charrettes, une rumeur commenca a circuler, parmi les soldats, que Gros-Ours venait a notre rencontre. Ceci joint au fait que les provisions commencaient a manquer (d'apres les on dit) rendit les soldats quelque peu taciturnes et chacun se mit a nettoyer son fusil, et a voir si ses cartouches etaient en bon ordre. Au moment de partir, le major Robert nous annonca que le lendemain matin dix waggons vides nous rencontreraient et que les plus fatigues pourraient ainsi faire le trajet en voiture. Apres plusieurs milles de marche, vers les quatre heures, quatorze charrettes vides, attelees de _cayuses_, furent rencontrees. Presque tous monterent, et le voyage se continua au milieu des gais refrains des soldats heureux d'avoir enfin des transports. Vers cinq heures et demie a.m., le camp fut fixe et la nuit se passa sans incident en depit des rumeurs et des faux rapports. De bonne heure, mardi, on etait pret a partir et tous, satisfaits de ne plus marcher, se mirent en route joyeusement. Vers les dix heures, l'on arriva a la Riviere du Chevreuil Rouge, qui est a peu pres a mi-chemin entre Calgarry et Edmonton. En descendant de voiture la compagnie No. 1 recut ordre de construire un radeau pour traverser le canon; car la riviere etait trop haute pour la passer a pied. On se mit joyeusement a l'oeuvre et, en moins d'une heure, un radeau, solide et bien fait, attendait sa charge. Il fallut alors penser a traverser le cable qu'on devait attacher sur l'autre rive. Apres que plusieurs eussent tente de le faire, mais en vain, le caporal Beaudoin et le soldat N. Robert de la Compagnie No. 1 s'en chargerent et reussirent. Enfin le canon fat embarque et plusieurs soldats monterent a bord avec le major Perry. On coupe les amarres et le radeau prend son elan. Il descend terriblement vite; quand, a peine rendu vers le milieu de la riviere, le cable se brise. Le courant entraine le radeau et sa charge avec une vitesse vertigineuse. En vain des soldats essayent de jeter un bout de cable au major, leurs efforts sont infructueux et le radeau continue sa course. A cinq milles plus bas est un rapide des plus dangereux. Si l'on peut sauver la vie de tous ceux qui sont a bord, au moins faudra-t-il sacrifier le canon et les munitions... Tout a coup le major se precipite a l'eau et ayant saisi un cable de la main d'un soldat, il remonte a bord et, en quelques minutes, tous y mettant la main, on obtient une nouvelle amarre et le radeau est sauve. Il atterrit trois milles plus bas, a peine a un mille et demi de la chute. Le canon fut debarque a terre, mais le radeau dut etre abandonne. Des chevaux furent bientot atteles au canon et, les soldais aidant, on le ramena au trait. Cependant ce ne fut pas sans accident. Le soldat Alex Martin, un jeune francais, etait a aider a monter le canon, quand il se fit prendre la tete entre une des roues et un arbre. La blessure fut des plus serieuses, mais le jeune brave endura les douleurs les plus vives sans se plaindre. Il ne devint mieux; qu'une quinzaine de jours plus tard. L'accident arrive au radeau nous retarda beaucoup, car le seul transport qui nous restait etait un vieux bac. On travailla nuit et jour, chaque waggon fut transporte morceau par morceau, les provisions, munitions et le reste, malgre une pluie battante. On divisa notre bataillon en deux parties, dont l'une avait la garde de la rive nord et l'autre de la rive sud. [Illustration: CAPORAL MARTIN] Il y avait a peine un nombre suffisant de tentes pour les provisions, sur la rive nord, et ceux qui etaient traverses durent passer la nuit a la belle etoile, heureux encore s'ils avaient pu trouver une couverte pour s'envelopper. Vers une heure du matin, le 29, l'on fut reveille par des cris d'alarme et d'appels au secours, jetes par quelques soldats qui etaient tombes a l'eau en traversant. En peu d'instants, tous ceux qui dormaient etaient debout et deja rendus sur la scene de l'accident. Tous furent sauves et en furent quittes pour un bain a l'eau froide. Malheureusement il y avait a bord une dizaine de _knapsacks_ qui furent perdus grace a l'excitation des rameurs. La journee se passa a continuer de traverser les provisions. Le soir, vingt hommes de la compagnie No. 8 recurent l'ordre de rester en cet endroit, sous le commandement du lieutenant Normandeau. La nouvelle nous prit un peu par surprise, et la surprise etait loin d'etre agreable. Divises deja comme nous l'etions et surtout ayant bon espoir de rejoindre nos freres avant longtemps, cette nouvelle separation ne fut pas sans soulever des murmures. Mais, enfin, a la guerre comme a la guerre: l'on dut se soumettre. La veillee fut silencieuse, la nuit de meme. Le lever eut lieu a six heures le lendemain. Vers les dix heures, on lanca a l'eau un nouveau bac, plus grand que celui dont nous nous etions servis. Ce bac, qui venait d'etre termine, avait ete construit tres solide, pour qu'il put durer plus longtemps, et etait mu au moyen d'un certain appareil d'un genre nouveau, relie a un cable en fer tendu d'une rive a l'autre. L'apres-midi fut donnee au repos. La seule interruption fut l'arrivee de transports venant du nord. Un des charretiers rapporta que l'on s'attendait a une attaque a Edmonton; ce qui ne nous encouragea pas un peu a partir au plus tot pour rejoindre nos freres et leur aider. Le soir, il y eut grande fete au camp. L'on imita le pow-wow (danse de guerre) des Sauvages. Une dizaine de soldats du 65e ainsi que deux ou trois de la police a cheval se vetirent de couvertes et executerent a la lettre un programme imaginaire. Apres, l'on eut ce que les Anglais appellent: "Tug of war," La soiree se termina par des chants canadiens, puis chacun s'en fut se coucher. La nuit fut tres-froide. Le 1er de mai au matin le lever eut lieu a cinq heures. On alla se laver a la riviere, puis avant dejeuner, tous se mirent a genoux pour chanter "_l'Ave maris Stella_." Apres dejeuner, l'on se hata de traverser ce qui restait sur l'autre rive et, a midi, nous pliions bagage. A quatre heures nous nous mimes en route, notre depart ayant ete retarde par la difficulte qu'on eut a traverser les chevaux. Apres quelques milles de marche, nous choisimes un bon endroit pour camper, et, a neuf heures, nous nous reposions sous la lente a cent-quatre milles d'Edmonton. Ce jour-la, le major Perry nous fit de grands compliments. Il nous dit qu'il avait deja commande des soldats aussi courageux et obeissants, mais qu'il n'en avait, jamais commandes d'aussi gais. Le mot de passe cette nuit fut "Big Bear," mot significatif; ce qui cependant ne troubla le sommeil d'aucun soldat. Pendant la nuit, le major Perry recut une depeche du general Strange. Personne n'en apprit bien long sur le contenu de ce message. La rumeur circula cependant que l'on avait recu ordre de faire le voyage en quatre jours, et que l'on etait averti que les Sauvages nous attendaient a quarante milles. A six heures, le lendemain, nous partions de nouveau. Le temps etait devenu beau. Vers le midi, cependant, la chaleur devint insupportable. Chacun cherchait l'ombre, et s'etendait du mieux qu'il pouvait sous une charrette quelconque. Vers deux heures on repartit. On traversa bientot le ruisseau de la Tortue, sur lequel l'aile droite du bataillon avait pose un pont assez solide. Vers les cinq heures, l'on arriva a la Riviere Bataille que l'on traversa sur des charrettes. Nous campames a un mille environ au nord de la riviere. Nous etions a trente-cinq milles au nord de la Riviere du Chevreuil Rouge. Pendant la veillee, un chef de la tribu des Stonies, Tete Fine, vint nous faire visite. Il fit mille protestations d'amitie a nos officiers et leur declara que sa tribu resterait loyale au gouvernement. Le lendemain, dimanche le 3, le lever eut lieu a quatre heures; depart a six heures et dix minutes a.m. Le temps se continua beau; mais les chemins furent mauvais pendant au moins six milles. Vers les neuf heures, nous passames la reserve des Stonies, ou reside le Rev. Pere Scullen. Un petit "Union Jack" flottait au-dessus de la tente du chef Peau d'Hermine. Il etait pres de midi quand nous nous arretames pour la diner. Peau d'Hermine vint visiter la major, accompagne de sa femme, de son fils Cayote, et de quelques autres Sauvages. Le chef avait revetu "m uniforme des grandes fetes, et il nous etait impossible de compter le nombre de couleurs qui bariolaient sa tunique. Quand a celui qui semblait lui servir d'intendant, son costume etait des plus simples: une vieille tunique noire a boutons dores, et des culottes brunes. Ils passerent environ une heure a converser avec le major, (car Peau d'Hermine s'exprime assez bien en anglais), a fumer la pipe et a partager le menu du camp. Ces Sauvages nous ont paru passablement civilises. Ils sont chretiens et s'adonnent aux travaux des champs. Cependant ils habitent encore leurs wigwams et construisent de" hangars pour mettre a l'abri leurs grains et leurs animaux. A deux heures nous etions de nouveau sur la route, et vers les six heures nous etions campes a quatre milles au nord de la Ferme du Gouvernement, aux Montagnes de la Paix, trente-six milles d'Edmonton. Aussitot apres le lever, le lendemain, on nous apprit qu'un nouveau detachement de vingt hommes devait etre laisse a la Ferme. Le commandement de ce detachement fut donne au lieutenant Villeneuve. Cette separation fut encore plus cruelle que la premiere, et chacun se demandait ce qu'allait devenir notre pauvre bataillon, si l'on continuait a nous eparpiller ainsi le long de la route. Aussitot les adieux faits, l'on se remit en marche. L'on fit une courte halte vert le midi, puis les chemins devinrent affreux. Tantot dans des marecages presqu'impraticables et tantot a travers des forets ou un etroit passade permettait a peine a nos charrettes de traverser. Vers les cinq heures, on campa. Un courrier nous apporta l'etrange nouvelle que Riel avait, capture quatre-vingt voitures de munitions et de provisions egarees par de faux guides. Celle nouvelle fut le sujet de conversation le plus general pendant la veillee. De bonne heure, mardi matin, nous etions remontes dans nos charrettes. La route se continua a travers les bois. Nous passames sur la reserve de Papesteos. Vers huit heures, chacun commenca a nettoyer ses armes et son uniforme, car l'on approchait d'Edmonton. A. Ashton Lake, le lieut.-col. Hughes vint a notre rencontre et fut salue par des cris de joie. A quelques milles plus loin, les autres officiera du bataillon droit nous attendaient pour nous souhaiter la bienvenue. Enfin, vers 11 heures, Edmonton nous apparut dans la distance. On descendit des voitures et l'on se mit en rangs pour descendre la cote de la rive sud de la Saskatchewan. Chacun etait heureux a l'idee qu'il allait revoir les amis dont il avait ete separe depuis quinze jours. A midi, nous etions rendus et assis autour d'un feu de camp; on se racontait les incidents du voyage, La compagnie No 7 etait deja rendue, depuis le 3, au Fort Saskatchewan, a vingt milles a l'est d'Edmonton, sous le commandement du capitaine Doherty. Lea compagnies 5 et 6, sous le commandement du capitaine Prevost, eleve au rang de major, se mirent en route le jour de notre arrivee, pour se rendre a Victoria, soixante milles d'Edmonton. Ce premier detachement se composait comme suit: Major Prevost. Adjudant: Sous-lieut. Mackay. Compagnie No. 5: Capt. Villeneuve. Lieut. Lafontaine. No. 6: Capt. Giroux. Lieut. Robert. Chirurgien-Major Pare. Les autres compagnies camperent en dehors du Fort en attendant les ordres du general. FIN DE LA PREMIERE PARTIE. [Illustration: MAJOR HUGHES] DEUXIEME PARTIE. LE BATAILLON DROIT. CHAPITRE I D'EDMONTON A VICTORIA. Vers les deux heures, le 5 mai apres-midi, les compagnies Nos. 5 et 6 du 65e bataillon, accompagnees d'un detachement de Police a cheval, se mirent en route pour Victoria, d'ou elles devaient continuer jusqu'a Fort Pitt quand les renforts promis seraient arrives. C'etait l'avant-garde. Le commandant de l'expedition est le major Steele. Le capitaine Oswald commande la force montee. Le 65e bataillon est sous le commandement du major Prevost; les compagnies 5 et 6 le representent; la premiere est commandee par le capitaine Villeneuve, assiste du lieutenant Lafontaine; la seconde par le capitaine Giroux, assiste du lieutenant Robert. Le sous-lieutenant Mackay agit comme adjudant. La journee fut tres chaude. Apres environ une heure de marche on dressa les tentes. Le lendemain, 6 mai, le lever eut lieu a cinq heures et demie; depart a sept heures. La journee fut tres froide. Le vent du nord souffla continuellement. Tout le detachement etait en voitures. Quand on arreta pour le lunch a une heure de l'apres-midi on avait parcouru seize milles. Le capitaine Doherty qui commandait la compagnie No. 7 stationnee au Fort Saskatchewan vint au camp faire une visite. Tout le long du parcours, des terres bonnes et bien cultivees s'offrirent a la vue des soldats; de temps a autre une modeste habitation variait la scene. On rencontre messieurs Brunelle et Chamberlain. Ceux-ci disent que les Metis et les Sauvages ont le droit de leur cote, et qu'il faudra une armee de vingt mille hommes pour abattre la rebellion. Les Metis sont trop avances dans leur voie de revolte pour se retirer, leurs tetes et celles de leurs chefs sont en jeu et ils sont disposes a vendre cherement, leur vie. La nuit fut tres froide. Le lendemain le reveil eut lieu a cinq heures; depart a sept heures et demie a.m. Le voyage se continue a travers un pays de bois et de broussailles. On traverse a gue la riviere Eturgeon. A onze heures et quart a.m., on arrete pour diner. L'endroit choisi pour le camp etait entoure de tous cotes par des broussailles; l'eau etait a peine potable, on la prenait dans un etang voisin. La journee fut assez belle mais un peu froide. L'apres-midi fut agreable. On fit l'exercice vers les trois heures Une bande de Sauvages Cris passe pres du camp et declare que Gros-Ours a tout devaste a Victoria et aux environs. Au souper les soldats eurent de la viande fraiche; les officiers degusterent une soupe aux canards preparee par le capitaine Giroux. La soiree et la nuit furent tres froides. Le reveil eut lieu a sept heures, vendredi matin. De neuf heures et demie a onze heures, exercice. Matinee belle, mais fraiche. Depart a midi et demi. Pendant le trajet, on eut a passer a travers une foret de bois de bouleau tres epaisse. A cinq heures et demie de l'apres-midi on monta les tentes a trois cents verges de la riviere Vermillon, dans un endroit magnifique appele "l'Anse Profonde". Ce jour la meme l'aile droite commandee par le Lt.-Col. Hughes et composee des compagnies No. 3, capitaine Bauset, lieut. Ostell, et No. 4, capitaine Roy, lieut. Hebert, dont l'etat-major comprenait le major Robert, l'adjudant Starnes, le quartier-maitre LaRocque, l'assistant-chirurgien Simard et le Revd Pere Provost, quittait Edmonton pour rejoindre a marches forcees le detachement qui les precedait sur la route de Victoria. Le major-general Strange et le major Perry avec le canon et une escouade de la police a cheval restaient a Edmonton pour attendre l'arrivee, de Calgarry, de l'aile droite de l'Infanterie Legere de Winnipeg et aussi pour surveiller la construction et le chargement des chalands qui devaient les transporter par voie de la Saskatchewan jusqu'a Victoria, endroit choisi pour la jonction des differentes parties de la colonne. A six heures, le 9 mai, le lever. De dix heures a onze heures il y eut exercice. Il fait un temps superbe et chaud. Dans l'apres-midi on eut encore de l'exercice de trois heures a cinq heures. Vers les six heures le Lt.-Col. Hughes arrive avec les compagnies 3 et 4. La reunion des deux ailes eut lieu au milieu de la joie generale. Les nouveaux venus camperent sur les bords de la riviere Vermillon. Dans la veillee on chanta des cantiques a la Sainte-Vierge. Le lendemain, 10 mai, etant dimanche, on eut la messe en plein air a six heures du matin. Les officiers et les soldats unirent leurs voix dans des chants divins. A neuf heures on se remit en route. Le personnel de cette expedition etait comme suit: Commandant: Lt.-Col. Hughes. Major de brigade: Prevost. Cavalerie, Police a cheval: Major Steele. Eclaireur: Capt. Oswald. 65EME BATAILLON. Aile droite, Major Robert. Compagnie No. 3: Capt. Bauset, Lieut. Ostell. No. 4: Capt. Roy. Lieut. Hebert. Aile gauche Major Prevost. Compagnie No. 5: Capt. Villeneuve. Lt. Lafontaine. Compagnie No. 6: Capt. Giroux. Lieut. Robert. Sous-lieut. Mackay. Quartier-maitre: Capt. LaRocque. Aumonier: Revd. Pere Provost. Adjudant: Lieut. Starnes. Chirurgien-Major Pare. Assistant-chirurgien: Dr. Simard. Instructeur: Labranche. [Illustration: LIEUTENANT STARNES] On traversa a gue la riviere Vermillon. Une partie de la route se fit a travers de grands bois de bouleau, coupes ca et la par de profonds ravins. Le temps etait superbe et aurait ete chaud s'il n'eut ete tempere par une bonne petite brise de l'Est. On arreta vers midi pour prendre le lunch et on repartit vers les deux heures. En route les deux ailes du bataillon se reunirent. On traversa des sites des plus pittoresques par des chemins affreux. A six heures et demie a.m., le camp fut choisi dans un site magnifique, sur un superbe plateau, pres de la riviere au Mulet. L'endroit formait un tableau digne du pinceau d'un Vernet. Pose sur une elevation d'un demi mille au-dessus de la riviere, le plateau est entoure de hautes falaises taillees a pic et couvertes de sapins du plus beau vert et de beaux bouleaux. Le soleil en se couchant donne a toute la scene un relief indescriptible. Les cimes des arbres se revetent d'une aureole du plus bel or, tandis que leurs bases refletent les feux allumes par les cuisiniers. Le melange des ombres des soldats errant autour du camp donne a la scene un aspect fantastique. Quelques heures plus tard la lune se leve, et la scene, en changeant d'aspect, ne perd rien de sa beaute. La reine des nuits promene lentement son char feerique a travers les tetes fieres et hautes des arbres, et semble laisser un lambeau de sa robe transparente a chaque branche des sapins d'ou se detachent des lueurs verdatres. Le vent est moins fort et une faible brise fait seule onduler les cimes des arbustes. Le lendemain le reveil eut lieu a quatre heures et demie; depart a six heures et dix minutes du matin. Le temps est tres beau et un peu chaud. Traversee de l'anse Wasetna. Les soldats suivent les guides qui passent par des chemins plus ou moins praticables, pour descendre a la rive de la riviere Saskatchewan. La route se poursuit pendant quelque temps le long du rivage. L'aspect de la Saskatchewan et des paysages qui s'etendent en courbes multiples, tout le long de son parcours, est des plus jolis. De l'anse Wasetna a Victoria, les rives sont a une grande elevation et sont couvertes de forets epaisses. Plusieurs ravins viennent ca et la varier l'uniformite du tableau. Vers onze heures et quart a.m., on fait la premiere halte pour le diner. La chaleur devient accablante. Apres le diner la marche se continue a travers le bois et a quatre heures l'on arrive a Victoria ou l'on campe. Depuis Edmonton on a parcouru quatre-vingt milles. Des eclaireurs viennent au camp pendant la veillee et annoncent que Gros-Ours est a cinquante milles plus loin, dans un endroit appele la Cote du Renne. Il faut cependant attendre les ordres du major-general pour continuer. Le lendemain, il fait beau. Exercice dans l'avant-midi et l'apres-midi. Quelques officiers vont visiter le Fort Victoria. Il presente l'image de la desolation la plus complete; il n'a plus d'occupant. A leur retour, ils prennent un bain dans la Saskatchewan. Rien d'extraordinaire le 13 mai. Exercice toute la journee. Les soldats passent leurs moments de loisir a ecrire a leurs parents et a leurs amis. Jeudi matin, reveil a cinq heures et demi. Messe basse a sept heures, a l'occasion de la fete de l'Ascension. Beau temps frais. Les officiers se construisent une table rustique pour prendre leurs repas. Ce sont des troncs d'arbres places sur des supports poses sur des pieux enfonces en terre. Des branches sont placees ca et la pour remplir les interstices et egaliser la surface de la table, le tout est couvert d'une grosse toile. Des troncs d'arbres servent de sieges; c'est un luxe d'un genre nouveau. On s'apercoit au souper que la provision de sucre est epuisee. La nuit est froide. Vers quatre heures du matin, le 15, il neige quelque peu; a cinq heures et demie on se reveille et la neige continue a tomber jusqu'a sept heures et demie. Il y avait alors deux pouces de neige sur le sol. De neuf heures et demie a midi on fait encore de l'exercice. Le lendemain, on se reveille a quatre heures et demie. Depart a neuf heures. On leve le camp pour aller a un mille et demi plus loin dans la vallee. Le general accompagne de l'Infanterie Legere de Winnipeg arrive avec les chalands. Ils campent au Fort Victoria. Le 17 mai, reveil a cinq heures et demie, messe a sept heures. La journee est des plus ennuyeuse Il n'y a pas d'exercice. Les officiers du 65e vont faire visite au camp de l'Infanterie Legere de Winnipeg. La pluie commence a tomber vers les neuf heures du soir. Le surlendemain, reveil a quatre heures et demie. Vers les six heures, on leve le camp et l'on se dirige vers le Fort Victoria. Une petite pluie legere est tombee vers les dix heures, mais n'a pas dure longtemps. Il fait un fort vent d'est. Vers onze heures, un orage violent eclate soudain, mais ne dure que quelques minutes. Durant la journee le capitaine Bosse et le lieutenant Des Georges arrivent en voiture d'Edmonton et font signer les listes de paie. Dans l'apres-midi ils se remettent en route pour rejoindre la compagnie No. 2 restee en garnison a Edmonton. Pendant la veillee, un courrier apporte au camp la nouvelle de la defaite des Metis, de la prise de Riel, et de la fuite de Dumont. CHAPITRE II DE VICTORIA A FORT PITT. C'est aujourd'hui le 20 de mai. On se reveille a quatre heures et vers les six heures et demie on part en bateau pour l'est. Ce sont des bateaux plats d'un modele tout a fait primitif. Ils sont au nombre de quatre. L'un le "Nancy" est occupe par l'etat-major du 65e, le general Strange ayant pris le chemin de terre accompagne de l'Infanterie Legere de Winnipeg; un autre le "Bauset" est sous le commandement du capitaine Bauset; le troisieme le "Roy du Bord" sous les ordres du capitaine Roy; chaque capitaine a sa compagnie a son bord. Le plus grand s'appelle "Big Bear." Il mesure pres de soixante pieds de longueur sur une largeur de vingt pieds. Il est commande par le capitaine Villeneuve, assiste des lieutenants Lafontaine et Robert. Il y a a bord trente-sept hommes de la compagnie No. 5, dix de la compagnie No. 6, deux sergents d'etat major, quatre hommes de l'Infanterie Legere de Winnipeg et trois bateliers. Outre ceux-ci, il y a un officier pourvoyeur. Le navire a un pont large de six pieds qui s'etend de chaque cote. On dort dans le fond de cale sur du foin et le pont est l'unique ciel de lit ou vont se perdre les reves de gloire des soldats. Cette premiere journee de voyage par eau a ete belle et la nouveaute du genre de transport amusait beaucoup les soldats. La riviere Saskatchewan n'est pas bien large; ses rives sont elevees et magnifiquement boisees. Il y a plusieurs baies qui fournissent a l'oeil du voyageur des scenes ravissantes. L'eau est generalement peu profonde et a une apparence bourbeuse. [Illustration: CAPITAINE ROY] Vers une heure et demie a.m., apres avoir fait une dizaine de milles, les bateaux arretent. Rien de plus simple que le systeme de navigation a bord des bateaux sur la Saskatchewan. On n'a qu'a suivre le courant qui est tres fort; de temps a autre, un coup de rame habilement donne suffit pour changer la direction du bateau et eviter un banc de sable. Apres le souper, plusieurs montent la cote et assis autour d'un bon feu repetent les gais refrains du pays. Le temps est serein et du haut du ciel la lune et les etoiles sourient a l'insouciance des chanteurs et paraissent repeter dans leurs spheres sublimes les accents emus de tous ces coeurs canadiens. Quand le clairon sonna le coucher, chacun descendit en silence au bateau et alla continuer sous le pont un reve inacheve. [Illustration: CAPITAINE VILLENEUVE] Le lendemain reveil a cinq heures et demie. Depart a six heures. Il fait froid. Rien d'extraordinaire a bord. Chacun s'ennuie de la maniere qui lui deplait le moins. La pluie tombe pendant la veillee. A la nuit tombante on arrete a un endroit connu sur la carte sous le nom de St. Paul, ou existait autrefois une mission florissante desservie par les Peres Oblats; mais qui a ete detruite il y a onze ans par un feu de prairie. Ce n'est plus aujourd'hui qu'un coin du desert. Le 22 de mai, vers une heure du matin, quelques coups de feu reveillerent les dormeurs en sursaut, et le clairon sonna l'alerte. Dans l'espace de quelques minutes, les soldats etaient descendus a terre et attendaient, en bon ordre, les commandements de leurs capitaines, qui s'elancerent a la tete de leurs hommes et gravirent, au pas de course, la berge escarpee. Aussitot arrives au haut de la cote, les soldats recurent ordre de se deployer en tirailleurs. Une fusillade assez vive se fit entendre a la gauche du premier detachement et donnait a croire que la ligne etait engagee. Sur l'ordre du Colonel, le feu cessa, et une patrouille fut envoyee en avant sous le commandement du major Prevost. Ce dernier fit deployer ses hommes en tirailleurs et fit tirer une decharge dans la direction ou l'ennemi semblait s'etre retire. Quelques minutes plus tard, le major revint et annonca qu'il n'avait rien vu. Jusqu'a deux heures et demie les troupes resterent sur la cote toutes armees, puis l'on descendit aux bateaux ou l'on coucha sous les armes. Il faisait un temps des plus desagreables, froid et pluvieux, et plusieurs se trouvaient couches sur la paille humide. Malgre le mauvais resultat de cette sortie, executee pendant les heures les plus sombres de la nuit, cela eut un bon effet. Les soldats prouverent qu'ils etaient prets a toute eventualite. Le bon ordre et l'alacrite qu'ils mirent dans leur reponse a l'appel de leurs chefs ne sauraient etre trop loues. Loin de trembler ou d'hesiter, ils etaient tous gais et trouverent moyen de s'amuser de certaines petites scenes dont ils ne furent pas lents a saisir le cote ridicule. Plusieurs temoignaient hautement leur desappointement d'etre revenus sans avoir tue un seul ennemi. Les eclaireurs rapporterent qu'ils avaient vu les pistes des Sauvages en differents endroits sur le haut de la cote. [Illustration: LT. BRUNO LAFONTAINE] Aujourd'hui l'on arreta a un mille de Saint-Paul, ou l'on passa la nuit. Ce soir, instruit par l'evenement de la veille et craignant la repetition de l'attaque, le Colonel ordonna de monter les tentes sur un plateau a cinquante pieds du rivage. Une forte garde fut laissee a bord des bateaux et le reste du bataillon coucha sous la tente. Il avait plu toute la journee et le sol etait tres-humide. La pluie continua a tomber pendant la nuit. Le 23 de mai, l'on sonna le reveil a quatre heures. Le camp fut aussitot leve et les tentes transportees a bord. Les ancres furent levees et la route se continua en bateaux. Le paysage est des plus beaux. Sur chaque rive, les cotes sont tantot tres-elevees et coupees a pic, tantot basses et couvertes de forets de jeunes arbres. Vers une heure de l'apres-midi, on jette l'ancre dans "l'Anse de la Cote du Renne" (Moose Hill Creek) et, une bonne garde ayant ete laissee sur les bateaux, on va camper sur le haut de la cote. L'apres-midi a ete tres-belle. Vers deux heures a.m., deux eclaireurs, Borrodaile et Scott, partent pour Battleford en canot. Ils avaient mission de traverser les lignes indiennes, et de dire au gen. Middleton et au col. Otter la position de l'aile de Strange. Ils remplirent leur devoir en braves. La distance parcourue depuis Victoria est de cent vingts milles. Dimanche matin, il y eut messe basse a bord du bateau. On se remet en route vers trois heures et demie a.m. On jette l'ancre dans l'anse du Lac aux Grenouilles. La nuit fut assez belle. Vers une heure et demie du matin, la garde fit sonner l'alarme mais on n'apercut rien d'insolite aux alentours. Le lendemain, reveil a cinq heures. Avant de quitter l'endroit, on eleve sur une eminence une croix, haute de quarante pieds, a la memoire des Reverends Peres Oblats qui ont ete massacres au Lac aux Grenouilles a quelques milles d'ici. Cette croix porte l'inscription suivante: ELEVEE A LA MEMOIRE DES VICTIMES DE FROG LAKE Par le 65e Bataillon. Un document est redige relatant les faits qui ont motive l'erection de la croix et tous les officiers y apposent leurs signatures. On enferme ce document dans une bouteille enveloppee dans du plomb, puis on enterre la bouteille au pied de la croix. Le Reverend Pere Provost adresse quelques paroles aux soldais, puis la ceremonie est close en chantant "O crux Ave, spes unica!" L'endroit ou la croix a ete elevee a ete baptise Mont-Croix. Vers huit heures le depart a lieu. On continue a naviguer jusque vers une heure de l'apres-midi. On fixe le camp; mais a peine les tentes avaient-elles ete montees qu'on recoit l'ordre de partir pour le Fort Pitt. Des eclaireurs qui arrivent du Lac aux Grenouilles rapportent qu'ils ont trouve les cadavres de sept personnes, dont six hommes et une femme. Ils etaient affreusement mutiles. Celui de la femme surtout etait horrible a voir. La tete avait ete detachee du tronc, les jambes et les bras coupes, les seins arraches, le ventre ouvert et les entrailles sorties. On remarqua aussi que toutes les jointures avaient ete disloquees. Le general Strange qui commandait la colonne de terre avait fait inhumer dans le modeste cimetiere de la mission les restes des victimes, entr'autres la depouille des RR. PP. Fafard et Marchand, qu'on avait pu reconnaitre par quelques lambeaux de soutane qui adheraient encore aux chairs a demi carbonisees de ces martyrs que les Sauvages avaient, non-seulement, mis a mort et mutiles, mais avaient jetes dans la cave du presbytere qu'ils avaient ensuite incendie. Cela fait dix-huit cadavres qu'on trouve en ce meme endroit, tous des victimes de la barbarie indienne. On se mit en route pour Fort Pitt vers trois heures et quart a.m., et il etait onze heures et demie du soir quand on y arriva. La riviere est plus large en cet endroit et le courant est moins fort. Aussitot installes, on fit l'inspection du Fort. Partout le spectacle de la devastation la plus complete! Des cinq maisons que contenait le Fort, il n'en reste plus que deux. Quelques ruines encore fumantes marquent seules l'endroit ou etaient les autres. [Illustration: FORT PITT] CHAPITRE III. FORT PITT ET LA BUTTE AUX FRANCAIS. Quand le jour naissant eclaira la scene, le desastre, cause par le passage des Sauvages, put etre constate dans toute son etendue. Toute la campagne etait jonchee de debris. Les Sauvages n'ont rien laisse d'intact; il n'y a pas jusqu'aux chaises qui n'aient ete brisees. En parcourant les environs, on decouvrit le cadavre du jeune Cowan, de la police a cheval, qui a ete tue lors de la reddition du Fort. Il etait horriblement mutile. On dit que ce sont les squaws qui s'acharnent ainsi sur les cadavres de leurs ennemis comme des betes fauves; elles ne laissent jamais un membre intact. Tout tendait a demontrer que les Sauvages venaient de quitter le fort depuis quelques jours a peine. C'est ainsi qu'ils faisaient toujours a l'approche des volontaires. Laissant entre leurs ennemis et eux une distance respectable, ils semaient la destruction sur leur route. On trouvait partout des traces de leur passage, ici des ruines fumantes, et la un cadavre mutile. C'est La guerre, indienne dans tout ce qu'elle a de plus feroce et de plus barbare. Les rapports des eclaireurs ne tendaient pas peu a exciter l'impatience des soldats de rencontrer enfin l'ennemi. Voici, par exemple, ce qu'on leur avait rapporte concernant madame Delaney. "Apres l'avoir cruellement maltraitee, les Sauvages la depouillerent de tous ses vetements, et, lui ayant attache les pieds, lui disloquerent les jointures des hanches. Puis toutes ces brutes l'outragerent, chacun leur tour, jusqu'a ce qu'elle fut morte et continuerent tarit que le cadavre fut chaud." [Illustration: CAPITAINE BEAUSET] Une autre fois on rapporta que le facteur de la compagnie de la Baie d'Hudson a Fort Pitt, un nomme McLean, qui connaissait quelques-uns des chefs qui accompagnaient Gros-Ours, et qui croyait pouvoir sans danger s'approcher d'eux, comptant sur leur amitie passee, s'etait rendu a leur camp. Gros-Ours le retint prisonnier et l'installa cuisinier en chef de sa bande. Les deux demoiselles McLean, agees respectivement de seize et de dix-huit ans, avaient voulu accompagner leur pere; elles furent donnees pour epouses a deux des sous-chefs de la bande. Qui dit epouse, dit esclave. C'est au moment ou les esprits des soldats etaient montes par ces differents recits, qu'on trouva dans la prairie une chemise qui portait les initiales d'une des demoiselles McLean. Elle etait dechiree aux epaules et tachee de sang dans le bas. Pour tous, il n'y avait pas l'ombre d'un doute que la jeune fille n'eut souffert les derniers outrages. Vers deux heures de l'apres-midi, on enterra le cadavre du jeune Cowan. Le service funebre fut fait par un ministre protestant, et ses camarades tirerent plusieurs coups de fusil en son honneur. Un enterrement dans de telles circonstances, au milieu de la solitude, surtout lorsque l'ame est en proie a de noirs pressentiments, fait une penible impression sur tous ceux qui en sont temoins. Tous retournerent aux bateaux l'esprit songeur, interrogeant l'avenir avec crainte pour savoir si leur sort ne serait pas le meme que celui de ce malheureux jeune homme, mais disposes a faire leur devoir jusqu'au bout. Une partie des compagnies Nos. 5 et 6 fut laissee au Fort sous le commandement du capitaine Giroux et du lieut. Robert, avec ordre de reparer le fort et d'y tenir garnison. En quatorze heures le travail de reconstruction du fort etait termine. [Illustration: CAPITAINE GIROUX.] Le 27 de mai, le reveil a lieu a six heures. Aussitot leves, l'on recoit la nouvelle que le major Steele avait trouve les Sauvages et, en meme temps, l'ordre du general de se tenir prets a partir. Le general part par terre avec l'Infanterie Legere de Winnipeg et les waggons. Vers onze heures et demie a.m., l'on partit a bord du _Big-Bear_ au nombre de quatre-vingt-dix-neuf, officiers, sous-officiers, soldats et bateliers. Tout le bagage fut laisse en arriere; chaque homme n'apporta que ses armes, sa capote et une couverte. A deux heures et demie a.m., un eclaireur vient annoncer que l'avant-garde est engagee. Par ce courrier, le general fait parvenir au Lt.-Col. Hughes l'ordre de longer la cote et de debarquer aussitot qu'on deploiera un drapeau blanc sur la montagne. Tous attendent le signal avec impatience. Enfin, vers trois heures moins cinq minutes, on descend des bateaux et vers trois heures et vingt minutes on se met en route pour le champ de bataille. On peut entendre distinctement la fusillade. Au moment du depart, tous s'agenouillent et la scene est des plus solennelles. Les yeux tournes vers le ciel, le Reverend Pere Provost implore la benediction du Tres-Haut sur la vaillante phalange canadienne et lui donne l'absolution. Jamais spectacle ne fut plus saisissant de grandeur et de majeste. Le tableau, encadre dans l'immensite de la plaine, prenait des proportions grandioses. Ainsi reconforte, le bataillon se met en marche et gravit la premiere colline. Tous obeissent aux commandements en silence et dans un ordre parfait. Le canon fait tonner sa voix d'airain et repand la plus grande terreur parmi les Sauvages qui se sauvent dans un bois adjacent. Pendant leur fuite, les soldats tirent trois decharges de mousqueterie. Immediatement apres l'on recoit l'ordre de bivouaquer. Les chariots contenant les provisions n'etant pas arrives, l'on se couche sans souper. Que la nuit parut longue aux soldats epuises par les fatigues de la veille et incapables de dormir! On passe la nuit a la belle etoile sans couverte ni capote. Vers le matin quelques chariots arrivent. A trois heures on se met en rangs et tous prennent a la hate un dejeuner des plus modestes. Quelques minutes plus tard la colonne s'est mise en marche et rencontre l'ennemi dans une position fortement retranchee, sur une eminence rendue presqu'inapprochable par un ravin profond qui la separe des volontaires. Le general ordonne au 65e de descendre en tirailleurs dans ce ravin, pendant que l'on installe le canon sur la cote, opposee. Plusieurs detonations retentissent a la fois du cote des Sauvages; mais pas un homme ne bronche, pas une seule balle n'avait atteint son but. Les volontaires, en ce moment, descendent la cote au pas de charge et, malgre la terrible solennite du moment, trouvent encore un bon mot pour egayer les moins philosophes le long de la route. En effet le spectacle est imposant! Cent jeunes soldats, la fleur de la jeunesse montrealaise, se precipitant de coeur joie au milieu des balles ennemies, qu'une main divine peut seule faire devier de leur route; derriere chaque compagnie, le capitaine devenu serieux, comprenant toute l'importance de sa charge, toute la responsabilite que lui impose sa position; un peu plus loin, le reverend aumonier, revetu du surplis blanc, la sainte etole au cou et pret a administrer les derniers sacrements de la sainte Eglise. Le reverend Pere attend avec calme l'heure de remplir son devoir et jette de tous cotes un regard inquiet. Tout a coup, au milieu de la fumee, il distingue le brave Lemay qui tombe frappe a la poitrine. En un clin d'oeil il est aupres de lui ainsi que l'ambulancier Marc Prieur. On releve le malheureux blesse et le pretre lui donne les saintes huiles. Puis on le transporte dans la voiture d'ambulance. Le chirurgien-major est deja pres de lui et lui donne ses soins. On fend la chemise de Lemay et, au premier coup d'oeil, la blessure parait mortelle. La balle a passe si pres du coeur qu'au premier abord on a quelques doutes sur la possibilite d'une guerison. L'hemorragie se produit et bientot toute la figure et les habits de Lemay sont couverts du sang qui lui sort par la bouche. On a a peine donne les soins a Lemay, qu'un autre ambulancier, aide du general Strange en personne, apporte Marcotte et le depose a cote de Lemay dans le waggon d'ambulance. La plaie n'est pas si dangereuse que celle de Lemay, la balle ayant frappe Marcotte a l'epaule. Le premier coup de feu fut tire a ou vers six heures et demie du matin et vers neuf heures et demie la fusillade avait cesse. Voyant que l'ennemi etait de beaucoup superieur en nombre et que sa position etait imprenable, le general ordonna la retraite qui se fit dans le plus grand ordre. Dans toute cette affaire le 65e n'a pas ete menage; en se rendant au combat il etait a l'avant-garde et dans la retraite il formait l'arriere-garde. Vers midi le 65e s'arrete sur une hauteur, ou il se retranche fortement. Le general part avec le transport de fourgons et ordonne au 65e de se rendre a bord du Eig Bear. On se remet donc en route; mais en descendant la colline qui borde la rive on s'apercoit que le bateau n'y est plus. On fut donc oblige de continuer par terre et il etait sept heures et demie du soir quand la premiere compagnie arriva a Fort Pitt. Le lieutenant Mackay y etait arrive pendant la journee avec ses hommes et une compagnie de l'Infanterie Legere de Winnipeg. On ne peut guere se figurer la fatigue des soldats apres les evenements de cette journee. Pas un n'avait dormi de toute la nuit precedente; on etait parti pour le champ de bataille sans avoir a peine dejeune; l'on etait reste trois heures sous le feu, puis il avait fallu revenir a pied au Fort, une distance de onze milles. Aussi chacun gouta-t-il avec delices le repas qui fut servi au Fort et la nuit de repos qui le suivit. Voici les noms de ceux du 65e qui ont pris part a la bataille de la Butte aux Francais: Lt.-col. Hughes, major Prevost, major Robert, adj. Starnes, Dr. Pare, l'abbe Provost, l'instructeur Labranche. Comp. No. 3: Capt. E. Bauset, Lt. F. Ostell, sergents N. Gauvreau, J. B. Dussault, A. Beaudin, caporaux, Browning, L'esperance. Soldats: J. Marcotte. J. Deslauriers, Eug. Maillet, E. Brais, A. Brais, E. Souliere, Alp. Merino, U. Viau, Jos. Gaudet, Marc Prieur, ambulancier, Ed. Houle, Jos. Desglandon, Alb. Sauriol, H. Chartrand, Alex Martin, P. Sarrasin, A. Laviolette, A. Gagnon, Alf. Boisvert, Alex Riche. Comp. No. 4: Capt. A. Roy, Lt. Hebert, sergents G. Labelle, Houle, P. Valiquette, caporaux R. Vallee, Pouliot, E. Barry. Soldats: Ephrem Lemay, Ant. Mousette, G. Tessier, F. Carli, J. Martineau, B. Rodier, N. Beaulne, A. Fafard, F. X. Pouliot, D. Traverse, Alp. Dumont, S. Gascon, J. Roy, A. Labelle, X. Lortie, C. Gravel, Jos. Paquette, P. Dufresne, G. Grenier, ambulancier, clairon Descastiau. Comp. No. 5: sergents D'Amour, Bennet. Soldats: Valois, Desroches, Despatie, Jutras, Beauchamp, L. Leduc, Jos. Dagenais, Tellier, Gauvreau, Jos. Morin, Marceau, W. Rowarty, clairon, T. Robichaud. Comp. No. 6 a la charge du canon: sergent Lapierre. Soldats: L. Rose, G. Clairmont, A. Bertrand, O. Bertrand, E. Chalifoux, X. Larin, Jos. Lavoie, H. Langlois, D. Dansereau, H. O. Rochon, E. Allard, N. Doucet. La journee qui suivit fut donnee entierement au repos et chacun flana de son mieux. Dans l'apres-midi, Borrodaile et Scott, les deux courriers qui etaient alles a Battleford, arrivent au camp et annoncent la soumission de Poundmaker, La nuit s'ecoule silencieuse. CHAPITRE IV. A LA POURSUITE DE GROS-OURS. 30 de mai.--Vers neuf heures et demie du matin, tous les preparatifs etant termines, le bataillon recoit ordre de partir immediatement. Chaque homme a trente livres de bagage, et chaque compagnie n'a que deux voilures pour son bagage, etc. Tout le monde est donc oblige de marcher. Il etait midi et quinze minutes quand on arreta pour le diner; on etait rendu a un endroit tres-pres de celui ou l'on s'etait battu l'avant-veille. Vers les deux heures on reprit la marche et, apres environ huit milles, on monta le camp. 31 de mai.--La nuit fut tres-silencieuse. Il plut tout le temps et la pluie continua toute la journee. Dans le cours de l'apres-midi le major Perry arriva au camp. Il avait rempli sa mission a Battleford et etait revenu jusqu'a Fort Pitt a bord de _l'Alberta_. 1er de juin.--Reveil a quatre heures; dejeuner une heure plus tard. Ayant appris que Gros-Ours s'etait de nouveau mis en route pour le nord, le General ordonne au 65e de continuer au plus tot sa poursuite. A une heure et demie a.m., le camp est leve et le bataillon se met en marche. Il fait mauvais. En route, l'on traversa le camp fortifie des Sauvages. [Illustration: INSTRUCTEUR LABRANCHE] Ils l'avaient laisse en toute hate, abandonnant en arriere une cinquantaine de caissons, une centaine de charrettes, une quantite enorme de fourrures et de provisions, en un mot, presque tout le butin qu'ils avaient pris a Fort Pitt. On retrouva dans ce camp un billet de McLean, nous indiquant la direction que prenaient les Sauvages dans leur fuite. On campa cette nuit-ci sur le rivage. Vers les onze heures du soir, des prisonniers qui s'etaient echappes de Gros-Ours, arriverent au Camp au nombre de trois. Ces derniers donnerent toutes sortes de renseignements au general. 2 de juin.--De bonne heure ce matin une des femmes prisonnieres de Gros-Ours arrive au camp. Elle corrobore le temoignage des prisonniers recueillis la veille et declare que les prisonniers ont ete comparativement bien traites, et que les prisonnieres n'ont pas encore ete violees. Vers les dix heures et demie du matin, le general Middleton arrive accompagne de son etat-major, de deux cents cavaliers et d'un fort detachement d'infanterie des Midland, du 90e et des Grenadiers Royaux. Il fallait attendre les evenements avant de prendre aucun parti, et toute la journee s'est passee a rien faire. Vers le soir le ciel se couvre de nuages menacants. 3 de juin.--De bonne heure, le major Robert s'eloigne a bord de _l'Alberta_, dans la direction de Fort Pitt, d'ou il doit se rendre jusqu'a l'hopital de Battleford. Les blesses Lemay et Marcotte sont a bord du meme bateau. Le soldat Isidore Gauthier qui souffrait du rhumatisme obtint la permission d'accompagner les blesses a Battleford et les assista tout le temps de leurs souffrances avec une patience digne, d'eloges. Le caporal Lafreniere qui venait de se blesser a la jambe avec un petit pistolet qu'il portait sur lui, fut aussi expedie a Battleford, ou il passa le reste de la campagne. Quelques heures plus tard, au nombre des ordres du jour, on lut au bataillon celui de son retour a Fort Pitt, pour attendre en ce dernier endroit l'ordre du depart pour Montreal. Cependant la joie que causa la lecture de cet ordre ne fut pas de longue duree. Dans l'apres-midi un contr'ordre fut lu disant aux troupes de se rendre au Lac a l'Oignon. Le depart eut lieu vers les trois heures. Il faisait un temps des plus mauvais. On marcha quelques milles a travers des marais ou les soldats enfoncaient jusqu'a la ceinture. Il etait cinq heures et demie a.m. quand on s'arreta pour camper. L'endroit choisi a cette fin etait tres joli. Figurez-vous, une colline quelque peu elevee au pied de laquelle un lac sans nom roule placidement ses eaux. 4 de juin,--Reveil a quatre heures et demie a.m. Les soldats se mettent en rangs d'assez mauvaise humeur, et la marche commence malgre que personne n'ait, pris une bouchee depuis la veille. Il est une heure de l'apres-midi quand, apres avoir voyage par des chemins impossibles, l'on arrete pour le repas du midi qui est aujourd'hui le premier de la journee. Dans l'apres-midi le voyage se continue a travers les memes chemins. Le paysage varie peu. Ici un lac, la une riviere, a travers lesquels la .plaine s'allonge en souveraine. Quand l'on campa, le soir, on avait fait vingt-cinq milles presque au pas de course. Aussi les soldats ont-ils souffert enormement. Plusieurs avaient les pieds tout en sang; cependant personne ne murmura. 5 de juin.--Pendant la nuit, une compagnie d'infanterie legere de Winnipeg arrive au camp. De deux heures et demie a cinq heures du matin, il fait un orage epouvantable; tonnerre, eclairs, rien n'y manque. Vers les sept heures, le depart sonne. Apres trois heures et demie de marche a travers des chemins impraticables, la premiere colonne arrive au Lac aux Grenouilles. A peine arrives, quelques soldats, mettant de cote la fatigue du matin, se dirigent vers la scene des massacres et y trouvent. quatre cadavres. Le fait ayant ete rapporte au general, une escouade de la compagnie No. 3 est chargee de les enterrer. Certains indices portent a croire que ce sont les corps de Quinn et Gouin; de meme que les autres victimes de la sinistre journee du 3 avril, ils sont a demi carbonises et n'ont plus de forme humaine. Ce triste devoir ayant ete rempli, le clairon sonne le depart. Le paysage aux alentours du Lac aux Grenouilles est magnifique. La marche se continue pendant l'apres-midi. Le temps et les chemins sont des plus mauvais. Les soldats arrivent au camp epuises de fatigue et ne sont pas lents a se reposer. 6 de juin.--La nuit a ete belle. A six heures et demie du matin, l'on se remet en route. Apres quatre heures de marche on fait la halte ordinaire pour le repas du midi. Le temps se continue beau. Vers les trois heures de l'apres-midi la marche se reprend et se continue jusqu'a six heures. Au lieu de faire monter les tentes, les officiers distribuent a chaque soldat sa ration pour deux jours et, ces derniers l'ayant mis dans leurs sacs a pain, la route se continue. Il fait assez clair, mais les chemins sont plus impraticables que jamais. Ce n'est plus qu'une suite de _swamps_ ou marais profonds et interminables, ou l'on patauge dans l'eau jusqu'a la ceinture, sur une distance de deux cents verges. Pour comble de desagrement, l'affut du canon se trouve embourbe, et, les chevaux n'y pouvant plus rien, tous mettent la main au cable, quelques-uns l'epaule a la roue et, a force de travail et de misere, on reussit a conserver le canon que les soldats anglais de Winnipeg etaient disposes a sacrifier plutot que de faire le travail herculeen dont le 65e s'acquitte avec bonne humeur. Le devouement du 65e en cette circonstance, pour sauver, le canon, lui a valu de la part des Anglais le sobriquet de "crocodiles". Il etait onze heures et demie a.m. quand on se coucha autour des feux du bivouac et sans abri. 7 de juin.--La nuit parut longue et triste. Apres les fatigues de la veille on se trouva sans couverte ni capote. Chacun s'etendit du mieux qu'il put autour d'un bon feu, au risque de se reveiller les cheveux brules et les pieds geles. Quand l'on se reveilla, presque tous les habits etaient couverts de frimas. Le dejeuner servit bien a ramener la gaiete dans les esprits; il se composait de biscuits durs, viande en boite et d'eau. La marche se continue encore aujourd'hui. Le paysage est loin d'etre, beau et, en verite, il, faudrait qu'il le fut extraordinairement pour faire oublier aux soldats leurs souffrances physiques. Triste procession de la Fete-Dieu! On dirait plutot une troupe de pieux pelerins, tous se dirigeant a travers un pays inconnu, vers un lieu plus inconnu encore. Vers midi l'on fait la halte et les tentes sont montees. Ou croyait trouver ici quantite de fleur et d'avoine et il n'y a qu'une vingtaine de sacs de farine. On annonca aux soldats que la fin de la campagne n'etait pas eloignee, il ne fallait rien moins que cela pour relever le courage des troupes. Tous les coeurs tressaillent d'allegresse a cette seule nouvelle. Le reste de la journee est donne au repos. Le meme jour, la garnison du 65e, laissee a Fort Pitt, quittait cet endroit pour rejoindre leurs freres. Le Lt.-Col. Williams et une partie des Midland l'accompagnent. Ce detachement campe au Lac aux Grenouilles et eleve une seconde croix a la memoire des martyrs, a quelques arpents de la premiere. [Illustration: LIEUTENANT ROBERT] 8 de juin.--Le beau temps continue. De bonne heure l'on se remet en route. L'on arrete vers midi a la mission indienne de la Riviere aux Castors, puis on va camper a quelques milles de la, au milieu d'un bois. Cet endroit est parfaitement cache de tous cotes, et s'appelle la "Fuite de l'Ours." Ici doit-on rester Dieu sait combien de temps; c'est l'avant poste de l'armee. Jamais endroit ne fut plus propre a se derober a la vue de l'ennemi et, cependant, on n'y avait pas ete une demi-heure, qu'une bande innombrable d'ennemis inattendus fondit sur les soldats epuises de fatigue: c'etaient les maringouins! Ils s'etaient rendus par centaines, infatigables, insatiables, attaquant sans relache. Il n'y a pas d'autre moyen de s'en defendre que de se renfermer sous les tentes et de s'y enfumer comme des jambons. Pour sortir, on s'enveloppe la tete avec de la mousseline et l'on se couvre les mains de gants epais. 9 de juin.--Beau temps. Les maringouins ont cesse les hostilites pendant l'avant-midi, mais reviennent a la charge avec plus d'ardeur que jamais dans l'apres-midi. Il fallut s'enfermer de nouveau. Le pere Legoff, qui est missionnaire parmi les Montagnais depuis dix-huit ans deja, et qui s'est echappe du camp de Gros-Ours ou il etait prisonnier depuis deux mois, ayant reussi a persuader ses Sauvages de se separer de Gros Ours, vient nous voir; il est recu a bras ouverts surtout par le Pere Provost auquel il remet la croix du Pere Fafard toute maculee du sang de ce martyr et aussi d'autres reliques. Il se rend aupres du General pour interceder pour ses ouailles. 10 de juin.--Farniente. Beau temps chaud. Le general envoie le pere Legoff et le pere Provost aupres des Montagnais avec l'ultimatum suivant: "Soyez au camp demain a midi ou je brule tous vos etablissements et je vous chasse." Dans la soiree les maringouins reviennent avec du renfort, on redevient jambons. 11 de juin.--Rien d'extraordinaire aujourd'hui, a part l'arrivee du Capt. Giroux avec sa compagnie. Le Lt.-Col. Williams etait retourne au Lac aux Grenouilles sur l'ordre du General. Encore les moustiques! 12 de juin.--La nuit a ete tres-fraiche. Les Montagnais viennent trouver le general et se livrent a lui. Moustiques! Moustiques! 13 de juin.--Beau temps frais. Un petit orage vient de temps a autre varier l'uniformite de la temperature. Le general envoie un detachement de l'Infanterie Legere de Winnipeg, fort de cent hommes, intercepter la route de Gros-Ours. 14 de juin.--Meme temperature que la veille. On eut la messe vers les sept heures. Dans l'apres-midi, quelques officiers vont visiter le camp des Sauvages. Un triste spectacle s'offrit a leur vue. Denues de tout, le corps a peine vetu de quelques haillons ramasses un peu partout et formant un assemblage de costumes les plus bizarres, les malheureux Montagnais etaient etendus sous leurs tentes usees et dechirees. Jamais pauvrete plus abjecte n'habita plus miserable abri. Les officiers revinrent au camp tout pensifs, songeant aux milliers de familles eparses dans la vaste plaine dont la misere trouvait un tableau dans celle des pauvres malheureux qu'ils venaient de visiter. 15 de juin.--La nuit fut tres-froide. Quand le reveil sonna le matin, on fut quelque peu surpris de voir les tentes entourees d'une epaisse couche de neige; le lac situe pres du camp etait lui-meme couvert d'une couche de glace d'un quart de pouce d'epaisseur. Le colonel Smith quitta le camp, accompagne de cent hommes de l'Infanterie Legere de Winnipeg, pour des regions inconnues. Dans le cours de l'apres-midi le general Middleton arriva accompagne de son etat-major et en commandement de renforts considerables. Ils ont avec eux un canon _gatling_. 16 de juin.--Beau temps. Les maringouins se font encore sentir. 17 de juin.--Le beau temps continue, les maringouins ditto. Le capitaine Giroux part pour Montreal. 18 de juin.--Aucun changement dans la temperature. Plusieurs officiers et soldats vont se baigner dans la riviere aux Castors. 19 de juin.--Temps frais. On apporte au camp la nouvelle que quelques Cris des Bois sont au lac des Iles avec la famille McLean qu'ils se declarent prets a rendre. Le general envoie deux Chippewayens accompagnes de l'eclaireur Mackay pour aller chercher les prisonniers. 20 de juin.--La nuit a ete tres-froide et peu de soldats ont bien dormi. Au lever, il y avait une petite gelee blanche de pres de deux pouces d'epaisseur. Le camp est leve et l'on retourne coucher aux quartiers-generaux. 21 de juin.--Beau temps. Messe a huit heures. Dans l'apres-midi, il commence a circuler des rumeurs quant au prochain depart des troupes. 22 de juin.--On doute de l'exactitude des rapports quant au renvoi prochain des forces militaires du Nord-Ouest. Le temps se continue beau. 23 de juin.--Vers huit heures et demie du soir, l'ordre du depart est lu aux troupes et la date est fixee au lendemain. Quelques-uns ont peine a y croire mais ne refusent pas de se meler a la rejouissance generale qui est immense. 24 de juin.--Reveil a quatre heures. Le general adresse aux troupes des paroles de felicitation et l'on prend la route du retour a six heures et demie du matin. Il fait une chaleur accablante. La premiere halte se fait a dix heures et demie de l'avant-midi apres dix milles de marche. Dans l'apres-midi on parcourt quinze autres milles. Aussitot apres souper on reprend la marche et l'on ne campe qu'a onze heures et demie du soir. On a fait dans cette journee trente-cinq milles. 25 de juin.--Le depart a lieu a neuf heures. L'on marche toute la journee. A sept heures du soir on arrive au rivage ou le "North West" attend les troupes; on avait parcouru vingt-cinq milles. Les soldats sont epuises de fatigue. Les officiers vont coucher a bord, et les soldats restent sous la tente. 26 de juin.--Les soldats montent a bord du bateau vers les huit heures de l'avant-midi. Quelque temps apres le general arrive en personne accompagne de son etat-major. Il est salue par des hourrahs significatifs. Le reste de la journee est consacre a la flanerie. 27 de juin.--Il est dix heures de l'avant-midi quand le bateau arrive a Fort Pitt. On monte les tentes sur la rive. Rejouissances generales. 28 de juin.--Il fait tres-beau. Basse messe eu plein air. On donne un permis general de sortir du camp, et tous vont visiter leurs freres d'armes des autres bataillons. 29 de juin.--Le depart des troupes commence aujourd'hui. Il fait une chaleur accablante. 30 de juin.--Le temps chaud continue. 1er de juillet.--Toute la brigade d'Alberta parade, a sept heures du matin, devant le general Middleton. Ce dernier, apres avoir fait l'inspection des differents bataillons, complimente de nouveau les troupes. 2 de juillet.--Il fait beau. Le colonel Ouimet arrive avec le reste du 65e bataillon. Joie indescriptible On recoit l'ordre de s'embarquer demain a bord de la "Baronness." CHAPITRE V. LEMAY ET MARCOTTE. Arrive a ce point du recit, l'auteur a cru interesser specialement les lecteurs en pariant de la vie que menerent les deux vaillants blesses du 65e pendant le reste de la campagne. Le recit de leurs souffrances et de leurs miseres commence naturellement du jour ou ils sont tombes sur le champ de bataille. Comme on a pu le voir plus haut, Lemay tomba le premier. Lorsque la balle meurtriere le frappa, il etait quelque peu en avant de ses compagnons d'armes. Ceux-ci s'arreterent subitement en le voyant tomber et semblerent hesiter un moment. Le caporal Grave! fut le premier aupres de lui, et le soldat Marc Prieur, qui etait attache au corps d'ambulance, arriva quelques instants plus tard. En les voyant aupres de leur frere blesse, les soldats continuerent leur marche. Le chirurgien-major Pare et le reverend aumonier furent bientot sur les lieux. Pendant que le chirurgien examinait la plaie et palissait a la vue de la gravite de la blessure, le digne chapelain administrait les derniers sacrements au Blesse. [Illustration: SOLDAT EPHREM LEMAY.] Ce ne fut qu'une demi-heure plus tard que l'on apporta une civiere pour transporter le pauvre Lemay en dehors du terrain des hostilites. On l'y avait a peine transporte qu'un soldat accourut a la hate demander un second brancard pour apporter Marcotte qui venait de succomber. Quelques instants plus tard, le soldat Prieur, aide du gen. Strange lui-meme, apportait Marcotte et le placait a cote de Lemay. Le chirurgien ordonna aussitot qu'on mit les deux blesses dans un caisson, n'ayant pas d'autre moyen de transport. On ne peut guere se figurer les souffrances atroces des malheureux Lemay et Marcotte dans ces voitures d'ambulance improvisees. Etendus au fond des waggons, sans autre matelas que la mince toile du brancard, ils etaient bouscules de tous cotes, malgre la bonne volonte et les soins des charretiers. Et c'est ainsi qu'ils parcoururent les douze milles qui les separaient de Fort Pitt. Lemay surtout ressentait des douleurs indescriptibles que le genre de transport devait inevitablement causer. Incapable de remuer un seul membre, il gisait au fond du fourgon et poussait un cri de douleur a chaque cahot de la route. De temps a autre, il pouvait, entendre la voix inquiete du pere Provost qui demandait au chirurgien: "Est-il mort?" Ajoutez a ce tourment celui de la soif la plus ardente causee par la fievre qui le devorait. Rien, pas une goutte d'eau, et Lemay repetait toujours: "De l'eau! de l'eau!" Enfin l'on arrive a Fort Pitt. Les deux blesses sont deposes dans une des vieilles constructions en ruines que renfermait encore la palissade du fort. Ici, ils furent bien traites par le soldat Brown de la Cie. No. 1, et la conduite de ce dernier merite les plus grands eloges. Ils resterent en cet endroit jusqu'au trois juin, quand le major Robert vint les chercher a bord de _l'Alberta_, pour les mener a Battleford. On les transporta a bord sur des brancards et ils furent installes dans la chambre de l'ingenieur. L'appartement etait assez confortable, mais, malheureusement, un accident arriva au navire et bientot l'eau inonda le plancher de leur infirmerie. Leur infirmier, le soldat Isidore Gauthier, se montra des plus devoues a leur egard. Il passait toute la journee et une grande partie de ses nuits aupres d'eux. Tantot il balayait l'eau qui s'etendait sous leurs lits, tantot il leur portait un verre d'eau et toujours il etait exact a leur administrer les remedes prescrits par le chirurgien et a changer les bandages qui couvraient leurs plaies. Il remplit son devoir a toute heure du jour ou de la nuit. La nuit, il etait oblige de s'accroupir dans un coin de l'appartement sur sa couverte pliee en six pour empecher l'eau de l'imbiber completement. Enfin le bateau arriva a Battleford apres deux jours et deux nuits de marche. Il faisait un temps sombre et les corps etaient a peine installes dans un express-waggon, qui avait ete envoye de l'hopital au bateau pour les aider, que la pluie se mit a tomber. Quelques couvertes furent jetees a la hate sur les pauvres blesses, et en route! Apres un quart d'heure de marche, l'on s'arreta vis-a-vis la porte d'entree d'une marquise. De petites croix rouges, posees ici et la, annoncaient au passant que les blesses seuls etaient entres sous cette tente. On placa immediatement les nouveaux arrivants dans un endroit reste libre, a gauche de la porte d'entree. Ils eurent leur lit l'un pres de l'autre. Pendant qu'avec mille precautions l'on descendait les malheureux Lemay et Marcotte de la voiture, le caporal Lafreniere sautait a terre et se choisissait une bonne place sous la tente ambulanciere. Il prit le premier lit a gauche. Le second fut donne a l'homme de police McKay qui avait ete, comme Lemay et Marcotte, blesse a la Butte aux Francais et qui souffrait beaucoup de la jambe gauche ou la balle l'avait frappe. La troisieme place etait occupee par le brancard de Lemay qu'on avait decore du nom de lit a cause des quelques couvertes qui pouvaient proteger le blesse contre les intemperies du climat. Marcotte etait le quatrieme et occupait un lit semblable a celui de Lemay. Il y avait en tout vingt-quatre lits dans la tente, en deux rangees, serres les uns pres des autres, ne laissant qu'un etroit passage entre eux. Les autres lits etaient tous occupes par des blesses de l'Anse au Poisson et de l'Anse du Coup de Couteau qui etaient, a l'arrivee de nos freres en etat de convalescence. Pendant la premiere semaine ils furent relativement bien traites; pendant que Lafreniere profitait du beau temps pour aller a la peche, le chirurgien-major Strange donnait ses soins a Marcotte. Enfin, au bout d'une dizaine de jours, la balle etait extraite sans trop de douleur, et Marcotte pouvait esperer un retablissement rapide. Lemay ne souffrait guere que de la fievre, mais etait trop faible pour remuer sur son lit. Ils purent alors apprecier la valeur des services de leur confrere du 65e, le soldat Gauthier, qui etait leur infirmier. Toujours patient, toujours devoue, il se rendait de bonne grace aux prieres des blesses et en avait soin comme un frere de charite. [Illustration: SOLDAT MARCOTTE.] Aussi quelle difference quand, pour une raison quelconque, il s'absentait de la tente. Aussitot les soldats anglais qui pouvaient se promener s'approchaient des pauvres Lemay et Marcotte, leur riaient au nez et venaient s'etablir au pied de leurs lits pour manger des confitures ou des gelees dont ils se gardaient bien de leur offrir la plus petite partie. Il est bon de remarquer ici que ces douceurs etaient celles envoyees par les dames de Montreal, et dont l'etiquette etait enlevee pour etre remplacee par une autre a l'adresse d'autres bataillons. Alors les soldats anglais se racontaient d'une maniere cynique le voyage du 65eme suivant les rapports qu'ils en avaient lus dans le "News," et parlaient assez haut pour que l'un des blesses du 65eme put les entendre. Mais l'on serait porte a croire que la jalousie seule ou l'orgueil faisait ainsi agir les heros de l'Anse aux Poissons, et que dans certaine circonstance leur coeur parlerait plus haut que leurs prejuges. Qu'on se detrompe! L'on ne peut guere se figurer jusqu'ou le fanatisme et la jalousie peuvent mener. Une circonstance entre cent le demontrera. C'etait le 14 juin, au matin, le soldat Gauthier venait de quitter ses blesses pour voir a leur nourriture. Lemay souffrait horriblement. La nuit precedente le vent avait enleve la tente et pendant plusieurs minutes il etait reste expose au froid. Incapable de se remuer d'un cote ou de l'autre, il demande a un grand Anglais qui fumait tranquillement sa pipe s'il serait assez bon de le changer de cote. L'Anglais se leva brusquement sans dire un mot et, saisissant Lemay par un bras, le renversa brutalement du cote oppose. Immediatement sa plaie se rouvrit et son bandage tomba. Trop affaibli pour dire un seul mot, il gemit de son impuissance et de la force de la douleur. Quelques instants plus tard, Lemay demanda tranquillement au jeune Anglais qui l'avait si brutalement servi pourquoi il le maltraitait ainsi. "Tu te plains comme une femme, s... cochon de Francais," lui repondit-il. (You moan like a woman, g... d... pig of a Frenchman.) Non content de ces paroles, il lui rappela une a une toutes les attaques du "News" contre le 65eme, et pendant une demi-heure ne cessa de l'accabler d'injures. Lemay gisait tout le temps immobile sur son lit, incapable de prononcer un mot, impuissant a faire un geste. O lache! triple lache! qui profites ainsi de la faiblesse de ton rival pour l'insulter et lui jeter ta venimeuse calomnie a la face. Tu montrais la toute la grandeur de ton courage. Va! tu n'as rien a craindre d'aucun membre du 65e, personne ne te touchera... de peur de se salir,... tu n'auras qu'a proteger ta face contre les crachats! Par bonheur, l'arrivee de l'infirmier Gauthier coupait court aux discours du soldat anglais, et Lemay et Marcotte reposaient tranquilles le reste de la journee. Pendant les cinq semaines que nos deux blesses passerent a l'hopital, le vent emporta quatre fois la tente qui etait leur seul abri. En une circonstance surtout, l'accident aurait pu avoir des consequences funestes. C'etait vers le commencement de juillet. Lemay qui avait repris des forces et qui pouvait maintenant marcher sans appui, avait commence a s'habiller quand, au milieu d'une pluie battante, la tente culbute et est entrainee parle vent. Marcotte ne sachant ou se mettre fut bientot mouille jusqu'aux os. Alors il se jeta a bas du lit et, se cachant dessous la toile du brancard, reussit a s'en faire un abri. Il resta dans cette position environ un quart-d'heure. Ce ne fut qu'apres l'orage et qu'on eut replace la tente qu'il fut remis dans son lit par deux infirmiers. Enfin le 5 juillet arriva. On avait annonce partout a Battleford l'arrivee du 65eme. Vers les huit heures du soir les vapeurs "_Marquis_" et "_North West_" arriverent et Lemay, sachant que le 65e faisait partie de cette expedition a bord de la "_Baroness_," s'etait rendu au rivage, impatient de revoir ses freres d'armes. Mais il attendit en vain. Il etait dix heures et le vapeur n'arrivait pas, alors il retourna a son lit decourage. Le lendemain matin cependant, apres deux longues heures d'attente, il vit poindre a l'horizon le pavillon rouge de la "_Baroness._" Comme son coeur battait fort, comme ses yeux s'emplissaient de larmes de reconnaissance et de joie a l'idee qu'il allait bientot revoir ses bons amis dont il avait ete depuis si longtemps separe et dont il avait tant de fois regrette l'absence. Le pauvre Marcotte, incapable de sortir, ecoutait avec avidite tous les bruits du dehors et quand on lui annonca le "65eme!" un sourire inexprimable se dessina sur ses levres bleuatres et une larme perla a sa paupiere. Le meme jour, Lemay monta a bord du bateau et continua avec son bataillon jusqu'a Montreal, ou le peuple enthousiasme lui fit une ovation magnifique. Les bouquets pleuvaient dans son carrosse, et chacun se pressait a venir lui serrer la main et lui souhaiter la bienvenue. Marcotte se mettait en route le 7 juillet avec d'autres blesses et prenait le train de Swift-Current, d'ou un train direct le menait a Montreal. Quelques jours apres son arrivee, ses amis lui donnerent plusieurs banquets et lui presenterent une jolie medaille en argent. Les deux noms de Lemay et de Marcotte, resteront graves sur le cadre d'honneur du 65eme et auront une place glorieuse dans les annales de notre histoire. FIN DE LA DEUXIEME PARTIE. [Illustration: FORT OSTELL.] 1. Entree. 2. Guerite. 3. Mat et drapeau. 4. Tente des soldats 5. Tente de garde. 6. Cuisine et dortoir. 7. Appartement des officiers. 8. Four. 9. Tente du boulanger. 10. Tente du capitaine. ll. Ecuries. 12. Tranchee. 13. Canaux. 14. Ponts mobiles. 15. Fosse. 16. Abattis. 17. Revetement. TROISIEME PARTIE. LE BATAILLON GAUCHE En Garnison. CHAPITRE I. FORT OSTELL. Apres avoir donne le recit complet des aventures de l'aile droite du 65e bataillon dans sa marche a travers la plaine, l'histoire de la campagne de l'aile gauche s'impose a l'auteur comme un devoir imperieux. Le but de cet ouvrage serait manque et le lecteur serait prive de la partie sinon la plus interessante du moins bien importante de l'histoire de la campagne du 65e. Pendant que sous le Lt.-Col. Hughes le bataillon droit ajoutait a force de fatigues, de miseres et de courage une page glorieuse a son histoire, le bataillon gauche, divise en cinq detachements et disperse sur une etendue de cent-cinquante milles, menait a bonne fin sa mission de pacification. Partout ou le 65e a passe, il a laisse des traces glorieuses de son sejour et c'est surtout dans l'extreme ouest que l'aile gauche, apres une vie sedentaire de six semaines, a su meriter son titre de soldat missionnaire. Prechant d'exemple, il a pu par sa bonne tenue, sa conduite reguliere, ses moeurs douees et tranquilles, en imposer a l'esprit impressionnable des nombreuses tribus sauvages au milieu desquelles il a vecu. Partout, Sauvages comme Metis avaient surnomme les volontaires de Montreal les "bons petits habits noirs" et obeissaient a leurs officiers avec plus de respect que de crainte. Comme il a ete mentionne plus haut, il y avait cinq detachements dont voici les noms par ordre de distances de Calgarry: vingt hommes de la compagnie No. 8, sous le commandement du lieut. Normandeau, a la Traverse du Chevreuil Rouge, a cent milles au nord de Calgarry; la compagnie No. 1 (vingt-cinq hommes et deux officiers) sous les ordres du capt. Ostell, a la Riviere Bataille, trente-huit milles au nord du premier detachement; vingt hommes choisis des compagnies 1, 3, 4 et 8, sous le capt. Ethier, aux Buttes de la Paix, trente-cinq milles plus haut; la compagnie No. 2, avec le capt. des Trois-Maisons comme chef, a Edmonton, quarante milles au nord des Buttes de la Paix, soit deux cent-treize milles de Calgarry, et finalement la compagnie No. 7, sous le lieut. Doherty au Fort Saskatchewan, vingt milles a l'est d'Edmonton. Des le l4 mai toutes ces differentes garnisons furent mises sous les ordres du lieut-col. Ouimet qui tenait ses quartiers-generaux a Edmonton. La mission de ce bataillon ainsi disperse etait d'abord de proteger les lignes de communication pour permettre le passage libre des transports de provisions de Calgarry jusqu'au front; mission importante, comme on peut le voir, car de sa vigilance et de sa fidelite a remplir son devoir dependait la vie du bataillon droit. Le second but que ce bataillon devait atteindre etait la pacification des nombreuses tribus sauvages au milieu desquelles il sejournait. Chaque detachement etait entoure de quinze cents a deux mille Sauvages, qui, au commencement de la campagne, etaient dans une excitation extraordinaire, et que l'arrivee des troupes ne fit qu'augmenter plutot que diminuer. Chacun des postes etait dans la position la plus precaire, car, a part le soulevement des tribus environnantes, on craignait a juste raison les Pieds Noirs qui murmuraient contre le gouvernement et etaient pousses a la revolte par Gros-Ours lui-meme. Si, un bon matin, il avait plu a ces messieurs de s'insurger, leur marche naturelle etait de Calgarry a Edmonton et, l'emportant de beaucoup par le nombre, ils s'emparaient un a un des forts situes le long de leur route et pas un volontaire de l'aile gauche n'aurait vecu pour raconter les massacres commis. Pour ne pas trop embrouiller le lecteur, la vie de garnison de la compagnie No. 1 fera le recit du premier chapitre. La position occupee par les differents detachements etant connue du lecteur, il lui sera plus facile de comprendre la campagne en procedant par ordre de compagnies. Le 5 mai, vers midi, la compagnie No. 1 arrivait a Edmonton avec le reste de l'aile gauche, moins trois hommes qu'on avait du laisser pour completer la garnison du Fort aux Buttes de la Paix. Elle alla camper avec le reste du bataillon a l'est du Fort. La compagnie No. 7 etait deja rendue au Fort Saskatchewan. Les Nos. 5 et 6 quitterent Edmonton le meme jour pour se diriger sur Fort Pitt. Le lendemain, les ordres de brigade commandaient aux capts. Ostell et Bauset de se tenir prets a partir, avec leurs compagnies, dans les vingt-quatre heures. Il faut dire ici que les capts. Beauset et Ostell avaient ete mentionnes specialement par le major Perry au major-general Strange pour leur conduite a la Traverse du Chevreuil Rouge, et ces deux capitaines sont les seuls officiers de compagnie dont il ait ete fait une mention speciale. [Illustration: CAPITAINE OSTELL.] Cependant deux heures plus tard un contre-ordre, faisant remplacer la compagnie No. 1 par le No. 4, fut transmise au bataillon. Le capt. Ostell devait rester a Edmonton ou il serait commandant en chef, ayant sous lui sa compagnie et la compagnie No. 2, a Edmonton, le detachement du Fort Saskatchewan, et les volontaires anglais d'Edmonton. On etait occupe a faire les preparatifs pour entrer dans le Fort quand vers midi, le 7 mai, le capt. Ostell recut un nouvel ordre du general Strange. Cette fois-ci, il fallait partir, a une heure d'avis, et retourner sur ses pas jusqu'a la Riviere Bataille, soixante et dix milles au sud. Le meme soir, tous les hommes de la compagnie No. 1 etaient en marche et, trois jours plus tard, apres un voyage des plus rudes, ils arrivaient au lieu de leur destination, un vieux chantier isole au milieu de la plaine, a un mille et demi au nord de la Riviere, Bataille. Pour bien comprendre la mission de ce detachement, voici le texte meme des instructions qu'il avait recues avant son depart d'Edmonton: Edmonton, 7 mai 1885. Instructions a l'officier commandant le detachement du 65e bataillon a la Riviere Bataille. Vous avez ete choisi a cause de la reputation militaire que vous vous etes acquise par votre habilete et votre energie. La protection de notre ligne de communication avec la base de nos depots de provisions est d'une importance essentielle. Le pays a l'est de votre Fort est bien difficile et deviendra tres-certainement une ligne d'operations, le long de laquelle des maraudeurs indiens essaieront par petites bandes de s'emparer de nos transports de provisions. Vous occuperez le vieux chantier de la Baie d'Hudson pres de chez le R. P. Scullen. Vous le mettrez dans un etat de defense aussi complet que possible, construisant une defense de flanc de maniere a empecher l'ennemi de s'approcher assez pour incendier la maison. Vous embrasserez probablement la maison du R. P. Scullen dans votre ligne de defense. Vous marquerez la portee de vos carabines du Fort a tous les objets dans les alentours, et habituerez vos hommes a mesurer au pas ces differentes distances de maniere a ce qu'ils se les rappellent, ce qui rendra votre feu plus effectif en cas d'attaque. Apres que vous aurez complete la defense de votre fort, vous emploierez vos hommes a reparer, a temps perdu, les chemins dans le voisinage de votre poste, mais, en aucun temps, vous ne laisserez votre fort sans protection; au contraire, vous exercerez la plus grande surveillance, jour et nuit. Il est probable qu'une troupe de carabiniers a cheval aura aussi ses quartiers-generaux a votre poste Ils feront une patrouille reguliere entre la Riviere du Chevreuil Rouge et Edmonton. Toutes les provisions tant pour les rations des Sauvages que pour les votres vous seront confiees. Le Pere Scullen, j'en suis sur, vous aidera de son mieux par ses connaissances et son influence. Par ordre, C. H. DALE, Capitaine, Major de Brigade. Malgre l'apparente precision de ces instructions, elles ne peurent etre executees a la lettre, car contrairement aux informations, il n'y avait aucune maison habitable sur la reserve du Pere Scullen. Le capitaine Ostell continua plus loin, et a dix milles au sud, trouva un chantier qu'apres une semaine de travail on put mettre en etat de defense. Le Lt.-Col. Ouimet approuva plus tard l'action du capitaine Ostell. Malgre toute la bonne volonte possible les travaux de fortification n'avancaient pas vite, car, vu le petit nombre de soldats qui composaient le detachement, chacun avait beaucoup a faire. Il y avait, comme on le sait, vingt-cinq hommes. Pendant le jour, quatre d'entre eux, un sous-officier et trois soldats, montaient la garde; et la nuit, cette garde etait doublee. A part ces derniers, il faut aussi deduire un boulanger, un cuisinier, le servant des officiers et deux soldats qui travaillaient aux corvees d'eau et de bois de chauffage. Il restait donc a peine dix hommes pour travailler aux tranchees et autres fortifications. Cependant au bout de quelques semaines, l'ouvrage etait presque termine. Une tranchee de deux pieds et demi de profondeur, faite en forme de carreau, a ete creusee tout autour du terrain sur une longueur de deux cents verges; elle communique au moyen de quatre canaux avec un fosse de cinq pieds de profondeur qui entoure la maison. Un abattis de branches la protege contre toute attaque immediate. Des ponts mobiles ont ete poses sur les canaux pour donner plus de facilites de transport aux voitures de charge qui stationnaient au fort. De fortes barricades ont ete construites pour proteger les portes et les fenetres. Un mur en tourbe de six pieds de haut a ete eleve tout autour de la maison, au-dessus du fosse. Vingt-huit meurtrieres percees dans les murs completent la defense du Fort. Pendant les premiers jours, c'est-a-dire, jusqu'a la fin du mois de mai, toute la garnison et surtout le capitaine etaient sur des epines. Les travaux de fortification se poursuivaient de sept heures du matin a six heures du soir et quelquefois meme la nuit. Les Sauvages des alentours etaient dans un malaise perceptible et, malgre les remontrances des missionnaires qui leur apprenaient a nous considerer comme des freres, ils attendaient avec anxiete les resultats des batailles qui se livraient dans l'est. Enfin la prise de Batoche delivra les garnisons de leur fausse position. Plusieurs tribus qui avaient quitte leurs reserves a l'arrivee des troupes, revinrent s'y etablir a la fin de mai et tout rentra dans L'ordre. [Illustration: LIEUTENANT PLINGUET] Voici la liste des hommes qui passerent le temps de la campagne au Fort Ostell: J. B. Ostell, capitaine commandant; A. C. Plinguet, lieutenant; H. Beaudoin, sergent de couleur; Anatole E. Robichaud, second sergent; G. Aumond, caporal. Les soldats T. Belanger, J. Bourgeois, A. Cadieux, K. Caples, A. Chartrand, L. Chalifoux, G. R. Daoust [l], O. Drolet, Louis Goulet, Emile Baudin, Jacques Labelle, Arthur Lanthier, E. Latulippe (2), Ludger Longpre, A. Marsan, A. Michaud, A. Narbonne, A. Ouimet, J. Parent, A. Pepin, H. Picard et Louis Weichold. [Note 1: Nomme caporal le 23 juin; eleve au grade de sergent le 6 juillet.] [Note 2: Nomme caporal le 6 juillet.] Les incidents qui marquerent le passage de la compagnie No. 1 au Fort Ostell sont peu nombreux, l'auteur se borne dans ce recit a n'en raconter que les principaux. Le 12 mai, vers les six heures du soir, un courrier apporta une depeche au capitaine de la part du Lieut.-Col. Ouimet, lui ordonnant de se rendre le soir meme chez le Pere Scullen pour avoir une entrevue particuliere. Le capitaine fait immediatement seller son cheval et laisse le Lieut. Plinguet en charge du Fort. Il ne revint que le lendemain matin avec d'assez bonnes nouvelles. Les Pieds-Noirs dont on redoutait un soulevement etaient rentres dans l'ordre. Quelques jours plus tard, le 16 mai, le Dr. Powell, un jeune gradue de l'universite McGill, arrivait au Fort. Il etait officiellement attache en qualite de chirurgien aux trois garnisons du 65eme situees au sud d'Edmonton, devant tenir ses quartiers generaux au Fort Ostell. Le nouveau medecin etait a peine entre en fonction que tous l'estimaient et l'aimaient comme un des leurs. En effet, depuis cette date jusqu'a la fin de la campagne, le docteur Powell remplit sa tache avec une fidelite et un devouement exemplaires. Il lui fallait faire a cheval une moyenne de cent cinquante milles par semaine pour visiter les differents postes ou son devoir l'appelait. Il voyageait toujours seul, et ne craignait pas de traverser les reserves des Sauvages qui se trouvaient sur sa route et ou un jour ou l'autre il pouvait etre attaque et massacre. Les officiers de chacune des trois garnisons n'ont pas manque de le mentionner specialement dans leurs rapports au commandant en chef a Edmonton. Le 19 mai, le courrier, qui faisait le service entre le Fort Ethier et le Fort Ostell, arriva malade au camp. Il etait tombe a bas de son cheval. Le capitaine fit alors appeler le sergent G. R. Daoust (qui n'etait que soldat a cette date) et lui confia la mission de remplacer le courrier malade. Deux jours plus tard, il revenait au Fort apres avoir rempli sa mission a la satisfaction de ses chefs. Le 23 mai, vers onze heures du soir, le corps de garde sort a la hate pour repondre a l'appel du soldat Belanger qui monte l'arriere garde. La nuit est tres-sombre et c'est a peine si l'on peut distinguer a six pieds devant soi. Belanger jure ses grands dieux qu'il a vu un cavalier arriver assez pres du parapet et, qu'a sa vois, il a change de direction et est parti au galop; il ne doute pas que ce ne soit un espion. On fait alors une patrouille a travers le bois et les marais aux alentours du Fort. Tous reviennent mouilles et de mauvaise humeur. L'un est tombe de tout son long dans un marais que l'obscurite lui cachait, un autre s'est frappe la tete sur une branche d'arbre, un troisieme s'est massacre la figure sur une talle d'herbes seches, et personne n'a pris ni vu un Sauvage; ce n'est donc pas etonnant qu'on soit de mauvaise humeur. Le reste de la nuit se passa bien tranquille. Le jour de la fete de la Reine se passa sans autre incident que la reception d'une liasse de "Patries." C'etaient les premieres nouvelles imprimees que l'on recevait. Six jours plus tard, les commissaires Royaux, charges de faire une enquete sur les griefs des Metis, passaient au Fort. Ils etaient trois: Messieurs Forget, Street et Goulet. Le capitaine Palliser etait avec eux. Il allait se joindre a l'etat-major du gen. Strange pour y occuper la place de major de brigade. Le meme soir, le R. P. Scullen vient coucher au Fort, et un grand nombre de soldats en profitent pour remplir leurs devoirs religieux. Le lendemain matin, le bon missionnaire celebre la basse messe dans le grenier du Fort. Tous les soldats y sont presents ainsi que les commissaires. C'est le premier service religieux auquel les soldats assistent depuis leur depart de Calgarry, le vingt-trois avril dernier. Le quatre juin, vers les onze heures de l'avant-midi, les soldats sortent a la hate et presentent les armes a Sa Grandeur Mgr. Grandin qui arrete au Fort en passant. Il dine avec le capitaine, et, apres diner, les soldats vont le visiter sous la tente. Il leur adresse quelques bonnes paroles de consolation, puis distribue a tous des medailles, scapulaires, etc. Avant son depart, Sa Grandeur benit le Fort qu'on baptise Fort Ostell, puis part en promettant que la premiere mission qui s'etablirait sur la riviere Bataille, en cet endroit, se nommerait Saint-Jean d'Ostell. Quelques jours plus tard, vers le neuf juin, le capitaine, ayant recu une depeche speciale, se met, en route pour la riviere du Chevreuil Rouge. Il se fait accompagner d'un detachement de carabiniers a cheval sous les ordres du Lt. Dunn. Le but de sa mission est d'aider un train tres-considerable de transports a traverser le pays et arriver en surete a Edmonton. Ce train etait protege par une quarantaine de volontaire du 9e de Quebec, sous les ordres du Lt. Dupuy. Il y avait deja huit jours qu'il etait retarde a la Traverse du Chevreuil Rouge par la crue de la riviere. Le capitaine Ostell, mettant a profit sa connaissance de la riviere par le fait d'y avoir travaille vers la fin du mois d'avril, lors du passage du bataillon gauche, reussit a faire traverser tout le train apres dix-huit heures de travail. Le douze au soir, le capitaine revenait a son Fort, et le lendemain les officiers du 9e arretaient en passant. Le quatorze juin, le capt. Ostell partait pour les Buttes de la Paix ou il allait voir l'agent des Sauvages, un nomme Lucas, a propos de malentendus survenus entre les Sauvages et lui. Depuis l'arrivee des troupes dans ces territoires, il existait une anomalie etrange dans les rapports des officiers de compagnie avec les Sauvages. Comme le lecteur a pu le voir plus haut dans l'ordre du gen. Strange, le capitaine Ostell avait ete instruit de voir aux rations des Sauvages, mais aucun ordre n'avait ete donne a l'agent Lucas. Ainsi quand le capitaine demandait a l'agent de donner telle ou telle ration, ce dernier lui repondait qu'il n'avait aucun ordre a recevoir de lui, vu qu'il dependait du departement des Sauvages et n'avait rien a voir dans les affaires du ministere de la Milice. Heureusement cette entrevue du capitaine avec l'agent mit fin, pour quelque temps, a un etat de choses embarrassant. Le seize juin, on hisse un magnifique drapeau, present du Lt.-Col. Amyot du 9e au capt. Ostell. Dans l'apres-midi, on nous apporte des provisions en masse. Tout le bas du fort etait rempli de sacs de fleur, de sel, de boites de corn beef, de hard tacks et le reste. Quelques-uns des soldats se decouragent, car il y a de quoi nous faire subsister jusqu'au printemps prochain. Le vingt juin cessa le systeme organise des courriers. Depuis l'arrivee des troupes, on avait etabli six postes de courriers entre Calgarry et Edmonton. Le premier poste etait de Calgarry a Scarlet, une distance de quarante milles; le deuxieme de Scarlet a Millar, quarante-cinq milles; le troisieme de Millar a la Traverse du Chevreuil Bouge, quinze milles; le quatrieme de la Traverse du Chevreuil Rouge a la Riviere Bataille, trente-cinq milles; le cinquieme de la Riviere Bataille aux Buttes de la Paix, trente-huit milles, et le dernier des Buttes de la Paix a Edmonton, quarante milles. A chaque poste, excepte au troisieme, il y avait deux courriers. Par ce systeme les depeches se transmettaient regulierement toutes les vingt-quatre heures entre Calgarry et Edmonton, sur une distance de deux cent treize milles. Le vingt-cinq juin, ca commence enfin a avoir l'air du depart. Le lieutenant peut a peine contenir sa joie, chacun lit sur sa figure la bonne nouvelle. Vers les six heures, le capitaine reunit ses hommes pour leur distribuer des chemises et des calecons, puis il leur communique la depeche Suivante: Fort Edmonton, 24 juin 1885. Au Capt. OSTELL, Commandant, Riviere Bataille. Monsieur, J'ai ordre du Lt.-Col. Ouimet de vous avertir de faire des preparatifs immediats pour conduire votre compagnie au Fort Edmonton ou vous devrez vous rapporter pas plus tard que lundi prochain, le vingt-neuf courant. On vous envoie des waggons pour le transport. Vous emporterez avec vous tout le bagage, armes, habits et equipement de campagne de votre detachement. Vous ordonnerez aux deux hommes des Carabiniers a cheval du Lt. Dunn, qui sont chez vous, de prendre la charge de votre poste, et vous prendrez d'eux les recus de tous les effets et provisions que vous laisserez a la Riviere Bataille. J'ai l'honneur d'etre, Monsieur, Votre obeissant serviteur, Capt. G. BOSSE, Major de Brigade. Il est impossible de depeindre la scene qui suivit la lecture de cette lettre. Il faut avoir endure toutes les souffrances de cette campagne, avoir souffert de tous les ennuis de ces solitudes pour comprendre ce qu'est l'ordre du retour. Le lendemain, chacun prepare son bagage et ce ne fut pas long. Dans l'apres-midi, Bobtail, chef des Cris, vint visiter le Fort avec sa femme; il est accompagne de jeunes Sauvages parmi lesquels Pic de Bois. Bobtail est un homme qui parait arriver a la soixantaine. Il a une figure tres-intelligente, mais son regard n'est pas franc et, quand il parle, on dirait qu'il n'exprime que la moitie de ce qu'il pense. Il etait monte sur un magnifique mustang gris fer. Il portait sur sa poitrine une medaille "Victoria" en argent. De longues plumes ornaient sa coiffure de peau de loutre. Pendant qu'il essaie de se faire comprendre du capitaine, un autre Sauvage, de costume encore plus etrange, entre en scene. C'est Alexis, surnomme le Pretre des Montagnes. De loin, il ressemble etrangement au fameux vicaire de Wakefield. Grimpe sur une haridelle aux allures douteuses, une grande croix rouge flanquee au milieu du dos, un vieux chapeau enfonce sur le crane, il avait un air de Sancho Panca impossible a depeindre. Cependant cet homme au costume original est devant Dieu un des plus grands hommes de l'Ouest. Quand il descendit de cheval, sa figure ascetique et son apparence religieuse impressionnerent les soldats. On put alors voir son costume au complet. Il porte une grande jaquette bleue, un chale blanc avec une grande croix en flanelle rouge sur les epaules, sa tunique est rouge comme sa croix. Il a en outre un crucifix a sa ceinture. Il parla en francais et servit d'interprete a Bobtail. Alexis obtint un permis du capitaine sur la parole de Bobtail, qui en faisait de grandes louanges. Cette nuit personne ne put dormir. Il etait deux heures du matin quand on cessa de parler du prochain voyage. Le lendemain, vingt-sept juin, vers les quatre heures et demie de l'apres-midi, la compagnie No. 1 quitta le Fort Ostell et se mit joyeusement en route pour Edmonton. CHAPITRE II. FORT EDMONTON. Dans le but de proceder systematiquement au recit des evenements qui se rattachent au sejour de l'aile gauche du 65e bataillon dans les forts qu'il a eu pour mission de defendre, Edmonton suit immediatement Ostell. Apres la compagnie No. 1, passons a No. 2. L'auteur a hesite quelque temps a placer le recit de la defense d'Edmonton a la seconde place, car son importance lui donne droit a la premiere. A Edmonton en effet etaient les quartiers generaux du commandant en chef de toute la ligne de defense de Calgarry a Fort Pitt. Ce n'est qu'apres mure reflexion et pour rendre plus claire dans l'esprit du lecteur la position de chaque compagnie du bataillon, que l'auteur s'est decide a faire le recit en se basant sur l'ordre des compagnies dans le bataillon. Edmonton n'est rien autre chose qn'un gros bourg que les citoyens de l'endroit ont qualifie du titre pompeux de (town) ville. Cette ville (puisqu'on l'appelle ainsi) est situee a un mille de la Saskatchewan et est, en general, bien batie. Toutes les constructions sont en bois, il n'y a que deux maisons en brique. Les habitants de la ville sont pour la plus grande partie des Anglais, les Canadiens resident aux environs sur les terres qu'ils ont defrichees. [Illustration: FORT EDMONTON--(Vue interieur.)] Sur les bords de la Saskatchewan s'eleve le fort de la Baie a'Hudson. Ce fort, dont les murs consistent en pieux enfonces en terre et fortement lies les uns aux autres, renferme le magasin de la Baie d'Hudson, les quartiers des employes et des dependances considerables. Comme il est muni d'un bon puits qui peut fournir de l'eau _ad libitum_ a une garnison assez considerable, il pourrait soutenir un assez long siege contre des troupes qui ne seraient pas munies d'artillerie. Sans etre d'une liberalite excessive ni d'une politesse extraordinaire, les employes de la compagnie de la Baie d'Hudson nous ont cependant temoigne assez de sympathie. Les marchands nous ont bien vendu leurs marchandises au plus haut prix, et l'on sait ce que c'est que le plus haut prix dans l'Ouest; mais c'etait pour eux une occasion unique de voir de leurs yeux de l'argent. Car il faut dire que cette expedition du Nord-Ouest a ete un bonanza pour cette region. Lorsque nous y sommes arrives, l'argent y etait des plus rares, le cultivateur, le producteur echangeaient leurs produits contre de la marchandise et la plupart du temps l'argent n'entrait pour rien dans toutes ces transactions. Notre arrivee a ete comme un: torrent d'argent qui a envahi le pays. Les semences etaient presque terminees et les cultivateurs attendaient la moisson les bras croises; tout-a-coup, grace a la revolte, les voila qui louent leurs chevaux au gouvernement a raison de $8.00 par jour pour deux chevaux et de $12.00 pour quatre. Ils vendent leurs animaux cent pour cent plus qu'ils ne valent et ainsi de suite pour leurs autres produits. La compagnie de la Baie d'Hudson avait une quantite de provisions en magasin, le gouvernement a tout achete au maximum. Si on pouvait en ce cas-ci appliquer, pour trouver la cause de la rebellion, le vieux proverbe "le vrai coupable est celui a qui le crime profite," on n'aurait pas besoin de se demander si certains fournisseurs ne sont pas au fond de cette affaire, car plusieurs y ont fait fortune. D'un autre cote, les missionnaires ont perdu toute leur influence sur les Metis et les Sauvages en revolte. Les chefs de ces rebelles leur ont represente les pretres comme des traitres vendus au gouvernement. La preuve, c'est que les Sauvages ont massacre deux missionnaires, ce que n'avaient jamais fait auparavant meme les Sauvages idolatres. Les blancs ont aussi a se plaindre du gouvernement, Il y a ici d'honnetes colons canadiens et anglais qui sont etablis sur des terres qu'ils possedent depuis plusieurs annees et qui, cependant, n'ont encore pu obtenir de lettres patentes. Si les choses continuent ainsi, avant longtemps, nous aurons une seconde rebellion a abattre et cette fois ce ne serait plus une revolte de Metis mais de colons canadiens et anglais. L'on se plaint aussi beaucoup du monopole exerce par la compagnie de la Baie d'Hudson et de la conduite des agents des Sauvages. L'on tient ces derniers responsables en grande partie des troubles qui ont eclate dans certaines tribus. On leur reproche leur incapacite, leur malhonnetete dans certains cas et souvent leur ignorance complete des moeurs et coutumes des gens sur les interets desquels ils ont la charge de veiller. [Illustration: LIEUTENANT CHAUREST] Ce sont toutes des nominations politiques; tant qu'il en sera ainsi, les choses ne changeront pas. Les notes qui precedent ont ete cueillies ca et la, elles ont ete fournies a l'auteur par les colons canadiens des environs, si elles ne sont pas exactes, elles representent du moins l'etat d'esprit dans lequel se trouvaient nos compatriotes de l'Ouest quand nous sommes passes a Edmonton. [Illustration: CAPT. DE TROIS MAISONS.] Le bataillon droit du 65e arriva a Edmonton le 1er mai; quatre jours plus tard le bataillon gauche entrait aussi au Fort. Apres que la division du bataillon eut ete decidee, le general Strange confia a la compagnie No. 2 la garde de cette place importante. Le capitaine des Trois-Maisons, assiste des Lts. DesGeorges et Charest, etait l'officier en charge du detachement du 65e, mais le general Strange qui y tenait encore ses quartiers generaux, en etait le commandant. Le 14 mai, le Lieut-Col. Ouimet arriva de Calgarry a Edmonton, accompagne du Major Brisebois, ancien officier de la Police a cheval et fondateur du Fort Brisebois connu aujourd'hui sous le nom de Calgarry. Le voyage de Calgarry a Edmonton, deux cent quinze milles, avait ete fait en quatre jours. L'arrivee du colonel fut saluee par des cris de joie de la part de tous les soldats du bataillon. A peine descendu de voiture, le colonel alla se rapporter au Major-General Strange qui le felicita sur son heureux retour. Il le remercia des services qu'il avait rendus a la division d'Alberta par la maniere habile dont il s'etait acquitte de sa mission a Ottawa, ajoutant qu'il regrettait que pour des raisons politiques il s'etait repandu tant de fausses rumeurs au sujet de ce voyage. La meme apres-midi, le general Strange quittait Edmonton en bateau, accompagne du 92eme d'Infanterie Legere de Winnipeg, en route pour Victoria ou l'attendait le bataillon droit du 65eme. Un ordre de brigade, lu avant le depart du Major-General, enjoignait au Lieut-Col. Ouimet de rester a Edmonton comme commandant militaire du District avec le controle des detachements du 65eme en garnison dans les differents postes, la surveillance des Sauvages des reserves environnantes. Il recut aussi instruction speciale de veiller a maintenir les communications de la colonne expeditionnaire du General Strange, et d'assurer son approvisionnement dont la base etait Calgarry. A part les officiers deja nommes, le Capt. Bosse, capitaine paie-maitre du bataillon, resta a Edmonton. Le Major Brisebois qui avait offert ses services fut accepte comme officier d'etat-major et ses services ainsi que son experience furent d'un grand prix. [Illustration: FORT EDMONTON (Vue exterieur.)] Des le lendemain du depart du General Strange, une deputation des Canadiens et des Metis de St-Albert, composee de cinq representants des deux nationalites, se rendit aupres du Colonel Ouimet avec une lettre de Mgr Grandin. Ils representerent qu'une _Danse de la Soif_ avait ete convoquee par des emissaires de Gros-Ours sur la reserve de la Riviere _Qui But_, a dix milles en arriere de St-Albert. Le but de cette assemblee etait de declarer la guerre aux blancs, et les Sauvages s'y rendaient de tous cotes. Il y avait meme une date fixee, le 24 mai, pour le pillage et le massacre des habitants de St-Albert et d'Edmonton. Sur la suggestion du Colonel, le lendemain, une grande assemblee de tous les Canadiens et les Metis de St-Albert eut lieu, et soixante et quinze Metis apres avoir prete le serment d'allegeance, recurent des armes et se mirent en etat de defense. M. Samuel Cunningham [3] etait leur capitaine; il etait assiste de MM. Bellerose et Maloney comme lieutenants. Le meme soir vingt-cinq des nouveaux volontaires etaient mis en service actif et places en eclaireurs tout pres de la reserve pour surveiller les Sauvages et pour se renseigner sur leurs desseins. Ils firent, si bien leur devoir que les Sauvages, au bout de quelques jours, abandonnerent leur projet de danse et retournerent sur leurs reserves Respectives. [Note 3: M. Cunningham a ete elu l'automne dernier membre du Conseil du Nord-Ouest.] Un evenement important qui marqua le passage du bataillon en cet endroit fut la procession de la FETE-DIEU. Environ cinquante hommes de la compagnie No. 2 a Edmonton et de la compagnie No 7 au Fort Saskatchewan y prirent part et servirent d'escorte au Saint-Sacrement, l'arme au bras, avec leurs officiers. N'eut-ce ete l'absence de la musique du regiment on se serait cru a Montreal. Le zele que deployerent en cette circonstance les habitants de St-Albert pourrait temoigner a lui seul de l'estime qu'ils avaient pour le bataillon. Chacun avait envoye sa voiture pour transporter les volontaires et le voyage fut des plus gais. Apres la messe, un diner splendide, prepare par les soeurs grises de la Mission, fut servi aux soldats dans une des grandes salles de l'Eveche. Il serait a propos de mentionner ici l'oeuvre immense que font les religieuses de cet ordre en cette localite. Etablies dans le pays depuis plusieurs annees, elles y ont fonde un orphelinat sous la haute protection de l'Eveque. Recueillant, un peu partout, de pauvres petits enfants indiens, elles les elevent dans la voie de la vertu la plus severe et, tout en preparant leurs ames a la grace, dissipent les tenebres de l'ignorance ou sont plonges leurs jeunes esprits. Aussi quelle agreable surprise pour les volontaires que d'entendre ces jeunes pupilles chanter "Les Souvenirs du Jeune Age" en bon francais, prononce avec un accent metis inimitable, et le "Home sweet home" en bon anglais. A part cette instruction intellectuelle, les bonnes religieuses habituent leurs eleves aux travaux manuels de toute sorte et les disposent a mieux gouter tous les bienfaits de la civilisation. Quelques jours apres cette fete, les employes superieurs de la Compagnie de la Baie d'Hudson lancerent un defi aux officiers pour un concours de tir. L'enjeu etait un diner chez M. Pagerie. Et ce n'etait pas peu de chose. M. Pagerie etait un celebre cuisinier francais qui s'etait fixe a Edmonton depuis quelques annees et y perdait peu a peu, faute de pratique, la memoire des fameux plats qu'il servait jadis a ses clients. La palme resta au 65eme. Le Col. Ouimet, le Capt. Baby et le Lieut. DesGeorges furent les vainqueurs par dix-sept points. Jusqu'au 22 mai, rien de bien extraordinaire ne vint troubler la monotonie de la vie de garnison. Ce jour-ci cependant la nouvelle de la victoire de Batoche ramena la joie dans tous les esprits et il y eut de grandes rejouissances au camp. Deux jours plus tard, on celebrait avec pompe l'anniversaire du jour de la naissance de Notre Gracieuse Souveraine. Il y eut fusillade et le canon tonna. Le reste du mois s'ecoula sans incident remarquable. Le 9 juin, la compagnie des volontaires Metis de St-Albert fut envoyee en expedition au Lac la Biche pour rassurer les esprits et intercepter Gros-Ours qui, suivant les rapports de certains Metis, se sauvait dans la direction du Lac Froid. Le Lieut. DesGeorges recut le commandement de cette expedition. [Illustration: LIEUTENANT DES GEORGES.] Quelques jours plus tard, la troupe revenait avec la bonne nouvelle que sa mission avait ete remplie avec succes. Enfin arriva le 24 juin, fete nationale de tous les Canadiens. Tous les volontaires du 65eme, tant du Fort Saskatchewan que d'Edmonton, se dirigerent sur St-Albert ou une messe solennelle fut chantee par Sa Grandeur Mgr. Grandin. Tous les soldats y assisterent en armes. Apres le service divin, il y eut grand diner a la Mission. Dans l'apres-midi, apres un joli concert fourni par les eleves de l'orphelinat, eut lieu la grande assemblee des Metis de St-Albert. Des discours patriotiques furent prononces par le R. P. Lestang, le Col. Ouimet, M. A. Forget, Ecr., Joseph Gauvreau, agent des terres, les Capts. Ethier, Doherty, et autres. C'etait la premiere assemblee publique donnee sous les auspices de la Societe Si Jean-Baptiste de St-Albert, fondee le matin meme. A peine revenus de cette fete, le Colonel recut du General Middleton une depeche speciale lui ordonnant de rassembler au plus tot les divers detachements du 65eme et de descendre a Fort Pitt par bateau. Le 29 juin au soir tous etaient reunis aupres du Fort. Avant leur depart, les citoyens de St-Albert crurent devoir offrir aux officiers un grand diner d'adieux. Les choses furent conduites a merveille. Le menu y etait excellent et ne fut surpasse que par les discours patriotiques des orateurs. Le lendemain apres-midi, le vapeur "_Baronness_" arrivait au Fort et le meme soir le 65eme disait adieu a Edmonton, en promettant de ne l'oublier jamais, mais esperant sincerement n'etre jamais forces d'y revenir sous les memes circonstances. CHAPITRE III FORT SASKATCHEWAN. Vendredi, le 1er mai, le bataillon droit etait rendu a Edmonton. La veille, le major-general Strange avait informe le Lt.-Col. Hughes qu'il serait necessaire d'envoyer un detachement du 65e a Fort Saskatchewan, un poste de la Police a cheval, a une vingtaine ae milles a l'est d'Edmonton, sur la branche nord de la Saskatchewan. En conformite avec les instructions recues, le Lt.-Col. Hughes dut prendre une compagnie de l'aile droite. Son choix tomba sur la compagnie Mo. 7 commandee dans ce moment par le Lt. C. J. Doherty qui remplissait _pro tempore_ les fonctions de capitaine; le lieut. A. E. Labelle devait aider au Capt. Doherty a remplir ces fonctions importantes. En obeissance aux ordres recus, la compagnie laissa Fort Edmonton a sept heures du matin, le lendemain, 2 mai. Elle etait composee comme suit: Capitaine C. J. Doherty, commandant; Lieut. A. E. Labelle; Sergent-Major G. E. A. Patterson; Sergent de couleur Arthur Laframboise; Sergents Edouard Terrous et E. Desnoyers; Caporaux Joseph Moquin, Charles Cox et Philippe J. Mount; Soldats Joseph Audette, Narcisse Breux, Fred. Bury, F. Brousseau, D. Caron, D. Clifford, A. E. Clendenning, N. Fafard, L. Fournier, James Kelly, Thos. Kennedy, Adolphe Laberge, Emile Lefebvre, E. Lafontaine, Ulric Lamontagne, J. Victor Marien, A. E. Marien, Jos. E. Monette, Alfred Marsouin, Albert Perreault, John Polan, Michael Roach, Georges Smith, Pierre Schinck, Lucien Sauriol, J. E. Theriault, Chs. Thuot, L. P. Wilson; trompette, Octave Giroux; tambour, A. Remillard. [Illustration: CAPT. DOHERTY] La route d'Edmonton a Fort Saskatchewan est passablement bonne, mais les chevaux etant fatigues par la derniere marche de Calgarry a Edmonton, on n'arriva au Fort que quelques heures plus tard. A mi-chemin le detachement fit une halte, et alla luncher a une espece d'hotel tenu par un ancien Montrealais, qui, il y a quelques annees passees, etait chef de cuisine au St. Lawrence Hall. Ce premier repas plut tellement aux voyageurs que plus tard jamais aucun officier ou homme de la garnison, qui quittait le Fort Saskatchewan en route pour n'importe quel antre endroit, ne manquait d'arreter chez "Pagerie" en passant; on se sentait un appetit extraordinaire a la vue du vieux chantier transforme en restaurant. Soit dit entre parentheses que des malins faisaient circuler des rumeurs allant a dire qu'une certaine demoiselle aux yeux bleus, fille de l'hotelier, etait un aimant plus puissant que l'hospitalite de Pagerie lui-meme. Quoiqu'il en soit, lors de cette premiere visite, le devoir forca les officiers et les hommes a quitter l'endroit, et, a deux heures de l'apres-midi, la compagnie No. 7 gravissait le monticule sur lequel le Fort etait situe. On avait du traverser en bac hommes, chevaux et equipage. Ce moyen de transport est mu par la force du courant de la Saskatchewan, qui comme celui de toutes les rivieres qui prennent leur source dans les Montagnes Rocheuses, est tres-rapide. Le systeme qui fait fonctionner le bac est des plus simples et cependant il causa une certaine surprise aux volontaires qui ne l'avaient encore vu en operation. Une corde en fil de metal est tendue d'une rive a l'autre, fixee a deux poteaux tres-eleves sur l'une et l'autre rives. Deux petites roues courent tout le long de cette corde. A chacune de ces roues est attache un cable qui est fixe autour d'une troisieme roue a bord du bac meme, vers le milieu. En faisant fonctionner cette derniere roue d'un cote ou de l'autre, la corde, posee dans la direction ou l'on veut aller, se raccourcit, attire le bac du cote indique et, le mettant dans le courant, l'entraine sur la rive opposee. Au moment ou la compagnie grimpait la cote du Fort, quatre de front, la garnison, sous les ordres du Sergent-Major Parker de la Police a cheval (le commandant, Major Griesbach, etant absent), sortit sous les armes et, apres avoir salue les arrivants par une fusillade, presenta les armes. Le compliment fut aussitot rendu et, quelques minutes plus tard, la compagnie entrait dans ses nouveaux quartiers. On fixa immediatement les tentes dans le carre des casernes puis tous prirent un repos bien merite, apres une marche d'au-dela de 220 milles. Le fort est place dans un endroit tres-pittoresque. Situe sur la cime d'un monticule, il domine la riviere dont les eaux bourbeuses s'elancent avec tant de force que l'on dirait qu'elles vont, d'un moment a l'autre, emporter avec elles la cote de sable elle-meme. Le fort, comme on etait convenu de l'appeler, est entoure de tous cotes par des broussailles, ce qui ne peut que favoriser l'espionnage d'ennemis comme on en redoute dans ces territoires. Les fortifications consistent en une cloture basse faite de pieux plantes dans le sol; une seconde rangee de pieux, dix pieds de haut, est plantee derriere la premiere. Cette cloture entoure un terrain quadrangulaire d'environ deux cents verges de front sur une profondeur de cent cinquante. Sur ce terrain il y a six batiments; les quartiers de l'officier-commandant, une maison plus petite, situee tout aupres, servant de logement aux officiers de la compagnie, une caserne, et une salle de garde. Cinq bastions, garnis de meurtrieres, font saillie dans la palissade et donnent un abri sur, derriere lequel on peut combattre avec succes toute attaque contre le Fort. A l'arrivee du detachement du 65e, ce fort etait defendu par dix-sept hommes de la Police a cheval, sous les ordres de l'inspecteur Griesbach. Plus tard le nombre des hommes de police fut reduit a sept ou huit. Des le lundi suivant, le 4 mai, le capitaine donna des ordres qui fixaient la discipline quotidienne. Le lever devait avoir lieu a six heures. Il y aurait cinq heures d'exercices; une avant dejeuner, deux avant diner et deux autres pendant l'apres-midi; le coucher avait lieu a dix heures. Ce meme jour, l'inspecteur Griesbach, eleve au rang de major par le gen. Strange, fit l'inspection de la compagnie. Il dit qu'il etait charme de l'apparence et des qualites militaires des hommes, mais ajouta qu'il regrettait que leurs habits et accoutrements ne fussent plus convenables. A partir de cette date jusqu'a la fin de la campagne, tous s'appliquerent a leurs devoirs respectifs, et les recrues, qui n'etaient pas peu nombreuses, acquirent une connaissance suffisante des mouvements militaires pour parer a toute eventualite. Dimanche, le 10 mai, la compagnie se rendit a la petite chapelle catholique situee dans le village, ou plutot, comme disent les gens de l'Ouest, dans la cite de la Saskatchewan. Le Rev. Pere Blais, O. M. I., qui est cure de cette paroisse, y dit la sainte messe. Ce pretre devoue est natif des Trois-Rivieres, et est le frere du Rev. Pere Blais, superieur du College de Nicolet. Quoiqu'encore jeune, cet apotre a la charge de trois paroisses, ce qui veut dire une centaine de milles dans ce pays de distances magnifiques. Par son zele et son esprit de sacrifice dans l'accomplissement de ses devoirs sacres, il s'est fait aimer de tous ceux au milieu desquels la Providence l'a place. Sa bonte exceptionnelle a l'egard des membres de la compagnie No. 7 ne sera jamais oubliee par ceux-ci, et les officiers comme les hommes sauront, chaque fois que leur pensee retournera aux jours passes sur les rives de la Saskatchewan, se rappeler avec reconnaissance le saint apotre et ami qu'ils avaient la-bas; ils espereront sans cesse pouvoir un jour lui souhaiter la bienvenue dans sa province natale. La messe fut servie par le sergent de couleur Laframboise, (fils de feu l'hon. juge Laframboise) et par le sergent Eugene Desnoyers, (fils de Son Honneur le juge Desnoyers). Un choeur improvise, dirige par le Lt. A. E. Labelle, fit resonner les voutes de la mission de tons inconnus jusqu'a ce jour. Les membres de la compagnie professant la religion protestante eurent un service dans les casernes; le R. P. Biais y officiait. On n'avait pas jusqu'a ce jour, malgre les rumeurs qui circulaient generalement, vu aucun Sauvage hostile dans les environs, et la galante compagnie No. 7 commencait a craindre qu'elle n'eut que peu de chances de moissonner aucun laurier dans la campagne. Lundi, le 11, on recut au Fort la nouvelle que les Sauvages et les Metis de la Riviere Bataille devaient se soulever, intercepter et s'emparer d'un convoi de provisions qui marchait de Calgarry a Edmonton. Le major Griesbach recut des ordres lui commandant de se rendre a la riviere Bataille, avec toute la police a cheval du Fort, pour arreter les chefs de ce mouvement. Il quitta le Fort a une heure avancee de la veillee, laissant la garnison sous le commandement du Capt. Doherty. La journee du mardi se passa sans incident; mais vers minuit et demi, le mercredi matin, la sentinelle, en devoir dans le bastion du Nord-Est de la palissade, crut devoir appeler le sergent de garde. Le sergent de couleur Laframboise, en devoir ce soir la, se rendit au bastion. Apres quelques minutes d'attente, il put voir les broussailles s'agiter et entendre des sifflements sourds presque immediatement suivis de cris imitant ceux du coyote ou louveteau des prairies. Le sergent alla immediatement reveiller le capitaine qui, sans perdre de temps fut sur les lieux, accompagne du Lt. Labelle. Deux eclaireurs metis qui etaient au Fort declarerent, apres avoir entendu les cris des broussailles, que ce ne pouvaient etre ceux d'aucun animal, mais plutot, ceux dont se servent ordinairement les Sauvages quand ils sont dans le sentier de la guerre. Toute la compagnie fut bientot sur pied. En un instant, les bastions etaient occupes par differentes divisions et chacun etait a son poste. Evidemment les rodeurs durent s'apercevoir que la garnison etait preparee a les recevoir chaudement et que prendre un Fort defendu par une milice canadienne est chose plus difficile que l'on pense, car ils se retirerent peu a peu, et au petit jour les signaux de ralliement se repetaient dans la distance. Le capitaine crut alors devoir envoyer deux eclaireurs, de longue experience comme trappeurs, pour examiner les bois environnants et faire rapport an commandant. Apres une patrouille faite avec soin, ils revinrent au fort et declarerent qu'ils etaient surs qu'une bande de Sauvages avait rode aux alentours de la place. Plus tard on apprit que les Sauvages avaient eu connaissance du depart du major et d'une partie de la garnison, et avaient probablement cru l'occasion favorable pour saccager le fort. Cependant, comme on a pu le voir, la surveillance des braves de Montreal gata la sauce. Pendant le sejour de ce detachement dans le fort, plusieurs officiers vinrent y faire visite; entr'autres le Gen. Strange, les capitaines Giroux et Bosse et les lieutenants Ostell, Hebert et DesGeorges. Les uns comme les autres ne purent que faire des eloges de la bonne tenue des hommes. Dans la nuit du 24 de mai, le soldat Laberge, qui etait de garde dans le bastion, apercut deux cavaliers qui s'approchaient du fort avec des allures suspectes. Ne recevant aucune reponse a son qui vive! il dechargea sa carabine et les vit prendre au galop un chemin oppose. La sentinelle du bastion plus loin fit aussi feu sur les fuyards et les vit prendre, a la course, la direction des cotes du Castor. Le lendemain, on celebra l'anniversaire de la naissance de la reine Victoria. Dans l'avant-midi, il y eut une partie de _base ball_ entre neuf membres du 65e et neuf de la Police a cheval et des Eclaireurs; la victoire resta a ces derniers. Dans l'apres-midi un programme tres-bien rempli de jeux de toutes sortes fut execute a la lettre. Pendant la veillee, il y eut un grand bal dans les casernes. Parmi les personnes presentes, il y avait Mesdames major Griesbach; major Butler, A, Lang et Delles Mary Undine Wragge, fille de feu le col. Wragge, J. Inglis, soeur de Made Lang et aujourd'hui epouse du Dr. Tofield, chirurgien-general de la division d'Alberta, et MM. major Griesbach, Dr. Tofield, capitaines des Trois-Maisons et Doherty, et Lt. Labelle. Il etait une heure du matin quand la danse cessa. Des rafraichissements furent distribues par le sergent-major Patterson, president du comite des jeux. Le 3 de juin, sur la permission du Lt.-Col. Ouimet, huit hommes de la garnison sous les ordres du Lt. Labelle, se rendirent a St. Albert pour prendre part a la procession de la Fete-Dieu. Quelques jours plus tard, le Lt.-Col. Ouimet visita le fort. Il se declara satisfait au plus haut degre et felicita les officiers et les hommes sur leur conduite. L'evenement le plus important qui suivit fut la celebration de la fete St. Jean-Baptiste. Quinze hommes se rendirent a St. Albert sous le commandement du Capt. Doherty pour prendre part a la fete. Ce fut la que le Lt.-Col. Ouimet annonca qu'on avait recu des ordres de retourner a Montreal aussitot qu'un bateau, envoye de Fort Pitt, serait arrive a Edmonton. La nouvelle fut recue avec beaucoup d'enthousiasme: la vie de garnison devenait monotone et, malgre tous les charmes de la vie militaire, tous commencaient a realiser que rien ne peut remplacer le foyer absent. Des leur retour au fort, les soldats ne furent pas lents a repandre la bonne nouvelle parmi ceux qui avaient fait la garde en leur absence; et les preparatifs du depart furent commences. Le dimanche au soir, le capitaine Doherty alla souper chez M. Fitzpatrick sur l'invitation de ce dernier. M. Fitzpatrick est le frere du savant avocat qui a defendu le malheureux Riel; c'est un cultivateur tres-riche; entr'autres proprietes, il est possesseur d'un vaste terrain situe sur la rive nord de la Saskatchewan, vis-a-vis le Fort. Le R. P. Blais et M. Reid, qui est aussi un cultivateur fortune, etaient au nombre des invites. Le lendemain matin, le camp etait leve et chacun se mettait en route, le coeur gai, pour Edmonton ou l'on arriva vers les dix heures. Il n'y eut qu'un seul endroit en route ou les soldats eprouverent quelque peine. Ce fut lorsqu'on passa devant le petit hotel de Pagerie; pas un qui ne jetat un regard de regret et d'envie vers l'unique fenetre de la maison d'ou "l'ange de la Foret" envoyait a chacun le baiser d'adieu. Avant de clore ce chapitre, un mot sur la conduite et les amusements de cette garnison. La discipline et la subordination des hommes a toujours ete exemplaire. La satisfaction du commandant de la compagnie a ete telle, qu'il a cru devoir donner les galons de lieutenant aux trois sergents de cette compagnie avant d'arriver a Montreal. Les quelques semaines de sejour au Fort n'ont pas ete sans amusement. Les hommes donnaient leur temps perdu au jeu de balle, tandis que le Lt. Labelle, a la recherche d'un moyen quelconque de tuer le temps, decouvrait un jeu de paume qui fut immediatement place dans la cour du fort. Que de fois la lune eclairait la fin de quelque partie chaudement contestee, a laquelle les dames du Fort ne refusaient pas de prendre part. D'autres fois lorsque les ombres de la nuit forcaient les joueurs a cesser la partie, l'on se dirigeait bras dessus bras dessous vers le bas de la colline et, pour le galant lieutenant, ce n'etait pas la partie la moins interessante du programme. Pendant ce temps, le capitaine plus serieux, comme le requeraient, son age et sa position, fumait paisiblement une pipe de tabac en compagnie du major Griesbach et goutait, avec delices, l'hospitalite de la dame du Major dont l'excellence des tartes au flan n'etait surpassee que par la cordiale politesse avec laquelle elles etaient offertes. Pour tout resumer, la compagnie No. 7 n'a pas de souvenirs facheux de son sejour au Fort Saskatchewan. S'il y avait des jours ennuyeux et des nuits d'alarme il y avait d'autre cote des heures de plaisir et d'amusement; et lorsqu'officiers comme soldats ramenent leurs pensees a ces jours de vie militaire, tous s'accordent a repeter le vieil axiome: "s'il y a dans la vie de mauvais quarts d'heure, il y a aussi de belles journees." [Illustration: FORT ETHIER. A.-Casernes. B.--Bastion. C.--Maison de l'interprete. D.--Ecuries E.--Maison de l'agent.] CHAPITRE IV. FORT ETHIER. Le lecteur se rappelle que, lors de la marche du bataillon gauche de Calgarry a Edmonton, vingt hommes avaient ete laisses aux Buttes de la Paix, sous les ordres du Lieut. Villeneuve, en conformite avec les ordres du general Strange. Cette garnison, qui devait plus tard s'illustrer par la construction d'un fort superbe, qu'elle a laisse comme souvenir de son passage sur la rive sud de la Petite Riviere au Calumet, mieux connue sous le nom de riviere de la Paix, se composait comme suit: Lieut. Villeneuve; de la 8e compagnie, Sergent L. Favreau, aussi de la 8e; caporal Eusebe Beaudoin de la 1ere compagnie; et des soldats Napoleon Robert, et Ferdinand Robert du No 1; J. Savard, J. Connolly, E. Tailor, et Joseph Chapleau, No 3; N. Bourdeau, A. Gravel, F. Depatie, et A. Hebert, No 4; J. Sanschagrin, X. Quevillon, D. Menard, Edouard Gervais, L. Favreau, F. X. de la Durentaye, J. Lamarche et M. Deslauriers, No 8. Des le lundi, 4 de mai, au matin, ce detachement prit possession d'un chantier situe sur la ferme du Gouvernement, et se mit immediatement a l'oeuvre pour le rendre habitable. Pendant que le plus grand nombre travaillaient a cette besogne, d'autres percaient des meurtrieres. [Illustration: LIEUTENANT MACKAY] Le 6 de mai, le capitaine Ethier, qui s'etait rendu jusqu'a Edmonton avec le reste du bataillon gauche, dont il etait adjudant, recut ordre du general Strange de retourner tout de suite a la ferme du Gouvernement pour prendre le commandement des garnisons de la Traverse de l'Elan Rouge et des Buttes de la Paix, devant tenir ses quartiers generaux en ce dernier endroit. Le meme soir, le capitaine Ethier entrait dans ses quartiers, a la grande satisfaction de tous les hommes qui l'estimaient et comme chef et comme ami. Il y eut donc rejouissances generales au camp pendant la veillee; cependant a 9.30 heures les preparatifs pour le sommeil se commencaient et, a dix heures, le camp etait rentre dans le silence le plus profond. Tout-a-coup, vers une heure du matin, le cri d'alarme d'une sentinelle eveilla le capitaine et en quelques instants toute la garnison etait sur pied. En un clin d'oeil, chacun etait a son poste, et les ordres clairs, brefs du capt. Ethier etaient executes dans le silence le plus parfait. Il faut ici dire, a la louange des soldats de cette garnison, que dans cette circonstance ainsi que plusieurs fois plus tard, ils firent preuve d'un grand sang-froid et d'un courage calme. Attentif au mot d'ordre, chacun obeissait, en silence, se mettait au poste qu'on lui assignait et ne disait un mot que lorsque le danger etait passe et qu'il etait revenu a sa couverte. Cette nuit-la la consigne fut rigoureuse. Toute la garnison passa la nuit debout sur un qui-vive continuel. Plusieurs patrouilles furent organisees, conduites par le capitaine et le lieutenant a tour de role. Un metis Ecossais du nom de Philip, qui etait attache au camp en qualite d'interprete et un nomme Joseph Kildall (Big Joe), sous-agent des Sauvages Stonies accompagnerent les soldats dans leur patrouille. La nuit etant tres-obscure on ne decouvrit rien. Cependant de bonne heure, le matin, Big Joe decouvrit les traces d'une bande de Sauvages a un mille du Fort. En suivant les pistes, on calcula qu'ils etaient venus en assez grand nombre. Dix loges avaient ete levees et, croyant sans doute la force de la garnison plus nombreuse qu'elle ne l'etait en realite, l'ennemi s'etait enfui au lever du soleil. Le resultat de cette alerte fut la decision immediate d'un plan de fortifications. Le conseil de guerre, compose du capitaine et du lieutenant, s'assembla le meme jour et decida, a l'unanimite, de commencer immediatement les travaux de fortification. Embarrasse par son inexperience, le conseil decida de choisir, comme modele de fortifications, celles du bastion a meurtrieres de l'Ile Sainte-Helene. Le meme soir le capitaine posa le premier bois du bastion a deux etages qu'on devait construire sur le meme plan que celui de l'Ile Ste-Helene, et le lieutenant jeta la premiere pelletee de terre du futur mur de revetement. On se mit tout de suite a l'oeuvre et, au bout de dix jours, le fort etait en assez bon etat de defense; la garnison pouvait maintenant resister a des forces vingt fois superieures. Le fort consiste en nne grande maison de bois equarri, garni d'une double rangee de meurtrieres; au rez-de-chaussee sont installees la salle de garde et la cuisine; a cote de la cuisine, la chambre des officiers; le dortoir est situe partie en haut partie en bas. Le poste est protege par la Riviere de la Paix et les collines qui l'avoisinent; un bastion de dix pieds carres, a deux etages, domine la colline et la riviere; partant du bastion, une palissade en bois et en terre de sept pieds de hauteur et de quatre pieds d'epaisseur, toute garnie de meurtrieres; en avant le grand chemin allant de Calgarry a Edmonton avec poste de sentinelle, guerite etc.; de l'autre cote, un large fosse, et deux postes de sentinelles. Des l'arrivee du capitaine dans ses quartiers, on dressa les reglements de la garnison. La vie est d'une uniformite rigoureuse. A 5 heures, lever et lavage a la riviere; a 6 heures, nettoyage de la maison et des effets; a 6.30 heures a.m., dejeuner; a 7 heures travail manuel, corvees etc.; a 9 heures patrouille, exercices militaires et continuation du travail; a 1 heure, diner; a 2 heures, travail; a 7 heures, souper, recreation, patrouille; 9.30 heures, tatou; a 10 heures, extinction des feux, silence.. Garde, nuit et jour. Ce reglement tenait bon tous les jours. Le dimanche il n'y avait pas de travail, et la monotonie de l'existence des soldats etait brisee. Aussitot apres dejeuner, le capitaine menait tous les soldats dans une jolie plaine situee aupres du fort. On s'y rendait en deux files. Apres une heure d'exercices militaires, les soldats deposaient les armes et allaient en rangs chercher leurs couvertes, capotes etc., puis revenaient a leur places respectives. Alors on faisait une evolution inconnue dans les _Queen's Regulations_, mais qui pour etre originale n'en etait pas moins pratique. Le capitaine les faisait deployer en tirailleurs, puis quand ce premier mouvement etait execute, le rang de devant faisait volte-face et les deux vis-a-vis procedaient pendant un quart d'heure au secouement des couvertes etc. Apres cet exercice, le capitaine en nommait deux qui allaient nettoyer et balayer le fort pendant que les autres se reposaient. Quand les deux balayeurs revenaient de leur mission, ils criaient: _all's well!_ Alors on reformait les rangs, on reportait les couvertes au fort puis la ceremonie etait close. Vers les dix heures et demie on disait le chapelet en commun. Les agents, interprete et tout etranger qui se trouvait dans les alentours se rendaient au fort et prenaient part au seul service du dimanche qui s'y pratiquait, la recitation du rosaire. Le reste de la journee etait employe a la recreation pour ceux qui n'etaient pas de garde ou de corvee. [Illustration: LIEUTENANT VILLENEUVE.] Quant aux officiers leur besogne etait multiple. Le capitaine se chargeait de toute la correspondance officielle et ce n'etait pas peu de chose, surtout apres l'etablissement de la ligne telegraphique d'Edmonton; il etait aussi quartier-maitre et paie-maitre. Le lieutenant surveillait les travaux, distribuait les rations aux soldats et faisait les retours. Pendant les quinze premiers jours, ils ne dormirent guere qu'une heure ou deux par nuit, etant sur un qui-vive continuel. La position en effet etait loin d'etre de nature a les rassurer. Sans autres voisins que les garnisons d'Edmonton et de Fort Ostell, l'une situee a 40 et l'autre a 35 milles de distance, entoures de plusieurs tribus sauvages dont les loges se nombraient par plusieurs centaines, sans fortifications sures et fortes, la responsabilite de leurs charges leur paraissait dans toute son importance. Et les travaux ne pouvaient se poursuivre avec toute la vitesse voulue. Il n'y avait presque jamais plus que neuf hommes disponibles pour la corvee. Car il faut deduire les deux cuisiniers, le boulanger, ceux qu'on avait releves de garde le matin et la garde du jour. Cependant, malgre le petit nombre d'ouvriers, les fortifications etaient presque completes apres quinze jours de fatigue. Le 9 mai, deux evenements remarquables vinrent troubler la monotonie de l'existence solitaire de la garnison. De bonne heure dans l'ayant midi, le Lt. Col. Osborne Smith passa au Fort, a la tete de son bataillon, le 91e d'Infanterie Legere de Winnipeg. Il distribua aux officiers des armes et de la munition. Le capitaine Bosse, paie-maitre du 65e, les accompagnait et paya aux soldats un mois de solde. Dans l'apres-midi, le capitaine Ostell passa avec sa compagnie en route d'Edmonton a la riviere Bataille. Quelques jours plus tard, le Rev. P. Leduc, missionnaire attache a l'eveche de St. Albert, passa au Fort. Sur le conseil du capitaine, tous les soldats allerent a confesse. Une tente avait ete montee pres du Fort et servait de confessionnal. Le bon missionnaire y confessa jusqu'a minuit. Le lendemain matin tous communierent. Plusieurs raisons poussaient les soldats a s'empresser de profiter de la visite de ce missionnaire pour remplir leurs devoirs religieux. D'abord, c'etait la premiere occasion qui s'offrait et personne ne pouvait dire combien de temps ils seraient sans en trouver une pareille. Ensuite, pendant les premiers jours de leur vie de garnison ils avaient ete attaques a quatre reprises differentes. La premiere a ete rappelee pins haut. La seconde eut lieu pendant la nuit du 10 de mai; la troisieme le 13 et la derniere vers le 18. L'attaque du 13 fut la plus serieuse. La nuit etait tres-sombre. Le soldat Savard montait son quart lorsque tout-a-coup une balle lui siffla a l'oreille; il donna aussitot l'alarme et pendant que la garnison se mettait en etat, de defense une seconde balle, venant d'une autre direction, traversa la palissade et siffla a l'oreille du soldat Deslauriers qui faisait sa ronde dans un autre poste; comme dans les attaques precedentes, les soldats firent preuve de beaucoup de sang-froid. Les soldats passerent le reste de la nuit sous les armes. Plusieurs patrouilles furent faites, mais sans resultat a cause de la grande obscurite. Le lendemain matin on decouvrit les traces des assaillants et le point d'attaque. Quant au nombre il etait difficile de s'en assurer. Ils avaient campe au bord d'un petit lac a environ deux milles du Fort, et deux des leurs s'etaient avances jusqu'a un fosse, qui avait ete creuse depuis plusieurs mois pour egoutter les terres, a une soixantaine de verges seulement du camp et avaient fait feu sur la garde. Lors de la derniere attaque les Sauvages volerent quatre chevaux qui paissaient dans un champ voisin du fort. Le lendemain, le capitaine envoya une bande d'eclaireurs sous le commandement du Lieut. Dunn de la police a cheval d'Alberta et, le meme soir, ils ramenerent au camp les chevaux voles plus deux autres qu'on avait trouves a une douzaine de milles au sud. Quant aux voleurs, ils etaient disparus. L'interprete sauvage a qui appartenaient les chevaux voles herita des deux autres, car leur proprietaire ne vint jamais les reclamer. Quelques jours plus tard, la ligne telegraphique d'Edmonton etait terminee. La construction de cette ligne avait ete ordonnee par le Major-General Strange avant son depart d'Edmonton. Les travaux en avaient ete pousses avec activite. Le chef de l'expedition etait un M. Parker. Il etait operateur employe specialement par le departement de la milice. C'etait un de ces rares Anglais qui ont su s'attirer l'estime des volontaires. Il etait fils d'un ministre protestant de Londres. Il etait venu s'installer a Battleford: quelques annees passees, et avait au moment de l'insurrection au dela de $4.000 de marchandises dans son etablissement. Son _stock_ consistait en pelleteries et en collections recueillies depuis plusieurs annees et qu'il se proposait d'envoyer au musee Royal de Londres. Les insurges devaliserent son magasin et detruisirent tout. Les soldats aiderent a la construction de la ligne. Le 23 de mai tout etait termine et la ligne fonctionnait. M. Parker s'etablit dans la maison de l'interprete et y resta jusqu'au 23 de juin quand il remonta a Edmonton avec le Capt. Ethier. Le lendemain de la completion de la ligne, anniversaire du jour de la naissance de la reine, il y eut grande parade. Dans l'apres-midi, le capitaine recut, par depeche secrete, la nouvelle d'une rencontre du bataillon droit du 65e ou ce dernier avait perdu cinquante hommes. On ne donnait la nouvelle que comme rumeur. Heureusement que, plus tard, les evenements la dementirent. Le 25 de mai, le capitaine recevait ordre de faire reparer le pont de la riviere du Calumet situe a trois milles au nord. Il se rendit sur les lieux et, voyant que ses hommes n'etaient pas en nombre suffisant pour faire ce travail, il fit venir d'Edmonton une bande d'ouvriers qui executerent a la lettre le but de leur mission. Vers ce temps-la, le commandant a Edmonton autorisa le capitaine a engager quatre Sauvages de la reserve de la Cote de l'Ours pour servir d'eclaireurs. Il choisit quatre hommes surs, recommandes par le chef Peau d'Hermine, et pendant dix jours ils remplirent leur devoir a la lettre et furent bien remercies par les autorites. Le 31 de mai le capitaine Ethier recut ordre du colonel de se rendre a l'etablissement metis de Laboucane, (autrement, dit St. Thomas de Duhamel, au nom de Mgr Duhamel,) avec mission d'apaiser les esprits excites de la population de cet etablissement metis et d'essayer de ramener les vingt familles qui etaient allees rejoindre les rebelles. Le lendemain, le capitaine Cunningham et le lieutenant Bellerose du bataillon des volontaires metis de St. Albert arriverent au Fort Ethier. Ils avaient mission d'accompagner le Capt. Ethier jusqu'a Laboucane. Les trois officiers se mirent immediatement en route. Ils arriverent au but, de leur voyage vers minuit, le meme soir. Ils se rendirent tout de suite, a la maison d'Elzear Laboucane, chef de cet etablissement. Elzear Laboucane est un vrai metis. Il y a quelques annees, lui et ses freres passaient pour des chefs valeureux dans les expeditions pour la chasse aux buffles. Quand ce metier cessa de payer, vers 1879, il resolut de s'etablir sur les rives de la riviere Bataille et decida presque tous ses compagnons a fonder un village ou _settlement_ en cet, endroit. Bientot d'autres chasseurs aussi malheureux vinrent augmenter la population de la colonie. On s'adonna alors a la culture de la terre. Aujourd'hui la colonie comprend soixante familles etablies sur les deux rives de la riviere Bataille. La famille Laboucane, la premiere arrivee et fondatrice de ce village qui porte encore son nom, est sans contredit la plus riche des familles metisses du district. La fortune d'Elzear est evaluee a pres de $30,000. Il est peut-etre le seul qui ait ose faire concurrence au commerce de la compagnie de la Baie d'Hudson, lors des reunions annuelles des tribus de ce district, aux Buttes de la Paix, pour recevoir le traite du gouvernement, et il en retire de grands benefices. Quand le capitaine Ethier descendit chez lui, il etait absent, etant occupe a conduire un train de transports qu'il avait mis au service du gouvernement et qui lui rapportait une couple de cent piastres par jour. Son epouse et ses deux filles, demoiselles bien elevees et d'un esprit peu commun, firent aux visiteurs les honneurs de la maison et les recurent avec une hospitalite toute francaise. Le lendemain matin, la nouvelle de l'arrivee des militaires etait repandue par toute la colonie, et, cependant, les principaux habitants, au nombre de seize, se reunissaient chez Laboucane. C'etaient le R. P. Beilleverre, missionnaire, MM. Pierre St. Germain pere, Pierre Descheneau, Joseph Gouin, Chs. St. Germain fils, Laurent Salois, Jos. Paquet, Louison Nepissingue, Roger Nepissingue fils, Felix Blangnon, Jos. St. Germain fils, Jerome Laboucane, Edouard Pare, Augustin Hamelin, J.-Bte Tourangeau et Alex. Piscimwop. Le capitaine Ethier leur expliqua le but de sa mission, et leur parla longuement en francais et en Anglais; le Capt. Cunningham traduisait en cris les paroles du Capt. Ethier. Ce dernier leur assura qu'ils ne couraient aucun danger a rester sur leurs terres, et que les troupes du Gouvernement, loin de les venir deranger, les defendraient meme contre les insurges, si ceux-ci voulaient les forcer de se joindre a eux. Tous les metis parurent satisfaits de ces explications. On envoya des courriers ramener les fugitifs, et, le lendemain, les trois officiers partaient, accompagnes de plusieurs colons et du R, P. missionnaire. [Illustration: CAPITAINE ETHIER] En traversant la colonie, le capitaine Ethier remarqua l'originalite des masures qui servaient d'habitation a ces pauvres Metis. Toutes sont a un seul etage, mais tres-proprement blanchies. L'ameublement y est des plus primitifs. Chose digne de remarque, une tente est fixee a cote de chaque maison. Le missionnaire en donna la raison. Tous ces Metis eleves a vivre sous la tente, apres avoir passe la meilleure partie de leur vie a courir la plaine, ne peuvent s'habituer a vivre entierement dans une maison; il leur faut toujours une tente ou ils vont se reposer de leurs fatigues, en se rappelant avec regret les souvenirs des jours passes. En route les Metis converserent avec le capitaine et lui firent de grands eloges des petits soldats noirs (le 65eme), Ils arriverent aux Buttes de la Paix le 4 de juin vers midi. Quelques instants plus tard, Mgr Grandin, eveque d'Alberta, entrait au Port. Les soldats saisirent leurs carabines a la hate et, sans prendre le temps de faire aucune toilette, se mirent en rangs et presenterent les armes. Puis mettant un genou en terre ils recurent la benediction du prelat. Pendant le court sejour de l'evoque a ce fort, il se passa une scene qui ne devait pas s'effacer de sitot de l'esprit de tous ceux qui en ont ete temoins. Un train de transports passait au Fort et, debout sur le perron pour les benir, l'eveque leur souhaitait a chacun un heureux voyage. Tout a coup un cri de surprise s'echappe de ses levres et, avant qu'il put prononcer un seul mot, l'un des charretiers, un jeune homme d'environ dix-neuf ans, etait a ses genoux et lui baisait les mains avec tendresse. "Jean! mon Jean!" etaient les seuls mots qui sortaient des levres du prelat, tandis que des larmes brillaient dans ses yeux. Quand il fut quelque peu revenu de son emotion, il raconta aux soldats etonnes le sujet de son trouble. Il y avait environ dix-huit a dix-neuf ans, une pauvre sauvagesse mourait au milieu d'une tribu de Pieds-Noirs. Elle laissait apres elle un tout jeune enfant, age de six mois a peine. Les sauvages, embarrasses de cet etrange heritage, crurent ne pouvoir faire mieux que d'enterrer le fils a cote de la mere. Ils jeterent donc l'orphelin dans la fosse de sa malheureuse mere et couvrirent de terre les deux corps. Un missionnaire, passant au camp le meme jour, apprit la nouvelle de l'enterrement et courut a la tombe pour s'assurer si l'enfant, etait encore en vie. Quelle ne fut pas sa surprise, apres avoir decouvert les corps, de voir que le petit etre respirait encore! Il le remporta avec lui et alla le placer a l'Orphelinat de St. Albert. Monseigneur l'a toujours protege d'une maniere speciale et, apres lui avoir fait donner une education suffisante, le laissa libre de se choisir un etat quelconque. Un jour donc, l'orphelin partit, bien qu'a regret, de l'asile ou il avait ete si bien traite et s'aventura dans les bois et les prairies. Il y avait deja longtemps que l'orphelin etait parti, et son protecteur le revoyait sain et sauf. Aussitot le recit de cette etrange aventure termine, tous les soldats et les metis s'associerent, a la joie du prelat. Le lendemain Sa Grandeur partait, emportant avec lui les meilleurs souhaits des coeurs qu'il avait su consoler. Il ne reste plus a raconter qu'un seul incident remarquable. Vers la fin de mai, le capitaine fut informe qu'un vol de chevaux avait ete commis, sur la reserve de Papesteos, par une bande de Sauvages, sous les ordres d'un nomme Tacoots. L'affaire etait d'autant plus serieuse que Tacoots etait plus redoute, et que l'on croyait qu'il ne bornerait pas la ses depredations, Tacoots etait le seul Sauvage de ce district qui parlait l'anglais et qui savait lire. Il volait souvent les documents officiels du Gouvernement et allait en discuter le contenu avec ses co-nationaux. Il avait entrevu juste assez de la civilisation pour en deviner les mauvais cotes, et ses commentaires sur les affaires de l'etat etaient loin d'etre favorables a ce dernier. Il etait venu de 300 milles au nord-est et s'etait etabli sur la reserve de Papesteos. Grace a son intelligence superieure et a son education et sa force herculeenne, il exercait un pouvoir extraordinaire sur la tribu et surtout sur le chef. Il etait reellement le commandeur sur la reserve, Quelques jours apres le vol, il se rendit a Edmonton et expliqua au Colonel les motifs de sa conduite. Le Colonel l'ecouta avec bonte et lui pardonna, vu son repentir et les bonnes raisons qui expliquaient son crime et le mettaient sous un jour plus favorable. Aussi jamais Sauvage ne fut plus attache a son chef que ce Sauvage ne le devint a l'egard du Colonel. Voila maintenant le recit de la garnison du Fort Ethier termine. Il ne reste plus qu'a ajouter quelques notes generales qui sont d'un certain interet. Pendant toute la campagne, il n'y eut pas un seul cas de maladie serieuse. Le soldat Lamoureux eut une attaque de scorbut, causee par la mauvaise qualite des viandes. Quelques autres en souffrirent aussi, mais le caractere de leur maladie etait moins dangereux. Le Dr. Powell, qui etait attache a ce Fort, merite les plus grands eloges. Toujours regulier dans ses visites, il remplissait son devoir avec une bonne volonte et un zele infatigable. En une circonstance meme, il n'hesita pas a faire 80 milles a cheval, d'une seule course, pour donner ses soins a un malade. Aussi le capitaine Ethier jugea-t-il a propos de faire un rapport special au commandant, a Edmonton, de la bonne conduite et du zele du jeune medecin. Vers le milieu de juin, on lut un ordre du general Middleton demandant les noms de ceux qui voudraient rester en garnison apres la campagne finie. Plusieurs signerent, apres avoir pose comme condition _sine qua non_ qu'un officier du 65e resterait en commandement. Le lieut. Villeneuve declara qu'il accepterait avec plaisir une place d'officier dans ce nouveau bataillon. Mais l'ordre du retour arriva le premier, et lieutenant et soldats n'hesiterent pas a obeir. Le 22 juin, le capitaine recut ordre de monter a Edmonton immediatement. Le lendemain soir, il arrivait au Fort et faisait son rapport. Le 24 juin, apres etre alle celebrer, avec le Col. Ouimet et d'autres officiers, la fete nationale a St. Albert, il recut la mission de transmettre aux differentes garnisons l'ordre du depart qui venait d'arriver. Cet ordre parvenait au Fort Ethier le 25 au soir; le 27, les soldats etaient en route, et, le 28 au midi, ils entraient dans Edmonton au milieu des cris de joie de leurs freres d'armes. [Illustration: FORT NORMANDEAU 1.--Casernes. 2.--Tours De garde 3.--Portes. 4.--Pont-Levis. 5.--La plaine. 6.--Palissade. 7.--Bastion. 8.--Fosse.] CHAPITRE V. FORT NORMANDEAU. Si le lecteur se le rappelle bien, lorsque le bataillon gauche, en route pour Edmonton, passa a la Riviere du Chevreuil Rouge, il laissa en ce dernier endroit vingt hommes de la compagnie No 8 sous le commandement du Lieutenant J. E. Bedard Normandeau. C'etait le premier detachement que l'on separait du corps du bataillon, et la douleur de cette separation etait d'autant plus cruelle qu'elle faisait presager aux autres compagnies leur sort futur. Ce fut ce jour la meme que les hommes comprirent la tache qui serait imposee au bataillon, et qui causerait son demembrement pendant toute la duree de la campagne. La douleur fut d'autant plus forte qu'elle etait imprevue. Les adieux se firent en silence et, le 1er de mai, au moment ou le bataillon gauche continuait sa marche vers le nord, la nouvelle garnison entra dans ses quartiers. La traverse du Chevreuil Rouge etait un poste tres-important. Il y avait en cet endroit plusieurs habitations, entr'autres deux magasins et un bureau de poste. La batisse qui devait servir de fort a la garnison etait situee a environ deux cents verges de la riviere sur la rive sud, sur une eminence qui permettait d'examiner les environs dans un rayon de plusieurs milles et qui, par sa position, rendait toute surprise impossible. Voici les noms de ceux qui composaient cette garnison: Lt. J. E. Bedard Normandeau, commandant, sergents G. Duchesnay, A. Demers et A. Riendeau; caporaux Jos. Gingre, J. Rivet, Jules Rupert et A. Levesque; soldats, E. Leclerc, A. Leblanc, N. Lamarche, C. Wilson, D. Francoeur, N. Sicard, A. Rousseau, N. Desmarteau, J. Viger, J. Trainer, M. Carrigan, et N. Gervais. Pendant tout le sejour de la compagnie No 8 a ce fort, il n'y eut qu'un incident remarquable. Quelques chevaux avaient ete voles par une bande de maraudeurs. Le Lt. Normandeau envoya immediatement une dizaine d'hommes faire la patrouille dans les alentours, et ils ramenerent, le meme soir, les animaux au fort, apres avoir fait une marche de dix milles dans la plaine. [Illustration: LIEUTENANT NORMANDEAU.] Tout le reste du temps fut employe a la construction d'un fort qui peut a bon droit etre mis au meme rang que ceux d'Edmonton ou de Battleford. Pendant six longues semaines, les hommes y travaillerent et, vu leur petit nombre, l'ouvrage etait plus rude. A part le servant du commandant, le boulanger et le cuisinier, il faut aussi compter les hommes de garde qui, au nombre de huit, montaient leur quart jour et nuit dans deux postes assez eloignes l'un de l'autre. A cause de l'etrange position du Fort, et du danger que presentait la rive nord comme point d'attaque de la part de l'ennemi, une tente de garde avait ete levee sur cette rive et un corps special y faisait sentinelle continuellement. L'autre poste etait dans le Fort lui-meme. Il y avait si peu d'hommes, que ceux qui etaient releves de garde le matin etaient forces a etre de corvee l'apres-midi. Ce surcroit de peine causa souvent des desagrements entre les soldats et leur commandant, mais, ici comme ailleurs, et peut etre plus qu'ailleurs, les soldats remplirent leur devoir. Vers la fin de juin, les travaux etaient termines. Le batiment principal avait ete mis dans un etat complet de defense. Meurtrieres, barricades etc., rien n'y manquait. Deux bastions avaient ete construits sur la facade meme, et une tourelle avait ete elevee a une cinquantaine de verges derriere le corps principal, a egale distance des deux bastions. Une cloture de pieux a triple rang entourait tout le terrain et reliait entr'eux les bastions et la tourelle. Un fosse de huit pieds de profondeur et de dix pieds de largeur separait le fort de la plaine et, comme ce fosse etait presque continuellement rempli d'eau, il rendait une attaque immediate impossible de ce cote. Vis-a-vis la porte d'entree du fort lui-meme, un pont-levis se detachait de la cloture et s'abaissait pour recevoir les amis; une fois leve il coupait tout acces. L'ordre du retour parvint a cette garnison le 26 juin et, le surlendemain, chacun pliait bagage et disait adieu a la forteresse qu'il avait aide a construire et qui restera pendant de nombreuses annees a venir pour redire aux voyageurs, etonnes du contraste de la richesse et de la grandeur de cette construction avec la solitude environnante: Le 65eme a passe la! FIN DE LA TROISIEME PARTIE. [Illustration: MAJOR DUGAS] QUATRIEME PARTIE. LE RETOUR CHAPITRE I DE FORT OSTELL A FORT PITT La campagne tire a sa fin. Une reste plus a l'auteur qu'a raconter les incidents du retour du bataillon dans ses foyers. Ecrire le recit du voyage de chacune des compagnies qui ont passe le temps de la campagne en garnison, de son depart du fort qu'elle avait erige et defendu jusqu'a ce qu'elle se soit reunie au reste du bataillon, serait repeter sous differentes formes la meme histoire. En mettant donc sous les yeux du lecteur les incidents survenus a la compagnie dont il faisait partie, l'auteur croit atteindre le but qu'il s'est propose et faire par la, comprendre a tous, comment le bataillon s'est reuni a Fort Pitt. Le lecteur se rappelle que le bataillon droit, c'est-a-dire les compagnies 3, 4, 5 et 6, est rendu a Fort Pitt depuis le 27 de juin. Le meme jour, les compagnies 1, 7 et 8 quittaient leurs forts respectifs et se dirigeaient sur Edmonton ou les attendait la compagnie No. 2. La compagnie No. 7, partie du Fort Saskatchewan le matin, arriva le meme jour au but de son voyage. Le detachement du Fort Ethier y arriva le lendemain. Quant a ceux, qui avaient construit et protege le Fort Normandeau, ils n'arriverent que le lundi suivant, le 29 de juin. La compagnie No. 1 se met en route vers les quatre heures de l'apres-midi. Il fait une chaleur atroce. On part a pied, suivant, en chantant, les lourds wagons qui transportent notre bagage. Arrives au haut de la colline situee au sud-est du Fort, nous jetons un dernier regard au vieux chantier qui nous avait abrites pendant huit longues semaines et chacun lui fait dans son coeur un adieu qui pour etre silencieux n'en est pas moins touchant. Chacun peut lire dans les yeux de son voisin la joie du retour et la peine du depart, joie et peine qu'il ressent lui-meme. Sans doute qu'il ne peut y avoir d'hesitation a choisir entre ce petit Fort isole et la maison paternelle, et cependant plusieurs disent a leur compagnon de route: "il a une bonne mine notre Fort" et une larme silencieuse coule sur leur joue brulee par le soleil. Car, tous et chacun nous l'aimions bien notre petit fort et c'etait naturel. C'etait l'ouvrage de six longues semaines; chacun y avait mis la main et se considerait seul proprietaire de telle ou telle partie du parapet, de telle ou telle barricade, des meurtrieres, selon l'ouvrage qu'il avait fait. Peu a peu les wagons descendent lentement la colline, nous suivons sans rien dire, et, petit a petit, le fort disparait a l'horizon. Enfin, on ne peut plus le voir, mais chacun en conserve une copie gravee au fond de son coeur. Nous marchons pendant deux heures et, vers 6.30 p.m., nous montons le camp. Nous avions a peine monte nos tentes qu'un de nous voit des voitures venir sur la route. Bientot le mot se passe d'une bouche a l'autre et toute la compagnie va rencontrer les nouveaux arrivants, qui ne sont autres que nos freres de la riviere du Chevreuil Rouge. Nous leur serrons les mains avec tout le plaisir qu'on a a se revoir apres une si longue absence. A regarder leurs figures brulees, a voir leurs vetements en haillons chacun se dit: "Ils ont souffert comme nous." Nous leur aidons a monter leurs tentes, non loin de notre camp, et, jusqu'a neuf heures et demie, l'on se raconte les differents episodes des semaines passees, et les amis font mille projets pour l'avenir qui leur sourit du haut de Mont-Royal. Vers les neuf heures, le lieut. Dunn, des carabiniers a cheval, qui avait passe une quinzaine de jours au Fort Ostell, vint faire une visite d'adieux au capitaine et aux soldats. Peut-etre avait-il un dernier espoir de pouvoir decider quelques-uns de nous d'entrer dans sa compagnie, plusieurs le disaient, mais j'aimais mieux le croire plus desinteresse, car si c'eut ete le cas je n'aurais pu que plaindre sa mauvaise fortune: personne ne lui donna son nom. 28 juin--A quatre heures tout le monde etait sur pied du cuisinier a l'orderly et a six heures on etait pret a partir. Pendant le dejeuner, il avait ete decide entre le capitaine et le maitre charretier que chaque wagon recevrait trois soldats: en voila donc quinze de montes. Il en reste encore dix a placer. Ceux-ci attendent avec le capitaine les charretiers de l'autre detachement. Notre capitaine espere disposer de nous convenablement, car ils ne sont que vingt hommes et ont sept wagons. Enfin ils arrivent a nous. Ici se passa une comedie qui pour etre improvisee n'en etait pas moins risible. Quand notre capitaine en eut place quatre assez facilement, il s'occupa de trouver une place pour les autres. Il passa donc de voiture en voiture pour voir qui avait la charge la moins lourde. Alors chaque charretier faisait valoir de son mieux la charge qu'il avait et depreciait autant que possible la valeur de ses chevaux, qu'en toute, autre circonstance il aurait vantes de son mieux. Apres une demi-heure de pourparlers, tout le monde etait place. Un des charretiers qui pretendait avoir deux mille livres pesant dans son wagon et un cheval qui boitait (lorsqu'il etait fatigue!) fut oblige d'en recevoir deux de nous sous peine de s'en retourner sans paie. Mais, apres tout, nous etions embarques sous "condition" et les charretiers en profiterent de leur mieux. Le capitaine leur avait dit que nous etions tous condescendants et que, lorsque les chemins seraient trop mauvais, il suffirait d'un mot de leur part pour alleger leurs voitures. Aussi avant de passer le moindre ruisseau, ils nous rappelaient poliment la promesse du capitaine: immediatement, pour faire honneur a la parole de notre commandant nous descendions et traversions a pied les marais. Apres un mille ou deux de marche, pendant lesquels nous avions descendu, remonte et redescendu de nos voitures, Dieu sait combien de fois, nous arrivames a un creek ou ruisseau assez large. Les charretiers nous demandent de descendre; le ruisseau a au moins vingt pieds de largeur, et il est evident que personne ne peut le franchir sans se mouiller les pieds, les jambes... et le reste. Nous refusons donc d'abord, mais apres quelque discussion il nous fallut obeir, toujours pour faire honneur a la parole du capitaine, ce qui etait l'argument le plus fort des discours des charretiers, argument contre lequel venaient se briser nos theories de bottes remplies d'eau. Nous descendons tous les six et nous passons le ruisseau a pied--on pourrait avec autant d'exactitude dire "a la nage."--Par bonheur que cet etat de choses dura peu de temps. Trois milles plus loin, un wagon vide, envoye par le capitaine Ostell pour accommoder ses hommes, attendait le reste des transports. Nous montames immediatement et bientot nous etions en route a la poursuite de notre compagnie qui avait au moins cinq milles d'avance sur nous. En route, nous passames a travers la reserve du Pere Scullen. Ce bon pere vint nous donner la main et nous benit en nous souhaitant un bon voyage. Huit milles plus loin, nous traversions la Cote de l'Ours, saluant en passant l'agent Aylwin. Il etait deux heures de l'apres-midi quand nous arrivames enfin a l'endroit ou notre compagnie nous attendait; nous avions fait vingt milles depuis le matin. Les chevaux etaient fatigues pour ne pas dire plus, et, si l'on n'etait venu nous chercher a point, certain charretier du train de la Riviere au Chevreuil Rouge aurait eu un cheval boiteux avant le soir. A 3 Heures, les chevaux etaient atteles de nouveau et prenaient d'un pas decide, mais lent, la route de Fort Ethier. Il etait cinq heures quand nous passames devant le Fort. La plupart qui le voyait pour la premiere fois, et d'autres qui l'avaient vu avant la terminaison des travaux exprimerent leur opinion; ceux-ci et ceux-la en firent des eloges et on cria trois hourras! pour le capitaine Ethier, et trois autres pour sa garnison. Apres avoir laisse notre munition en cet endroit nous nous remimes en route. A un demi mille du cote oppose de la riviere qui coule pres du Fort, nous rencontrames un attelage superbe. Il y avait au moins trente wagons tres-lourds attaches trois par trois et traines par cent-vingt boeufs. Ces derniers atteles douze par lot de wagons marchaient d'un pas lent mais regulier. De chaque cote de la route, en avant et en arriere, d'autres boeufs marchaient libres de tout frein et semblaient servir d'escorte au transport; ils etaient de reserve. On nous dit que tout cela appartenait a un M, Baker de Calgarry, qui, soit dit en passant, est un des plus riches colons du Nord-Ouest. Rien de plus curieux que ce moyen de transport. Les wagons sont tres-lourds, pesant en moyenne 3,000 livres chaque et leur charge est quelquefois de 100,000 livres et plus; dix paires de boeufs trainent ce poids sans difficulte. Il etait sept heures quand nous arrivames sur la rive nord de la riviere de la "Petite Roche au Brochet" ou nous campames. Plusieurs allerent se baigner immediatement avant de souper, les autres se reposaient des fatigues de la route en s'employant a toutes sortes de jeux. A huit heures tous etaient couches, a neuf heures tous dormaient. Nous avions fait 35 milles depuis le matin. 29 juin--A deux heures du matin, tous etaient sur pied et les tentes etaient pliees et embarquees. On but le the chaud, chacun prit un hard-tack et l'on partit a trois heures. Les chemins etaient des plus mauvais, et l'on s'expliqua la cause de notre depart matinal quand les charretiers nous dirent que les chevaux n'auraient jamais pu faire une telle route a une heure plus avancee du jour et qu'avant le midi ils auraient ete completement epuises. Apres huit milles de marche, on detela les chevaux et chacun s'etendit de son mieux a l'ombre des charrettes. On se reposa deux heures de temps. A neuf heures on se remit en route. Le chemin etait long et difficile, plusieurs chevaux paraissaient epuises, et souvent l'on etait force de faire le trajet a pied pour soulager les animaux. Il etait une heure de l'apres-midi quand nous traversames le ruisseau de "La Boue Noire." Nous nous y arretames. Nous etions a 14 milles d'Edmonton et avions deja fait 23 milles depuis le matin. Un des charretiers nous ayant grandement vante ce ruisseau comme eau de bain, plusieurs se baignerent avant le diner. L'eau en effet etait delicieuse, le fond tres-mou, sans etre vaseux, sans pierre, sans herbage incommode, et le courant seulement assez fort pour qu'il y eut du plaisir a nager a l'amont. A deux heures et demie l'on se remit en route. Une pluie fine commenca a tomber. Le chemin etait mechant sur une longueur de quatre a cinq milles, il y en eut une dizaine qui le firent a pied A peine arrivions-nous au terme de notre marche que trois express venaient a notre rencontre. Ils nous etaient envoyes d'Edmonton ou l'on nous attendait le soir meme. En quelques minutes, nous etions prets a repartir; nous etions a peine deux ou trois par voiture. C'est dire que nous n'aillions plus au pas. Nous passames sur la reserve de Papesteos qui s'etend sur une longueur d'une dizaine de milles. A peine arrives a trois milles d'Edmonton, et comme il se faisait tard, les charretiers mirent leurs chevaux au trot, et le chemin se fit a travers des flots de poussiere. Apres une demi-heure de course, nous arrivons en vue d'Edmonton, qui fut salue par des cris de joie. A six heures nous avions traverse la Saskatchewan et montions la cote au milieu des saluts bruyamment manifestes de nos freres des autres compagnies. La compagnie No.2 etait encore dans le Fort et les compagnies 7 et 8 etaient campees, depuis leur arrivee, sur le cote sud du Fort. A peine arrives, nous montons les tentes. Nous fumes temoins ce soir-ci d'un spectacle magnifique. L'astre du jour empruntant sans doute quelque peu de sa velocite a la forme et a la nature de l'endroit, ressemblait a ces chasseurs sauvages qui profitent de tous les accidents du terrain pour se cacher puis s'elancer tout a coup sur la proie meditee; l'immense globe d'or courait a travers les montagnes, s'arretant de temps a autre sur quelque cime escarpee, puis bondissait derriere un pic plus eleve, pour reparaitre plus loin a travers quelque crenelure geante et finalement s'engouffrait subitement et comme renverse par un Etre plus fort dans quelque abime secret derriere la montagne; comme le disent les naturels du pays dans leur langage poetique: "l'astre celeste va se fondre dans les bras glaces des Montagnes Rocheuses." A dix heures le silence regnait dans le camp. 30 juin.--Comme tout le monde etait plus ou moins fatigue du voyage, termine la veille, et que de plus il n'y avait rien a faire, on nous laissa lever a l'heure qu'il nous plut. La parade devait avoir lieu a 10 heures et plusieurs se leverent a 9.45 heures. On nous distribua des pantalons et des chapeaux de toile. Tous les chapeaux se ressemblent, tous ayant la meme patente, mais les pantalons etaient de toutes couleurs et de toutes qualites. A deux heures de l'apres-midi on eut une inspection generale par le Lt.-Col. Ouimet, et la lecture des ordres du jour. A trois heures, les tentes etaient a terre: a cinq; elles etaient pliees et embarquees avec le reste du bagage. Apres s'etre fait attendre depuis deux jours le bateau promis arriva enfin vers six heures et demie et l'on se mit en route. C'etait un bateau assez grand et construit expressement pour naviguer sur la Saskatchewan; son nom est "_la Baronne_". A 7.30 hrs. a.m. le sifflet crie, les amarres sont tirees et l'on part. D'aucuns disent que nous en avons pour quinze jours a bord, d'autres que nous serons rendus au terme du voyage dans quatre jours au plus; tous ont hate d'en descendre avant meme de monter a bord. Comme nous partons les soldats de l'Infanterie Legere de Winnipeg et les volontaires d'Edmonton auxquels se mele une foule gaie et reconnaissante nous saluent par des cris repetes et nous envoient de terre mille souhaits d'heureux voyage. Nous voguons jusque vers les dix heures et demie quand nous jetons l'ancre au bord d'un bois touffu; les maringoins nous devorent toute la nuit. JUILLET 1er Juillet--Il est a peine deux heures du matin que nous reprenons notre course. Le temps est assez beau et le vent est favorable. Vers les cinq heures du matin, nous passons devant le Fort Saskatchewan; le major Griesbach est sur la rive et nous salue en passant. Nous arretons vers les onze heures a trois milles a l'ouest de Victoria, pour prendre une charge de bois; pendant deux heures nous travaillons avec les matelots. Vers deux heures de l'apres-midi nous passons devant Victoria. Le fort est situe sur la rive nord de la riviere. Une foule de sauvagesses accourent sur le rivage pour nous regarder passer. Nous continuons jusqu'a 10 heures du soir quand l'ancre est jetee. 2 juillet.--Depart du bateau a deux heures du matin. Nous allons bien lentement a cause d'un brouillard epais qui cache les ecueils. A sept hrs. le lever et le frottage des accoutrements. Vers neuf heures le bateau passe devant le monument eleve par les autres compagnies du 65eme aux martyrs du Lac aux Grenouilles. Tous se decouvrent respectueusement. Un peu plus bas nous passons devant d'immenses radeaux qui descendent jusqu'a Battleford. Enfin vers les trois heures de l'apres-midi nous arrivons a Fort Pitt. La rive est couverte de nos freres d'armes parmi lesquels se distinguent le major Perry, le lieutenant-colonel Hughes et le Dr. Pare. Le general Middleton et le major-general Strange sont a bord du "_North West_" et nous saluent au moment ou nous jetons l'ancre. A peine le bateau touche-t-il le rivage qu'il est envahi par nos amis. On se donne de bonnes poignees de mains, on se raconte les incidents les plus marquants de la campagne et la meilleure entente regne partout. Presqu'immediatement nous obtenons un conge de quatre heures et tous descendent a terre. Le soir nous couchons de nouveau a bord du vaisseau, et un bon sommeil vient enfin fermer nos paupieres. Tous sont heureux, tous sont joyeux de se retrouver enfin ensemble apres 72 jours de separation. La nuit est fraiche et nous sommes delivres des moustiques. CHAPITRE II. DE FORT PITT A MONTREAL Le bataillon est maintenant reuni. Toute la journee du trois juillet fut employee a charger les vaisseaux de provisions. Les courts intervalles pendant lesquels il nous etait permis de nous reposer se passaient en silence, car il faut le dire, aussitot que la joie bien naturelle des soldats de se retrouver apres une assez longue separation fut passee, un sentiment de malaise et d'ennui s'empara de tous et influenca meme les officiers. Notre coeur saignait a la vue de la nudite de l'endroit. Pas une seule, maison, pas un seul hangar, dans un rayon de dix milles, rien! rien que la plaine immense a laquelle l'herbe brulee et jaunie formait une robe de crepe dernier vestige de la devastation. Seul au milieu de cette scene apitoyable, le vieux chantier delabre, qui conservait encore le nom de Fort, se dressait au milieu de la plaine comme un soldat invalide, qui attend, comme une faveur, la balle qui le delivrera des miseres d'ici-bas. Ce n'etait plus un fort: deux batiments de 15 pieds par 12, en bois brut, entoures, pour la forme, d'une ceinture de pieux qui portait encore la trace des ravages de la derniere guerre voila ce qui frappait l'oeil du visiteur. Si ce dernier, poursuivant plus loin ses recherches, allait a l'interieur, un spectacle non moins triste s'offrait a sa vue. Dans la cour qui separe les deux batiments, un homme passerait sa journee a ramasser et classifier ce qui traine. Ici, un couteau rouille, plus loin, une carabine brisee, partout debris sales et puants qui infectent l'atmosphere des environs. Un des batiments, celui du nord, sert de magasin de provisions, l'autre de pharmacie. Cependant presque tous les soldats allerent voir ce qui restait du Fort, et leur demarche ne fut pas vaine, car il etait superbe dans son delabrement. Meme la fetidite qui s'echappait de la cour lui donnait un air de je ne sais quoi qui vous prenait au coeur et vous faisait monter, malgre vous, a la paupiere, une larme de regret et de pitie. Apres avoir visite le fort, on alla examiner la tombe du jeune constable Cowan. On s'agenouilla aupres du tertre dont la verdure changeait de nuance petit a petit et sur lequel quelques fleurs, plantees par des mains amies, pliaient tristement la tete et semblaient fremir au contact de leur racines avec le cadavre froid du jeune martyr. Oui, du jeune martyr, car c'en fut un. Quand on trouva, son corps, il avait un bras et une jambe coupes, la poitrine ouverte et quant a son coeur, quelque Sauvage le lui avait arrache et l'avait emporte a son wigwam. Aussi les soldats du 65e qui ramasserent ce pauvre cadavre mutile, emus jusqu'aux larmes a la vue de son etat, lui creuserent-ils une tombe aune centaine de verges du fort. On y planta des rosiers sauvages et quelques fleurs des bois. Dieu preserve ces pauvres fleurs! que chaque printemps elles elevent plus haut leurs corolles nuancees et repandent autour de cette tombe un parfum divin! Qu'elles y restent comme souvenir de notre bataillon! et, lorsque l'ombre du jeune soldat errera dans la plaine, puissent leur variete de couleurs et leur douce senteur la faire sourire de joie et d'orgueil, en lui soufflant tout bas notre nom. Des six heures et demie du matin, nous etions dans la plaine et nous faisions l'exercice militaire, commandes par l'instructeur Labranche. A sept heures et demie, l'exercice etait fini, la lecture des ordres du jour eut lieu. La fin de la campagne nous etait annoncee, et nous recevions l'ordre de retourner dans nos foyers. Une seule chose nous intriguait, tout le bataillon avait recu ordre de descendre la Saskatchewan et d'aller jusqu'aux Grands Rapides sur la "_Baroness_" et c'est a peine si l'aile gauche du bataillon avait pu s'y placer d'une maniere convenable. Aussi, malgre le plaisir de voyager ensemble, chacun trouvait un mot a dire contre ceux qui semblaient avoir pris le parti de nous ramener chez nous comme des sardines en boite. A trois heures de l'apres-midi, les colonels Ouimet et Hughes inspecterent le bataillon. On passa la nuit a bord du vaisseau et apres tout nous n'etions pas trop mal. Samedi, 4--Des deux heures et demie du matin, les trois vaisseaux se mettent en route. On nous apprend que le lieutenant colonel Williams des Midlands, et le sergent Valiquette de notre bataillon sont decedes pendant la nuit. Tous les pavillons sont baisses a mi-mat en leur honneur. Une atmosphere de tristesse semble peser sur le bateau et l'avant-midi est longue et ennuyante. On n'entend que le cri monotone d'un matelot qui sonde la riviere et dit au capitaine le nombre de pieds d'eau ou passe le vaisseau. Le fond et le cours de la Saskatchewan sont des plus curieux: souvent on passait dans deux pieds d'eau pour tomber aussitot dans une quantite d'eau dont on ne pouvait sonder la profondeur, mais plus, souvent encore, apres avoir navigue quelques secondes dans deux pieds d'eau, le bateau s'echouait sur un banc de sable quelconque. On dechouait generalement le bateau sans trop de trouble et la perte de temps n'etait pas bien grande. Dans le cours de l'apres-midi nous essuyons une tempete de pluie et de grele. La plupart des couvertes etendues sur le bord du vaisseau furent mouillees en peu d'instants, et malgre qu'on les enlevat, et que la pluie eut cesse, ceux dont les places etaient encore humides passerent une mauvaise nuit et se plaignirent de crampes et de rhumatismes le lendemain. Vers les cinq heures de l'apres-midi, on passe devant un camp sauvage; les sauvagesses nous saluent de la main tandis que leurs compagnons nous regardent passer en silence. Vers le soir, les bancs de sable devinrent plus nombreux; apres quelques heures de marche on aurait jure qu'il n'y avait que des bancs de sable sur notre route. Des deux cotes s'etendent a perte de vue d'immenses iles de sable et leur couleur grisatre, vue au clair de la lune, avait un effet des plus etrange aux yeux de tous. A mesure que le bataillon avance on les voit se trainer comme des couleuvres autour de nous, et, de temps a autre comme enlaces dans leurs replis; nous nous echouons sur quelque monticule de sable cache traitreusement sous la nappe de couleur vert-pale de la riviere. Fatigue de ces obstacles devenus plus frequents a mesure que l'heure avance, le capitaine ordonne de jeter l'ancre et l'on passe une nuit tranquille a une trentaine de milles a l'ouest de Battleford. Dimanche, 5--A trois heures du matin, nous levons l'ancre et le bateau poursuit sa course accidentee. Rien de particulier a bord, excepte l'impatience des soldats d'arriver a Battleford. Enfin, vers huit heures et demie, nous voyions le "_Marquis_" et le "_North-West_" a un demi-mille en avant de nous, arretes sur les bords d'une assez jolie baie.. Le mot "Battleford" est sur les levres de tous. En effet, nous sommes rendus. Chacun jette un regard de curiosite sur la rive et n'est pas peu surpris de voir le brave Lemay en habit d'officier qui nous attend sur le rivage. Sans commandement, mus par le meme sentiment d'amitie et d'admiration, tous le saluent et des centaines de mains se dirigent vers lui. Il est encore pale mais parait marcher sans trop de difficulte. A peine a-t-il mis le pied a bord du bateau qu'une veritable ovation commence et si nous n'avions su qu'il etait encore souffrant, de sa blessure, je crois qu'on l'aurait promene sur nos epaules. Chacun l'interroge avec interet sur sa condition, quelques-uns lui posent des questions des plus naives, tous sont heureux et Lemay comme les autres. Pauvre jeune homme! tu n'as pas de pere qui t'attende a Montreal pour te serrer avec orgueil sur son coeur, pas de mere non plus qui gemisse en s'impatientant de la longueur de la campagne; qui sait? Dieu arrange si bien les choses, mieux vaut peut-etre qu'elle soit au ciel depuis longtemps, car la nouvelle de ton accident lui aurait brise le coeur; un frere seul la-bas souhaite ton retour; mais regarde autour de toi toutes ces figures rejouies de te voir circuler au milieu d'elles, vois ces cent mains amies qui t'offrent; la plus genereuse amitie et si tu pouvais lire dans les coeurs, tu ne te trouverais pas tant a plaindre, car au lieu d'un seul frere tu en as cent et plus, de vrais freres, ceux-la, des freres d'armes, dont l'amitie est franche et devouee. Tous se rappelleront longtemps ta conduite heroique a la Butte aux Francais et tant que le 65eme existera, tu y trouveras toute une famille. Si, plus tard, quand tous ceux qui ont fait partie de la derniere expedition auront quitte ce monde pour un meilleur, tu restais seul a penser a l'annee 1885, nos enfants respecteront tes cheveux gris et chacun saluera en toi le heros de la Butte aux Francais. Vers les dix heures, on fit les honneurs militaires au defunt Col. Williams. Tous les bataillons suivaient la depouille mortelle en silence. Les Midlands, les Grenadiers, le 65eme Carabiniers Mont-Royaux, le 90eme Infanterie Legere de Winnipeg, puis les Queen's Own montent l'un apres l'autre la colline, et traversent le village. A la porte du Fort, le 65eme fait volte-face et quelques officier, seulement entrent pendant que le bataillon revient sur ses pas. Arrives au rivage, huit sergents prennent le cercueil du sergent Valiquette et le deposent dans le wagon funeraire. La compagnie No. 4 suit le corps puis viennent les autres compagnies. [Illustration: SERGENT VALIQUETTE.] Apres un quart d'heure de marche, on arrive a la porte de la chapelle de la Mission. Tous prennent part aux chants sacres que l'eglise ordonne en pareille circonstance, puis le Revd pere Provost nous adresse des paroles appropriees, comme toujours, au triste evenement. Sa voix est touchante, ses accents sont ceux d'un coeur paternel; le Colonel Ouimet essuie une larme qui vient mouiller sa paupiere; le Capt. Roy pleure comme un frere aine aux funerailles du plus jeune de la famille, et tous sont plus emus qu'ils ne voudraient le paraitre. La ceremonie finie chacun retourne au bateau en silence. Ayant obtenu la permission de visiter le village, plusieurs se dirigent a la hate vers le premier magasin, pour utiliser les quelques sous qui pesent dans leur gousset. Il y avait encore une centaine de maisons eparpillees de distance en distance. Les dames sont a leurs portes et nous saluent sur notre passage. Toutes sont contentes et nous font mille souhaits d'heureux retour. Les plus hardis qui se rendent jusqu'a elles leur demander un verre d'eau sont traites comme des freres ou des fils et sont recus comme un parent dont on attend depuis longtemps la visite et qu'on voit partir a regret. Quelques-uns se rendent jusqu'aux limites du village et jouissent d'un spectacle inconnu dans leur ville natale. A leur gauche, le vieux fort s'eleve fier dans son armure d'ecorce, montrant avec orgueil ses flancs perces de balles et ses murs a moitie detruits que des ouvriers sont a reparer avec des precautions remarquables, comme s'ils craignaient de renverser cette relique precieuse. A travers les fentes de la cloture, on peut voir quelques canons, la gueule encore noircie par la poudre, les oreilles pendantes comme un chien fatigue attendant l'ordre de son maitre pour aboyer de nouveau. A droite, le village avec ses jolies petites maisons blanches a contrevents verts on jaunes, la petite chapelle qui leve humblement vers le ciel sa croix de bois blanc, le tout decore fraichement par la nature qui fait pousser partout une herbe d'une verdure aux nuances variees. Et devant eux, a perte de vue, des plaines immenses, traversees ca et la par de frais ruisseaux a l'eau limpide, accidentees par des tertres et des mamelons disperses par-ci par-la dans le plus agreable desordre. Vers les six heures, nous etions revenus a bord du vaisseau. Des retardataires nous apprennent la mort du soldat Millen de la batterie B. Il avait ete tue accidentellement par une balle de sa propre carabine en escortant un Sauvage au Fort. Lundi, 6--A 4 1/2 h. du matin, l'on coupe les amarres et bientot Battleford disparait au moment ou nous tournons la premiere pointe. Le vent s'etait eleve et le bateau marchait tres-vite. Il etait vraiment curieux de voir comme les ecueils etaient passes et comme les bancs de sable disparaissaient vite a droite et a gauche. Tout a coup, vers les neuf heures, le bateau arrete. Le vent etait devenu si violent que la "_Baroness_" etait aussi bien echouee que jamais bateau ne l'a ete. Voyant tous leurs efforts aboutir a rien, les matelots devinrent de mauvaise humeur, le capitaine se fit de la bile et nous dumes passer le reste de la journee au milieu de la riviere, exposes au vent, avec la consolation, cependant, de n'etre pas troubles dans notre sommeil par les maringouins qui n'oseraient pas entreprendre la perilleuse traversee de la rive au navire pour le faible plaisir de nous exciter le temperament. Mardi, 7--Le lever a lieu a six heures, Le vent continue toujours, mais on travaille avec ardeur a dechouer le vaisseau. On met une chaloupe a l'eau et quelques matelots vont a terre, attacher un bout de cable a un arbre pour aider a la manoeuvre. Apres plusieurs essais infructueux, l'on reussit enfin a mettre le vaisseau a flot. Il est huit heure" et demie. Pour passer le temps ou pour toute autre raison inconnue a celui qui ecrit ces lignes, on eut deux heures d'exercice a bord du vaisseau. Comme l'espace manquait un peu, on procedait par demi-bataillon; les compagnies 1, 2, 3 et 4 commencent, puis apres avoir fait tous les mouvements de l'exercice manuel sous les ordres de l'instructeur Labranche, elles se retirent sur le devant du navire pour faire place aux autres compagnies. Quand ces dernieres ont fini chacun regagne sa place et s'etend sur sa couverte. On n'avait pas d'autre endroit pour se reposer. Notre couverte formait notre chambre de solitaire, les murs etaient invisibles; jamais aucun importun ne venait nous y relancer, on n'avait pas de place pour le recevoir. Quelques fois deux amis voisins transformaient leurs deux chambres en une seule et habitaient sur le meme palier. L'ameublement etait modeste. Un _knapsack_ couche sur le cote servait de siege le jour et d'oreiller la nuit; notre capote qui, le jour, servait de bourrure a notre unique fauteuil, la nuit, remplacait le matelas absent; quant aux cadres, presque toutes les chambres en etaient encombrees; quelques uns les changeaient tous les jours, c'etaient nos reves encadres dans la frele boisure de nos esperances et suspendus au fil invisible de nos illusions. Vers une heure et trois quarts, l'adjudant Starnes inspecta les sergents. A deux heures et demie le bateau arrete et tous descendent a terre. Pendant que les hommes de fatigue entrent des provisions, le reste du bataillon fait l'exercice militaire. Cette place s'appelle l'Anse du Telegraphe. A peine revenus a bord, on nous demande a signer la liste de paie ce que chacun fait avec plaisir tout en trouvant que l'on signe plus souvent qu'on ne voit la couleur de l'argent du gouvernement. Pourtant ces murmures etaient bien inutiles, car a quoi nous aurait servi notre argent dans un pays ou les magasins etaient aussi rares que les chateaux? La nuit fut tres-froide. Mercredi 8--Le lever se fait de bonne heure. L'avant-midi est tres-froide et presque tous mettent leur capote grise. Enfin vers midi on arrive en vue de Prince Albert. C'est un des plus beaux coups d'oeil que l'on puisse imaginer. Situe au fond d'une baie sur la rive sud de la Saskatchewan, le joli village de Prince Albert s'etend sur une longueur de plusieurs milles. Ce sont de jolies maisons blanches, espacees par de grands vergers ou de gais jardins de fleurs multiples, ici et la une maison en briques rouges varie d'une maniere agreable la beaute du tableau. On distingue entre tous le frais couvent des Soeurs de Ste. Anne; plusieurs religieux et religieuses nous saluent de la main et agitent joyeusement leurs mouchoirs. Enfin l'ancre est jetee et nous obtenons un conge de deux heures pour visiter la place. Quelques-uns se dirigent vers le couvent surs d'y recevoir un bienveillant accueil. La marche fut assez longue, mais leur trouble fut plus que recompense par la maniere dont ils furent recus. Une religieuse leur fit visiter la classe, ou une jeune metisse enseignait l'A. B. C, a de toutes petites fillettes qui regardaient les visiteurs avec de grands yeux noirs tout pleins de je ne sais quoi qui voua les faisait aimer et prendre en pitie; apres la classe, la bonne religieuse unit ses prieres a celles des soldats pour demander a Dieu un heureux retour, prieres qu'elle avait souvent repetees pendant la guerre; apres cette visite ils retournerent au bateau, ou ils apprirent que Gros-Ours etait prisonnier au Fort. Ils se dirigerent vers l'endroit designe. Deja une foule de volontaires du 65eme se pressent aux fenetres grillees d'une petite cabane de bois. C'est la que Gros-Ours est renferme. Cependant la porte reste fermee et malgre nos supplications les hommes de la police a cheval qui font la garde a l'interieur s'obstinent a nous refuser l'entree. Enfin, un officier qui passe nous demande ce que nous attendons; on le lui dit. "On ne peut vous refuser de voir celui que vous avez combattu avec autant de courage," dit-il, "ouvrez la porte." L'ordre est aussitot execute et c'est a qui entrera le premier. La petite prison est bientot remplie et il en reste encore autant a la porte qui brulent d'impatience et envient le sort de ceux qui ont eu la bonne fortune d'etre les premiers. Enfin chacun eut son tour et tous purent contempler de pres celui qu'il y a un mois a peine ils auraient avec plaisir passe au fil de la baionnette. Le celebre chef Cris est etendu au fond d'un cachot tout neuf; de temps a autre il se cache sous sa couverte jaune, et semble jouir de notre desappointement. Son fils, age de douze ans a peine, nous regardait avec de grands yeux noirs, honteux lui-meme d'etre expose aux regards des curieux qui venaient le voir comme une bele rare ou un heros feroce. Enfin Gros-Ours, etouffant sans doute sous sa couverte, nous montre sa face vieillie. Nous avions devant nos yeux celui qui s'est rendu fameux par le martyre des RR. PP. Oblats au lac aux Grenouilles et par sa resistance opiniatre aux troupes du Gen. Middleton. Tout rapetisse sur lui-meme, il se sent humilie de sa defaite et de sa triste position. Avait-il donc tant combattu pour n'avoir apres tout que l'avantage d'etre examine comme un animal rare d'une menagerie quelconque? Nous pouvons lire sur ses traits changeants et dans ses yeux mobiles encore beaucoup plus que nous pourrions le dire. Un officier donne l'ordre du depart et apres l'avoir considere une derniere fois, tous reprennent le chemin du bateau en meditant sur son sort et en discutant entre eux le resultat probable de son proces.[4] [Note 4: Il a ete juge par la juge Rouleau a Battleford,--le 25 septembre il fut condamne a 3 annees de penitencier.--le 28 du mene mois il passait a Winnipeg et le lendemain il a ete enferme dans le penitencier de la montagne _Stony_.] A quatre heures, tout le monde etant revenu a bord, le bateau continua sa route. Au moment du depart, le maire de la localite, qui avait ete colonel du 43e nous adresse la parole. Il parle une dizaine de minutes et, se faisant l'interprete de la population de Prince Albert, nous felicite du succes de nos armes, de notre courage etc, et termine en nous souhaitant un bon voyage. A peine partis, nous recevions des cigares dus a la generosite du maire de Prince Albert. Une heure plus tard, nous descendions a terre pour monter a bord une vingtaine de cordes de bois de chauffage. Tous y mettant la main, en moins d'une heure, nous etions prets a partir. Cependant le capitaine du vaisseau ayant declare la route dangereuse, et comme il se faisait tard, l'on passa la nuit en cet endroit. Jeudi 9--A deux heures nous etions en route. Le paysage devient de plus en plus pittoresque. Les courbes de la riviere sont plus frequentes et la scene change d'aspect a chaque nouveau detour. On saute ce qu'on etait convenu d'appeler des rapides. Dans un autre bateau, ce n'eut ete rien, mais le notre etait si drolement construit qu'on pouvait s'imaginer le trajet dangereux; en effet, un poele de cuisine qui se trouve au bord du vaisseau, est renverse et tombe dans le courant, a la grande stupefaction du cuisinier qui etait a se faire une crepe d'autant plus precieuse qu'il n'en avait pas mangee depuis plusieurs mois et qu'il avait depense toute sa ration de lard de la journee pour la faire cuire. Mais le courant emporte tout, excepte l'appetit et le desappointement du cuisinier. Apres une longue journee de marche, l'on jette l'ancre entre deux iles vers les dix heures du soir. Pendant la nuit personne ne peut dormir; chacun fume de son mieux pour chasser les maringouins devenus plus entreprenants et n'y reussit qu'a demi. Vendredi 10--Vers trois heures du matin, le bateau se mit en mouvement, les maringouins nous font un dernier adieu et chacun essaie de dormir. Vers les six heures un coup de canon nous reveille, Nous passions au Fort a la Corne et M. Belanger nous saluait en faisant tonner l'unique canon du Fort. Un second coup suit de pres le premier et tous a bord repondent par des cris de joie. Apres cela, la journee fut ennuyeuse. On traversait un lac assez grand. Bientot on ne put voir que le ciel et l'eau. Cela dura une heure. Le soir on jette de nouveau l'ancre au fond d'une baie. Notre sommeil n'est pas meilleur que la nuit precedente, ayant a supporter malgre nous la compagnie peu plaisante de gens que nous n'avions nullement invites, les maringouins!!! Samedi 11.--Partis de bonne heure nous continuons notre route a travers des iles. La journee se passe a faire les preparatifs du debarquement car on s'attend a descendre a terre dans le cours de la journee. Jamais journee ne parut aussi longue! Enfin vers les trois heures le bateau touche a terre, nous sommes rendus. Chacun eprouve un soulagement interieur de se voir descendu de ce bateau que plusieurs commencaient deja a considerer comme leur derniere demeure. Pendant onze longs jours on n'avait quitte ce vaisseau que pour quelques instants de temps a autre. On se met en rangs par compagnies, puis les hommes de fatigue aident au debarquement. De lourds chariots atteles d'un seul cheval (qui suffit, a la charge, car la voie est ferree) servent de transports. On les laisse prendre le devant, puis l'on se met en marche. Une pluie fine commence a tomber et refroidit l'ardeur de quelques-uns. Malgre tout on n'a que quatre ou cinq milles a marcher et quoique le chemin ne soit pas des plus plaisants sur cette voie neuve, chacun s'y met avec un entrain joyeux. On chante presque tout le long de la route. Arrives au pied des Grands Rapides, chacun prend son bagage et l'on monte a bord d'une barge appelee "_Riviere Rouge_." L'on trouva moyen de placer, tant a fond de cale que sur le pont, tout le 65e et deux compagnies des Midlands. Malgre qu'on presse les preparatifs, le retard du vapeur "_North West_" nous force a attendre au lendemain pour partir. Pendant l'apres-midi, on allume des feux le long de la rive et, une distribution de fleur ayant ete faite, plusieurs en profitent pour se faire rotir des galettes. On pouvait se procurer du beurre a 50c la livre et du sucre blanc a 25c. La nuit venue chacun s'etend, du mieux qu'il peut au fond de la barge; ceux qui avaient la bonne fortune de se trouver vers le milieu etaient les mieux, les autres, que leur mauvaise etoile avait menes en avant dans la coque, dorment debout, adosses aux cotes du batiment. Dimanche 12.--On se leve de mauvaise humeur, pour tous la nuit avait ete mauvaise. Deux soldats s'etaient couches sur un amas de bois de chauffage dans l'avant du vaisseau. Cette nuit c'etait plutot pour essayer le nouveau lit qu'avec la certitude de se reposer. Un peu apres minuit, en se remuant, un bout de bois plus court que les autres degringole et frappe, en pleine poitrine, un soldat qui couchait au pied du lit. Ce dernier reveille en sursaut et croyant que tout le pont etait defonce, crie comme un perdu. Cela cause un emoi general. Un second morceau de bois culbutant d'un autre cote, ecrase les pieds d'un dormeur un peu plus loin et ses cris de douleur mettent le comble au tumulte. Chacun se reveille en sursaut et quelques-uns, mauvais juges de la direction des souffrants, courent sur le pont, reveillant ceux qui y dorment pour savoir quel malheur est arrive. Apres beaucoup d'excitation, naturellement augmentee par l'obscurite de la nuit, on s'expliqua la cause du trouble et, une demi-heure apres, tout etait silencieux. Le matin, au reveil, il pleut a verse et le temps ne contribue pas peu a augmenter le malaise general. Vers huit heures le Revd Pere Provost nous dit une messe basse a fond de cale. Chacun prie en silence, peu peuvent se mettre a genoux car il avait plu toute la matinee et le plancher etait tout humide. L'avant-midi, les preparatifs se poursuivent avec une ardeur nouvelle. Tous y mettent la main et se construisent des especes de lits a trois etages dans le fond de cale de maniere a accommoder 300 hommes sans trop d'encombrement. Le soir arriva et nous etions encore a travailler. Lundi 13.--De bonne heure l'on se met en route. L'eau est calme et le trajet s'annonce favorable. Petit a petit la terre disparait et se mele avec le bleu azure du firmament ou elle ne parait bientot plus que comme une bande grisatre. Quelques heures plus tard on ne voit plus rien que le ciel et l'eau. Cela dure deux jours et deux nuits. On s'ennuie a la mort au fond de cette barge ou la seule distraction possible est de manger un hard-tack beurre et Sucre. [Illustration: SERGENT C. FAILLE.] Qui pourrait depeindre la vie de chacun de nous pendant ces deux mortelles journees? Il faudrait d'abord bien connaitre l'embarcation ou nous etions et son etrange ameublement. A l'exterieur rien n'attirait l'attention d'une maniere speciale. Sa robe de peinture blanche n'etait pas fraiche et etait parsemee d'accrocs nombreux sous lesquels on voyait son corps humide. A l'avant on lisait _Red River_ peint en lettres rouges. Sur le pont un assemblage des plus divers de barils de sucre, de boites de hard-tacks, de sacs a fleur, etc., dans un desordre indescriptible. Trois grandes ouvertures donnaient entree a la cale ou s'etait refugiee la plus grande partie du bataillon; le pont etait occupe, par ceux qui n'avaient pu trouver place dans la cale et par les officiers qui avaient dresse une tente sur le devant. Ils etaient 22 a bord, le capt. Ethier avait le commandement. Des echelles de construction primitive menaient du pont a la cale. Au pied de la premiere echelle un poele a fourneaux servait aux besoins culinaires des compagnies. En penetrant a fond de cale, l'on pouvait se croire dans une obscurite complete et n'eut-ce ete l'humidite on se serait cru dans les regions infernales (car chacun sait qu'il fait chaud dans cet endroit). Cependant l'oeil s'habituait peu a peu aux tenebres et un spectacle etrange s'offrait a la vue. De longues galeries a plusieurs etages bordaient de chaque cote l'etroit couloir qui menait le _touriste_ a l'avant ou a l'arriere du vaisseau. Jamais bazar persan ni foire St. Cloud ne presenta a ses visiteurs spectacle plus burlesque. Tous les types s'y rencontraient, il y avait une etrange agglomeration de caracteres et de costumes. Dans un coin quatre ou cinq bons _zigues_ jouent au _bluff_ et interrompent la partie par des jeux de mots affreux; un peu plus loin, un solitaire ronfle sur sa couchette de planches; ici, deux joueurs plus paisibles passent le temps a faire la partie de dames, la deux amis fument la pipe avec une indifference platonique en se communiquant leurs impressions de voyage: partout on rencontre les caracteres les plus opposes, et, en certains endroits, les gais eclats de rire et les chants de joie forment un contraste frappant avec la tristesse melancolique de la mise en scene. Ajoutez a tous ces elements disparates les figures enluminees et les bras noircis des cuisiniers, et vous aurez quelqu'idee du tableau que presentait la vie du 65e a bord de la barge "_Red River_." Mercredi 15.--Enfin nous entrons dans la Riviere Rouge. Nous passons devant Victoria et, vers midi, nous arretons a West Selkirk. De grandes tables ont ete disposees sous les arbres. L'on s'y rendit en rangs. Un sandwich au jambon accompagne de quatre ou cinq gateaux de differentes formes nous attendait. Au bout de chaque table un baril de _Lager beer_ etait a la disposition des plus alteres, et tout le monde l'etait; aussi chacun fit-il honneur a tout. Pendant le repas, des circulaires imprimees, nous forent distribuees; c'etait une lettre de bienvenue signee par le maire de Selkirk. A peine avions-nous vide notre baril de biere que le Lieutenant des Georges fit son apparition; il fut recu avec force hourras! et aux applaudissements de tous. Apres diner l'on retourna aux bateaux. Apres une heure d'attente, on nous mena de l'autre cote de la riviere a East Selkirk. Le transport du bagage se fit avec une promptitude inaccoutumee; chacun y mettait la main, sachant que c'etait la derniere fois qu'on aurait a s'occuper de ce detail. Quand tout fut debarque, on fit bouillir la marmite et chacun but avec satisfaction un pot de the chaud. Apres le the on s'amusa de son mieux pour dissiper l'impatience de l'attente. Enfin, vers huit heures, un train special arrive et est salue par mille cris de joie. On ne prit pas grand temps a mettre le bagage a bord, et a neuf heures nous etions en route. Tous etaient heureux a l'idee qu'ils ne descendraient de ces chars que rendus a Montreal. On chanta jusque vers les onze heures, puis chacun s'arrangea de son mieux pour dormir. Jeudi, 16.--Le matin, la pluie commence a tomber: On nous servit du cafe chaud, du bon pain blanc, du homard en boite et pour dessert des peches en boite. C'etait tout nouveau et ca sentait le Montreal. Vers midi, l'on arreta a Ignace pour diner. Il y avait trois mois que nous n'avions pas eu autre chose que des hard-tacks, du corn-beef ou du, boeuf sale. Aussi chacun fait-il honneur au repas. Apres une heure de delai, le train se remet en route et l'on se rend sans arret jusqu'a Port Arthur ou l'on arrive vers les dix heures. La fanfare de la ville etait a la gare et joua a notre arrivee. Au-dela de 4,000 personnes nous attendaient. On nous mena souper par compagnies, aux differents hotels de la ville. Apres souper il y eut conge general et plusieurs en profiterent largement. Vendredi, 17.--Il etait une heure du matin quand nous fumes prets a partir dans de nouveaux chars, Vers huit heures du matin nous etions rendus a Red Rock. Ici l'on separa le train en deux a cause du mauvais etat de la nouvelle ligne qu'on allait avoir a parcourir. Malgre les dangers de la route, le trajet se fait avec plaisir. Le chemin est des plus gais. Longeant continuellement les rives du lac Superieur et en suivant toutes les courbes, contournant les baies, partout le paysage est magnifique. L'on passa a McKercher Harbour ou nous etions arretes en montant, et ce fut avec plaisir qu'on se rappela nos souvenirs du mois d'avril. Le soir, vers 8 heures, le train arreta. L'ingenieur n'osait continuer pendant la nuit a cause du mauvais etat de la route, on passa la nuit en cet endroit. Samedi, 18.--De bonne heure l'on se remet en marche. La journee fut des plus ennuyeuses. De temps a autre seulement l'attention des soldats etait attiree par quelqu'affreux precipice qu'on traversait sur un pont de bois qui pliait sous le poids du char, ou par quelque tunnel qui repetait avec force les gais refrains des soldats. L'on traversa Jackfish Bay ou l'on avait passe un jour et une nuit au mois d'avril dernier. Comme tout etait change! Comme tout paraissait plus gai! Cette nuit-ci l'on coucha encore en route! Dimanche, 19.--Plus l'on approchait de Montreal, plus la gaiete augmentait. Vers midi, l'on arriva a North Bay. Il faisait une chaleur ecrasante. L'on se mit en rangs et l'on s'achemina vers le lac Nipissing. Ici chacun recut ordre de se deshabiller et de se laver. Pour plusieurs, l'ordre etait superflu, mais pour quelques-uns c'etait necessaire. En quelques minutes, tout le bataillon etait a l'eau et bientot tous se debattaient au milieu des cris les plus joyeux. Apres un bain d'une demi heure, l'on se rhabilla et l'on retourna aux chars en rangs. Un quart d'heure plus, tard nous etions encore en route, mais cette fois-ci, tous ensemble dans le meme train. Vers huit heures du soir l'on descendit a Mattawa. Ici encore, une foule nombreuse nous attendait. Apres un bon reveillon, l'on remonte a bord des chars et, vers onze heures, nous continuons notre route. Lundi, 20.--La nuit se passa en amusements. On s'attendait a arriver a Montreal dans le cours de l'avant-midi, c'etait assez pour empecher de dormir meme les plus indifferents. Vers deux heures l'on passa a Pembrooke. Une grande foule nous salua au passage. Ceux qui furent assez chanceux de descendre des chars etaient traites comme des enfants gates meme par les jeunes filles qui n'osaient resister a des vainqueurs si bien eleves. Un peu plus tard nous passions Carleton Place et, vers les six heures, nous etions a Ottawa. Avec quel plaisir nous serrions les mains des quelques Montrealais qui etaient venus a notre rencontre! Cette derniere partie de la route parut la plus longue. Enfin, l'on passe Ste-Scholastique, St. Augustin, St. Martin et arrivons a Ste. Rose. Ici une veritable ovation fut faite au Col. Ouimet. Cependant on ne pouvait attendre longtemps. Bientot nous arrivons au Mile-End, puis a Hochelaga. De cette derniere place a Montreal ce fut le commencement de l'ovation. Enfin le train arrete. Une foule compacte se tient aux alentours de la gare. Nous serrons avec bonheur la main a plus d'un ami. Apres quelque difficulte nous nous mettons en rangs, et la marche commence. Ce que, nous ressentions en voyant ces figures joyeuses qui nous saluaient de milliers de cris de joie et de bienvenue, en passant a travers ces masses de concitoyens, est impossible a decrire. Tous ont du le sentir comme moi, mais je ne crois pas qu'un seul puisse le depeindre. Enfin nous arrivons a l'eglise Notre-Dame. Chacun est emu au plus profond du coeur et sent des larmes de reconnaissance lui monter aux yeux. Notre compagnie marcha en avant jusqu'aupres de la chaire. Tout a coup, parmi cette foule immense, mes yeux ont distingue une figure de femme. En un instant je la considerai de la tete aux pieds. Elle avait les yeux remplis de larmes et etait montee sur un banc pour voir. En m'apercevant, elle se prit a trembler de tous ses membres et tomba a genoux. Je me jetai a son cou et je ne sais trop si je ne fus pas oblige d'essuyer une larme en sentant ses levres froides sur mon front brulant. C'etait ma mere. Elle etait bien changee. Quelques meches grises se melaient a ses cheveux autrefois d'un si beau noir, et pour la premiere fois je vis quelques rides sillonner sa figure. Je ne sais trop ce qui se passa en moi alors; mais a genoux tous deux, nous remerciames Dieu de notre reunion, ayant deja oublie les dangers de la route et les ennuis de l'absence. Apres le _Te Deum_, nous allames a la Salle d'Exercice, puis au marche Bonsecours ou nous fumes congedies. La campagne etait finie. FIN DE LA DERNIERE PARTIE. NOTES L'auteur a cru devoir ajouter a la fin de cet ouvrage quelques notes qui, croit-il, interesseront le lecteur. S'il y a mele quelques souvenirs personnels, le lecteur voudra bien ne pas y voir aucun orgueil de sa part, maie croire qu'il ne l'a fait que pour completer le recit historique de la campagne. AVANT LE DEPART. On venait de recevoir a Montreal la nouvelle que Riel avait de nouveau souleve les metis du Nord-Ouest et plusieurs tribus indiennes, et l'excitation publique en vint a son comble le 28 mars, quand le 65eme recut l'ordre de se tenir pret a partir dans l'espace de 48 heures. La depeche qui transmettait cet ordre avait ete adressee au Col. Harwood, mais ce dernier etant en ce moment absent de la ville, ce ne fut que tard dans la nuit que le Lieut.-Col. Hughes reussit a pouvoir s'en emparer et en apprendre le contenu. Malgre l'heure avancee, une reunion des officiers du bataillon fut immediatement convoquee et les mesures necessaires pour executer l'ordre du ministre de la milice prises le jour meme. En depit des vaines bravades des bataillons de nationalite differente qui se trouvaient a Montreal, le nombre des recrues augmentait de jour en jour et, le 1er avril, le bataillon etait pret a partir, avec un contingent de 325 hommes. Depuis plusieurs jours je me rendais tous les matins et tous les midis a la salle du marche Bonsecours ou les soldats faisaient l'exercice. Des la premiere journee, un sentiment, que je ne pus d'abord m'expliquer a moi-meme, s'empara de moi et je me surprenais souvent le soir dans ma tranquille demeure a penser avec envie aux grandes plaines de l'Ouest que je me figurais empestees de hordes ennemies. Chaque jour ce desir d'aller au Nord-Ouest augmentait. Je voyais mille obstacles sur ma route, d'abord la cruelle separation qu'il faudrait faire subir a ma vieille mere qui n'avait d'autre consolation que moi, puis ma carriere professionnelle peut-etre brisee par un trop long sejour sur le terrain des hostilites, et beaucoup d'autres dont je ne me rappelle pas beaucoup aujourd'hui mais qui alors me paraissaient insurmontables. En depit de tous ces obstacles et peut-etre meme a cause d'eux, mercredi, le 1er avril, comme on m'annoncait que le bataillon devait partir avant 24 heures, je pris mon parti tout a coup et, sans plus hesiter, entrai dans la chambre de recrutement et demandai qu'on m'enrolat. On accueillit ma demande et a 10 heures a.m. j'etais enrole membre de la compagnie No. 1. Je me fis immediatement donner une tunique et tout l'accoutrement qu'il me fallait. Il me semblait ne pouvoir etre soldat sans cela. L'apres-midi se passa a la salle du marche, chaque compagnie faisant l'exercice militaire sous les ordres de l'instructeur Labranche. Enfin le soir arriva. L'emotion qui s'empara de moi en arrivant a la maison peut etre mieux imaginee que decrite. Ma bonne mere qui avait tant souffert lors de notre premiere separation, qu'allait-elle dire en apprenant que son fils venait de s'enroler comme soldat? Je cachai de mon mieux mon uniforme sons mon pardessus et mettant mon kepi sous mon bras, je remis mon casque d'hiver sur ma tete. Enfin j'entrai et appris a ma mere la verite. Quelques heures plus tard, j'allai faire mes adieux M. le cure et a mes autres amis. J'allai a confesse et vers les neuf heures revins a la maison. Ma mere secha bientot ses larmes, et l'on proceda aux preparatifs de mon depart. Que la nuit me parut longue! Je ne pus fermer l'oeil, car j'entendais de ma chambre les sanglots de ma pauvre mere! Que de fois l'idee me vint de me lever et d'aller la consoler: mais aussitot je pensais que mieux valait faire semblant de ne pas m'en apercevoir; puisqu'elle s'etait retenue devant moi, pour pleurer seule maintenant, c'est qu'elle voulait me cacher sa douleur. Je m'assoupis en priant Dieu pour elle. Des 6.30 heures, le lendemain, j'etais debout. Ma mere vint a l'eglise avec moi. Nous communiames tous les deux. Oh! comme j'aurais mele mes larmes aux siennes, si l'amour-propre ne m'avait retenu. Mais la foule etait la qui nous regardait. La messe terminee, ma mere et moi retournames & la maison. Le dejeuner ne fut pas bien gai. Ma mere ne mangea rien du tout et sa douleur me rendit triste. Enfin le moment des adieux arriva. Mon beau-pere paraissait plus emu qu'il ne l'aurait voulu, et pleura quand je l'embrassai et ma mere ne voulut pas me laisser partir seul mais vint me reconduire jusqu'a la gare. Le long de la route, elle me fit toutes les recommandations qu'elle crut necessaires et quand elle eut fini, nous marchames en silence. Sans doute, nos idees etaient les memes, tous deux nous souffrions de la meme douleur et cependant chacun semblait preferer savourer sa peine en silence. Plusieurs minutes s'ecoulerent ainsi, puis le sifflet aigu du train qui approchait nous ramena a la cruelle realite. Je me levai et allai les larmes aux yeux lui donner le baiser d'adieu. Elle, pauvre femme! elle sanglotait! Je m'arrachai de ses bras en lui murmurant a l'oreille: courage et espoir!... Le train arriva a Montreal vers 7.30 heures; a 8.15 heures j'etais au marche. L'avant-midi s'ecoula lentement. Chaque compagnie allait une a une chercher sa tenue de campagne. On distribua des bas, des bottes, des _knapsacks_, havresacs, chaudieres a manger, couteaux, fourchettes, etc. Le mardi, on prit le diner au Richelieu. Apres diner, le trousseau de chacun fut complete, puis le bataillon sortit parader dans les rues. Partout la foule nous acclama! on ne pensait plus a la famille que l'on quittait, aux amis de qui l'on s'eloignait, on ne voyait plus devant nous que la patrie qui nous appelait a sa defense tandis que ses enfants nous encourageaient par leurs cris et leurs acclamations. Apres la parade, on retourna aux casernes pour la derniere fois, puis l'on se dirigea vers la gare du G. P.E. LE RETOUR A MONTREAL. L'auteur ne croit pas pouvoir mieux raconter le recit du retour du 65eme a Montreal que de reproduire ce que contenait un des premiers journaux francais de cette ville, le lendemain de l'arrivee du bataillon: Grande journee que celle d'hier. Rarement, peut-etre jamais encore, excepte lors de la visite du prince de Galles, Montreal n'a vu pareil enthousiasme. La ville etait en ebullition, les affaires etant suspendues, lo port vide, les chars urbains arretes, les commis partis des magasins; les ouvriers avaient deserte l'atelier, les typographes ont suivi le mouvement, les rues regorgeaient de monde, les drapeaux flottaient sur tous les edifices, les maisons etaient pavoisees, la joie partout, les poitrines se gonflaient et poussaient a chaque instant un formidable: VIVE LE 65EME! qui se repetait cent fois, mille fois, sur tout le parcours des braves volontaires. Mais il faut essayer de mettre un peu d'ordre dans notre compte-rendu. Le voyage, bien que long et penible, a eu quelques bons moments. Sur la route, quand le train triomphal s'arretait, on voyait arriver des deputations qui, venaient saluer les braves qui viennent enfin gouter au foyer de leur famille, un repos bien gagne. A MATTAWA. C'est ainsi qu'a Mattawa, les citoyens de Sudbury leur ont presente l'adresse suivante: Au lieutenant-colonel J. A. Ouimet, aux officiers et sous-officiers du 65eme bataillon. Messieurs, A l'occasion de votre retour du Nord-Ouest, permettez a vos amis de Sudbury de vous feliciter de l'heureux apaisement des troubles, qui vous permet de rentrer dans vos foyers, d'aller vous reposer au milieu de vos familles, des fatigues de toutes sortes que vous avez endurees pendant cette campagne lointaine, a laquelle vous avez pris une si glorieuse part. Croyez, messieurs, que nous vous avons suivis, par la pensee, dans les marches que vous avez faites dans les prairies, par des chemins impraticables, dans les perils incessants qui vous environnaient de tous cotes, dans vos engagements avec l'ennemi, que vous avez su combattre et vaincre, nous vous avons suivis dans toutes ces circonstances avec le plus grand interet. Nous avons constate avec une joie indicible, qu'au plus fort du danger, vous avez noblement rempli votre devoir, que les balles meurtrieres des Indiens n'ont point fait flechir votre courage un seul instant. Nous desirerions beaucoup assister a, la grande demonstration que vos amis de Montreal preparent pour votre arrivee, ce sera simplement splendide, comme il s'en est rarement vu; mais s'il nous est impossible d'y assister, du moins, nous pouvons nous joindre a eux pour vous dire de tout notre coeur. Honneur! a vous tous, messieurs, du 65eme. Le Canada est content de vous! il a le droit d'etre fier de posseder de tels soldats pour le defendre en tous temps et a quelque place que ce soit! Honneur! encore a vos chers camarades blesses! Ah! puissiez-vous vivre assez longtemps pour montrer a vos enfants et petits enfants les cicatrices des blessures que vous avez recues au service de votre pays, et enflammer leur jeune coeur du feu de votre amour, patriotique! Stephen Fournier, J. H. Dickson, Thomas Morton, F. A. Ouellet, Frs. Thompson, Jos. Anctil, J. L. Michaud, J. B. Francoeur, A. Simard, A. Lemieux. Le colonel Ouimet remercie ces excellents amis en quelques mots. Les instants sont precieux. On doit arriver a Montreal a, heure fixe, la cloche sonne, le train part. Adieu! Hourra! Hourra! A OTTAWA. L'heure matinale de l'arrivee du 65eme--il etait cinq heures et demie--a empeche une demonstration populaire; cependant, le maire, les echevins, les membres du parlement, des employes du gouvernement et nombre de militaires se sont rendus a la gare, ou Son Honneur le maire McDougall a souhaite la bienvenue au 65eme en ces termes: Aux officiers, sous-officiers et aux volontaires du 65eme Bataillon, soldats de l'annee du Canada. Au nom des citoyens du Canada je vous offre la bienvenue la plus cordiale et la plus chaleureuse a votre retour de la campagne du Nord-Ouest. Les citoyens d'Ottawa, avec le peuple du Canada, en general, ont vu avec admiration et orgueil la maniere noble et l'elan avec lequel les volontaires du Canada ont repondu a l'appel de leur pays de prendre les armes. L'histoire peut montrer quelque chose d'analogue, mais les pages de l'histoire ne montrent pas d'exemple d'un patriotisme plus grand. Les membres du 65eme bataillon ont droit de se feliciter qu'en temps de service actif ils ont acquis pour leur pays un prestige qui lui donne une place honorable parmi les peuples qui ont compte sur eux-memes et leur heroisme pour la defense de leurs droits. Je vous fait maintenant mes adieux et vous souhaite un heureux retour dans vos familles. J'espere que de sitot vous ne serez pas appeles a marcher dans les sentiers de la guerre. Ottawa, juillet 20, 1885. MM. P. LETT, Greffier de la cite. F. McDougall, Maire. La musique du 65eme, qui est allee au devant du bataillon, est la et jette au vent ses joyeux accords. Mais le morceau ne peut finir, on se reconnait, on s'appelle, on se serre la main, on demande des nouvelles de la-bas. Les musiciens montent dans le train et on se prepare a continuer la route. C'est la derniere grande etape; le sifflet de la locomotive se fait entendre. Trois hourrahs, suivis de trois et six autres, acclamerent encore nos braves jeunes gens. Enfin, ils vont arriver; ils vont revoir les parental, la bonne mere, les soeurs, les freres, les amis qui les attendent. A SAINT-MARTIN. A peine le train entre-t-il en gare que plusieurs citoyens, de Montreal, parmi lesquels nous avons remarque M, Arthur Dansereau, l'honorable E. Thibaudeau, M. C. A. Corneiller, l'echevin Mount et autres, montent dans le train et viennent serrer la main aux officiers et aux amis du bataillon. L'honorable E. Thibaudeau et M. A. Dansereau presentent au colonel Ouimet un magnifique bouquet de roses et de lys. Le maire de Saint-Martin s'avance a son tour et lit cette adresse au colonel: Presentee au 65eme bataillon a son passage a la Jonction de Saint-Martin, au retour de son expedition au Nord-Ouest. Vaillant colonel et braves soldats, Si jamais, nous, citoyens de Saint-Martin, avons ete fiers et joyeux de recevoir des amis c'est bien aujourd'hui. Aussi, est-ce de toute l'effusion de nos coeurs que nous vous disons: soyez les bienvenus; soyez les bienvenus, parce que a l'aide de votre bravoure, de votre courage, et surtout de votre sagesse que vous avez deploye dans cette expedition, vous nous avez convaincus que notre pays et notre nationalite continueront de se fortifier et de se developper comme par le passe. Vous nous avez convaincus que vous etiez les vaillants descendants de Salaberry, et des heros des Plaines d'Abraham et de Carillon. Vaillant colonel et braves soldats, pendant que vous etiez la-bas exposes aux miseres des camps et a des dangers imminents, nous etions dans l'anxiete et nous anticipions les evenements tant nous avions a coeur votre retour au milieu de nous. Enfin, vous voila revenus sains et saufs pour le plus grand nombre, ne laissant que quelques pertes precieuses a deplorer. Et ce qui, nous fait plaisir c'est que le bataillon, emporte avec lui les sympathies et l'estime de ceux que, la-bas, vous avez contribue a faire rentrer dans le devoir. Et voua, vaillant colonel en particulier, votre esprit de justice noua a concilie l'estime des habitants du Nord-Ouest en adoptant des procedes que tout homme juste doit approuver. Nous avons admire votre conduite quand vous avez etabli a Edmonton une garde composee de Metis. Comme vous nous pensons que ces hommes peuvent remplir dans leur pays des charges, tout aussi bien que tout etranger qui nous arrive de l'autre cote de l'ocean. Peut-etre que si ces procedes avaient ete suivis plus tot par d'autres fonctionnaires publics, nous n'aurions pas aujourd'hui tant de desastres a deplorer. Dans les temps difficiles que nous traversons nous sommes heureux de rencontrer des hommes forts et courageux pour sauver la barque fragile de notre nationalite. Ainsi recevez donc nos eloges les plus sinceres, ils partent de coeurs vraiment genereux. Ce que nous, citoyens de Saint-Martin, vous disons, tout le pays vous le dit. Vous avez merite beaucoup de la patrie et nous ne cesserons de vous feliciter. LES CITOYENS DE SAINT-MARTIN. On passa le pont, on entrevoit au loin les contours de la montagne, a gauche le joli village du Sault; a droite les cloches de l'eglise Saint-Laurent, on reconnait les maisons, les champs, etc. La locomotive file toujours. De temps a autre, un hourra se fait entendre, c'est un brave homme, une bonne femme, un enfant, qui, le chapeau ou le mouchoir a la main, nous envoie la bienvenue. On passa Hochelaga, on est a Montreal, on approche du but. Les vivats, les cris de joie, les acclamations deviennent plus nourris, on voit des groupes aux fenetres, sur les portes, sur la rive, cela prend du corps, les groupes deviennent foule et nos braves soldats penches aux fenetres des wagons, etonnes, emus de ces manifestations se regardent et se demandent ce qui les attend encore. En passant pres du parc Mount, des acclamations enthousiastes saluent le train au passage, maintenant chaque eminence, chaque fenetre est occupee. La musique du 65eme entonne la marche triomphale composee specialement pour cette occasion. Au loin un murmure qui se change bientot en grondement se fait entendre et quand enfin on depasse le signal qui se trouve pres du fleuve et que le train entre en gare, c'est une explosion, un eclat de tonnerre qui se fait entendre. A MONTREAL Il est dix heures precises. Vingt mille voix jettent un cri formidable: --Hourra! Hourra! --Vive le 65eme! Le canon tonne, au loin les cris redoublent, augmentent et se succedent pour se decupler encore. Le train s'arrete, la foule serree; comprimee, ecrasee se rue en avant et escalade les chars. Les mouchoirs s'agitent, toutes les tetes se decouvrent. --Salut aux braves! Un detachement de trente hommes de police est impuissant a reprimer le mouvement. De l'ordre? Ah, bien oui, on s'occupe bien de cela, on veut les voir, les toucher, leur serrer la main. Les braves colonels des bataillons de Montreal sont entraines, pousses, bouscules. "Tant pis! excusez mon colonel!" on donne un coup d'epaule, il faut avancer quand meme. Le maire Beaugrand, toutes decorations dehors, le collier au cou, essaie de se frayer un passage et parvient enfin jusqu'au colonel Ouimet, qui serre de tous cotes et escorte des majors Hughes et Dugas, ne peut avancer ni reculer. Le maire leur serre la main, leur souhaite la bienvenue et va pour parler quand le capitaine Des Rivieres qui est arrive lui aussi jusque la, Dieu sait par quel miracle, se jette dans les bras du colonel et du major et leur etreint les mains a les briser. Chaque officier qui descend est tire par les bras, par les epaules, par les pans de son dolman. "Bonjour, salut, comment ca va; bravo, hourra vive le 65eme!" On ne s'entend plus, on ne se voit plus; tout le monde parle, chante, crie. C'est splendide! Les poussees continuent, les soldats ne peuvent sortir des chars, on les tire par les bras, on voudrait les faire sortir par les fenetres. Et les crie recommencent et les acclamations deviennent de plus en plus vigoureuses. Pendant que le maire, les echevins, les colonels et les officiers viennent serrer la main a leurs collegues, on a fait un peu de place sur les quais de debarquement, les wagons se vident, voila les soldats! Bronzes, noirs, fatigues, deguenilles, la figure abimee, les yeux rouges, les cheveux negliges, la barbe inculte, pantalons dechires, tuniques en lambeaux, coiffes qui d'un chapeau, qui d'une casquette, les chaussures rapiecees, gibernes cousues avec des ficelles................ .........natures magnifiques, en un mot de beaux soldats aux traits males, durs, energiques, vigoureux. Voila les soldats du 65eme apres une campagne de, trois mois et demi, apres avoir marche dans la neige, dans la boue, dans l'eau, dans le sable, dans la poussiere, sous la pluie, la neige et le soleil! Voila nos braves volontaires apres avoir fait des marches forcees de trente, trente-cinq et trente-huit milles en une journee! Voila nos amis apres avoir souffert du froid, de la faim et de la chaleur. Voila nos Canadiens-Francais apres avoir vu le feu, tels qu'ils etaient avant le soir de la bataille et qu'on croit voir noirs de poudre et de poussiere. Chapeau bas! Salut aux braves! LES ANCIENS MEMBRES DU 65e BATAILLON. Le capitaine DesRivieres haussant la voix autant qu'il le peut pour se faire entendre au-dessus des grondements de la foule, lit enfin les lignes qui suivent: Au lieutenant-colonel J. A, Ouimet, commandant le 65e bataillon, C. M. R., aux officiers et soldats du 65e bataillon, C. M. R. Messieurs, Les soussigne, anciens officiers, sons-officiers et soldats du 65e bataillon, C. M. R., mus par un sentiment de joie de vous voir revenir dans vos foyers, apres une campagne rude et penible, viennent vous souhaiter la bienvenue, et vous exprimer en meme temps leur admiration pour le courage, l'energie et les qualites essentiellement militaires dont vous avez donne tant de preuves dans la guerre du Nord-Ouest. Tous avez merite la reconnaissance du pays entier, en contribuant dans une large part & faire respecter la loi et a retablir l'ordre trouble. Mous n'ignorons pas que ce n'a ete qu'au prix de grands sacrifices personnels, de privations de toutes sortes, de marches longues et penibles, et meme au pris de votre sang que vous avez assure la tranquillite du pays. Vous avez montre sur le champ de bataille le sang-froid, la valeur qui distinguent de vieux soldats aguerris. Vous etes bien les descendants des heros de la Monongahela, de Carillon et de Chateaugay! Les annales conserveront le souvenir des travaux accomplis et des succes remportes par le 65e bataillon Carabiniers Mont-Royaux. Vous avez attache un tel prestige au bataillon que l'honneur d'y appartenir rejaillit sur ceux qui y ont appartenu, et nous, vos amis, vos anciens compagnons d'armes, pouvons dire avec orgueil: "Nous avons ete au 65eme." Vous avez fait honneur a votre race! vous etes les bienvenus. Puissiez-vous trouver dans le sein de vos familles le repos que vous avez si bien merite. Salut, honneur, reconnaissance au 65eme. Montreal, juillet, 1885. (Signatures) E. DesRivieres, Armand Beaudry, L. E. N. Pratte, Horace Pepin, A. Renaud, P. J. Bedard, A. Bryer, L. N. Pare, A. Simard, E. Globensky, G. Faille, J. H. Salameau, A. Lussier, Joseph Pelletier, H. Viger, E. D. Collerette, J. A. Dorval, C. A. Bourgeois, M.E. Dymbumer, Henri Morin, Flavien J, Granger, J. Arthur Tessier, Albert Beliveau, A. Sumbler, Adolphe Grenier, Napoleon Leduc, Pierre E. Drouin. George N. Watie, G. L. A. Beaudet, J. B. Emond; E. G. Phaneuf, Frs Corbeille, C. A. Giroux, G. S. Malepart, Philippe Gareau, Romeo LaFontaine, J. Edouard LaFontaine, Wilfrid Lortie, Ephrem Chalifoux, Auguste Lavoie, Napoleon Lefebvre, Aime Grothe, Ernest Neveu, J. A. Daze, Arthur Nay, Philippe LeBel, D. Payette, Pierre Villeneuve, Camille Nourrie, J. E. Marois, Joseph Pelletier, Joseph Pouliot, Charles Boy, Elie Duchesne, Adolphe Lecault, Charles Brunelle, Joseph Lagace, Alexis Gauthier, Seraphin Laroche, Eug. Beaudry, J. A. Boudrias, J. W. Bacon, Emile A. Lorimier, Edmond Daller, E. Trestler, N. Millette, E. Dansereau, D. Maypenholder, Louis Houle, Alfred Bertrand, Georges Cadieux, Georges Giroux, Jean-Baptiste Dubois, Omer Fontaine, Napoleon Leclerc, Leon Gagnon, Louis Gauthier, Charles Deslauriers, Charles Berger, Alfred Bernier, Frederic Guillette, O. Boyer, J. N. A. Beaudry, P. A. Beaudry, Charles Blanchard, Ernest Gadbois, Gustave A. Leblanc Alfred Labbe, George Lesage, Adolphe Lefebvre, O. Corriveau, A. N. Brodeur, J. B. L. Precourt, Albert Leduc, Edouard Villeneuve, J. E. A. Dubord, Alex Scott, P. A. Boivin, Joseph Hurtubise, Arthur Quevillon, Chs Alex Merrill, Israel Marion, Moise Raymond, A. B. Brault, J. Z. Resther, E, N. Lanthier, Arthur Labelle, J. Bte. Metivier, W. Maynard, Horace Normandin, E. Hebert, J. R. Saint-Michel, J. E, Decelles, Aug. S. Mackay, J. B. Labelle, H. A. Cholette, L. P. Trudel, J. C. Moquin, J. C. Dupuis I. J. R. Hubert, Adolphe Lupien, R. Resther, Joseph Ross, Napoleon Melancon, Alfred Desnoyers, C. E. Stanton. Tous les veterans du 65e, portant le _helmet_ blanc et le ruban a la boutonniere, sont ranges en bataille sur le quai, capitaines, lieutenants, sergents et caporaux a leur rang, comme au temps ou ils portaient l'uniforme. Ces veterans avec leur teint frais et rose et leurs joues pleines semblent des jeunes gens a cote des volontaires qui reviennent du Nord-Ouest. Le colonel Ouimet repond brievement et conseille aux veterans de former un double bataillon, comme cela se fait a Toronto pour les Queen's Own. "J'accepte vos compliments, mes amis, dit-il, en ma qualite de colonel du 65e. Les eloges que vous adressez a mes soldats sont merites, et il suffit, pour s'en convaincre, de lire les rapports du general Strange." Ces paroles sont recues par des hourras et des "vive le 65e!" LE DEFILE Les commandements se font entendre et enfin on se met en marche, les veterans en avant, la musique du 65e, le colonel Ouimet escorte des officiers delegues de tous les autres regiments, et enfin le bataillon. En haut de la rue des Casernes, attend la tete de la colonne qui se compose ainsi: Une section d'artillerie, deux pieces de canon, trente hommes et quatre officiers, le 85eme bataillon, les officiers et sergents du Prince of Wales, un detachement du 6eme Fusiliers, un detachement des Royal Scotts, les veterans du 65e, les membres fondateurs du bataillon, la musique de la Cite, les officiers de la brigade militaire et le bataillon. Le passage etait litteralement bloque, l'enthousiasme ne se ralentissait pas et les bravos etaient ininterrompus: "Il y avait peut-etre un plus grand deploiement de richesse a Paris, lors du retour des soldats de Crimee," nous disait un Francais, "mais certainement que la reception n'etait pas plus cordiale, ni l'enthousiasme plus grand." Lemay et Lafreniere, les deux blesses, avaient pris place dans une superbe voiture. Inutile de dire qu'ils ont ete l'objet d'une ovation. Les dames leur lancerent tellement de bouquets, que la voiture en etaient remplie. L'aumonier du bataillon, l'excellent Pere Prevost, toujours fidele au poste, accompagnait les bons enfants. Ce digne pretre pleurait de joie en voyant l'accueil fait a ses jeunes amis et en remerciait Dieu tout bas. L'entree triomphale dans la cite de Montreal commenca et on parcourut la rue Notre-Dame jusqu'a l'Hotel-de-Ville. Partout des banderoles et des drapeaux tricolores decoraient les maisons. A L'HOTEL DE VILLE A l'Hotel-de-Ville, le maire demanda au colonel du bataillon de vouloir bien arreter un instant et monta au haut du perron. Pres de lui vinrent se ranger en haie les officiers superieurs, les capitaines et les lieutenants du bataillon. La foule etait enorme et une epingle n'aurait pu tomber a terre. Quand le silence se fut un peu retabli, le maire lut l'adresse suivante: Col. Ouimet, officiers, sous-officiers et soldats du 65e bataillon. Montreal par ma voix vous acclame et vous souhaite la plus cordiale et la plus chaleureuse des bienvenues. Montreal vous remercie pour vos sacrifices et pour votre ardent patriotisme! Vous avez repondu a l'appel de la patrie au moment du danger, et nous vous avons suivis des yeux dans votre courte mais glorieuse carriere militaire. Vous vous etes conduits la-bas comme des hommes de coeur et comme de vieux soldats. C'est votre general qui se plait a le constater et je suis heureux de pouvoir vous le dire au nom de tous les citoyens de Montreal, sans distinction d'origine ou de croyance. Soyez les bienvenus dans cette ville que vous aimez tant et qui, aujourd'hui, est si fiere de vous! Soyez les bienvenus dans vos familles qui ont pleure votre depart et qui se rejouissent de votre retour. Soyez les bienvenus parmi vos amis et parmi vos camarades de tous les jours. Au nom du conseil municipal, je vous offre officiellement les remerciements de la ville de Montreal et je suis certain de me faire l'echo de tous mes concitoyens, lorsque je declare que le 65e bataillon a bien merite de la patrie. Merci, colonel, merci, MM. les officiers! merci braves soldats qui etes alles offrir vos vies sur l'autel du patriotisme et du devoir. Tous avez recu le bapteme de sang sans broncher et vos glorieux blesses sont la pour prouver au monde que vous etes les dignes fils des premiers colons du Canada. Le brave Valiquette a perdu la vie dans l'accomplissement d'un devoir sacre. --Honneur a sa memoire! Maintenant, mes amis, je comprends le legitime desir que vous avez d'aller embrasser vos familles en passant par l'eglise ou vous allez remercier Dieu de vous avoir proteges tout specialement. Encore une fois, merci! Encore une fois, soyez les bienvenus parmi nous! Permettez-moi, colonel. Ouimet, de vous presser la main, comme tous les citoyens de Montreal voudraient pouvoir la presser, en ce moment, a tous les hommes de votre bataillon! *** Madame Beaugrand presente au colonel Ouimet un magnifique bouquet avec attaches tricolores. Des bouquets sont aussi presentes aux majors Hughes et Dugas, ainsi qu'aux officiers. Puis on continue la marche; toujours la meme foule, toujours le meme enthousiasme, et toujours les memes acclamations. Partout des banderoles, des drapeaux, des festons, des saluts et des armes, et a maints endroits des larmes de joie, d'orgueil et de triomphe. Nos concitoyens anglais ont fait beaucoup pour ajouter a l'eclat de la reception de nos troupes. Les bureaux du Pacifique, la Banque de Montreal, le Bureau des Postes, le Saint Lawrence Hall, les Compagnies d'Assurance, les banques, le Mechanics' Hall, la rue McGill, toute belle, la partie de la rue Notre-Dame entre la rue McGill et la paroisse, ravissante; il faudrait tout un volume pour decrire toutes ces belles choses et pour dire avec quelle bonne volonte, avec quel coeur on a fait tout ca. L'ENTREE A L'EGLISE. Le 85ieme, la garde d'honneur, entra d'abord, precede de son corps de musique, penetra par l'allee du centre et defila par une allee laterale; ensuite entra la musique de la Cite suivie des fondateurs du 65ieme bataillon, puis les heros de la fete. Messieurs de Saint-Sulpice, ayant a leur tete le devoue, patriotique et bon cure Sentenne, avaient fait tout pour recevoir les braves a Notre-Dame. Partout des drapeaux, des inscriptions et des festons et surtout une foule considerable qui remerciait Dieu du retour si heureux de nos troupes. Le 65eme arrive, tel qu'il est, sale, dechire, mal coiffe, noir, mais l'oeil vif et la jambe alerte, il suit sa musique, le sourire aux levres et vient prendre la place qu'on lui avait designee. On entonne _Magnificat_; vingt mille voix se melent au choeur et tous dans un meme elan religieux et patriotique, chantent a Marie son principal cantique de louanges. SERMON. Apres le chant, M. l'abbe Emard monte en chaire et prononce l'eloquente allocution que nous ne pouvons ici que resumer: L'orateur rappelle, en des termes eloquents, le beau fait d'armes accompli lors des luttes de nos peres par Dollard Desormeaux et ses compagnons, partis eux aussi de l'eglise Notre-Dame, ou nous revient aujourd'hui le 65e bataillon, Dollard et ses compagnons sont tombes sous les fleches de l'ennemi; vous, vous nous revenez charges des trophees de la victoire. Nous admirons l'idee qui vous conduit aujourd'hui au pied des autels pour entonner un chant d'action de graces; car vous prouvez que vous avez combattu non seulement en patriotes, mais en chretiens; vous avez invoque le Dieu des combats, et vous venez le remercier. La Religion et la Patrie sont fieres de leurs enfants et defenseurs. Vous avez porte fierement le drapeau de votre foi. Vous vous etes montres dignes de votre devise: "_Nunquam retrorsum_" La Patrie vous remercie des sacrifices que vous vous etes imposes pour sa defense. Ah! quels sacrifices! Vous avez abandonne vos situations, vous vous etes arraches des bras de vos meres, de vos familles et de vos enfants, et vous avez vole a l'ennemi. Vous avez donne a l'Europe un exemple de votre valeur militaire, vous vous etes montres dignes de vos ancetres. Nous avons contemple votre courage, quand a sonne l'heure du depart; vous n'avez pas decu nos esperances. Nous avons appris avec orgueil votre conduite valeureuse. Soldats, vous etes des braves! Nous sommes fiers de vous; soyez-le, comme nous le sommes. Pendant cette brillante campagne, il s'est eleve une note discordante, mais votre noble conduite, vos exploits ont su faire taire la voix de l'envie et du fanatisme. Vous qui n'aviez vu que le cote brillant de l'art militaire, vous avez vu la mort en face, et vous l'avez envisagee l'ame calme, le coeur ferme et l'oeil serein Honneur a vous! Vous avez pris sur vos epaulea la croix veritable et vous etes alles la transporter au champ des martyrs Fafard et Marchand. Soyez fiers de votre campagne mais restez toujours dignes; apres avoir remporte les triomphes de la terre, soyez dignes de la couronne des cieux...Ainsi soit-il. Suivit le chant du _Te Deum_; encore cette fois toutes les voix se reunirent pour remercier Dieu du retour de nos hommes et l'heureux resultat de cette campagne memorable. Un joli incident et qui a ete fort goute de tous ceux qui en ont ete temoins: Avant de quitter l'eglise le lieutenant-colonel Ouimet deposa au pied de la statue de la Sainte Vierge le superbe bouquet qu'il avait recu a l'hotel-de-ville. On laisse Notre-Dame, toujours le 85eme en tete avec son magnifique corps de musique; suivent les anciens membres du 65eme bataillon, le 65eme, les fondateurs du bataillon et la foule. On reprend la rue Notre-Dame, on descend la Cote Saint Lambert, la rue Craig et on entre au "Drill Hall." Le 85e forme encore la garde d'honneur, suivent les representants des autres corps militaires de Montreal, puis apparait le 65e qui fait son entree toujours triomphale, toujours aux acclamations de la foule. Il defile au son de la musique et se forme en colonne. SALLE DU BANQUET. On avait orne les tables avec des fleurs et des plantes empruntees a la serre et aux plates-bandes du jardin Viger. En arriere de la table d'honneur, sur une longue banderole on lisait les mots: "Les anciens du 65e aux braves du Nord-Ouest." Le menu etait quelque chose de substantiel, tel qu'il convient a des estomacs fatigues par des privations de trois mois et plus: jambon, corn-beef, roast-beef, et autres pieces de resistance froides. Le vin, la biere et le claret punch coulaient a flots. Au-dessus etait placee une cartouche avec la devise de notre populaire bataillon: _Nunquam retrorsum_ "Jamais en arriere." On remarquait parmi les drapeaux, qui composaient le faisceau place en arriere du siege du president, un drapeau francais en soie frangee d'or avec le chiffre "65," presente au colonel Ouimet par les citoyens de la partie Est. En avant de la table d'honneur etaient deux petites bannieres portant les mots: "A nos braves!" Le service de ces agapes militaires a ete irreprochable; pour en convaincre nos lecteurs il nous suffira de dire qu'il etait sous la direction de MM. Michel Beauchamp et William Gill, deux maitres d'hotel bien connus, le premier au Richelieu, et l'autre au St. Lawrence Hall. En entrant dans la salle du banquet, les volontaires du Nord-Ouest se formerent en colonne a quart de distance de conversion et se debarrasserent de leurs sacs et de leurs armes. Chacun admira la precision, l'ensemble et l'habilete avec lesquels ils mirent leurs armes en faisceaux. On ont dit de vieux grognards de la garde de Napoleon. Les volontaires se mirent a table et firent honneur au repas tout en fraternisant avec leurs compagnons d'armes de Montreal. Le banquet etait preside par le lieutenant-colonel Harwood, D. A. G., qui avait a sa droite le lieutenant-colonel Ouimet, commandant du 65e et a sa gauche, Son Honneur le maire. A la meme table, etaient les lieutenants-colonels Fletcher, Gardner, Crawford, Hughes, Brosseau, du 85e, Stevenson, de la batterie de campagne, d'Orsonnens, Caverhill, Rodier, du 76e, de Chateaugay, J. M. Prud'homme, du 64e, de Beauharnois, Sheppard, du 83e, de Joliette; le major Denis, du 84e de Saint-Hyacinthe, M. le cure Sentenne, le. Dr Lachapelle l'honorable M. Thibaudeau, MM. les echevins Mount Fairbairn, Robert, Grenier, Laurent, Mathieu, Jeannotte, Armand, MM. Larocque, A. Desjardins M. P., J. J. Curran, M. P. Parmi les dames presentes, on remarquait Mme Ald. Ouimet, Mme L. S. Olivier, Delles Martin, E. Perrault Mmes Mount, Berry, A. A. Wilson, Mathieu, L. A. Jette, Joseph Aussem, J. Leclaire, A. Larocque, Rouer Roy, E. Starnes, Lady Lafontaine, F. D. Monk, Delles Corinne Roy, Quigley, Amelie Roy, Alice Roy, Pelletier, Wilson. Il a ete impossible de preparer une liste complete de toutes les notabilites presentes dans la salle d'exercice a cause du mouvement de la foule autour des tables du festin et des groupes formes par les parents et les amis qui venaient presser la main des volontaires du Nord-Ouest. LES DISCOURS Voici le resume du discours prononce par le colonel de Lotbiniere Harwood D. A. G., commandant le district militaire No 6, au banquet du Drill Shed: Messieurs, S'il y a une classe d'hommes, au sein de la Confederation Canadienne qui, depuis de nombreuses annees, ont eu a souffrir de l'apathie, de l'indifference des habitants de ce pays, en retour des sacrifices immenses qu'ils se sont imposes pour prouver a leurs concitoyens leur devouement a la chose publique et a la patrie, c'est indubitablement la classe des volontaires. Que chacun rappelle ses souvenirs, il verra combien de fois les volontaires ont ete, depuis quelques annees, traites d'exaltes, d'hommes bons a jouer aux soldats. On s'est meme oublie jusqu'a les traiter de "vils traineurs de sabre"; des patrons de boutiques, de grands magasins, de grandes usines allaient jusqu'a dire: Nous ne voulons pas de volontaires a notre service, comme employes. S'il s'agissait de donner des prix aux meilleurs tireurs a la carabine, je connais le nom de gens haut places dans le commerce et ailleurs qui refusaient de donner leur obole, en disant: "Pourquoi tout ce tapage? Pourquoi la Milice? A quoi sert tout cela? Nous n'avons pas besoin de donner notre argent pour faire jouer au soldat, etc., etc." Et la consequence etait que nos braves militaires, non contents de donner leur temps et leurs peines, etaient obliges de souscrire de leurs bourses, afin de fournir des prix aux concours! Que de sacrifices les officiers de fout rang ont ete obliges de faire en maintes circonstances pour maintenir leurs corps de volontaires en etat effectif en face de toute cette apathie! Puis encore, lorsque les differents ministres de la milice voulaient de l'aide des chambres pour la Milice, soit pour les camps, soit pour avoir des armes, des accoutrements, des uniformes convenables, vous voyiez tout de suite un certain nombre de membres se recrier, criant au gaspillage, disant que le pays allait a la banqueroute, a la ruine, que la Milice etait inutile... que nos braves volontaires n'etaient bons qu'a jouer au soldat, et que dirai-je encore. Tout ce temps, nos volontaires, toujours animes du plus noble patriotisme, se disaient: Patience! patience! un moment viendra, et le pays, dans sa detresse, nous demandera a grands cris. Alors, nous, comme toujours, nous repondrons: _Presents!_ Oui, messieurs, a la fin de mars dernier, ce moment est malheureusement venu.... et qu'est-il arrive? Il est arrive, messieurs, qu'a ce moment supreme chaque volontaire, d'un bout du pays a l'autre, depuis les colonels jusqu'au dernier des soldats, s'est ecrie avec joie: _Presents!_ A la fin de mars dernier, au milieu de nos troubles le Bon Genie, qui preside aux destinees du pays, s'etait charge de nous donner l'homme qu'ils nous fallait--le brave et habile general Middleton, le general modele doux, humain, et _fortiter in re_. Oui, le general Middleton, ce soldat "sans peur et sans reproche," qui, par son tact, sa prudence, ses sages mesures, ses calculs habiles, "sans verser de sang inutilement," a su conduire nos troupes & la victoire, et etouffer un soulevement qui menacait d'etre general, un de ces soulevements qui, peu de chose au commencement, pouvait en grandissant prendre des proportions colossales, faire promener la torche incendiaire d'un bout a l'autre du Nord-Ouest, et faire couler des flots de sang a travers ces vastes regions. (Vifs applaudissements.) Mais, grace a Dieu, un homme presque providentiel se trouvait a la tete des forces, et avec son aide et celle de nos vaillants volontaires, la douce paix, "cette fille aimee du ciel," est rentree au sein de notre belle confederation. (Bruyants applaudissements.) Nunquam retrorsum! Non! non, jamais en arriere, officiers et soldats du 65e bataillon! Fideles a la noble devise qui distingue votre beau bataillon, vous vous etes leves, comme un seul homme, a la fin de mars dernier, pour aller defendre le drapeau national, laissant sans la moindre hesitation, parents, amis, situation, position, affaires privees, pour obeir au cri du devoir et a la voix de i'honneur qui vous appelaient. (Vifs appl.) 65e bataillon, sur vous est tombe le premier choix d'entre tous les bataillons de la province de Quebec! La patrie comptait sur vous et ses esperances n'ont pas ete decues! Le pays vous a constamment suivi des yeux. Votre souvenir a toujours ete present a l'esprit de vos amis, a travers vos longues marches, tantot; en butte a un froid siberien, tantot sous les rayons d'un soleil d'Afrique. Vos souffrances morales et physiques de toutes sortes (mal couches, souvent mal nourris, a peine vetus, sans pain, sans souliers, couchant sur la dure), vous avez tout souffert, tout brave! Que de marches, de contremarches, que de milles parcourus en tous sens, et la nuit, et le jour, mais grace a Dieu, vous nous revenez couverts de gloire......... Vous nous revenez, la joie, l'orgueil et l'honneur de Montreal. (Applaudissements frenetiques.) Oui, soldats du 65e bataillon, vous nous revenez couverts de gloire......... et c'est avec un legitime orgueil que nous contemplons vos figures basanees, les nobles debris d'uniformes qui vous couvrent a peine, mais qui font votre gloire........ vos visages bronzes, vos visages de veterans! ah! mais c'est que vous n'avez pas joue au soldat (hourras frenetiques!) Oui! vous nous revenez glorieux et vainqueurs. Tous avez recu le bapteme du feu... Vous avez recu le bapteme du sang... Vous avez recu le bapteme des privations et des souffrances de toutes sortes. Vous avez meme recu le bapteme de la medisance et de la calomnie la plus atroce... Attaques dans votre honneur de gentilshommes, de Canadiens, de soldats, par cette sale et degoutante feuille de choux, cultivee, fumee, arrosee par ce grand Pretre de la calomnie, le fameux Sheppard de Toronto; vous nous revenez vainqueurs et vous avez prouve a tout le pays que comme patriotes, gentilshommes et soldats, vous n'aviez ni superieurs, ni maitres dans toute la milice du Canada. (longs applaudissements.) Aussi avec quelle joie lisions-nous le recit de vos hauts faits dans le Nord-Ouest, avec quel orgueil lisions-nous les belles paroles que votre commandant, le general Strange, nous adressait apres vos actions d'eclat. Nous avons tous lu avec joie ce que le general Strange ecrivait de vous a un de ses amis intimes, il n'y a que quelques jours. Nos coeurs ont battu a briser nos poitrines en lisant des pages comme celle-ci: "Quand le canon, cette voix de fer, ce dernier argument de la civilisation armee, eut fait repercuter pour la premiere fois les echos endormis de la solitude des, sombres regions du Nord-Ouest, nos braves soldats du 65e bataillon se sont elances sur l'ennemi--les marais, les sombres forets, les broussailles presqu'impenetrables, n'arretaient pas leur impetuosite--et comme les chevaux qui trainaient le canon se trouvaient souvent embourbes, envases jusqu'aux oreilles, _my plucky French Canadians_ s'attelant au canon font sortir de cette impasse chevaux, canon et tout ce qui s'en suit, le tout avec cette agilite, cet elan francais qui distingue nos Canadiens-Francais." (Applaudissements.) Puis encore les paragraphes suivants: "Le veritable esprit militaire des anciens coureurs des bois, la milice de Montcalm, des voltigeurs de Salaberry semble aussi vivace que jamais dans le coeur de nos Canadiens-Francais. Nous avons bivouaque sous nos armes... nous etions sans feu... le 65e bataillon etait pour le moment sans capotes (en parlant de la poursuite contre Gros Ours). Les soldats du 65e bataillion n'avaient pas pris de vivres avec eux lorsque le matin ils debarquaient de leurs bateaux pour s'elancer au pas redouble la ou le devoir les appelait. Nous partageames nos rations avec eux." Puis plus loin. "Un autre jour, ils arrivent (le 65e) a un certain endroit; apres avoir marche toute une nuit l'enorme distance de onze lieues; a travers des marais presqu'impassables... le coeur joyeux... la gaie chanson canadienne a la bouche... bravant tous les obstacles, plusieurs d'entre eux allaient pieds nus et ensanglantes, leurs uniformes etaient en lambeaux et cependant ils etaient prets a tout." "Sur eux tombaient les postes les plus exposes chaque fois que nous pouvions rejoindre l'ennemi, et c'etait toujours avec peine que je pouvais contenir l'ardeur belliqueuse de _my plucky French Canadians_," Ainsi vous voyez que rien de ce qu'on disait de vous n'etait perdu pour nous, pour moi surtout qui ai le plaisir de compter votre beau bataillon parmi les bataillons du District que j'ai l'honneur de commander. Aussi soyez les bienvenus au milieu de nous. Vous avez bien merite de la patrie. Tous ceux qui vous sont chers, qui vous aiment si tendrement, brulent d'envie de vous serrer la main, de vous presser sur leur coeur, et de vous dire combien ils sont contents de voua, fiers de vous, comme nous le sommes tous ici, comme l'est tout le pays en general et la ville de Montreal, en particulier. (Tonnerre d'applaudissements.) Aussi, messieurs, en terminant, permettez-moi de proposer la sante du brave general Middleton, le soldat "sans peur et sans reproche" et celle du 65e bataillon nos _plucky French Canadians_. (Applaudissements prolonges.) Le maire Beaugrand, appele a prendre la parole, complimenta en termes appropries et d'une facon tres eloquente le 65e bataillon. A l'instar du colonel Harwood, il parla des accusations portees contre le bataillon, et sut les refuter. M. Beaugrand termina en proposant la sante du general Strange qui dirigea nos troupes, du colonel. Ouimet, commandant du 65e, des braves officiers, et sous-officiers. Il fit allusion au sergent Valiquette, mort au champ d'honneur, aux morts et aux blessee de cette insurrection qui sera l'evenement memorable de 1885. Le colonel Ouimet repondit brievement, mais avec eloquence. Il remercia chaleureusement le public canadien, le maire de Montreal, les dames, des secours donnes aux familles des volontaires, et pour la brillante reception du jour. A peine etait-il assis que trois, hourras retentirent en son honneur sous l'immense voute de la salle d'exercices. M. le maire Beaugrand proposa en anglais la sante de la Montreal Garrison Artillery et des autres bataillons qui, sans avoir participe a la campagne, avaient ete prets a repondre a l'appel. Le colonel Stevenson, appele a repondre, dit qu'il s'associait de tout coeur a la demonstration du jour. Il etait heureux de serrer encore une fois la main aux braves du 65e, de les voir revenir gais et en bonne sante. M. C. A. Corneiller parla en dernier lieu. Ce fut le discours de la cloture du diner. En faisant l'eloge des braves volontaires, l'orateur paya un noble tribut d'hommages au zele et au devouement du R. P; Prevost, l'aumonier du 65e bataillon. Il a suffi a, M. Cornellier de rappeler ce nom si cher aux soldats dont on fetait l'arrivee pour soulever les applaudissements les plus enthousiastes. Durant le diner, la musique de la Cite et l'Harmonie font entendre les morceaux les plus choisis de leur repertoire. APRES LE DINER A doux heures, le diner etant termine, les volontaires se mirent en marche pour se rendre a la salle Bonsecours, en suivant les rues Craig, Gosford et Claude. Ils etaient suivis par une foule immense et sur leur passage ils furent l'objet de nouvelles acclamations. La musique de la Cite on tete suivie des anciens membres du 65e. A la salle on deposa les armes et les sacs et on se dispersa pour aller passer le reste de la journee dans les joies intimes de la famille. Les anciens membres du 65e, accompagnes de la Musique de la Cite, escorterent le lieutenant-colonel Ouimet jusqu'a sa residence rue Dorchester. Le brave colonel saisit de nouveau l'occasion pour feliciter les anciens membres du 65e de leur bonne tenue et termina en les remerciant de s'etre montres dignes de leurs freres d'armes dans la brillante reception dont ils ont ete l'objet. Apres avoir presse encore une fois la main a leur colonel, les anciens membres retournerent a la salle d'exercices ou ils eurent un lunch particulier. Des discours de circonstance furent prononces par le capitaine DesRivieres, president du comite de reception, et plusieurs autres. Dans son discours, le capitaine DesRivieres felicita le capitaine Pratte et le sergent Pepin du zele dont ils avaient fait preuve pendant tout le temps que le comite s'etait occupe de se preparer a recevoir les volontaires du 65e. M. Beaudry, vice-president du comite fit aussi quelques remarques parfaitement appropriees. Ce diner de braves fut accompagne chant et de musique. En se separant, il fat convenu qu'on se reunirait tous, ce soir, a la salle Bonsecours, pour deposer les coiffures et recevoir des instructions, s'il etait necessaire. LE FEU D'ARTIFICE Les rejouissances commencees le matin se sont continuees dans la soiree. A neuf heures, il y eut feu d'artifice sur le Champ de Mars. Des huit heures, une foule immense avait envahi les gradins qui longent la place et quand fut lancee la premiere piece pyrotechnique on pouvait evaluer a vingt mille le nombre des spectateurs. Ce feu d'artifice a obtenu tout le succes qu'on pouvait en attendre. Chaque piece lancee s'elevait a des hauteurs prodigieuses et decrivant sur le fond du firmament seme d'etoiles, des arcs de feu et l'effet le plus merveilleux. L'emporte-piece de tout ceci, fut un cadre de grandeur considerable, couvert de produit chimiques au milieu duquel on avait inscrit le chiffre du "65e", en matiere inflammable. Cette piece d'un genre particulier, mise en feu, arracha a la foule des cris et des applaudissements. Le feu d'artifice se termina a 9.30 heures. L'auteur a tenu a publier ce rapport tel qu'il a ete fait dans le temps, afin de l'enregistrer dans l'histoire de la campagne elle-meme, et surtout pour que plus tard, personne ne puisse le taxer de partialite. FIN End of the Project Gutenberg EBook of Cent-vingt jours de service actif by Charles R. Daoust *** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK CENT-VINGT JOURS DE SERVICE ACTIF *** ***** This file should be named 13557.txt or 13557.zip ***** This and all associated files of various formats will be found in: https://www.gutenberg.org/1/3/5/5/13557/ Produced by Renald Levesque from documents made available by the BNQ (Bibliotheque Nationald du Quebec) Updated editions will replace the previous one--the old editions will be renamed. Creating the works from public domain print editions means that no one owns a United States copyright in these works, so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United States without permission and without paying copyright royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark. Project Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you charge for the eBooks, unless you receive specific permission. If you do not charge anything for copies of this eBook, complying with the rules is very easy. You may use this eBook for nearly any purpose such as creation of derivative works, reports, performances and research. They may be modified and printed and given away--you may do practically ANYTHING with public domain eBooks. Redistribution is subject to the trademark license, especially commercial redistribution. *** START: FULL LICENSE *** THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free distribution of electronic works, by using or distributing this work (or any other work associated in any way with the phrase "Project Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project Gutenberg-tm License (available with this file or online at https://gutenberg.org/license). Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm electronic works 1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to and accept all the terms of this license and intellectual property (trademark/copyright) agreement. 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There are a lot of things you can do with Project Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic works. See paragraph 1.E below. 1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation" or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the collection are in the public domain in the United States. If an individual work is in the public domain in the United States and you are located in the United States, we do not claim a right to prevent you from copying, distributing, performing, displaying or creating derivative works based on the work as long as all references to Project Gutenberg are removed. 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