Project Gutenberg's L'Illustration, No. 0012, 20 Mai 1843, by Various This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org Title: L'Illustration, No. 0012, 20 Mai 1843 Author: Various Release Date: February 4, 2011 [EBook #35166] Language: French Character set encoding: ISO-8859-1 *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 0012, 20 MAI 1843 *** Produced by Rénald Lévesque L'ILLUSTRATION, JOURNAL UNIVERSEL, No. 12. Vol. I.--SAMEDI 20 MAI 1843 Ab. pour Paris.--3 mois, 8 fr.--6 mois, 16 fr.--Un un, 30 fr. Prix de chaque No, 75 c.--La collection mensuelle fr. 2 fr. 75. Ab. pour les Dep.--3 mois, 9 fr.--6 mors, 17 fr.--Un an 32 fr. pour l'étranger. -- 10 -- 20 -- 40 No. 12. Vol. I.-SAMEDI 20 MAI 1843 Bureaux, rue de Seine, 33. SOMMAIRE Le prince de Metternich Portrait. Une soirée chez le prince de Metternich.--Courrier de Paris.--Horticulture. Exposition des produits de l'Horticulture à l'Orangerie de la Chambre des Pairs. _Cinq gravures._--La Vengeance des Trépassés par F. G. Nouvelle (fin).--Du progrès de l'idée morale dans l'histoire de l'humanité.--Beaux-Arts.. Salon de 1843. _Translation de la sainte case de la Vierge, par Devéria; l'Enfant et le Chien, par Maindrom; un Convoi de Blessés, par Charlet; un Ménestrel, par Couture; Statue de Duquesne, par Dantan aîné._-La fin de Don Juan (dix-septième chant).--La Phrénologie, chansonnette. Musique de M. G. Héquet, paroles de M. Durandeau. _Gravure._--Théâtres. Mademoiselle de La Vallière; l'Homme de Paille; les Cuisines. _Une scène de mademoiselle de La Vallière; Porte St-Martin._--Bulletin bibliographique.--Modes. _Gravure.--Napoléon adoré dans un temple chinois._--Amusement des Sciences.--Rébus. [Illustration: Le prince de Metternich[1].] [Note 1: Ce portrait de M. de Metternich est gravé d'après le tableau de Lawrence. Aujourd'hui M. de Metternich n'est plus aussi jeune que lorsqu'il posait devant l'illustre artiste anglais. Mais aucun des portraits lithographiés depuis en Allemagne n'était assez satisfaisant pour pouvoir être préféré.] Depuis bien des années. M. de Metternich occupe en Autriche la première place. Plusieurs princes se sont succédé sur le trône, et il est demeuré chef du cabinet, poursuivant avec impassibilité toutes les conséquences de son système politique. La monarchie autrichienne, telle qu'elle existe aujourd'hui, est son oeuvre. C'est grâce à lui qu'elle s'est relevée sur les ruines du Saint-Empire Romain, et que, depuis 1813 jusqu'à nos jours, elle a joué un si grand rôle dans les affaires de l'Europe. Clément Wenceslas, comte de Metternich-Winneburg-Ochsenhausen, est né à Coblentz, le 15 mai 1773, d'une des meilleures familles du pays. A l'âge de quinze ans il fut envoyé à l'Université de Strasbourg, où il eut pour condisciples le comte de Loewestine et Benjamin Constant. Le mouvement révolutionnaire éclatait au moment où il achevait sa philosophie. Il compléta ses études en Allemagne, parcourut la Hollande et l'Angleterre, et revint à Vienne pour épouser, à l'âge de vingt et un ans, la fille du fameux prince de Kaunitz. M. de Metternich, destiné à la carrière de la diplomatie, assista d'abord comme simple secrétaire au congrès de Radstadt, puis il accompagna le comte de Stadion dans ses missions en Prusse et en Russie. Il allait être nommé ambassadeur à Pétersbourg lorsque, le traité de Presbourg changeant tout à fait la situation de l'Autriche en Europe, il fut envoyé à Paris. Dans ce poste difficile, M. de Metternich se conduisit avec habileté. Convaincu que le meilleur moyen de reconquérir quelque influence en Europe était de conserver une stricte neutralité, tout en demeurant dans une alliance étroite avec Napoléon, il s'attacha par-dessus toutes choses à plaire au tout-puissant Empereur: c'était la politique adoptée par la cour de Vienne, et il y réussit à merveille. Tout en M. de Metternich plaisait à Napoléon, qui cherchait alors à reconstituer en France une cour et une noblesse. M. de Metternich joignait aux avantages de la naissance des manières élégantes, de la politesse, une physionomie noble et distinguée; jeune, brillant, d'un esprit fin, d'une parole facile, il était aussi ce que l'on appelle un homme à bonnes fortunes; il paraissait à toutes les fêtes de la cour; on admirait le luxe de ses équipages et de sa maison. Ses formes séduisantes avaient gagné Napoléon, qui, tout en regrettant de le voir si jeune, car il n'avait alors que trente-trois ans, l'accueillait avec faveur, et se plaisait à le regarder comme l'expression du système français en Autriche. On espérait à Vienne pouvoir conclure une alliance étroite entre la France et l'Autriche; on rappelait en toute occasion le traité de 1756 Au milieu de ces rêves, Napoléon partit pour la fameuse entrevue d'Erfurth. Dans les plans qui y furent agités, on sacrifiait l'Autrirhe. Dès lors le cabinet de Vienne prêta l'oreille aux insinuations de l'Angleterre, et se prépara sourdement à rompre le traité de Presbourg, à l'aide des subsides de la Grande-Bretagne M. de Metternich eut pour mission de couvrir les préparatifs militaires, et s'en acquitta si bien que, lorsque l'Autriche se déclara, Napoléon, furieux d'avoir été si longtemps trompé, donna l'ordre au ministre de la police d'enlever M. de Metternich, qui était demeuré à Paris, et de le faire conduire de brigade en brigade jusqu'à la frontière. Fouché adoucit cet ordre brutal, et se contenta de faire accompagner l'ambassadeur autrichien par un seul capitaine de gendarmerie. Deux mois après, la victoire avait prononcé: le _Moniteur_ proclamait que _la maison de Lorraine avait cessé de régner_, et l'Autriche subissait la paix qu'il plaisait à l'Empereur de lui donner par le traité de Vienne. M. de Metternich, durant toute cette campagne, était resté au quartier-général de son souverain, avec le titre de ministre d'État. Il tenait pour la paix. La nécessité fit prévaloir son opinion, et l'empereur d'Autriche crut être agréable à Napoléon et témoigner de la loyauté avec laquelle il voulait remplir ses engagements, en nommant M. de Metternich chancelier d'État, c'est-à-dire premier ministre, avec la direction des Affaires étrangères: M de Metternich avait trente-six ans. Alors éclata la pensée qui a dirigé la politique de l'Autriche jusqu'à la retraite de Moscou: reconquérir par une alliance étroite avec la France ce qu'elle avait perdu par la guerre. Le mariage de Napoléon avec une archiduchesse d'Autriche fut le premier acte de cette politique. Bientôt après des mécontentements éclatent entre la France et la Russie, et M. de Metternich négocie et conclut avec Napoléon, pour l'Autriche, une alliance offensive et défensive. Mais c'est quand la désastreuse retraite de Russie fut porté le premier coup à la fortune de Napoléon, que se développa l'habileté de M. de Metternich: l'on voit alors avec combien d'adresse, de fermeté, il s'efforce de relever son pays et de lui rendre son rang parmi les grandes puissances. Il serait trop long d'analyser ici les négociations suivies par ce ministre depuis ce moment jusqu'à la ruine de l'Empire français. En 1813, M. de Metternich ne voulait sûrement pas la ruine de Napoléon, mais seulement substituer à son immense puissance une balance européenne qui mit l'Autriche, la Prusse et la Russie dans un état d'indépendance à l'égard de la France. Napoléon découvrit clairement pour la première fois ces intentions de M. de Metternich dans des conférences à Dresde. Il se révoltait contre l'audace des peuples qu'il avait tant de fois écrasés. Les prétentions de M. de Metternich l'irritaient violemment; cédant à un mouvement de colère, il lui dit: «Metternich, combien l'Angleterre vous donne-t-elle pour jouer ce rôle contre moi?» M. de Metternich pâlit, et ne répondit pas; mais comme Napoléon, dans la vivacité de ses gestes, avait laissé tomber son chapeau, il ne se baissa pas pour le ramasser, comme il l'eût fait par étiquette dans toute autre circonstance. Cette parole outrageante contribua peut-être à la ruine de l'Empereur. Des ce moment M de Metternich prêta l'oreille aux sentiments des populations allemandes, et promit la coopération de l'armée autrichienne, forte de 200,000 hommes, au plan de campagne tracé par Bernadotte dans le congrès de Trachenberg. Au milieu des longues et difficiles négociations qui amenèrent la chute de Napoléon et la restauration des Bourbons. M. de Metternich s'appliqua surtout à relever la maison d'Autriche de l'état de faiblesse et d'abaissement où l'avait plongée sa lutte contre la France, et à lui créer une puissance nouvelle qui put contre-balancer l'empire que la Prusse exerçait sur l'Allemagne du nord Ce fut là le but de tous ses efforts dans le congrès de Vienne, qu'il présida en quelque sorte; et il y réussit en gagnant à l'Autriche la Lombardie et les bords de la mer Adriatique. Depuis lors. M. de Metternich s'est appliqué exclusivement à maintenir intacte son oeuvre ébranlée par de fréquentes secousses. Comprimer le mouvement libéral qui agitait les populations italiennes, arrêter les progrès de la Russie; c'est à cela que s'est réduite toute la politique de M. de Metternich au dedans et au dehors. Jusqu'ici le succès a couronné ses efforts. Dans l'administration intérieure de l'Autriche, M. de Metternich semble persuadé que la liberté civile est nécessaire pour tous, mais que les peuples ne doivent avoir que juste assez de liberté politique pour ne troubler ni l'esprit ni la durée des gouvernements Les circonstances l'ont cependant maintes fois détourné de ces principes déjà peu tolérables. La monarchie autrichienne se compose d'éléments hétérogènes entre lesquels il n'y a jamais eu ni alliance complète ni fusion: ce sont la Bohème, la Pologne, la Hongrie, le Tyrol, l'Italie; et certes on ne peut voir là des éléments d'ordre et de durée: aussi, dans l'administration intérieure, il règne un système de défiance et d'oppression effrayant. La police est le principal ressort du gouvernement, peut-être le seul, et il n'y a, dans cette immense et puissante monarchie, ni lumières, ni moralité, ni force véritables. La vie privée de M. de Metternich a été traversée par bien des malheurs domestiques, que les distractions du monde n'ont pas toujours pu effacer. On le dit bon, affable, et ses ennemis mêmes ne lui refusent pas les qualités qui font l'honnête homme. Le tracas des affaires n'a pas empêché M. de Metternich de cultiver son esprit et des talents littéraires fort distingués. Avec une remarquable facilité d'expression, il a un goût pur, une manière noble d'exprimer sa pensée, même dans ses notes diplomatiques, on le sens est presque toujours caché sous des phrases techniques. C'est à lui que l'on doit l'introduction dans les protocoles de cette forme qui en appelle toujours à la postérité, des passions et des progrès contemporains. M de Metternich possède à merveille notre langue, il en connaît toutes les délicatesses, et il la parle avec beaucoup de pureté. Les personnes qui l'approchèrent lorsque la maladie de sa femme l'appela à Paris, en 1825, furent surprises de trouver en lui presque de la vanité littéraire. Il connaissait tous nos bons auteurs, jugeait les contemporains avec une remarquable sagacité, et on avait peine à concevoir que ce grand politique eût trouvé le loisir d'étudier les plus futiles productions de la littérature contemporaine de notre pays. On dit que M. de Metternich a préparé des mémoires étendus, appuyés de pièces justificatives, et qu'à l'exemple du prince de Hardenberg, il les a écrits en français. A cette esquisse biographique nous ajouterons l'article suivant, qui nous est communiqué par un étranger tout à fait digne de foi. UNE SOIRÉE CHEZ LE PRINCE DE METTERNICH. Les Allemands ou les étrangers qui sont présentés chez le prince de Metternich le voient rarement, s'ils se retirent avant minuit. L'archichancelier se montre quelquefois dans ses salons vers onze heures, mais il ne fait que les traverser; jamais il ne s'arrête auprès d'un de ses hôtes, il ne prend part à aucune conversation. Minuit est l'heure ordinaire de son apparition fixe; car, à moins que des raisons majeures n'appellent des ambassadeurs étrangers chez lui pendant la journée, il les reçoit, et il traite toujours les affaires d'État dans le courant de la soirée. Ces audiences sont, du reste, basées complètement sur le système de la secte des péripatéticien... car tant qu'elles durent, M. de Metternich ne cesse pas de se promener dans un salon contigu au salon de réception, dont les portes restent fermées, et ne s'ouvrent que pour laisser entrer et sortir les ministres ou ambassadeurs étrangers. De temps à autre, vous le voyez entr'ouvrir cette porte, que l'on peut appeler avec raison la porte ministérielle, saluer le diplomate qu'il congédie, et, après avoir parcouru de son oeil fixe et impassible le cercle ordinairement rangé autour de sa femme, faire signe à celui dont il requiert la présence, et disparaître de nouveau avec le nouvel élu. Cela dure ainsi jusqu'à onze heures et demie, et a lieu tous les soirs, à l'exception du dimanche, jour de ses grandes réceptions, où la foule encombre sept ou huit vastes salons, et où le prince parle à tout le monde, sans rien dire à personne. Pendant la semaine, au contraire, quand l'heure des audiences est passée et qu'il ne veut plus s'occuper d'affaires il vient s'asseoir à la table de thé, rit et plaisante avec ceux qui s'y trouvent, puis se met à causer et à raconter des anecdotes des premières années de sa carrière politique, et principalement de celles qu'il a passées comme ambassadeur à la cour de Napoléon. Naturellement, au bout de quelques instants, il tient seul le dé de la conversation, et souvent entraîné peu à peu par ses souvenirs, il passait une heure ou deux au milieu de nous, nous procurant ainsi à tous le plaisir d'une soirée aussi agréable qu'intéressante et dont il faisait tous les frais. M. de Metternich est le seul ministre de l'Europe qui, par le grand état de sa maison, l'éclat avec lequel il représente son souverain, la noblesse de ses manières, l'étendue de sa puissance et le respect qu'il inspire, nous rappelle aujourd'hui la grandeur passée de Richelieu et de Mazarin, la profonde habileté de Ximenès et l'éclat de Buckingham. Visite-t-il, dans le courant de l'été, ses domaines, on le voit suivi, dans ses voyages, par toute la chancellerie d'État; sort-il même de l'empire pour aller à Johannesberg, il amène toujours avec lui une douzaine des principaux conseillers auliques, deux fois autant de secrétaires; et pendant ces excursions, les courriers d'État ne font que sillonner nuit et jour la distance qui sépare Vienne de la résidence momentanée du ministre suprême. Une des ailes de son château de Koenigswarth, près de Carlsbad, où il se rend tous les ans, a été reconstruite de manière à loger toute la chancellerie impériale; aussi, si on y entre pendant le séjour du prince, on peut se croire transporté à Vienne, dans les bureaux du ministère des Affaires étrangères. Je rencontrai un jour, entre Pilsen et Plass, terre du prince _dix-huit voilures impériales_, attelées chacune de quatre chevaux de poste, et je m'imaginai d'abord que j'allais voir passer l'empereur ou l'impératrice qui se rendait à Prague ou à Toeplitz. Grand fut mon étonnement quand j'appris la vérité: c'était la chancellerie d'État; elle allait s'établir à Koenigswarth, et précédait de vingt-quatre heures Son Altesse, qui se rendait pour un mois ou six semaines à sa maison de campagne. Arrivé à la première poste, je dus attendre cinq heures avant de pouvoir continuer ma route; tous les chevaux disponibles avaient été mis en réquisition pour le transport de messieurs les conseillers auliques, secrétaires, chefs de division, de bureau, etc., etc. Les ministres français et anglais n'étalent jamais un pareil luxe, et cependant le budget de l'Autriche est plus faible de deux tiers que celui de tous les gouvernements à bon marché. Mais ce n'est point de l'homme d'État que je veux parler c'est de l'homme privé. Sous ce rapport, le prince de Metternich est aussi remarquable qu'il peut l'être comme diplomate. Personne, en effet, ne saurait être plus aimable, n'a de plus belles manières que lui; personne n'est plus gracieux et plus simple dans son intimité; personne, enfin, ne saurait engager et soutenir une conversation avec plus d'esprit. M. de Metternich s'exprime toujours en français; car cette langue semble seule être admise dans son hôtel, et le prince la parle avec autant de pureté que le plus rigide des grammairiens. J'ai fréquenté son salon pendant bien des années, et jamais je n'ai entendu un mot d'allemand prononcé ni par lui ni par sa femme. En relisant dernièrement le journal de mon séjour en Allemagne, j'y ai trouvé l'anecdote suivante. Je n'ai rien voulu changer aux paroles du prince, que j'ai transcrites mot pour mot, cinq minutes après l'avoir quitté, selon mon habitude, Je puis donc garantir leur authenticité. Le 17 février 1838, il y avait chez le prince une grande réception en l'honneur de Hussein-Khan, ambassadeur extraordinaire de Perse auprès de la cour de Saint-James. Après un séjour à Vienne de peu de durée, pendant lequel on avait cherché à profiter de sa présence pour jeter les fondements d'une espèce de ligne soi-disant commerciale, qui devait renverser l'influence russe au profit de l'Autriche et de l'Angleterre, irritées de l'affaire d'Hérat, le khan se résolut à poursuivre son voyage, dans l'espoir de rencontrer en route les passe-ports anglais que lord Melbourne lui avait refusés jusqu'alors. Cet ambassadeur était un très-bel homme, et sa beauté mâle était encore relevée par la richesse de ses cachemires et l'éclat des pierreries dont son costume oriental était chamarré. Ces trois avantages, la beauté, les cachemires et les pierreries, mais particulièrement les deux derniers, ne contribuèrent pas peu à lui procurer une vogue inouïe, et il n'eut guère que l'embarras du choix dans la distribution de ses faveurs aux ravissantes beautés de la haute société viennoise. Certes, le baron Huzar, _dolmetch_, ou interprète de la cour impériale depuis la disgrâce du savant Hammer, a dû se trouver dans la nécessité de transmettre à l'illustre khan plus d'une déclaration qui n'avait pas besoin d'être embellie par des métaphores orientales pour éblouir et séduire l'envoyé extraordinaire du shah Mahmoud. C'est ainsi qu'entre mille autres exemples de la manière directe dont on s'adressait au coeur du Persan, dont l'enveloppe seule était de _pierre_, et qui se laissait aisément enivrer par les regards séduisants des houris de Vienne, je me rappelle, à un dîner que M. de Tatischeff, ambassadeur russe, donna à l'ambassadeur persan, avoir vu passer très-chevaleresquement deux magnifiques émeraudes de la veste de Hussein dans la main mignonne d'une jolie princesse. Celle-ci fixait déjà depuis longtemps, sur ces deux belles pierres, un regard dans lequel se concentrait toute la puissance d'attraction magnétique dont elle était capable, quand enfin elle déclara à Huzar qu'elle s'extasiait d'autant plus devant l'éclat de ces merveilles de l'Orient, qu'elle en avait jusqu'alors inutilement cherché deux pareilles pour compléter une parure que son tout-puissant mari lui avait donnée. Aussitôt que l'interprète eut traduit cette remarque désintéressée, le galant Persan tira son poignard enrichi de rubis, coupa les deux émeraudes, et les offrit à sa jolie voisine. Cette scène curieuse eut lieu en plein dîner, devant une vingtaine de personnes. J'ajouterai même qu'avant le départ de Hussein plus de quatre cents turquoises, toutes fort belles, avaient passé des mains du khan dans celles de la même princesse. Or, cette soirée était la dernière à laquelle le khan devait assister; aussi une foule immense se pressait-elle dans les salons de l'archichancelier, et un grand nombre de personnages de distinction se firent-ils présenter à l'ambassadeur persan, dans l'espoir peut-être de profiter des derniers jours qu'il devait encore passer à Vienne. Le _lion_ de la soirée s'étant enfin retiré vers minuit, la foule commença à se dissiper, et une demi-heure après il ne restait plus que cinq ou six personnes. Nous nous rendîmes autour de la table de thé, où l'on servit le petit souper habituel, et le prince vint prendre sa place parmi nous. Il n'y avait alors dans le salon que l'archichancelier et sa femme; la jeune princesse Herminie Metternich, âgée de dix-neuf ans; la marquise de Villa-Franca; le vieux marquis d'Alcoida, premier ministre de Ferdinand VII; le baron de Neumann, conseiller aulique, et moi. La conversation roula d'abord sur les événements de la soirée et sur le khan, qui en avait été le principal ornement. Tout à coup le prince, qui s'était contenté de déguster sa tasse de crème sucrée mêlée avec de l'eau chaude, son souper de chaque soir, prit enfin la parole: «En effet, dit-il, le Persan devait être harassé, car il y avait foule autour de lui; c'est lui qu'on est venu voir. Quant à moi, le plus grand nombre de mes hôtes n'a pas songé un instant à s'inquiéter si j'étais absent ou présent; j'ai été complètement éclipsé par le Persan, et comme je me trouve maintenant en petit comité (ajouta-t-il en souriant), certain que personne de vous ne trahira ma déconfiture, j'avouerai franchement ici qu'il m'a relégué ce soir parmi les inconnus dont personne ne s'occupe. «Du reste, son succès doit l'avoir mis sur les dents, car tout concourut à le fatiguer: d'abord la chaleur occasionnée par la foule qui encombrait les salons, puis la grande quantité de personnes qui lui ont été présentées, et auxquelles il a fallu dire, ou desquelles il a fallu entendre quelque chose; puis, par-dessus tout, les immenses succès qu'il a eus; car il a eu les succès les plus enragés qu'un homme puisse avoir.» Ici le prince se permit d'articuler quelques noms propres, et les accompagna de révélations que nous nous garderons bien de répéter. Après ces détails intimes, M. de Metternich, enfoncé dans son fauteuil et balançant légèrement sa jambe droite sur son genou gauche, sa position habituelle quand il raconte: «Néanmoins, continua-t-il, il n'a jamais voulu s'en aller, quoique je l'y aie souvent engagé, par amitié pour lui; mais c'est ce médecin anglais qui l'accompagne, et qui a une grande influence sur lui, qui l'en a empêché. Il paraît que cet homme, qu'en dit très-habile, se plaisait dans cette foule. Je ne lui envie pas ce goût, qui n'est certes pas le mien. Quant à ce pauvre Huzar, il est venu me dire qu'il était tellement fatigué de traduire de l'allemand et du français en persan, et du persan en allemand et en français, qu'il ne se sentait plus capable de prononcer un mot, et pouvait à peine encore me souhaiter une bonne nuit. Allez, mon cher, lui dis-je, allez vous coucher; vous avez mérité le sommeil qui va bientôt vous transporter en rêve parmi les houris de l'Orient. «Je vous avouerai, du reste, que les Orientaux ont toujours éprouvé une grande attraction pour moi; j'en ai connu plusieurs, ils m'ont tous aimé, et je vais vous en citer un trait: Quand j'étais ambassadeur à Paris, j'avais un collègue persan, dont le caractère était le plus intraitable du monde, et personne n'avait de pouvoir sur lui que moi. Or, un matin, on m'annonça la visite de son médecin, qui entra, tout effaré, dans mon cabinet... Je vous en supplie, me dit-il, courez chez l'ambassadeur persan, il va commettre quelque folie, et il n'y a plus que vous qui puissiez lui faire entendre raison. Mais, de grâce, courez vile. --De quoi s'agit-il donc? lui demandai-je. --Écoutez, me dit le médecin: Je me rends ce matin chez lui comme d'ordinaire, lorsque je vois, en entrant, une longue file de grands gaillards l'épée nue à la main. Étonné, je demande à l'ambassadeur ce que signifient ces apprêts; et il me répond, avec le plus grand sang-froid possible, qu'il va faire couper la tête à un de ses gens.--Comment, couper la tête! lui dis-je; mais à quoi pensez-vous donc? Vous n'en avez pas le droit, c'est contraire aux lois du pays.--Mais je ne sais pas vraiment qui peut m'en empêcher, répondit-il; cet homme est à moi, il a mérité la mort; je lui ferai couper la tête, cela ne regarde personne, et je suis dans mon droit. Enfin, j'ai inutilement épuisé tous les raisonnements auprès de cet entêté; il est impossible de le faire changer de résolution; il n'y a que vous qui puissiez empêcher cet acte barbare Que dirait l'Empereur? «L'affaire était grave en effet; je courus aussitôt chez mon collègue, qui terminait les derniers préparatifs d'une exécution capitale. Je l'abordai avec un ton d'autorité que j'étais habitué à prendre vis-à-vis de lui dans son propre intérêt, et je lui déclarai qu'il ne ferait pas couper la tête à son domestique; que tout s'y opposait, que l'Empereur serait furieux, et que moi personnellement, comme ambassadeur et comme son ami, je le lui défendais. --Puisque vous me le dites, je ne le ferai pas, me répondit le Persan avec son calme habituel. Je sortais fier de l'influence que j'exerçais sur mon honorable collègue, quand il ajouta: «Je vais donc renvoyer le coupable en Perse, et là je lui ferai couper le cou.» C'était l'ultimatum de sa clémence. «Une autre fois, j'assistais à un grand concert donné par l'Empereur dans la salle des Maréchaux; comme je commençais à m'ennuyer et que la chaleur devenait insupportable, je quittai ma place et je sortis de la salle sans avoir été aperçu. Je me mis à parcourir les appartements qui étaient ouverts, et où je pouvais espérer trouver un peu d'air frais. Après avoir traversé plusieurs pièces, je parvins enfin dans la salle du Trône. Mais en y pénétrant, que vois-je? mon Persan, les jambes croisées sous lui à l'orientale, commodément assis sur le trône de l'Empereur. «Chassé comme moi par la chaleur excessive du concert, il avait cherché un refuge dans cette salle, et le trône du grand Napoléon lui avait paru l'endroit le plus convenable pour s'y reposer en caressant sa barbe. «A ce spectacle, je faillis éclater de rire; cependant je me retins et je m'avançai vers le Persan d'un air solennel et passablement effaré: «Mais, mon cher, lui dis-je, quelle imprudence vous commettez! vous ignorez donc à quel danger vous vous exposez? Déguerpissez au plus vite; car, si l'on vous apercevait, et si l'Empereur apprenait que vous avez osé monter sur son trône, il vous ferait _couper la tête!..._» Non, jamais je n'oublierai l'effet de cette menace sur mon malheureux collègue, ni la frayeur dont il fut saisi, ni sa figure grotesque quand il sauta, d'un seul bond, à bas du trône, et quand, retroussant ses longues robes de cachemire et de soie, il se sauva à travers les appartements, victime d'une panique épouvantable. Il parait, du reste, que les Orientaux ne peuvent, s'accoutumer à se laisser couper le cou, malgré leur fréquent usage de ce moyen expéditif, car j'ai toujours remarqué que la menace de ce supplice faisait sur eux bien plus grand effet que sur les Européens. Peut-être aussi cela provient-il de ce que chez eux la menace ne précède l'exécution que d'un instant, tandis que chez nous l'exécution suit bien rarement la menace. Quoi qu'il en soit, le Persan s'était sauvé comme s'il avait vu le glaive fatal suspendu sur sa tête. «Le concert venait de finir; j'allai au-devant de l'Empereur, qui se rendait, suivi de la cour, dans les grands appartements, et n'eus rien de plus pressé que de lui raconter mon aventure, «Sire, lui dis-je en l'abordant, je viens de chasser un usurpateur du trône de Votre Majesté.» Il rit beaucoup de la frayeur de l'ambassadeur du shah, et nous nous mimes à sa recherche; Napoléon se promettait de s'amuser encore à ses dépens. Mais il fut impossible de le trouver; on le cherchait, on le demandait vainement; personne ne l'avait vu; enfin, nous commencions à ne savoir trop que penser de cette disparition, quand je l'aperçus tout à coup blotti derrière une perte, et s'y cachant aussi bien que possible. Je le montrai à Napoléon, qui se dirigea vers lui de ce pas saccadé et imposant qu'il prenait quand i! était mécontent. Le Persan, en le voyant ainsi venir, les sourcils froncés et les yeux irrités, crut que sa dernière heure était arrivée. Malheureusement l'Empereur ne put pas garder son sérieux, la figure grotesquement si bouleversée de mon pauvre ami lui arracha un grand éclat de rire, et nous primes tous part à son hilarité. «Cependant mon collègue ne fut pas toujours aussi heureux. A la suite de l'expédition de _Gardanne_, il reçut un jour l'ordre de quitter Paris dans quarante-huit heures. Aussitôt il accourut chez moi, fort désolé, me disant qu'il lui était impossible de partir si promptement; sa caisse était vide, et il avait beaucoup de dépenses à payer. Il finit par me prier de lui avancer l'argent dont il avait besoin. Je n'étais pas tenté, je l'avoue, de lui prêter une grosse somme; je l'engageai d'écrire au ministre des Affaires étrangères, en lui faisant connaître sa position.--Puisqu'on vous renvoie si brusquement, lui dis-je, on doit au moins vous procurer l'argent qui vous est nécessaire.--On m'a refusé, me répondit-il, et on m'enjoint impérieusement de quitter Paris dans le délai indiqué.--Quelle somme voulez-vous que je vous prête'?--25.000 francs, me répondit-il.--J'envoyai alors (se tournant vers sa femme) Florette, que tu n'as pas oubliée sans doute, avec une lettre, chez mon banquier. C'était M. Laffitte. Je remis à mon pauvre ami la somme qu'il m'avait demandée. Il m'adressa une quantité innombrable de remerciements, plus métaphoriques les uns que les autres, et promit de me renvoyer mon argent de Constantinople.--De Constantinople ou de Téhéran, lui dis-je, cela m'est indifférent. Prenez votre temps, et ne vous gênez pas. «Il partit très-content, et, franchement, je ne comptais plus revoir mon argent. «Cependant, quelque temps après, je reçus une lettre de l'internonce à Constantinople, qui m'annonçait qu'il était chargé de me faire remettre 25.000 francs, me priant de lui faire savoir où je désirais les toucher. C'était l'argent de mon honnête Persan, et ce pauvre homme avait poussé la délicatesse si loin, qu'il avait calculé les variations du change sur Constantinople avec tant de minutie, que, loin de rien perdre, je crois même que j'y gagnai. «Cela lui a mal réussi. «Ali-Shah, qui régnait alors, était un homme extrêmement avare; non content des présents que les souverains étrangers lui envoyaient par ses ambassadeurs, il trouvait encore moyen d'accaparer ceux que les envoyés recevaient eux-mêmes des cours où ils étaient accrédités. Donnez-les-moi, disait-il, afin que je vous les garde; ils seront plus en sûreté dans mon trésor. On les lui remettait, sinon il vous les prenait et la tête aussi; mais jamais le trésor ne se rouvrait pour laisser sortir ce précieux dépôt. Or, mon infortuné collègue ayant été renvoyé de la cour de France. Napoléon s'était bien gardé d'envoyer des présents à Ali-Shah; mais l'ambassadeur, en habile courtisan qui connaît le faible de son maître, en avait expédié un grand nombre peu de temps avant son renvoi. Il les avait achetés de son propre argent; aussi, quand il les retrouva à Constantinople, heureux de saisir l'occasion de se libérer envers moi, il s'empressa d'en vendre jusqu'à concurrence de la somme qu'il me devait, puis il porta ceux qui lui restaient dans les coffres d'Ali. Mais le shah, furieux d'une telle perte, fit appliquer à son ambassadeur cent coups de bâton sur la plante des pieds, pour avoir osé vendre des présents qui lui avaient été primitivement destinés. Ainsi la vertu fut encore une fois diablement mal récompensée....... «Les moeurs ne sont pas encore aujourd'hui très-douces dans ce pays; car je faisais dernièrement des propositions à Hussein, _et l'on sait que je ne suis pas exigeant dans mes propositions_. Cependant dès que je les eus formulées au khan:--Oh! non, s'écria-t-il, jamais je n'oserai prendre cela sur moi, le shah me ferait crever les yeux......--Crever les yeux! Bon Dieu, mon cher Hussein, que le ciel me garde d'être cause d'un pareil malheur! S'il en est ainsi, laissons là toute l'affaire et n'en parlons plus.... Du reste, ajouta-t-il en s'adressant à la jolie marquise de Villa-Franca, il était tellement enchanté de moi, que, ne sachant comment m'exprimer son attachement, il m'a fait offrir une délicieuse Circassienne qu'il mène partout avec lui. Je l'ai bien remercié; mais je lui ai dit que je craignais la jalousie de Mélanie (sa femme), ce qui me forçait de refuser... bien à contre-coeur.» Après cette plaisanterie le prince se leva, et comme il était une heure et demie, chacun se retira. EDWARD G. (Travels in Austria.) Courrier de Paris. On a beau vivre dans ce pays prodigieux qui s'appelle Paris, être en quelque sorte le fils de la maison, à tout moment on y trouve des surprises; on y fait des découvertes comme si l'on débarquait fraîchement de Limoges avec l'innocence de M. de Pourceaugnac. Je ne parle pas seulement des étonnements réservés aux différentes nations, aux peuplades diverses qui composent l'univers parisien, quand par hasard elles se visitent et voyagent les unes chez les autres. Il existe à Paris des espèces qui, ne s'étant jamais vues, tombent dans une extase réciproque en se rencontrant, et se regardent avec, de grands yeux ouverts et stupéfaits. Prenez un _lion_ sorti de quelque élégante tanière de la rue Saint-Georges, un lion complètement enharnaché: pattes vernies, fourrure flottante et à larges basques, face velue, crinière à tout vent, mâchoire armée d'un cigare, griffes jaune paille; faites passer le magnifique animal dans la rue de Charonne ou sur la place Maubert, on se mettra aux fenêtres et sur les portes, et les petits enfants regarderont les mères d'un air moitié riant, moitié voisin des pleurs. Qu'un philosophe du quartier Mouffetard, en costume de l'endroit, se trouve à son tour égaré au boulevard des Italiens, il y fera sensation. Qu'est-ce? dira-t-on; comment appelez-vous cela? d'où cela sort-il? Les femmes Chaussée-d'Antin pur sang hâteront le pas effrayées à l'aspect de cette race inconnue, et les hommes se proposeront de consulter, en rentrant au logis, leur dictionnaire d'histoire naturelle. Rien de plus simple et de plus facile à expliquer: Paris passe pour une ville unie et compacte, eh bien! point du tout: Paris est un monde divisé par des espaces immenses: les habitudes, le travail, les moeurs variant par couches d'habitants et par quartiers, font de Paris une sorte de vaste continent où le nord ne ressemble pas au midi, où l'orient ignore l'occident. Telles parties de la ville sont aussi étrangères l'une à l'autre que si elles étaient Tobolsk et Cadix; celle-là est pour celle-ci une terre perdue, une île inabordable. Un naturel de la rue de la Paix se décidera plus difficilement à entreprendre un voyage à la Montagne Sainte-Geneviève, qu'une ascension au Mont-Blanc. Il y a des Parisiens qui ont traversé tous les ponts du monde, excepté le pont de la Cité; il y en a qui courent à toutes les extrémités de l'Europe, et que vous ne décideriez pas à sortir un matin de leurs pantoufles et de leur robe de chambre, pour aller à Vaugirard ou à l'Estrapade, le jour où ils ont ce courage, vous jugez qu'en effet ils voyagent en pays de découvertes; et peu s'en faut qu'ils ne se prennent pour des Vasco de Gama et des Christophe Colomb. Mais à quoi bon aller au-delà des ponts et faire invasion dans les régions parisiennes reculées et mystérieuses? Paris vous en dispense; il vous fait des surprises sous vos yeux même, à votre porte, chaque jour amène quelque changement ou quelque métamorphose; le soir on se couche avec un magnifique et bruyant café en perspective; le lendemain on met le nez à la fenêtre, et le joyeux bazar a fait place à un lugubre magasin de deuil. Voici un boulevard montueux et malaisé; attendez, il s'aplanit comme un parquet, et vous y marchez de plain-pied. Êtes-vous resté huit jours sans passer dans la rue voisine, vous la trouvez démolie; huit jours après elle est reconstruite. Les plus grands prodiges à Paris se font par le plâtre et la pierre de taille; on y sème du moellon, et de tous côtés il pousse des maisons et des rues. On bâtit sous vos pieds, on bâtit sur votre tête; la ville ressemble à une plâtrière, à un four à chaux, à un atelier de maçonnerie.--Il est certain, pour peu que cette pousse effroyable de maisons continue et s'étende, que les entrepreneurs de bâtiments seront obligés d'inventer une machine à bâtir des locataires. Une des plus étonnantes conquêtes de la truelle, c'est assurément cette rue audacieuse qui va relier l'église Saint-Eustache à la place Royale. Le champ de bataille était vaste et difficile à parcourir; eh bien! déjà la formidable rue a fait d'immenses brèches dans les flancs des quartiers Saint-Martin et Saint-Denis, qui lui opposaient les épais bataillons de leurs carrefours étroits et boueux et de leurs noires maisons. Du côté du Marais, la rue nouvelle s'étend orgueilleusement sur deux lignes parallèles, et l'oeil commence à se perdre dans les profondeurs de son horizon; vers le marché Saint-Denis, des masures en débris, des murs pantelants annoncent, par leur aspect délabré, l'approche de la rue conquérante qui se fait passage à travers les décombres et les ruines; mais elle n'abat que pour relever: elle ne détruit que pour reconstruire avec magnificence. Avant un an, au lieu de ces baraques malsaines et de ces ruelles hideuses, la rue Rambuteau, se rejoignant par ses deux extrémités, facilitera les communications, adoucira la distance, jettera l'air et le jour dans ces quartiers populeux et sombres, et étalera, non sans coquetterie, la double haie de ses blanches maisons. Cette fois, je l'avoue, on doit de la reconnaissance à la pierre de taille; le maçon, en cette occasion, joue, sans le savoir, un rôle de philosophe et de médecin: il rapproche, il civilise, il assainit. Mais suivez-le ailleurs, vers quelque autre point de la ville: il détruit ici ce qu'il faisait là-bas, interceptant la respiration et le jour par de monstrueuses montagnes de pierre et de plâtre, et enlevant chaque matin, à la ville, quelques derniers espaces d'air libre et de perspective. Si bien qu'un moment viendra où Paris, n'ayant plus une échappée de terre ni de ciel pour y reposer sa vue par hasard, vivra resserré et étouffé entre deux maisons à six étages. Sur le boulevard Poissonnière, un vaste jardin, au fond un magnifique hôtel, résistaient depuis long-temps à cette invasion, et semblaient se moquer des entrepreneurs et des architectes à tant la toise. C'était le jardin de M. Rougemont de Lowenberg. Les passants le regardaient avec envie, ou plutôt avec une sorte de vénération, le voyant intact et incorruptible dans un siècle où les hôtels de grande origine, les Biron, les Richelieu, ne se font pas scrupule de se vendre à beaux deniers comptants, et de se convertir en boutiques. On admirait, à travers les grilles dorées, l'immuable persévérance de ces allées régulières, de ces gazons tondus suivant la mode ancienne, de ces arhres coiffés au goût du vieux jardin français. L'hôtel de M. Rougemont de Lowenberg, avec ce parterre pour avant-garde, ressemblait à ces bastions imprenables qui tiennent bon quand toute la ville est rendue et que le reste de la citadelle a capitulé. N'était-ce pas d'ailleurs un passe-temps original, une véritable vanité de millionnaire et de banquier, que d'abandonner négligemment, en plein air, ce terrain inutile, tandis que tout à côté chaque morceau se vendait au poids de l'or? Pendant plus de vingt ans, M. Rougemont de Lowenberg a laissé ainsi deux ou trois millions se dessécher au soleil. Il n'a fallu rien moins que la mort pour mettre à la raison ce jardin entêté. Les héritiers de M. Rougemont ne l'ont pas encouragé dans une plus longue résistance; et, ma foi, ne se trouvant plus appuyé sur la vertu de ses maîtres, il s'est laissé aller au penchant et aux vices du siècle; deux déesses toutes-puissantes et singulièrement adorées de ce temps-ci, la spéculation et la boutique, viennent de mettre le pied dans les allées vaincues et soumises, foulant et déracinant la pelouse, abattant les têtes vénérables de quelques arbres centenaires. L'hôtel est mort du même coup qui a détruit le jardin; maintenant ce n'est plus que confusion et ruines De cette cendre, il ne renaîtra pas un phénix, à coup sur, mais un magasin de draps, un épicier, un restaurateur, un bottier, un marchand de comestibles: l'utile à la place de l'agréable, si proche parent de l'inutile. Puisque nous flânons sur les boulevards et à travers les rues, en véritable badaud de Paris, parlons un peu des trottoirs; s'occuper des trottoirs pour les trottoirs eux-mêmes, le plaisir ne serait pas grand. Que vous importe ces petits sentiers étroits, revêtus de grès ou d'asphalte, qui côtoient, d'un air monotone, le flanc des boutiques et des maisons? La matière est dure, et les fleurs de l'esprit y pousseraient difficilement. Mais une circonstance particulière rehausse le trottoir et lui donne une importance accidentelle: M. le préfet de police a daigné récemment jeter les yeux sur lui,--y trouvant, ce jour-là, un grand désordre et une grande anarchie, le prévoyant magistrat vient d'expédier au peuple des trottoirs une charte à leur usage: cette charte n'est pas octroyée; elle ne procède point par ordre et sous forme de droit souverain; figurez-vous une charte bénévole qui conseille et ne dit pas: Je veux! Or, ce qu'elle conseille, le voici: Prenez toujours la droite du trottoir! On devine le résultat de ce système bien simple et à la portée de toutes les jambes: les passants allant et venant chacun par sa droite, la foule ne se ruera plus dans ce pêle-mêle inextricable où elle égarait ses bras, ses pieds et ses têtes, se coudoyant, se poussant, se renversant, se heurtant nez contre nez, et enfin, comme dit Oedipe, Se disputant du pas le frivole avantage. La foule se diviserait en deux flots distincts, l'un descendant, l'autre montant, sans mélange de flots mutinés et contraires, et chacun d'eux, d'un mouvement calme et uniforme, arriverait tranquillement à son embouchure, et se jetterait dans son bras de mer, sans rencontre fâcheuse. Voilà la grande harmonie que rêve M. le préfet de police. Je vous demande bien pardon, monsieur le préfet, mais vous faites là une entreprise plus difficile à exécuter que le dessèchement de l'Océan. Vos intentions sont louables, on ne saurait le nier: vous voulez que tout le monde ait place au trottoir; vous proclamez l'égalité des Parisiens devant le trottoir; vous entendez que ceux-ci ne soient pas obligés d'en descendre pour faire place à ceux-là: sans compter les chocs violents, les yeux éborgnés, les chapeaux renversés, les pieds écrasés, les côtes meurtries, les glissades et les culbutes sur le pavé, quelquefois sous les roues, grotesques ou tristes accidents ordinaires à la multitude indisciplinée des grandes villes; telle est, dis-je, le tohu-bohu périlleux que vous avez l'honnêteté de vouloir réglementer. Votre illusion est respectable, ô édile philanthrope! mais que vous connaissez peu le peuple auquel vous avez affaire! Si vous étiez Anglais, soit: si vous étiez Allemand, encore mieux; si même il s'agissait de l'Auvergnat, du Périgourdin, du Franc-Comtois, on pourrait s'entendre; mais obliger Paris de marcher toujours à droite! allons donc! vous n'y pensez point! A moins d'attacher à chaque passant quatre gendarmes de service, vous n'y parviendrez pas. Paris est la ville du monde qui obéit le plus au hasard et à la fantaisie: à droite aujourd'hui, à gauche demain, tel est son tempérament, telle est sa vie; et puis le lendemain, au beau milieu de la chaussée! A défaut de ses trottoirs, son histoire politique et morale est là pour le prouver. Vous ne le corrigerez pas plus de ses caprices, qu'on ne corrige un charmant enfant gâté. Paris préfère cent fois, au risque de se démettre une jambe ou un bras, le désordre de ses rues, à l'ordre régulièrement monotone que vous lui proposez. Paris se croirait en procession avec vous, allant par bandes solennelles à un enterrement, et il en mourrait d'ennui et de chagrin. Pour quelques coups de coude de plus ou de moins, votre charte-trottoirs ôterait à Paris son allure vive et hasardeuse, son air leste et cavalier: il ne s'écraserait plus le bout des pieds, mais il se marcherait sur les talons. Qu'il aille donc, le chapeau légèrement incliné, le nez au vent, l'oeil mutin, le pied leste et fantasque, regardant les hommes face à face et avisant les jolies femmes sous le nez, qu'il aille et qu'il trotte comme Dieu l'a fait! L'affaire des trottoirs et de M. le préfet de police est le fait le plus grave et le plus intéressant de la semaine. On peut lui opposer cependant la discussion sur la loi des sucres; ces deux événements ont offert plus d'une analogie. La confusion du trottoir s'est reproduite au parlement; la gauche, la droite et le centre, ont marché pêle-mêle et d'un pied confus. Le sucre indigène et le sucre colonial allaient et venaient, celui-ci poussant celui-là, et réciproquement. Plus d'un orateur a brisé l'un, taillé l'autre, et de tous côtés, d'ici et de là, du milieu et des extrémités, on s'est jeté les morceaux à la tête. Cette grande bataille à coups de canne, mêlée de betterave, ne pouvait manquer de faire tort aux derniers moments du Salon de 1843. La curiosité publique, tout entière absorbée dans ce duel à mort de sucre à sucre, s'est montrée très-froide et très-peu empressée à donner l'extrême-onction à nos sculpteurs et à nos peintres: le Louvre a fermé ses portes et le Salon a rendu le dernier soupir en présence d'un petit nombre de témoins; personne ne paraissait regretter bien vivement le défunt, et nul oeil n'a versé des larmes. Que voulez-vous? le Salon vivait depuis deux mois; quelqu'un ou quelque chose qui vit deux mois à Paris, court le risque de mourir abandonné; d'abord on est plein d'ardeur et d'enthousiasme: la ville, curieuse et impatiente, se précipite, c'est à qui arrivera le premier; elle pourrait jouir de la merveille paisiblement, et chacun à son tour, mais le beau plaisir! Assiéger les portes, forcer les consignes, s'entasser sur l'escalier, s'engouffrer dans les salles au risque d'y mourir, voilà le vrai bonheur! La nouveauté, et non l'opinion, est la reine du monde. Le Salon de 1843 a eu cette destinée: à sa naissance, peu s'en est fallu que la foule ne l'étouffât dans ses embrassements; il a disparu l'autre jour au milieu de l'indifférence universelle; parlez-lui maintenant du _Peintre_ de Meissonnier, ou du _Tintoret_ de Louis Cogniet. Paris ne saura plus ce que vous voulez lui dire, et sifflera un air. Si le Salon du Louvre est fermé, il vous reste le Louvre des victimes. Le bazar Bonne-Nouvelle a ouvert charitablement ses portes aux toiles et aux cadres frappés d'ostracisme par le jury d'examen. Charitablement est le mot, et vraiment ces proscrits ne méritent pas autre chose que la charité. On a dit que M. Bertin et autres académiciens, membres du jury prescripteur, avaient fait de leurs propres mains les peintures exposées au bazar, pour prouver leur justice et se donner une excuse sans réplique; pour moi, je serais tenté de le croire; malheureusement l'Exposition du Louvre m'a enlevé la douceur de cette opinion. Voyez-vous, là-bas, ces nez, ces jambes et ces bras? c'est à faire peur aux petits enfants; et quelle couleur! quel dessin! quelle composition! quel style! Le jury est pris en flagrant délit; s'il a chassé des borgnes et des manchots, il a évidemment admis plus d'un aveugle et plus d'un cul-de-jatte. Donc, les manchots et les borgnes ont raison de se plaindre et de réclamer leur droit de cité. Pourquoi ces caresses d'une part et de l'autre ces soufflets? Après tout, cette question du jury est une question inextricable; retournez l'institution sous toutes ses faces, chaque année elle excitera les mêmes griefs et les mêmes ressentiments. Où trouver un tribunal impeccable et qui ne blesse personne? Vous le choisiriez parmi les anges, parmi les dieux, vous lui donneriez pour présidents la sage Minerve elle-même et Thémis à l'inflexible, balance, Apollon et le choeur des Muses (style classique), qu'Apollon, Thémis et Minerve auraient fort à faire. Un les traiterait certainement d'ignorants, de cuistres et d'académiciens. Quoi qu'on fasse, il y aura tous les ans à la porte du Louvre, et après la bataille d'un jury quelconque, des centaines de tableaux ou de statues étendus à terre et jetant les hauts cris: malheureux soldats cruellement blessés dans leur amour-propre et faisant entendre le long gémissement de cette blessure douloureuse. Vous en concluez qu'il faut supprimer toute espèce de contrôle et que tout jury est bon à décapiter; et vous demandez une exposition universelle au nom de la liberté de l'art; soit! élevez votre musée sur la place Louis XV ou sur le carré Marigny, mais ayez soin de mettre cette inscription au frontispice: _Supplément à l'Exposition des Produits de l'Industrie française._ Le Salon étant enterré, Paris aura besoin de quelque autre distraction et de quelques menus plaisirs, mais Paris en manque-t-il jamais? Il a beau les dévorer par douzaines, avec un incroyable appétit, ceux-ci disparaissent, ceux-là les remplacent. Ainsi l'ogre parisien, cet ogre insatiable, ne risque jamais de mourir de faim. L'Académie royale de Musique prépare, pour la collation de sa seigneurie, une friandise en trois actes, assaisonnée de force entrechats. Mademoiselle Carlotta Grisi se charge de l'accommodement. Ce délicat ballet a pour titre _la Péri._ Tout l'Opéra y voltigera; on parle avec admiration d'un pas d'abeilles. Mille récits merveilleux courent et bourdonnent à sa louange. Les plus jolies danseuses sortiront ce jour-là de leur ruche et exécuteront des pas doux comme le miel. Mais gare aux frelons! A qui se fier? Nous pleurions l'autre jour Lucile Grahn de tout notre coeur, lui tressant les plus charmantes couronnes de roses et de cyprès, et voilà que Lucile Grahn ressuscite; elle a fait une chute de cheval, pas davantage! Après cette chute, la sylphide s'est relevée plus légère et plus rapide. On écrit donc aussi des _puffs_ datés de Saint-Pétersbourg. Enfin Lucile Grahn se porte à ravir; elle aura l'agrément de lire son oraison funèbre en parfaite santé. Et Dieu en soit loué! Réjouissez-vous, sylphides! quittez vos habits de deuil, battez des ailes, et courez sur la verdure et sur la rosée, en bandes joyeuses! Lucile Grahn, votre soeur, en est quitte pour une entorse et une égratignure! Horticulture. EXPOSITION DES PRODUITS DE L'HORTICULTURE A L'ORANGERIE DE LA CHAMBRE DES PAIRS. [Illustration: Rosiers, Pivoines, Uncidiums, Iris, Oreiller d'Ours de MM. Cels, Chauvière, Paillet, Margotin, Durand, etc.--Vases en terre cuite de M. Pollet.] L'horticulture, en France, a subi de bien nombreuses révolutions; son histoire, si quelqu'un s'avisait de l'écrire, aurait, comme toutes les histoires, ses rapports intimes avec les moeurs publiques et les événements publics. Sans remonter plus loin que le grand siècle, le goût de nos jardins de cette époque a été universel. Tandis que la perruque à la Louis XIV faisait le tour du monde, il n'y avait pas de grand seigneur en Europe qui ne voulût avoir un jardin dit fiançais, avec ses longues ligne» droites, ses ifs bizarrement façonnés, ses lugubres compartiments de buis, et le fatras mythologique de ses statues: c'était la mode. Puis sont venus les jardins à la chinoise, adoptés d'enthousiasme en France sous le nom de jardins anglais, remplacés aujourd'hui par les jardins paysagers, dont les types les plus beaux sont en Bavière. Un chapitre à part sur les vicissitudes de nos jardins publics offrirait un bon nombre d'anecdotes plus ou moins piquantes: par exemple, peu de personnes savent, en France, que Robespierre a dessiné de sa main et fait exécuter sous ses yeux les deux parterres renfermés dans les massifs des Tuileries. Les sièges de marbre qu'il y fit placer sont aussi construits sur ses dessins. A les considérer sous le point de vue allégorique, ces sièges, placés là par un homme qui ne devait pas s'y asseoir, sont un emblème assez triste de son destin politique. Paris a vu dans ces parterres, sans y donner une bien grande attention, briller les premières tulipes de collection dont la culture fut importée en France par M. Tripet, durant la réunion momentanée de la Hollande à l'empire français. La paix a favorisé le développement du goût de l'horticulture, devenu de nos jours le délassement de prédilection d'un grand nombre d'hommes éclairés, pris dans toutes les classes de la hiérarchie sociale. De ce goût universel pour les fleurs et leur culture sont nées les sociétés d'horticulture. Elles conservent chez chaque peuple leur caractère national: les Français y cherchent du plaisir, les Anglais du profit; les Belges, demi-Anglais, demi-Français, y cherchent plaisir et profit. Essayons d'esquisser l'historique de cette gracieuse institution. L'antiquité païenne avait ouvert la voie: Flore et ses fêtes résumaient tout ce que les cérémonies païennes avaient de grâce et de poésie, jusqu'à ce que Rome dissolue eût souillé ce culte, comme tout le reste, de ses débauches monstrueuses. Au moyen âge, la chevalerie, malgré ses formes galantes, versait trop de sang pour donner aux fleurs beaucoup d'attention; çà et là, quelques moines élevaient dans les jardins des cloîtres un petit nombre de fleurs vulgaires: autour des châteaux, la place du parterre était envahie par les fossés et les fortifications. Les républiques municipales d'Italie, malgré les troubles de leur existence orageuse, créèrent les premiers jardins consacrés à l'étude de la botanique; celui de l'Université de Padoue est du quinzième siècle, il passe pour le plus ancien de l'Europe. Ce fait bien constaté fait présumer un degré de lumières que confirme le goût des arts alors si répandu en Italie. Les châteaux italiens eurent sans doute des parterres ornés long-temps avant qu'il fût question de rien de semblable ailleurs en Europe. Toutefois aucun monument de cette époque ne donne lieu de croire que les amis de l'horticulture en Italie aient eu alors la pensée de s'assembler pour s'éclairer mutuellement, pour jouir en commun des dons les plus gracieux de la nature. [Illustration: Pelargonium Zampa, ou Carlianium.] [Illustration: Fruits et Légumes conserves de Jamin, etc.--Citrons et Oranges de l'orangerie de Montgeron.--Tulipes de Tripet.] C'est en Belgique, sous un ciel souvent brumeux, où la rareté des beaux jours est proverbiale à bien plus juste titre encore que sous le climat de Paris, c'est à Bruxelles que, vers la lin des troubles du seizième siècle, quand les Pays-Bas se reposèrent d'une lutte longue et sanglante sous l'autorité paternelle de la maison d'Autriche, que se fonda la première société d'horticulture, sous le nom de Confrérie de Sainte-Dorothée. Cette confrérie brillait d'un grand éclat vers le milieu du siècle suivant; ses statuts, révisés en 1660, constatent son antiquité déjà plus que séculaire à cette époque. On voit figurer sur la liste des confrères des noms de jardiniers de profession, pêle-mêle avec des noms d'artistes, de magistrats, de grands seigneurs et de princes. La confrérie de Sainte-Dorothée se soutint, chose bien digne de remarque, jusqu'après l'invasion française; le registre porte des noms de confrères admis pendant l'année 1794, date significative qui en dit beaucoup sur les moeurs et le caractère du peuple belge. Emportée enfin par le torrent révolutionnaire, la confrérie, détruite en apparence, conserva toujours un reste d'existence cachée; quelques anciens confrères se voyaient, se concertaient, s'occupaient en commun de la culture des fleurs, aspirant au moment de rétablir leur confrérie. Ce moment se fit long-temps attendre. Sous l'Empire on avait trop d'autres choses à faire; enfin, sous la domination hollandaise, en 1822, ce qui restait de l'ancien noyau de l'antique confrérie de Sainte-Dorothée se reconstitua, sous le titre de Société de Flore, sur de larges bases; c'est aujourd'hui l'une des sociétés d'horticulture les plus Florissantes de la Belgique, où ses réunions sont très-nombreuses; les serres qu'elle a fait construire sont citées parmi les plus belles de l'Europe. Cet exposé rapide était dû, comme un hommage, à la première réunion d'hommes ayant pour but de propager le goût et la culture des fleurs. Nos lecteurs voudront probablement savoir pourquoi la confrérie des Amis de l'Horticulture en Belgique s'était placée sous l'invocation de sainte Dorothée; nous satisferons leur juste curiosité à cet égard. La légende de sainte Dorothée rapporte que, dans une de ses visions, un ange lui présenta une corbeille pleine de fleurs dont chacune était un symbole; l'ange et sa corbeille figurent d'obligation sur toutes les représentations de sainte Dorothée. Telle est la tradition qui faisait considérer cette sainte comme la patronne de tous ceux qui s'occupaient en Belgique de la culture des fleurs. Le jour de sa fête, l'église était parée des plus belles fleurs que chacun s'empressait d'y apporter; ce furent les premières exhibitions publiques de fleurs, empreintes, selon l'esprit du temps, d'un caractère religieux. En France, les jardiniers ont adopté saint Fiacre pour patron. Ce saint vivait dans un temps ou, le sacerdoce n'étant point un état, tous ceux qui appartenaient à l'Église et n'avaient point de patrimoine prenaient honnêtement un métier pour vivre. Saint Fiacre occupait dans l'Église le rang de diacre; il était en outre jardinier de profession: le patronage des jardiniers lui revenait de droit, au même titre que celui des cordonniers à saint Crépin, et celui des voleurs au bon larron. Deux paroisses, de Paris, Sainte-Marguerite faubourg Saint-Antoine, et Saint-Médard faubourg Saint-Marceau célèbrent encore tous les ans avec pompe, le .30 du mois d'août, la fête de saint Fiacre; les plus belles fleurs et les plus beaux fruits de la saison y sont présentés à l'offrande par de jeunes jardinières, vêtues de blanc, en présence de toute la population jardinière du 8e et du 11e arrondissement. [Illustration: Exposition des produits de l'Horticulture à l'Orangerie de la Chambre des Pairs.] Dans le Midi, la corporation des jardiniers s'est placée sous l'invocation de sainte Madeleine. Nous n'avons pu découvrir quel rapport les fleurs et le jardinage pouvaient avoir avec la légende de cette sainte. En France, les sociétés d'horticulture ont peu de passé; la Société royale d'Horticulture de Paris est une des plus anciennes, sinon la plus ancienne de France: sa fondation ne remonte qu'à l'année 1827. Elle compte parmi ses membres les hommes les plus haut placés dans l'aristocratie de naissance et d'argent. Le nombre de ses membres est illimité; chacun d'eux paie une rétribution annuelle de 20 fr. Un nouveau règlement tend à rendre à l'avenir les choix plus sévères qu'ils ne l'ont été par le passé. La concorde et l'harmonie, nous regrettons de le dire, n'ont pas toujours régné au sein de la Société royale d'Horticulture de Paris. Un grand nombre d'horticulteurs de profession ont formé, sous le nom de Cercle des Conférences horticoles de la Seine, une société séparée, qui n'admet dans son sein que des horticulteurs. La première exposition du Cercle des Conférences horticoles a eu lieu au mois de septembre de l'année dernière dans l'orangerie des Tuileries, qu'elle remplissait en entier. Cette exposition offrait un caractère tout spécial d'utilité jointe à l'agrément; jamais Paris n'avait vu des fruits aussi variés, aussi parfaits que ceux qui s'y trouvaient offerts à l'admiration des amateurs. Un millionnaire, qui nous avait prié de l'y conduire (ce n'était point un Anglais), ne comprenait pas que, sa bourse à la main, il ne lui fût pas permis de mordre, pour son argent, dans ces belles poires, dont jamais il n'avait vu ni rêvé les pareilles: il les aurait payées 20 fr., 40 fr. la pièce; mais elles n'étaient point à vendre, malheureusement, ce qu'il ne pouvait réussir à se persuader, au grand amusement des exposants. La Société d'Horticulture de Rouen date de la même époque que celle de Paris; c'est une des mieux organisées de France. Nous avons vu à Rouen, en septembre 1838, une exposition de fleurs par les soins de cette Société; _seize mille fleurs de dahlia_ figuraient à cette exposition. Deux pyramides, hautes chacune de quatre mètres, avaient été formées avec les plus belles de ces fleurs; chacune en contenait _douze cents_, toutes différentes les unes des autres. Rien de plus riche, de plus féerique, de plus éblouissant que ces pyramides vues à la lueur d'une profusion de becs de gaz. L'une des deux pyramides était dédiée aux sociétés françaises d'horticulture, l'autre aux sociétés étrangères. Au nombre des amateurs les plus distingués dont s'honore la Société d'Horticulture de Rouen, nous nous plaisons à citer monseigneur l'archevêque de cette ville; la collection de plantes rares de ce digne prélat est une des plus remarquables de France. [Illustration: (Brassia Cawini.)] Lille, Caen, Orléans. Angers, Nantes et presque toutes nos grandes villes ont des sociétés d'horticulture; d'autres, comme Lyon, ont seulement une société d'agriculture, dont une section s'occupe spécialement d'horticulture Enfin, des villes du cinquième ordre, comme Meaux, et de toutes petites villes, comme Meulan, ont des société? d'horticulture dont les travaux et les succès rivalisent avec ceux des sociétés établies dans les grandes cités. En Angleterre, les sociétés d'horticulture sont tellement multipliées, qu'on ne pourrait s'expliquer leur existence si l'on ne savait qu'elles sont presque toutes des spéculations; sur quoi ne spécule-t-on pas en Angleterre? Le nombre des sociétés d'horticulture était en 1838 de cent trente; il est aujourd'hui de plus de deux cents; chacune de ces sociétés a son exposition annuelle. Mais ce n'est pas tout beaucoup de particuliers possédant un local convenable ouvrent, à différentes époques de l'année, des expositions de fleurs ou le public est admis en payant, et en payant fort cher: les exposants paient aussi pour le droit d'apporter leurs collections de fleurs. A York, la société philosophique du Yorkshire avant ouvert le local de ses séances à une exposition de fleurs, avait fixé le prix d'entrée à 1 fr. 25 c. de quatre à six heures de l'après-midi, et à 2 fr. 50 c. de midi à quatre heures, afin d'offrir aux gens _comme il faut_ l'attrait d'une société moins mêlée. Chacun des exposants qui apportaient des dahlias et d'autres plantes, payait 9 fr. 50 c., celui qui n'apportait que des dahlias au nombre de quarante-huit et au-dessous, payait 6 fr. 25 c: enfin, la taxe de celui qui n'exposait que des fleurs autres que des dahlias, était de 2 fr. 50 c. seulement Nous citons ces chiffres pour donner une idée de ce que les expositions de fleurs peuvent faire circuler d'argent dans un pays où, comme le faisait remarquer dernièrement un journal, le voyageur allant de ville en ville pourrait trouver une exposition de fleurs à visiter pour chaque jour de l'année. Des sommes importantes sont distribuées tous les ans en prix et encouragements divers aux différentes branches de l'horticulture; ces prix ne sont pas toujours disputés avec toute la loyauté possible. Il y a des exemples de dahlias couronnés comme nouveaux et à fleurs parfaites, qui n'étaient autre chose que des fleurs factices; on avait inséré avec beaucoup d'art des fleurons de forme régulière dans le calice commun, à la place des fleurons défectueux. Les fraudes du même genre sont très-fréquentes, et les juges des concours, quelle que soit leur expérience, ont beaucoup de peine à les reconnaître. Cette année, l'exposition de la Société royale d'Horticulture de Paris a été des plus brillantes; le vaste local de l'Orangerie de la Chambre des Pairs était entièrement rempli de fleurs remarquables par leur rareté, leur élégance ou la beauté de leur végétation. Madame la duchesse d'Orléans a voulu ajouter, cette année, aux prix décernés sur les fonds de la Société, une médaille d'or de la valeur de 200 francs, sans destination spéciale, s'en remettant au jury de l'exposition du soin d'en disposer. Cette médaille a été obtenue par M. Tripet-Leblanc pour sa collection de 700 tulipes. Les regards des connaisseurs se sont principalement arrêtés sur un uncidium papilio, admirable orchidée provenant des cultures de M. Lhomme, jardinier en second du jardin de l'École de Médecine, rue d'Enfer. Nous avons donné un dessin de cette fleur dans un de nos précédents numéros. La partie la plus brillante de l'exposition appartenait à MM. Cels frères; les plantes de toute nature qu'ils avaient apportées et dont plusieurs paraissaient pour la première fois dans une exhibition publique en Europe, l'emportaient en nombre, en variété et en beauté de végétation sur tout le reste de l'exposition. Nous donnons à nos lecteurs le dessin d'après nature d'une des plus belles plantes exposées par MM. Cels, la brassia Cawini, appartenant à la famille des orchidées. Les pelargoniums étaient nombreux à l'exposition; la beauté des collections exposées montre les progrès de la culture de ce beau genre. Nous reproduisons le pelargonium zampa, ou carliana, des cultures de M. Chauvière, l'un des plus beaux de tous ceux qui figuraient cette année à l'exposition. Les masses de rhododendrums, d'azalées, de cinéraires, de calcéolaires, de rosiers, de pensées, témoignent du goût toujours croissant du public pour les fleurs de collection. Dans une allocution pleine d'intérêt, M. Héricart de Thury, écartant les fleurs de rhétorique toujours déplacées à propos et en présence de tant de belles fleurs naturelles, s'est contenté de faire ressortir quelques-uns de ces faits dont nul ne peut contester l'éloquence. C'est ainsi qu'il a rappelé à l'assemblée, dont bien des membres auront hésité sans doute à le croire sur parole, que les plantes réunies dans l'orangerie du Luxembourg pour l'exposition dépassaient la valeur de 300,000 francs, sur lesquels la collection seule de MM. Cels en valait plus de 30,000. Nous croyons, nous, que MM. Cels, en donnant pour 30,000 francs les plantes qu'ils avaient apportées à l'exposition, auraient fait un très-mauvais marché, et que l'ensemble des plantes exposées valait plus de 400,000 francs, chiffre qui dit assez à lui seul l'état avancé et progressif de l'horticulture en France. Outre les prix décernés comme encouragement à divers genres de cultures spéciales, la Société royale d'Horticulture a aussi accordé des médailles à divers objets d'art accessoires relatifs à l'horticulture, parmi lesquels nous avons remarqué des vases en terre cuite de formes élégantes et variées, dont nous reproduisons ceux qui nous ont paru de meilleur goût. Beaucoup de transactions particulières ont eu lieu pendant le cours de l'exposition. Nous y avons remarqué un grand nombre de riches Anglais: ils pourront dire dans leur patrie que nous aussi nous savons cultiver les fleurs. La Vengeance des Trépassés. NOUVELLE. (Suite et fin.--Voyez pages 73, 89, 105, 121, 137 et 166.) § VIII.--Le camaldule. Lorsqu'on va de Subiaco à Rome, on remarque à gauche de la route une éminence revêtue d'arbres de toute espèce, des buis, des pins, des chênes, des mélèzes. Du milieu de cette touffe de verdure, on voit s'élever le toit du couvent, surmonté d'un campanile qui le partage en deux moitiés égales, et ses murs blancs percés d'une ligne de petites fenêtres serrées au niveau de la cime des arbres. La maison, posée au sommet d'un amas de roches, est d'un accès difficile; il n'y a point de sentier tracé, et à chaque instant l'on est arrêté par des courants d'une eau limpide et torrentueuse qu'entretient en ces lieux l'épaisseur des ombrages. C'est dans cette solitude que saint Benoit vint, au commencement du sixième siècle, se réfugier loin du monde et des tentations. On montre encore la caverne qu'il habitait, et où il conçut cette règle fameuse au moyen de laquelle son ordre ne tarda pas à couvrir l'Europe. Il était environ cinq heures du soir; on était dans les grands jours de l'été. Deux hommes descendaient ensemble du couvent: un religieux et un paysan d'une trentaine d'années; le camaldule en pouvait bien avoir dix ou douze de plus que son compagnon. «Vous dites donc, mon ami, que vous êtes envoyé par madame l'abbesse de Sainte-Claire? --Oui, mon père, pour vous prier de venir confesser la soeur Sainte-Léonore qui se meurt.» A ce nom, le moine ne put s'empêcher de tressaillir, il se remit et reprit froidement: «Comment se fait-il qu'on s'adresse à moi? L'aumônier du couvent est-il malade? --Oh! mon Dieu, non: il se porte à ravir; je lui ai encore servi la messe aujourd'hui, car je suis à la fois jardinier et sacristain du couvent. Mais c'est la soeur Sainte-Léonore qui vous a demandé elle-même. --Elle me connaît donc? --Apparemment... Prenez garde, mon père; voici un courant plus large que les autres. Mettez vos pieds sur les pierres, après moi; donnez-moi la main..... là..... bon. --Je ne sors cependant guère du couvent. Voici, je crois, la seconde fois que cela m'arrive depuis huit ans que j'y suis entré. --Oh! cela ne fait rien, mon père. La renommée de votre sainteté a répandu votre nom dans tout le pays. --Et cette pauvre soeur Sainte-Léonore, elle est donc bien mal? --Désespérée, à ce que disent les médecins. Mais je ne saurais le croire, puisqu'elle peut venir tous les jours dans mon jardin s'asseoir sous les orangers, c'est-à-dire qu'on l'y apporte dans un fauteuil; mais c'est égal, je dis que si elle était à sa fin, comme on le prétend, on ne la sortirait pas de son lit. --Cela dépend du genre de sa maladie. Qu'a-t-elle? --Ah! ne me le demandez pas, mon père; je n'en sais rien, et je pense que personne n'en sait davantage, à commencer par le docteur. C'est bien singulier! Figurez-vous qu'elle a toujours la tête enveloppée d'un grand voile de toile blanche qu'elle ne lève jamais, comme si la lumière lui faisait mal aux yeux. Elle ne parle presque pas, et c'est avec une petite voix si faible, si faible!... Enfin, moi, qui lui ai parlé plusieurs fois, je ne l'ai pas encore vue! Je veux dire que je n'ai pas vu son visage, en sorte que je ne saurais vous rendre compte si elle est belle ou laide, jeune ou vieille. Pourtant, à sa voix, je la juge plutôt jeune que vieille. --Y a-t-il long-temps qu'elle est chez les nonnes de Sainte-Claire? --Elle y était avant moi, et voilà... combien?... sept ans que j'y suis; oui, sept ans, à la Saint-Martin.--Prenez garde à ce bourbier; sautez, mon père... bien!--Je disais donc à la Saint-Martin. Soeur Sainte-Léonore, à ce qu'on m'a conté, y était arrivée un ou deux ans plus tôt. Elle fut amenée en grande cérémonie par l'archevêque-cardinal de... de... j'oublie toujours ce diable de nom! (Pardon, mon père; je n'ai pas l'habitude de jurer.) Le vieux Grégorio, mon prédécesseur, en avait conclu que c'était quelque femme d'importance, peut-être une dame de la cour, qui s'était convertie... Mais vous allez la voir et en apprendre bien plus que je ne puis vous en dire, car nous voici au couvent. «Ma soeur, continua le jardinier, en s'adressant à la converse qui vint les recevoir, voici le révérend fra Cristoforo que soeur Sainte-Léonore attend avec impatience; conduisez-le, s'il vous plaît, auprès d'elle. Je retourne à ma bêche et à mon arrosoir.» La converse s'inclina avec les marques d'un profond respect, et conduisit le religieux en silence. Elle lui fit traverser des salles, des corridors, et l'introduisit dans un jardin qui n'était pas le grand jardin de la communauté, mais un petit jardin particulier qu'on appelait le jardin de l'abbesse. C'était un ancien préau que l'on avait transformé en jardin; un vieux cloître à colonnes de marbre blanc l'enfermait par les quatre côtés. Ce cloître, dégradé en plusieurs endroits, au point que le lierre, les framboisiers et les rosiers sauvages y croissaient librement et eussent fermé le passage à qui aurait voulu en faire le tour, faisait ressortir, par son air de délabrement, l'état brillant du parterre entretenu avec le soin le plus minutieux. Les allées étaient sablées d'un sable fin et doré; les buis des bordures étaient irréprochables; les massifs de fleurs et d'arbustes étaient disposés avec une coquetterie dont l'art se dissimulait au premier coup d'oeil; tout dans cette enceinte respirait le calme, le bien-être religieux; l'on y sentait cette mélancolie vague et tranquille, inséparable des plaisirs de la retraite, et dont le charme, lorsqu'on l'a goûté, se fait regretter au milieu des joies turbulentes du monde. Il semblait que le vent retint son haleine de peur de déranger quelque chose aux aimables symétries de ce séjour. Le seul bruit qu'on y entendît était le murmure d'un jet d'eau qui s'élançait d'une coupe de marbre placée au centre du jardin. Autour de ce jet d'eau étaient disposées des caisses d'orangers fleuris, à l'ombre desquels fra Cristoforo aperçut la malade assise, immobile et voilée, telle que son guide la lui avait dépeinte. Il prit un siège auprès d'elle, et, après quelques paroles, la converse les ayant laissés seuls, soeur Sainte-Léonore commença sa confession, mais sans lever son voile, qui tombait assez bas pour lui cacher entièrement les bras et les mains. Lorsqu'il lui eut donné l'absolution, fra Cristoforo lui demanda: «Est-il possible, ma soeur, que vous soyez aussi mal qu'on le dit? --Mon père, répondit-elle, les médecins assurent que je ne passerai pas cette nuit, et je le sens encore mieux qu'ils ne peuvent le dire. --Et vous accomplirez sans regret ce sacrifice? --Sans aucun regret. --Je vous félicite, ma fille, de ces dispositions. La mort n'est, en effet, cruelle que pour ceux qui survivent. --Je ne laisserai personne ici-bas pour me pleurer. --Quoi! êtes-vous absolument sans famille, sans amis? --Absolument! Je suis indifférente et inconnue à toute la terre. --Cependant, ma soeur, je ne sais si c'est une illusion, mais il me semble avoir déjà entendu votre voix. --Vraiment! dit la mourante avec un peu d'émotion, vous croyez la reconnaître? --Mais j'ai beau chercher dans ma mémoire, je ne puis me rappeler en quel temps ni en quelle circonstance cette voix a frappé mon oreille. --Vous vous trompez sans doute. --Non!... non... je ne me trompe pas. Si vous vouliez m'aider, peut-être je parviendrais à fixer ce souvenir confus...» La malade, sans rien dire, tira lentement sa main droite de dessous son voile et la posa sur ses genoux; cette main était recouverte d'un gant noir. «O ciel! s'écria le moine: Rachel!... Êtes-vous Rachel ou Aminé? --J'étais Rachel, don Christoval. J'ai demandé et reçu au baptême le nom de Léonor, parce que vous aimiez ce nom. Je suis aujourd'hui la soeur Sainte-Léonore. --Rachel! Léonor! O Dieu!... Laissez-moi revoir ces traits...» Elle arrêta le bras qui touchait son voile: «Vous ne les reverriez pas: ils sont détruits. Ma beauté d'autrefois n'existe plus que dans votre mémoire; ne la chassons pas de ce dernier asile. Vous avez reconnu ma voix, vous ne reconnaîtriez pas mon visage: la lèpre l'a envahi! Don Christoval, je suis une lépreuse! Reculez-vous un peu, de crainte de respirer l'air que je respire; car mon souffle empoisonne et donne la mort! --Infortunée! Quoi, l'arrêt d'en haut qui pesait sur votre famille ne vous a pas épargnée!.... Mais par quel miracle vous retrouvé-je ici, chrétienne, religieuse? Comment sortites-vous du souterrain où je vous frappai de mon poignard? Que sont devenus votre père, votre oncle, votre soeur? --Ils ont satisfait à la justice des hommes; j'espère que Dieu aura accepté leur supplice en expiation de leurs crimes. Les alguazils envoyés sur la dénonciation du meunier pour fouiller notre demeure, m'avaient également saisie; mais le tribunal me déclara innocente et me relâcha. Qu'eussé-je fait en Espagne? Je vins en Italie; j'abjurai entre les mains de l'archevêque d'Urbino, et c'est lui qui me fit entrer dans ce couvent, où j'ai vécu de l'espoir d'être un jour réunie à vous dans la vie future; car je vous aimais, don Christoval; et pourquoi le cacher, puisque cet amour n'a rien que de pur? je vous aime encore; je meurs en vous aimant! --Funeste amour! il a causé tous vos malheurs. --Que dites-vous, don Christoval? c'est lui qui m'a portée jadis à vous délivrer; il a sauvé ma vie, la vôtre et celle de votre Léonor; c'est par lui que je suis devenue chrétienne, et vous l'appelez funeste amour! Heureux amour, au contraire! Vous le voyez bien, c'est encore lui qui fait luire une consolation sur le bord de ma fosse. Mais c'est assez, c'est trop vous parler de moi, parlons de vous; racontez-moi votre histoire et cette de cette charmante Léonor, dont j'ai pris le nom, ne pouvant lui prendre le bonheur qu'elle avait de vous plaire et d'unir son sort au votre. Don Christoval fit ce pénible récit, durant lequel il crut entendre souvent la pauvre Rachel sangloter sous son voile. Lorsqu'il eut terminé: «Vous avez été, lui dit-elle, tendrement chéri de deux femmes, et le ciel vous a permis d'entrevoir le bonheur avec celle des deux que vous aimiez. Ne vous plaignez pas; soyez sûr qu'il est des destinées plus cruelles que la vôtre. Quant à moi, j'ai le coeur plein de reconnaissance pour le moment de joie que Dieu me permet de goûter avant de quitter la terre; je n'espérais pas tant. --Écoutez, Léonor, car je veux désormais ne vous donner que ce nom: ce moment peut se prolonger au-delà de cet entretien. Après tant de malheurs, le ciel veut peut-être nous accorder la douceur de les pleurer ensemble. Votre maladie n'est point incurable, ou, si elle l'est, on saura reculer la catastrophe qui doit la terminer. Ni vos liens ni les miens ne sont indissolubles: je vais me jeter aux genoux du Saint-Père et lui demander notre liberté. Je dois avoir encore en Espagne des amis puissants; je les ferai intervenir. Vous viendrez avec moi; je serai votre frère et vous serez ma soeur; je vous soignerai, je vous guérirai peut-être....» En cet endroit, don Christoval fut interrompu par le tintement d'une clochette. Il se retourna et vit marcher dans le croître un prêtre en surplis portant une espèce de petite cassette en vermeil. Il était précédé de deux enfants de choeur dont l'un sonnait cette clochette à intervalles égaux: l'autre portait une lanterne allumée au bout d'un long bâton. «Adieu, dit la soeur Sainte-Léonore, je vais recevoir l'extrême-onction; adieu, Christoval; mais nous nous reverrons.... Voulez-vous me serrer la main? il n'y a pas de danger.» Don Christoval saisit en pleurant cette main, et s'efforçait de l'approcher de ses lèvres; mais la malade la retira brusquement avec un mouvement d'effroi. «Merci, dit-elle, merci, mon ami, je suis déjà heureuse, et bientôt je le serai encore plus.» La soeur converse s'était rapprochée avec deux hommes dont l'un était le jardinier qui avait emmené don Christoval. Ils enlevèrent avec précaution le fauteuil de la malade, et rejoignirent le petit cortège arrêté sous le cloître pour les attendre. Rachel, sur les épaules de ses porteurs, se retourna à demi: «Priez pour moi,» dit-elle à don Christoval, tombé à genoux sur la place que venait de quitter la mourante. Il demeura quelques secondes abîmé dans sa douleur, et lorsqu'il revint à lui et put regarder, tout avait disparu. Fra Cristoforo se releva, et, son capuchon rabattu sur les yeux, il traversa de nouveau le couvent de Sainte-Claire et reprit tout seul le chemin des camaldules. F. G. Sur le progrès de l'idée morale DANS L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ. De tout temps la civilisation a eu ses détracteurs, qui l'ont accusée d'être la mère de tous les fléaux et de tous les vices, et qui, au nom d'une morale austère, méprisant ses pompes, ses magnificences intellectuelles, et ce qu'on nomme communément ses bienfaits, n'ont voulu voir en elle que l'infâme corruptrice de tous les bons sentiments humains. Évoquant sans grande magie le fantôme d'un idéal de l'humanité primitive, ils se sont plu à l'orner de toutes les vertus, de toutes les grâces, de toutes les richesses naturelles, et ils lui ont procuré un triomphe facile sur l'homme réel et civilisé. D'un autre côté, les partisans de la civilisation ont traité de paradoxes et de rêveries tous les arguments des moralistes rétrospectifs; ils ont vivement raillé cet amour exclusif du sauvage, et n'ont pas eu de peine à prouver que l'homme primitif n'était pas aussi amiable qu'on voulait bien le dire, et qu'outre le léger défaut qu'il a généralement de manger les gens, on pouvait encore remarquer en lui, sous une plus rude écorce, tous les vices d'orgueil, de luxure, de perfidie, dont on attribuait gratuitement la paternité à la civilisation. Mais, dans ces termes, le débat est-il véritablement vidé? la civilisation est-elle suffisamment défendue lorsqu'on a montré qu'elle n'est point une cause de démoralisation, et ne reste-t-il pas, pour qu'elle gagne véritablement le procès, à faire voir que son influence, au contraire, est toute morale, et qu'il ne dépend pas d'elle que l'homme atteigne le mieux et le parfait? Il ne s'agit pas, en effet, pour que la question soit entendue, de chercher lequel a le plus de vices de l'homme primitif et de l'homme civilisé. Il est certain que les vices résultant, dans leur principe, des appétits, de l'organisation de l'homme, et, dans leur application, du libre exercice de la volonté humaine, le plus ou le moins dans le degré de civilisation ne peut modifier radicalement ni leur développement ni leur essence. Que si la civilisation, par les progrès du luxe et de l'industrie, ouvre quelques voies plus agréables et plus faciles à quelques vices humains, elle a aussi, par le progrès des lumières, des lois qui répriment beaucoup de vices impunis dans l'état sauvage, que si, par quelques-uns de ses effets, elle favorise certains penchants de la mauvaise nature, elle introduit dans l'intelligence mille notions excellentes sur la justice, le bien et le mal, et tout à fait propres à assurer un bon usage du libre arbitre. En se maintenant sur ce terrain, on demeurerait donc éternellement dans les étroites limites d'une discussion négative, dont l'unique résultat serait d'établir une sorte de balance, de livre de doit et avoir entre la civilisation et l'état sauvage, en laissant à chacun le soin de choisir, selon son goût, entre le pagne et la redingote, entre le wig-wam et la maison, le casse-tête et le pistolet, la chair du guerrier de la tribu ennemie et la dinde truffée. Il faut donc, avant tout, éliminer de la discussion tout ce qui tient à la nature humaine, tout ce qui en est la conséquence nécessaire; et sans cesser de demander à la civilisation, pour la reconnaître une chose grande, utile, admirable, d'exercer une salutaire influence, n'attendons pas, n'exigeons pas d'elle qu'elle change le coeur de l'homme. Ne la regardons ni comme une fée Urgande, dont la bienfaisante baguette ne sème que perles, que rubis et que fleurs; ni comme une fée Dentue, dont l'effroyable grimoire n'enfante que montagnes inaccessibles, ravins et reptiles hideux; voyons-la travailler sur cet inaltérable fonds de l'être humain, dont elle n'est qu'une des puissances; mais n'espérons pas que l'effet puisse dénaturer sa cause, que la civilisation, produit du génie de l'homme, le change essentiellement. Or, si on considère la civilisation en elle-même, et sans lui attribuer des résultats qui ne sont pas les siens, ce qui frappe surtout, ce qui frappe et ce qui console, c'est le progrès constant de l'idée morale dans l'humanité. Si corrompus que les temps paraissent à l'observateur dans le détail des faits publics et des actes privés, que la société se débatte dans la fange des moeurs les plus inouïes, non-seulement la loi morale n'est pas éteinte, mais, en quelque sorte et quelque hardi que cela puisse paraître, elle triomphe dans la sphère surhumaine ou elle habite, et elle est proclamée avec plus de netteté que jamais. La preuve en est facile à administrer: Qu'on mette en regard la loi des Douze-Tables, cette loi de l'âge d'or des moeurs romaines, et la législation de l'empire, cet âge d'avilissement, de décomposition, d'agonie: c'est à peine si, dans la première, le sentiment de l'humanité se fait jour. La loi du talion, cet absurde semblant de justice; le droit de vie et de mort attribué aux pères, cette iniquité héroïque; le droit de vendre ses enfants, cette infamie légale; toutes ou presque toutes les dispositions dénotent l'enfance de l'esprit, la barbarie du coeur, et cependant il y avait quelque chose d'incontestablement pur dans les moeurs de la nation. Au contraire, dans la législation impériale qui présidait à tant d'excès sans nom, équité, humanité, profonde connaissance de la nature humaine, habile répartition des peines selon les délits, répression juste et morale de toutes les fautes que peut atteindre l'action publique. Un autre exemple plus proche de nous montre, d'une manière bien sensible, que la loi morale progresse toujours avec la civilisation, lors même que le spectacle des moeurs ferait croire à la stagnation, ou même, au dire des pessimistes, à la décadence. Certes, pour l'observateur impartial, il n'y a pas une différence fortement caractérisée entre les moeurs du siècle de Louis XIV et les moeurs du nôtre. Toute compensation faite, quelques vices d'alors remplacés par d'autres vires, quelques vertus du grand siècle oubliées, mais aussi quelques autres acquises qu'il ne pratiquait pas, il ne paraît pas que sur ce chapitre il y ait lieu à se lamenter ni à se réjouir. D'un autre côté, il est constant que depuis cette époque la civilisation a marché. Si elle s'est arrêtée en quelques-unes de ses branches, le grand mouvement de 89 a donné à la sève de l'arbre une agitation salutaire, qui lui a l'ait produire une foule de rameaux inconnus. En outre, le luxe et ses raffinements ont fait des pas considérables, et par conséquent favorisé l'amollissement des habitudes. Toutefois, la loi morale que reconnaît notre siècle est de beaucoup supérieure à celle qui régissait le siècle du grand roi. On peut le montrer par une infinité d'exemples. Je me bornerai à en citer un seul, mais qui me paraît décisif. A l'appui de la même thèse, on a souvent invoqué la légèreté avec laquelle madame de Sévigné a parlé de ces paysans bretons «qui, dit-elle, ne se lassent pas de se faire pendre, légèreté qu'on déclarait être incompatible avec nos moeurs actuelles. Mais l'exemple me semble mal choisi; car, outre que nous avons vu de nos jours, sinon pendre, du moins fusiller beaucoup plus de révoltés qu'on n'en avait vu du temps de Louis XIV, il ne semble point prouvé que quelque belle aristocrate n'ait, à la façon de madame de Sévigné, traité comme un accident très-indifférent les _mésaventures_ des révoltés vaincus. On trouve dans les mémoires de Dangeau quelque chose de bien plus frappant, de bien plus incompréhensible dans nos moeurs, et, partant, de bien plus irrécusable en faveur de ce qu'on veut démontrer. Voici ce qu'on lit dans le journal de cet écho de la cour de Versailles: «Aujourd'hui, le roi a donné un homme qui s'est tué à madame la dauphine; elle espère en tirer beaucoup d'argent.» Voilà une phrase dont tous les mots sont français! dont aucune expression n'a vieilli, dont la construction est parfaitement claire et irréprochable; cependant il nous est impossible, à nous, hommes de notre temps, de comprendre cette phrase, si nous ne nous dépouillons en quelque sorte du caractère contemporain pour nous faire un moment les sujets du grand roi. Il paraît que cette phrase se rapporte à la mort d'un graveur, qui, après avoir passé de longues années à la Bastille pour avoir gravé quelques caricatures contre madame de Montespan, se laissa aller au désespoir et se suicida. Une coutume alors en vigueur attribuait au roi la fortune des suicidés. Par l'homme qui s'est tué et que le roi donne à madame la dauphine, Dangeau entend donc les biens de l'infortuné graveur; et après cette atroce métonymie, il ajoute avec le plus imperturbable sang-froid: «Elle espère en tirer beaucoup d'argent.» Ainsi, voilà un monarque illustre sur lequel l'histoire porte sans doute des jugements fort divers, mais à qui elle reconnaît de grandes et nobles parties de caractère. Voilà une princesse, la dauphine, dont la bonté, la piété, les moeurs sont vantées, et l'un, sans sourciller, gratifie sa fille d'un cadavre, et l'autre s'en félicite parce que le cadavre lui rapporte;, beaucoup d'argent. Il se rencontre à leur cour un honnête homme, borné si l'on veut, mais dont le caractère paisible et la probité n'ont jamais été contestés, qui écrit cette nouvelle comme il écrirait un _reversis_ du roi. Évidemment, dans le siècle où se passent de telles choses, où la loi les consacre, où les moeurs les supportent comme une mesure indifférente, le sentiment de l'humanité est étouffé sous des principes de convention, et il ne vit que sous l'empire d'une équité factice. La civilisation, cet ardent apôtre des idées d'humanité et de justice, n'est encore, dans un pareil temps, qu'à la moitié de sa course. Et, en effet, nous, les petits-fils du dix-septième siècle, nous jouissons de toutes les conquêtes que la civilisation a faites dans le champ de la liberté, de l'égalité, ces imprescriptibles droits de la nature humaine. On peut voir encore dans notre âge des gens hériter de ceux qu'ils assassinent; on y peut constater toutes les vilenies de la cupidité ou de l'abus de la force, mais elles sont obligées à des voiles, à des ménagements, à des transactions, qui les déguisent et les affaiblissent; mais le sentiment moral est bien plus puissant, bien plus répandu, et je ne doute pas qu'au dernier degré de l'échelle un bandit ne pût écrire sans un tremblement intérieur la phrase que le marquis de Dangeau écrivait en toute sûreté de conscience; en la lisant, il n'y aurait pas une seule fibre des coeurs contemporains qui ne s'émût d'indignation et d'horreur. Ainsi marche la lumière morale, comme une colonne de feu de plus en plus riche en lumière, à la tête de l'humanité, éclairant de plus en plus les peuples, les améliorant dans les limites de In nature humaine, et formant comme l'esprit visible de l'humanité elle-même dans le sein mobile des générations qui se succèdent, héritage qu'elles se transmettent comme un patrimoine légué par les ancêtres, et que les fils pieux doivent agrandir et féconder pour le confier, à leur tour, au pieux labeur de leurs descendants. Beaux-Arts.--Salon de 1843 PREMIER ARTICLE.. Voyez pages 41, 56, 68, 88 et 120 TABLEAUX ET SCULPTURES. _M. Devéria Achille.--Translation de la sainte case de la Vierge._--La mythologie chrétienne a souvent fait le désespoir des poètes, et depuis Dante jusqu'à l'auteur des _Martyrs_, ils se sont épuisés à décrire cette milice céleste, qui, malgré ses doubles ailes et ses brûlantes auréoles, ne les inspirait pas comme autrefois les nymphes profanes, simplement couronnées de feuillages. Mais, en revanche, la peinture doit de belles actions de grâces aux anges, aux chérubins, aux têtes ailées: l'original n'existant pas, la copie pourra se recommencer jusqu'à la lin des siècles, sans monotonie d'ailleurs, à moins qu'un ange ne descende lui-même un jour dans l'atelier d'un peintre, et ne lui révèle enfin l'archétype lumineux, vainement cherché par les imaginations humaines. M. A. Devéria a pris pour sujet la légende merveilleuse de Notre-Dame-de-Lorette: quatre anges transportent à travers les airs la maison que la Vierge habitait à Nazareth; sur le faîte. Marie est assise elle-même avec l'enfant Jésus, pour choisir le lieu ou elle établira cette précieuse demeure. Autour de la Madone brillent de larges rayons ou plutôt des lames d'or disposées en éventail, et inscrites elles-mêmes dans un cercle lumineux tout semé de têtes d'anges: enfin, un choeur d'innombrables étoiles remplit le ciel et accompagne la pérégrination aérienne de la sainte case. M. Devéria a su rendre, avec la richesse ordinaire de son pinceau, le magnifique voyage dont la légende d'ailleurs lui imposait tous les détails. La figure de la Vierge est particulièrement belle et sereine; peut-être même l'immobilité des draperies a-t-elle été exagérée par le peintre, les anges vont vite, s'il faut en croire Milton: nous devrions sentir le vent de leur course, et, comme il est dit dans _le Paradis perdu_, l'air devrait être _vanné par les plumes de leurs ailes_ Les anges qui supportent la sainte case, dans le tableau de M. A. Devéria, ressemblent presque à d'heureuses cariatides gracieusement sculptées sous la divine maison: leurs ailes ne s'agitent point, leurs pieds s'entre-croisent comme pour le repos; on dirait que tout le saint cortège fait une halte et s'arrête pour prendre haleine.--Cette critique d'ailleurs, n'infirme en rien les éloges que nous avons donnés à la savante exécution de cette grande toile, reléguée à l'extrémité de la grande galerie, tandis que l'on voit au salon carré plusieurs tableaux religieux d'une complète insignifiance. _M. Charlet.--Un Convoi de blessés._--M. Charlet est avant tout, un homme d'esprit; ses dessins, ses tableaux ne sont proprement que de l'esprit visible aux yeux, de l'esprit mis en couleur; sur ses toiles, il y a telle figure qui vaut mieux qu'un vaudeville, tel nez rouge ou bleu qui touche à la haute comédie. Duclos croyait émettre une profonde vérité lorsqu'il disait: «L'esprit sert à tout, et ne supplée jamais à rien.» M. Charlet dément chaque jour l'apophthègme du moraliste; assurément M. Charlet n'est ni un grand peintre ni un grand dessinateur, il le sait bien lui-même il ne s'en inquiète guère, certain que son esprit enrichira la plus pauvre et la plus terne de ses couleurs, harmonisera ses tons les plus disparates, adoucira les plus crus, saura même donner de la correction aux lignes incorrectes, et de la vraisemblance aux invraisemblables. Pour décrire le tableau de M. Charlet, il faudrait avoir sa verve intarissable, il faudrait analyser chaque groupe chaque figure isolée, chaque trait pris à part: nous laissons cette tâche difficile à l'esprit de nos lecteurs, en plaçant sous leurs yeux une gravure qui reproduit fidèlement la toile de M. Charlet. _M. Maindron.--L'Enfant et le Chien_, groupe en marbre.--Nous avons déjà, dans un précédent article, rendu justice à la grâce parfaite, à la vérité touchante de ce groupe: nous ne saurions mieux prouver combien nos éloges étaient légitimes, qu'en illustrant aujourd'hui l'oeuvre elle-même. Peut-être notre copie suffira-t-elle à donner une idée du modèle. _M. Couture.--Un Ménestrel._--Le bachelier de la gaie science, du _gentil savoir_, est assis sur une pierre, les jambes à demi croisées; deux belles jeunes filles l'écoutent, le sourire sur les lèvres et dans les yeux; et des enfants, petits pâtres quelque peu déguenillés, se pressent autour du maestro, qui leur déduit les _leys d'amors_ ou _flors du guay saber._ Chacun s'est arrêté devant ce tableau, d'une belle couleur et d'une touche vigoureuse; chacun a loué la vérité gracieuse des figures et des poses, l'originalité charmante des diverses physionomies. Cependant la toile de M. Couture n'est pas irréprochable, il s'en faut de beaucoup. La tête du ménestrel rappelle celle de l'enfant prodigue, et peut-être, par cela même, convient-elle assez peu sur les épaules d'un troubadour. Un défaut plus grave dépare surtout le tableau de M. Couture: ses figures semblent poser isolément, comme elles faisaient dans l'atelier, elles regardent le spectateur plutôt qu'elles ne se regardent entre elles, et paraissent chacune exclusivement occupée de son sourire particulier, de son expression individuelle. Nous épargnons à M. Couture quelques autres critiques de détail que lui ont déjà faites plusieurs feuilletons. Au total, ce tableau, qui est évidemment l'oeuvre d'un jeune homme, et ressemble beaucoup à une ébauche, annonce cependant des qualités solides et un talent remarquable, et nous ne doutons pas que M. Couture ne tienne un des premiers rangs aux future expositions. _M. Dantan aîné.--Petit modèle de sa grande statue de Duquesne._-L'uniforme d'un amiral n'est pas beaucoup plus favorable à la statuaire que celui d'un adjoint au maire ou d'un officier de santé M. Dantan a su néanmoins tirer parti de ces vêtements peu pittoresques; la pose de Duquesne est belle et fière, sans rodomontade ni crânerie: pour peu que l'amiral voulût quitter son habit d'ordonnance et ses oripeaux officiels, il pourrait bien faire une statue héroïque. Le modèle est d'ailleurs exécuté dans de si petites proportions, qu'on ne saurait, sans témérité, en rien conclure entre la statue colossale qui décore une des places de Dieppe. [Illustration: Translation de la sainte case de la Vierge, par Devéria.] Nous ne voulons point terminer notre revue du Salon de 1843, sans dire quelques mots au moins de plusieurs tableaux remarquables dont nous n'avons pas encore parlé, et que nous regrettons surtout de ne pouvoir illustrer. Il entre aussi dans notre pensée de réparer maints oublis de la critique et, d'autre part, d'adoucir quelques-uns de ses jugements les plus sévères. [Illustration: (L'Enfant et le Chien, groupe en marbre, par Maindron.)] _M. Rodolphe Lehmann.--Vendangeuse italienne._--M. Lehmann ne s'est peut-être pas assez défendu des réminiscences, et sa vendangeuse rappelle un peu sa moissonneuse _Chiarruccia_. Cette simple étude cependant vaut elle seule un grand tableau; elle révèle un pinceau des plus vigoureux et des plus riches; la force surtout domine dans la tête et le corsage, et la beauté lui semble subordonnée; c'est une chaude création, que l'on dirait avoir été conçue et accomplie sous le soleil brûlant de Naples ou de Rome. M. Rodolphe Lehmann a sans doute, comme Léopold Robert, long-temps et mûrement étudié les maîtres italiens, et nous ne doutons pas que sa puissante couleur et son riche dessin ne lui assurent une place distinguée parmi nos peintres, qui pèchent si souvent par la pâleur, la mollesse et la pauvreté des formes. M. Poirot, dont le nom se rattache aux plus beaux travaux de l'expédition de Morée, est au premier rang parmi les peintres qui ont eu le courage de ne point abandonner le genre architectural. M. le capitaine Baccuet, qui vient après lui, à distance respectueuse, nous a donné l'Arc de Djimilah comme souvenir de l'expédition scientifique et artistique d'Algérie M. Cassel se maintient au rang qu'il avait conquis par son _Christ au Jardin des Oliviers_. M. Menn est un peintre de l'école de Rubens, que Rubens ne désavouerait pas parmi ses meilleurs élèves. _Le Cimetière arabe_, de M. Léon Vinit, était dignement placé dans le salon carré, _Le départ de Guillaume le Conquérant_, de M. Lebon, et le _Jean Bart_, de M. Vester, sont deux toiles remarquables. Les charmants intérieurs de M. Couder méritent aussi une mention particulière. Enfin, M. Penguilly-l'Haridon continue hardiment Callot dans son spirituel dessin des _Fourberies de Scapin_: c'est à lui qu'on peut appliquer le fameux vers: Ille Calotanae referens deliria dextrae.... Nous avons déjà mentionné avec grands éloges les portraits de MM. Hippolyte Flandrin, Belloc et Couture; il nous reste à parler encore de quelques portraitistes distingués. _M. Guignet_ a soutenu dignement la juste réputation que lui avaient faite ses précédents portraits, et surtout celui du sculpteur Pradier. M. Guignet ne se contente pas de donner à ses portraits une ressemblance saisissante, incontestable lors même qu'on ne connaît pas le modèle, mais il sait aussi heureusement disposer ses figures; il drape élégamment le corps, et sauve autant que possible la vulgarité de nos vêtements modernes. Chacun des portraits de M. Guignet est à lui seul une habile et heureuse composition: le musicien a une lyre à ses pieds, l'historien s'appuie sur un in-folio, et ces attributs allégoriques sont si habilement dessinés, si ingénieusement peints, qu'ils semblent relever encore et ennoblir la figure que le peintre a représentée. M. Guignet possède en outre le secret d'accuser vigoureusement les lumières par l'intensité de ses ombres, et de faire ainsi vivement ressortir ses portraits; enfin l'architecture, qui forme d'habitude le fond de ses tableaux, contribue à donner aux modèles une sorte de grandeur et de dignité romaine; disons d'ailleurs que ces modèles se prêtent d'ordinaire à ce genre de portrait _héroïque_. M. Guignet a sur les autres portraitistes un grand avantage: il peint le plus souvent des figures bien connues, aimées du publie, des artistes célèbres, des écrivains distingués; ainsi, cette année, chacun s'arrêtait avec plaisir devant le portrait de M. Théodose Burette, et le peintre semblait, en vérité, fort redevable à l'historien. _M. Guignet jeune_ s'est montré digne de son frère, et sa _Retraite des dix mille_, surtout en l'absence de Decamps, méritait d'être comptée parmi les belles pages d'histoire du salon. _M. Bonne-Grâce_ a peint un des plus spirituels professeurs de la Sorbonne, M. Gérusez. C'est encore là pour le peintre une de ces bonnes fortunes dont nous parlions tout à l'heure à propos de M. Guignet. La ressemblance n'est pas d'ailleurs le seul mérite de ce double portrait (M. Gérusez y est peint avec son jeune fils); le dessin et la couleur méritent des éloges. _Madame Pensotti_ se recommande aussi par un excellent portrait, celui de madame Faustin Hélie, femme du criminaliste. _M. Rudder_ a modestement intitulé _Tête d'étude_ un des portraits les plus simples et les plus nobles de l'exposition. M. Brian, le sculpteur, doit aussi marquer honorablement parmi les portraitistes: ses deux excellents bustes, surtout celui de M. E. Pelletan, valent mieux que bien des statues colossales. Les portraits de M. Coelès valent mieux, à notre avis, que son tableau historique. Enfin, nous croyons devoir une mention toute spéciale à _M. Grevedon_. M Grevedon, comme chacun sait, est un de nos lithographes les plus distingués; ses innombrables portraits, populaires entre tous, révèlent un talent remarquable qui lui eût, sans aucun doute, assuré une place honorable dans la peinture, s'il n'avait préféré être le premier dans le portrait lithographie. Cette année-ci, cependant, M. Grevedon a envoyé au Salon deux portraits peints, entre autres celui d'une jeune et charmante Espagnole. Il est fort surprenant que les journaux n'aient pas daigné dire un mot d'éloge ou de blâme sur ces deux portraits, que le nom seul de l'auteur recommandait à l'attention, je dirai même à la bienveillance de la critique. Pour notre part, nous félicitons sincèrement M. Grevedon de cette double tentative, qui nous semble couronnée d'un très-beau succès. Quelques mots sur les paysagistes.--Nous passerons à dessein sous silence la nouvelle églogue de M. _Corot_, nous réservant de parler de ce peintre, à propos de l'exposition du boulevard Bonne-Nouvelle, qu'il a bien voulu honorer d'un de ses paysages. [Illustration: Un Convoi de blessés, par Charlet.] _M. Ed. Bertin_ peint toujours une nature grave, pensive, stoïque jusqu'à l'affectation; il semble qu'il y ait une ostentation de sévérité, une âpreté calculée, dans ces arbres ébranchés par la tête et monstrueux par la base, dans ces rochers gris et volcaniques dégarnis de plantes et de mousses, et faisant saillie à tous les coins du paysage, comme la charpente osseuse sur un corps amaigri. La prétention se voit sous la simplicité: c'est le manteau troué de Diogène. [Illustration: (Un Ménestrel, par Couture.)] Les tableaux de M. Bertin ressemblent à ces livres qu'on ne peut lire et goûter que dans certaines dispositions de tristesse morale et de mélancolie contemplative: c'est une campagne ascétique, et au lieu du pâtre qui l'habite solitairement, nous y placerions plutôt saint Paul ou saint Augustin. Il y a, par exemple, tel chapitre des _Confessions_ qui se passerait volontiers dans ces paysages désolés du M. Bertin. _M. Gaspard Lacroix._--Ce n'est plus la nature austère, pensive et dépouillée de M. Ed. Bertin, ni l'aspect indécis, voilé, transparent des paysages de _Diaz_ ou de _Nanteuil_; c'est une nature réelle, précise, vue avec de très-bons yeux, et prise sur le fait, à ciel découvert. Les paysages de G. Lacroix ont un aspect printanier; ils offrent une végétation luxuriante et touffue: toutes les plantes en sont réellement animées, sans qu'on y voie aucun des mille animaux qui peuplent les tableaux de Breughel; mais à coup sûr on sent que d'invisibles insectes fourmillent sous ces gazons vigoureux: La mousse épaisse et verte abonde au pied des chênes. Peut-être pourrait-on reprocher à M. Lacroix un excès de curiosité d'artiste. Il semble qu'il soit épris du soleil et de la verdure, moins pour la tiédeur des rayons ou la fraîcheur de l'ombre, que pour les jolis effets de lumière, pour les contrastes heureux de jour et d'obscurité. Le charme des détails fait oublier au peintre non-seulement l'impression, mais encore l'harmonie de l'ensemble. _M. H. Blanchard_ met dans toutes ses toiles un excès de propreté qui nuit à la vérité et même à la vraisemblance; jamais ses terrains n'ont un grain de poussière, ses rochers semblent toujours lavés, ses feuillages toujours frais et luisants comme après une pluie de printemps. Ce défaut est surtout sensible dans le petit paysage que M. Blanchard a exposé cette année: les gazons y paraissent tondus et peignés, les feuilles époussetées et soigneusement arrosées, les chèvres et les moutons feignent de brouter cette herbe, mais en réalité ils ne font que la lécher. [Illustration: Statue de Duquesne, petit modèle, par Dantan aîné.] M. Blanchard rachète d'ailleurs ce défaut, qui contrarie tant l'impression poétique, par des qualités éminentes d'exécution, par l'harmonie de sa couleur, le choix heureux de ses sujets et l'excellente distribution de la lumière.--Il lui faudrait seulement un peu plus de fantaisie. _M. Alp. Teytaud_ mérite peut-être, après._M. Hostein_, la première place parmi les paysagistes de cette année, moins encore parce qu'il a déjà produit que par les promesses que semble faire son beau talent. M. Teytaud est un paysagiste très-idéaliste; il paraît avoir fait une étude profonde du Poussin et s'inspire sans cesse du sentiment triste et sévère de ce maître. Ses paysages sont entièrement composés: le peintre réunit sur une seule toile des arbres, des plantes, des eaux qu'il a observées, étudiées dans le nord, dans le midi, dans les montagnes et dans les plaines. Par suite de ce système, il arrive que l'artiste tente quelquefois un mélange, une synthèse impossible.--Ce qui domine surtout dans les toiles de M. Teytaud, c'est le sentiment du repos: ses eaux semblent glacées, il n'y a pas un souffle d'air dans ses feuillages. «Un paysage sans vent, disait Jean Paul, c'est une tapisserie verte clouée sur une muraille.» Malgré toutes ces critiques, nous saluons volontiers l'avènement de M. Teytaud, et nous espérons qu'il passera les espérances que ses amis et ses admirateurs ont d'abord conçues vis-à-vis de ses premières toiles. Nous devons signaler aussi avec éloges une vallée un peu pâle et un peu chimérique de._M. Lessieur_, et un petit paysage de _M. Gabriel Bourret_, sous ce titre: _Vue des mares en Normandie_. Les deux toiles se recommandent par des mérites divers, et annoncent deux artistes distingués, dont le talent se révélera mieux encore aux prochaines Expositions. N'oublions pas enfin un charmant tableau de M. Dounault, _les Paysagistes en voyage_, déjà illustré par _la France littéraire_, et donnons une mention honorable aux paysages si fins et si francs à la fois de Léon Fleury. La fin de Don Juan. NOTE PRÉLIMINAIRE. On commence à se préoccuper assez vivement, en Angleterre, de la prochaine publication des huit derniers chants du _Don Juan_ de lord Byron. On sait que cette épopée si étrange, ce défi moqueur jeté à la société humaine, et surtout à la société anglaise, semblait arrêtée à jamais au seizième chant, sans que rien pût faire supposer que le grand poète eût laissé quelque part les huit derniers chants qu'il avait promis à son oeuvre, ou au moins les matériaux préparés, les fragments qui pourraient la compléter. Cependant, au commencement de cette année, le bruit se répandit que M. Gaspard Nicolini, de Gênes, qui avait eu avec lord Byron des relations assez intimes avant son dernier départ pour la Grèce, avait en sa possession de nombreux papiers, parmi lesquels se trouvent les derniers chants du _Don Juan._ Ces pièces importantes, que M. Nicolini refusa de communiquer à Thomas Moore, et ne songea même pas à présenter à lady Byron, parvinrent bientôt en Angleterre, où leur publication se prépare avec activité. C'est cette publication préparée qui a pu être communiquée à l'un de nos collaborateurs. Nous donnons ici la traduction qu'il a faite, pour notre Collection, du premier chant de cette suite. Il nous serait difficile de justifier de l'authenticité de ces détails et de cette origine; nous ne combattrons point les doutes qu'ils pourraient soulever, et nous ne nous trouvons aucunement en mesure de répondre aux critiques, aux réclamations qu'ils pourraient nous attirer. Ce qui est plus nécessaire, peut-être, c'est, au commencement de cette publication, qui se lie si étroitement aux derniers chants du poème, de rappeler en peu de mots les noms et les circonstances qui se rencontrent dans la première partie de cette extraordinaire épopée. Don Juan, après avoir promené son adolescence et sa jeunesse en Espagne et en Orient, au milieu des aventures les plus poétiques, s'échappe du sérail, se rend au camp des Russes et assiste au siège d'Ismail. A ce siège, si admirablement peint par le grand poète, Juan sauve de la mort une jeune fille de dix ans; c'est Leila, qu'il n'abandonnera plus désormais, et qu'il emmène avec lui en Russie, où le général Souwarow l'envoie donner à Catherine la nouvelle de la victoire. A peine arrivé à la cour, Juan devient le favori de la czarine. Tout comblé d'honneurs et de richesses, il tombe malade, et, pour recouvrer la santé dans un climat plus doux, Catherine l'envoie avec une mission secrète en Angleterre. C'est alors que se lit cette piquante satire de la société anglaise et de Londres, dans laquelle Byron semble s'être tant complu. Don Juan arrive bientôt au château de lord Henry et de sa noble épouse, _lady Adeline_. La fête de Noël survient: lady Adeline a réuni pour ce temps de fêtes la fleur de l'aristocratie anglaise et la foule des voisins du château. De là des peintures charmantes, parmi lesquelles éclatent surtout celles de la charmante et naïve _Aurora_, de l'altière et audacieuse _duchesse de Fitz-Fulke_, que poursuit avec la plus ridicule assurance un jeune fat, lord Fitz-Plantagenet. Juan, qu'agite une triple et vague tendresse pour ces trois femmes, Adeline, Aurora et la duchesse, est surpris pendant la nuit par l'apparition d'un fantôme couvert des habits d'un moine, qui le regarde fixement et disparaît. C'est le _moine noir_, le sujet d'une tradition et d'une légende domestique, que le lendemain Adeline chante à don Juan. La curiosité l'excite, et la nuit suivante il épie le retour du moine noir. Son attente n'est pas trompée: le fantôme apparait dans l'obscurité d'un corridor; mais, voulant pousser la chose à bout, Juan surmonte une première frayeur, court au moine, l'atteint; mais, au lieu d'un être surnaturel, il reconnaît, au milieu d'une atmosphère parfumée et des boucles abondantes de cheveux blonds, le ravissant fantôme de _sa folâtre excellence, la duchesse de Fitz-Fulke_. Tels sont les derniers mots et la dernière circonstance du seizième chant. Là se termine ou plutôt s'arrête ce poème; là aussi commence le dix-septième chant dont nous donnons la traduction[2]. [Note 2: En marge du manuscrit se trouvaient également huit stances d'un autre commencement du dix-septième chant, et lord Byron paraît avoir renoncé à ce début; mais nous avons pensé qu'il y avait quelque intérêt à donner ici cette importante variante.] DON JUAN. CHANT DIX-SEPTIÈME. I. Ne froncez pas le sourcil, Murray, vous le Jupiter des livres, de peur que don Juan ne meure à ce signe. ET pourquoi le libraire des libraires s'indignerait-il? s'agit-il donc encore d'un _orageux mystère?_[3] Ô très-grand et très-bon Murray! n'allez pas frissonner comme faisait don Juan en face du fantôme espiègle de la duchesse de Fitz-Fulke, lorsqu'il touchait un sein palpitant et que ses doigts tressaillaient sur les battements de ce noble coeur. II. Vous aussi, Gifford [4], vous vous indignez! Eh quoi! ne voilà-t-il pas encore l'ombre du grand Johnson qui se dresse sévère et élargissant lus sphères de ses yeux vides? Elle aussi, la _Revue d'Édimbourg_, met en riant ses fers infamants au feu de sa forge, prête à en stigmatiser mes vers! [Note 3: _Cain_, mystère qui avait suscité de grands embarras à Murray, libraire de Byron.] [Note 4: _Gifford_, ami de lord Byron, et chargé de réviser ses ouvrages,] I. Heroes are men, and man is heav'n knows what, A yea, and else a nay, a Gordian riddle, An Alexander perhaps may cut the knot Some future day, and thus, just in the middle Of all our ruminatings on our lot, Show us that all our reasoning is but fiddle-- Faddle, and all our boasted hard-earned knowledge, Is even less than what I learnt at college. II Heroes are more than men; mine's more than any. If he's a hero who can love and hate. As few can do, yet look just like the many; Who has a mind so poised by the weight Of his own worth, that e'en without a penny, Or one poor menial slave to grace his state, He'd feel as soaring and as proud of heart, As Rothschild's self or even Bonaparte. III. How many heroes never had a name! How many that have had one have none now! Renown like Fortune is a fickle dame, Nor lights her halo up on ev'ry brow. And yet who is there would not feel her flame! E'en I myself sometimes would, I avow: And should not like to see Oblivion's finger One day snuff out what might around me linger. IV. Yet after all, as I've said already, Fame is but fume, a motion of the mind, A very pleasant draught, but somewhat heady, As many oft have found and yet may find; Its only fault is that it makes unsteady Our very best resolves and seems design'd, Just like most good things as Champaign and Hock; Only to make us go off on half-cock. V. Now Juan was a hero as I've said, Or shall be one which will do quite as well, 'Tis not alone the "unforgotten dead" The Poet can embalm within his spell. A Pitt or Luther, when his soul has sped, Is but a name like him of whom I tell. The shade 'twixt real and fictitious glory, Is living in history or in a story. VI. But Juan was a hero, or at least, Felt like a hero 'neath her grace's look, I will not say he made himself a beast, Such as Sterne tells us he did, in his book, When near Maria (true Sterne was a priest. And as a priest some strange vagaries took). But this I know that Juan then did feel. If not a beast-like, yet a priest-like zeal. VII And sad it is to think he should feel so, My candid reader, both for you and me. For if things take a natural course you know, Why they may chance to shock your modesty, If you have any: yet, indeed, I trow To be without it is almost an oddity, 'Tis common now-a-days; though folks 'tis said Ne'er fail to doff it when they go to bed. VIII. So Juan felt beneath her grace's eye As, I have sung, and I confess his feeling Acts strongly on my own, I can't tell why; But as I like plain, honest, upright dealing, I'll e'en confess I'm half afraid to try Another line; my pen's, like Juan, reeling; For 'tis indeed an awkward situation, Might end in.... heav'ns!--now don't say what--flirtation. (Qu'il y songe! ce Briarée aux cent plumes!) [5] et puis (tenez votre rire, mes amis) le masque du pudique _Little_ [6] se couvre, à la pensée de ce qui va arriver, de je ne sais quel rouge qu'il nomme de la rougeur. [Note 5: La _Revue d'Édimbourg_. Voir la satire de Byron intitulée: _English Bards and Scotch reviewers_.] [Note 6: _Little_. Thomas Moore a publié, sous ce pseudonyme, des poèmes un peu plus qu'anacréontiques.] III. Croyez-vous donc, Gifford, aux faits nécessaires? avez-vous partagé cette insigne folie des probabilités qui réduisent l'avenir au calcul, mathématisant avec du hasard, et additionnant le fortuit, comme ils font de leurs X? Oh! ne savez-vous pas, Gifford, mon maître, qu'il y a des abîmes entre les deux idées qui vont se succéder, et qu'entre le tressaillement de la main de don Juan et ce qui d'avance fait rougir Little, il y a un monde, et peut-être la fin du monde? IV. Oui, la fin du monde; à tout prendre, ce serait une merveilleuse façon de sortir de cette anxiété, et ce ne serait pas de trop pour apaiser le courroux de Johnson et rendre au sourcil de Murray sa courbe habituelle. N'en plaisantez pas, Gifford, le moyen n'est pas trop exagéré pour me sauver de cet embarras; car ce moyen fera bien d'autres choses: il tuera du même coup Babylone et une fourmi, un Walter Scott et un Southey[7]. Pardon, Scott! [Note 7: _Southey_. Le poète Laurent, ennemi de Byron.] V. Il coupera par le milieu, au même moment, la parole d'un Fox et la grimace d'un *****, le coup d'épée de Napoléon (qui n'en donna jamais) et le coup de bâton de polichinelle, le flot de l'Océan qui tonne, et la roulade de la cantatrice; que de choses incomplètes, Gifford! que de Voltaires manqués! que de grandeurs inachevées! que de petitesses éteintes à ce moment suprême! Décidément, voici la fin du monde. VI. Au dernier vers de la dernière stance du seizième chant de don Juan, il arriva ceci, que la terre fut détruite. Une comète ardente s'était abattue sur elle et s'était comme engravée dans les profondeurs creusées par sa chute. L'astre avait enroulé le globe de ses cheveux de feu et l'en éteignait de toutes parts. La terre poussa d'horribles mugissements de douleur, les planètes en furent troublées dans leur marche, et dans leurs cercles reculés Jupiter et Saturne en furent émus. VII. L'incendie avait éclaté dans l'Asie. On eût dit d'une mer de feu qui montait sans cesse, entraînant dans ses flots rouges les villes qui fondaient comme la cire, se brisant contre les montagnes, se soulevant jusqu'à leurs crêtes et lançant en vapeur leurs glaciers éternels; et quand elles étaient desséchées, les montagnes se brisaient d'elles-mêmes, s'entrouvraient et tombaient, comme la chaux que l'eau vient de dissoudre, dans cette mer enflammée, qui les dévorait. VIII. Puis l'Afrique, ses déserts de sable, surpris par le souffle de feu qui venait, se calcinèrent en une contrée de cristal; mais cette métamorphose fut courte. L'incendie accourut à la suite de son souffle, et les plaines vitrifiées se réduisirent en cendres. L'Europe périt aussi tout entière: les glaces du pôle bouillonnèrent, et, s'étant dissipées, laissèrent à nu l'axe de fer sur lequel la terre avait incessamment pivoté jusqu'à ce moment de douleur et de mort. IX. Car les convulsions de la nature étaient grandes. Pour l'homme, sa douleur n'était rien, sa voix était soudainement étouffée, et il ne lui était pas même laissé le temps d'invoquer ses dieux. Car aux vapeurs approchantes de l'incendie, ils mouraient frappés, dissous en cendres impalpables, comme si le feu les eût déjà atteints. Les temples et leurs dieux étaient aussi consumés avec les pensées, les ambitions, les amours et les haines. X Alors, la mer de feu, vainqueur du pôle aux extrémités de l'Afrique, se déploya devant l'Océan. Ce fut une bataille terrible. Les deux ennemis face à face s'armèrent de toute leur puissance: l'incendie élevait ses mille pyramides, l'Océan lui opposait jusque dans la nue ses vagues gigantesques. Tous deux s'entrelaçaient, et tandis que les flammes traversaient les vagues et brûlaient au milieu d'elles, ailleurs c'étaient les vagues qui s'abattaient sur les flammes pour les écraser et les éteindre. XI. L'Océan rugissait furieux aux affreux sifflements de son ennemi; mais les embrasements de la terre qui se consumait fournissaient sans relâche à celui-ci des forces nouvelles. La mer, au contraire, s'affaiblissait de plus en plus en vapeurs; ses vagues retombaient brûlantes dans son sein; les rives de feu la pressaient et marchaient en avant. Sa force l'abandonna, elle se reposa calme, comme un martyr résigné à la mort; elle n'opposa plus rien aux faux vainqueurs, et, exhalant ses derniers soupirs, elle laissa à nu ses profondeurs palpitantes et calcinées. XII. Il n'y eut plus de mer! il n'y eut plus de combat! L'incendie, agrandi de sa victoire, passa. Il dévora les îles; l'Amérique tout entière se tordit comme une corde au feu; les volcans eux-mêmes n'étaient pas épargnés. Comme si l'incendie céleste eût dédaigné de reconnaître ces flammes décolorées et froides de la terre, il insultait à leur inertie, il mettait le feu à leurs feux et il enflammait leurs flammes. XIII. C'en était fait de la terre: un vêtement de feu l'enveloppait de toutes parts; ses entrailles brûlaient aussi et dardaient jusqu'aux cieux les métaux liquéfiés. Cependant ce squelette consumé par l'incendie implacable s'amoindrissait de plus en plus; les flammes elles-mêmes s'affaiblissaient autour de ce globe de cendres et rampaient humbles et expirantes; il n'y avait plus rien à dévorer. L'incendie vainqueur succomba sur le corps de sa victime, et sa dernière flamme se perdit dans les airs avec un bruit léger. XIV. Alors vint un grand vent... Il brisa ce noyau de cendres et le dissipa en nuages obscurs dans l'espace. Il ne resta plus rien de la terre, pas même la ruine qui marque ce qui a été. Rayée du nombre des mondes, elle disparut; son atmosphère fut anéantie aussi, et les sphères des autres planètes, se rapprochant avec une grande secousse, envahirent la sienne et formèrent un nouvel ordre. XV. Don Juan et la folle duchesse de Fitz-Fulke avaient aussi disparu avec les débris de la terre, et remarquez l'immense développement que donna cet incendie à ma _Juanude_ ou à ma _Juaneida_, comme il vous plaira de l'intituler, car mes personnages ne vont plus désormais ramper sur la terre, mais leurs âmes immatérielles se répandront dans l'univers avec leur coquetterie et leurs amours. XVI. Il n'y aura plus de terre, mais il y aura l'espace. Adeline ira à tire-d'aile se réfugier dans l'anneau de Saturne, et s'y balancer comme une goutte de rosée à la fleur qui vacille avec elle; l'âme de don Juan poursuivra la folle immatérialité de la duchesse au travers des étoiles, tandis que le jaloux Fitz-Plantagenet enfourchera quelque comète errante pour atteindre ces âmes amoureuses. XVII. Car la scène serait élargie; elle aurait l'univers pour lieu et le temps pour durée: la virginale Aurora irait aussi promener ses rêveries au milieu des cieux, et absorbée dans les tendres idées qu'elle ne démêle pas bien elle-même, elle s'en irait préoccupée et pensive, heurter une étoile qui fuirait effrayée du choc..... Mais c'en est assez, je suis harassé de cette poésie, et me voici de retour dans le corridor de Norman-Abbey. XVIII. Don Juan, comme vous le savez, venait de sentir sa main palpiter sur la taille palpitante de la duchesse, lorsque..... tout à coup un bruit se fit entendre à l'extrémité du corridor. Aussitôt sa main retombe d'elle-même. La duchesse se dresse froide et inquiète, et leurs yeux, qui ne voyaient pas dans l'obscurité, se tournèrent cependant vers le bruit, comme pour le regarder et le mieux entendre. XIX. Et maintenant, ô Little, très-pudibond Little vous comprenez que la fin du monde n'était point nécessaire pour rassurer votre timidité.--Tous deux écoutant, retenant leur haleine: ils aspiraient, le cou tendu les moindres parcelles du bruit, les plus légers atomes qui troublaient la silencieuse sérénité de cette nuit.--Ils crurent entendre quelques pas, et bientôt après un faible rayon de lumière vint scintiller à leurs yeux. XX. Mais déjà la duchesse avait deviné ce qu'elle n'avait pu voir, car les femmes sont toutes ainsi; elles ont un vingtième sens qui devine et pressent; il y a dans elles de l'instinct et de l'inspiration du prophète, quand l'homme raisonne encore, elles savent déjà. Lady Fitz-Fulke, pour échapper à quelque sotte catastrophe, avait donc poursuivi son rôle de fantôme et, glissant comme une ombre, avait disparu. _La suite à un prochain numéro._ La Phrénologie CHANSONNETTE. [Illustration.] Parole» de M. Durandeau Musique de M G Héquet. [Partition musicale.] Théâtres. _Mademoiselle de La Vallière_, drame en cinq actes et en vers, de M. ADOLPHE DUMAS.--_L'Homme de Paille_.--_Les Cuisines._ On ne reprochera pas à M. Adolphe Dumas de manquer de hardiesse; aucun fait ne l'a intimidé, aucun nom ne l'a fait reculer: ni les amours, ni les intrigues de Versailles, ni la cour, ni le ciel, ni Dieu, ni le roi; Anne d'Autriche, Montespan, Soissons, Henriette d'Orléans, Louis XIV, Molière, Guise, Condé, Bossuet, Fontainebleau et les Carmélites, la vie et la mort, M. Adolphe Dumas a tout mis intrépidement dans son drame. Il a été réprimandé de cette audace par plus d'un critique rigide. Comment avez-vous pu tenter une telle entreprise? lui a-t-on dit. Comment vous êtes-vous senti assez de vérité et de puissance, pour faire agir et parler de tels hommes et de telles femmes? Qui vous a dévoilé le secret de tant de génies puissants et de tant de coeurs amoureux? Quoi! en même temps, la tendresse de La Vallière, la fiére passion de Louis XIV, le regard profond et mélancolique de Molière, la grande voix chrétienne de Bossuet! y songez-vous? Par quel art donner leur vie propre, leurs sentiments véritables, leur langage réel à tous ces morts, si diversement curieux et célèbres? La réponse de M. Adolphe Dumas est concluante.--On n'a pas besoin de s'inquiéter si fort: la vérité, il s'en débarrasse comme d'un bagage inutile, la ressemblance, c'est la chose dont il s'est médiocrement soucié. Les noms de ses personnages sont réels, il est vrai, mais les personnages ne le sont pas, ou ne le sont guère. En un mot, M. Adolphe Dumas a suivi la mode du drame capricieux; il a ouvert un champ libre à l'imagination. Sous l'enseigne de l'histoire, le poète établit un magasin de fantaisie; l'histoire, pour M. Adolphe Dumas, est le prétexte, la fantaisie est la réalité; ou plutôt, comme l'a dit un autre Dumas, l'histoire est le clou que l'auteur a planté dans la muraille pour y attacher--son chapeau? Non pas, mais son drame. Qu'on ne s'étonne donc de rien de la part de M. Adolphe Dumas: Louis XIV lève sa canne sur un ambassadeur: la fantaisie! Guise se laisse insulter en pleine cour par un comédien: la fantaisie! Mademoiselle de La Vallière dit en présence du roi, à madame de Soissons: «Vous en avez menti!» la fantaisie! Bossuet donne la main à Molière et fraternise avec lui: la fantaisie! Molière est duelliste, insolent, et rudement de morale et de vertu: la fantaisie! Que vous dirai-je? de fantaisie en fantaisie, on arrive, avec M. Adolphe Dumas, a visiter un Versailles et un siècle de Louis XIV à peu près fantastiques. Si vous en demandez la raison au poète: «Car tel est notre bon plaisir,» dira-t-il. Que répondre à cela, sinon que le bon plaisir a mené plus d'un roi et plus d'un poète à l'abîme? Le drame de M. Adolphe Dumas commence par une scène charmante, et celle-là a bien pu se passer en 1660, en plein dix-septième siècle, dans la cour jeune, galante et amoureuse de Louis XIV. M. Dumas n'est pas toujours dans la supposition; il a d'agréables lueurs de vérité.--Madame de Soissons, madame Henriette d'Orléans, Athénaïs de Mortemart, sont réunies dans une salle voisine de l'appartement de la reine mère. Que font-elles? eh! que peuvent-elles faire, si ce n'est de parler du roi? Louis est jeune, tendre, beau, magnifique. Comment toutes ces âmes amoureuses, toutes ces têtes ardentes ne songeraient-elles pas d'abord au roi, c'est-à-dire à la grâce, au plaisir, à la puissance? Elles y songent donc, elles en rêvent; le nom de Louis est sur leurs lèvres; l'image de Louis est dans leur coeur. Mais qui aimera-t-il? qui choisira-t-il? Louis a passé la nuit dans la galerie: pour quels beaux yeux? Il a ramassé un mouchoir échappé d'une blanche main;... mais de quelle main?--Cependant là-bas, modestement assise et le front baissé, voyez-vous cette blonde jeune fille? elle se tait, tandis que les autres jettent étourdiment leurs espérances et leurs amours au vent; son regard est plein d'un feu voilé; leurs regards hardis étincellent; elle ne dit rien, mais que quelqu'un s'écrie: Si Louis, jeune et roi, n'était pas jeune et roi, Laquelle de fous quatre, enfin, l'aimerait? Moi! murmure-t-elle. Vous avez reconnu La Vallière, et c'est La Vallière en effet. Nous passerons sur un sermon de la reine Anne d'Autriche. N'attristons pas nos amours par la rigidité et les regrets des douairières. Le roi survient; et, pour le coup, tous les yeux et tous les coeurs de ces demoiselles et de ces dames se tournent de son côté. «Je l'ai vu la première,» dit La Vallière tout bas. Parmi res belles impatientes et ambitieuses de plaire, laquelle le regard du Louis cherche-t-il furtivement? La Vallière. La douce fille, pour cacher son trouble, dessine un lis. Un lis?--Le lis royal!--Bien faible, car il plie; On baiserait la main, tant la fleur est jolie. Ainsi se passent ces heures galantes, en coups d'oeil furtifs, en douceurs, en soupirs; puis, on parle de plaisirs et de fêtes. Versailles sera demain le théâtre enchanté des plus rares merveilles; Benserade est à l'oeuvre, et M. de Molière achève _la Princesse d'Élide_. Mais voici Molière en personne; il entre chez le roi, comme s'il était le roi lui-même. Monsieur d'Orléans, le frère de Sa Majesté, n'avait pas le même privilège; s'il s'en fût avisé, Louis XIV l'aurait réprimandé vertement. Quoi qu'il en soit, écoutez Molière: .... Oui, sire, Poquelin! Ce nom vaut bien le nom d'un bâtard orphelin, D'un duc dégénéré, d'un bourgeois gentilhomme; Mon père est tapissier, mon père est un brave homme, Et son fils fera voir un jour, au plus moqueur, Que la noblesse vient de l'esprit et du coeur. Que dites-vous de Molière parlant, à Versailles, de ce ton haut et provoquant? C'en est fait; M. Adolphe Dumas nage en pleine fantaisie, et nous en verrons bien d'autres. A compter de cette entrée de Molière, il faut renvoyer l'histoire chez elle; M. Adolphe Dumas n'en veut plus entendre parler. Il a besoin de l'étrangler et de s'en défaire, pour satisfaire, à son aise, tous ses caprices; l'histoire est donc morte et enterrée; n'en parlons plus Molière et Louis XIV s'arrangent à merveille; deux amis intimes ne feraient pas mieux; deux camarades n'agiraient pas, l'un envers l'autre, avec plus de laisser-aller. Molière confie à Louis XIV ses peines et ses jalousies, et les trahisons de sa femme: A Toulouse j'ai fait rencontre, par hasard, D'une fille, un enfant qu'on nommait la Béjard. Je lui donne mon nom, seul bien dont je dispose, Si le nom de Molière est jamais quelque chose. Enfin, j'aurais donné l'avenir glorieux Et les siècles futurs pour un amour heureux; Sire, eh bien! mon bonheur, dans sa robe adultère, Tous les soirs se déchire aux regards du parterre. A son tour, Louis XIV n'est pas en reste avec Molière; Molière est le dépositaire de l'amour du roi pour La Vallière; mais, le plus étonnant de l'aventure, c'est que Poquelin fait de la morale au roi, et, qu'à part lui, il prend la résolution de soustraire la colombe au vautour royal. Un allié, sur lequel, certes, vous ne comptez pas, se range du côté de Molière dans cette entreprise. Bossuet, de moitié avec l'auteur du _Tartufe_, défend La Vallière contre les attaques de Louis. «Vous êtes un brave homme, dit Molière à Bossuet.--Donnez-moi la main,» répond Bossuet à Molière. N'est-ce pas étrange? Et la fantaisie n'est-elle pas quelquefois une muse par trop singulière? La Vallière ne joue pas un rôle moins original; qu'elle consulte Bossuet, rien de mieux; qu'elle écoute sa voix prévoyante, je n'ai rien à y redire; mais que La Vallière appelle Molière son frère et son ami, voilà qui dépasse ma tolérance. Quoi qu'il en soit, malgré Bossuet et malgré Molière, son frère et ami, La Vallière succombe; elle succombe, non sans excuse! Une tentative de fuite et de violents combats attestent qu'elle ne s'est pas rendue lâchement. Cette pauvre La Vallière est bien à plaindre, en vérité, et je suis tenté de l'absoudre; quelle vertu aurait résisté davantage? et comment se soustraire au regard enivrant de ce roi de vingt ans et à l'éblouissant éclat de cette cour si pleine d'ardeurs et de poésie? Molière lui-même, ce Molière dont M. Adolphe Dumas fait un si rude prédicateur, n'a-t-il pas aidé à cette chute de la vertu? n'est-ce pas lui qui a dit à mademoiselle de La Vallière, dans le prologue de la _Princesse d'Élide._ Soupirez librement pour un amour fidèle, Et bravez ceux qui voudraient vous blâmer: Un coeur tendre est aimable, et le nom de cruelle N'est pas un nom à se faire estimer. Dans le temps où l'on est belle, Rien n'est si beau que d'aimer. D'ailleurs La Vallière commence déjà à expier sa faute: elle essuie les violences de madame de Soissons, et la reine-mère la traite avec dureté. Louis XIV, à en croire M. Dumas, n'est pas le seul ouvrier de cette chute: un certain marquis de Santa-Fior, marquis de contrebande, un drôle, un Scapin, lui a facilité les voies. Ce Santa-Fior, fils original et fantasque, né du cerveau de M. Adolphe Dumas, ne manque ni de verve ni d'esprit; mais il devance les temps, et transporte à la cour de 1669 le baron de Wormspire, beau-père de Robert-Macaire de 1835. Santa-Fior ou Louis, peu importe, La Vallière est vaincue, on ne saurait plus en douter: voyez-la tendrement suspendue au bras de son royal amant, et écoutant ses douces paroles: Blonde comme un soleil, belle comme le jour, Je passerai ma vie à te parler d'amour. --Où voulez-vous aller?--Sous ces ombrages silencieux, dit l'amant; c'est là que mon père, Louis XIII, aimait à s'asseoir: C'est là qu'il est venu, seul avec La Fayette, Comme toi toujours tendre et toujours inquiète. On trouverait encor leurs chiffres amoureux. --Que voulez-vous?--Chercher.--Quoi chercher?--Des heureux: Louis XIII gravant des chiffres amoureux sur les arbres peut sembler un peu bien hasardé, mais les vers sont jolis. Tandis que La Vallière soupire, Molière est insulté par les marquis; que dis-je, par les marquis, non point seulement par les Acaste et les Clitandre, mais par un Guise en personne. C'est ici,--le croiriez-vous?--que Molière met le poing sur la hanche, se pose en bretteur, et provoque M. de Guise: M. de Guise consent à se battre, pour surcroît de merveille; mais le roi survient, et dérange le combat: La royauté, ce soir, soupe avec le génie. Voyons, monsieur, soyez de notre compagnie. A ces mots, le roi s'assied à une table magnifiquement servie, et donne près de lui place à Molière: le banquet est splendide et splendidement illuminé: princes et ducs, duchesses et marquises y prennent part, sur l'ordre de Louis. M. Adolphe Dumas agrandit et orne singulièrement le petit _en cas de nuit_ que le roi fit partager, dit-on, à Molière au nez des courtisans. Louis boit à Molière et à Corneille; Molière riposte en buvant au roi. Soit, Mais que dites-vous de ce qui suit? Louis XIV oblige Guise de choquer le verre avec Molière et que fait Molière? Molière se levant, le verre à la main, porte à Guise et à la noblesse assise à cette table, le _toast_ incroyable que voici: A votre oncle Mayenne, assassin d'Henri Trois! Et, comme si j'étais encore sur mon théâtre, A sa soeur, votre tante, assassin d'Henri Quatre! Sire, permettez-moi, c'est un duel entre nous; Il faut que tout ceci se passe devant vous. Nous autres gens de coeur, nous autres gens de lettres, Nous sommes las des beaux, sire, et des petits-maîtres. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Mais qui donc êtes-vous? C'est une raillerie. Des danseurs!... O héros de la chevalerie: Charlemagne et Roland, voilà les héritiers De ceux de Roncevaux et de ceux de Poitiers. Mais, n'allons pas si haut, ombres chères et vaines! Votre sang est trop vieux et n'est plus dans leurs veines, Mais qui donc êtes-vous? un frondeur, un ligueur; Des Guises balafrés sur un front sans rougeur, Les hommes avilis de nos guerres civiles, Les restes écumés des troubles de nos villes, Qui s'en vont, quand Paris n'est plus à ravager, Avec Condé, porter la France à l'étranger! [Illustration: Théâtre de la Porte-Saint-Martin.--Mademoiselle de La Vallière.--Scène du troisième acte: Molière portant un toast aux nobles.] Et Guise ne s'indigne que médiocrement à ces apostrophes fanfaronnes; et Louis XIV d'applaudir et d'encourager Molière. Mais, en vérité, où sommes-nous? où allons-nous? Quoi! c'est là Versailles? quoi! c'est le roi? quoi! c'est Molière? Il serait si facile de répondre à cette déclamation de ce Poquelin sans pareil, qu'après tout il se trompe, que la noblesse de Louis XIV n'était pas encore la noblesse honteuse et énervée de la Régence et de Louis XV, et que les hommes qui se faisaient tuer bravement dans les fossés de Strasbourg ou de Dôle, ajoutant l'Alsace et la Franche-Comté à la France, n'étaient pas de si indignes héritiers de ceux de Poitiers et de Roncevaux. Mais déjà tout est dit: l'amour de Louis XIV pour La Vallière s'éteint peu à peu et s'en va; la possession a produit la satiété. La Vallière aime toujours, aimera toujours; Louis n'aime déjà plus. En vain il cherche à dissimuler cet abandon par un semblant de tendresse, La Vallière a lu dans cette âme rassasiée. La galanterie contrainte, la froideur, les impatiences du roi ne font que confirmer son infidélité; Montespan a pris la place de La Vallière. La pauvre victime abandonnée ne songe plus qu'à la retraite et à la pénitence. Appuyée d'un côté sur Bossuet et de l'autre sur Molière, elle se décide à rompre avec le monde et à cacher sa douleur et son repentir dans quelque pieux asile; La Vallière ira aux Carmélites.--En même temps qu'il nous montre La Vallière brisée par la trahison d'un homme, M. Adolphe Dumas nous fait voir Molière tué par l'infidélité d'une femme: ici Louis XIV ensevelissant dans une retraite austère La Vallière vivante; là, la Béjart ouvrant à Molière, mort de chagrin, une tombe prématurée. Et ainsi, tous deux s'acheminent en même temps vers la sépulture: l'une aux Carmélites, l'autre au cimetière Montmartre. Voici La Vallière sur la route du couvent; voilà les restes inanimés de Molière qui passent, et le peuple s'émeut et s'agite autour d'eux.--Par un dernier retour de tendresse, Louis XIV veut arrêter La Vallière; mais Bossuet l'empêche de retenir aux corruptions du monde cette âme, qui court se racheter vers Dieu.--Le roi obéit à Bossuet, et cependant salue le cercueil de Molière: Bénissez ce cercueil, Molière est un grand homme, Aussi grand que tous ceux de la Grèce et de Rome. Il était au théâtre, il était comédien, Mais après tout, Molière était homme de bien. Et la toile tombe. Si vous pouvez vous isoler de toute préoccupation historique; si vous ne faites cas ni de la vérité des caractères, ni de la vérité des moeurs et du temps, le drame de M. Adolphe Dumas pourra se faire absoudre; il est semé de jolis vers, de vers élégants, de vers tendres, de sentiments énergiques; mais si vous croyez à Molière, à Bossuet, à la vraisemblance, au bon sens de l'histoire, le drame court le risque d'un jugement sévère. Il paraît que le public ne croit à rien de tout cela, car il a beaucoup applaudi M. Dumas, et court avec curiosité à la Porte-Saint-Martin. M. Adelphe Dumas répondra aux critiques par le grand et terrible argument du succès. Le succès est quelque chose en effet, mais le succès n'est pas tout. M. Adolphe Dumas est un homme de trop d'esprit et de trop de talent pour ne pas vouloir mettre complètement d'accord, dans un prochain drame, et ceux qui ne voient que le fait du succès, et ceux qui, dans le succès même, demandent et regrettent quelque chose. La semaine a été pauvre en vaudevilles: le théâtre du Palais-Royal et le théâtre des Variétés ont seuls donné signe de vie: l'un a mis au monde _L'Homme de Paille_, l'autre a saupoudré de gros mots cinq petits actes intitules: _Les Cuisines_ L'homme de paille, cela se devine, est une espèce de paravent qui sert à cacher les peccadilles d'un vaurien. M. de Champvilliers a des vices et des maîtresses: il craint que cette vie désordonnée lui enlève une veuve et une dot qu'il veut épouser; il prend M. Gambriac pour éditeur responsable. Tout ce qui lui tombe sur le dos, duels, dettes, intrigues, c'est de Gambriac qui en est cause. Gambriac cependant s'aperçoit du rôle de dupe qu'un lui fait jouer, et comme il n'est pas niais, il prend sa revanche et enlève au mystificateur la dot et la veuve. De la gaieté et quelque traits d'esprit, que faut-il davantage à un vaudeville? Le théâtre des Variétés nous mené, comme Colletel, de cuisine en cuisine: cuisine de la grisette, cuisine du portier, cuisine des Invalides, cuisine à 32 sous, cuisine du Pont-Neuf, cuisine millionnaire; par-ci, par-là le sel manque; mais le public avait faim il a pris ce repas en cinq services, d'assez bonne grâce: l'appétit rend indulgent Les auteurs sont, d'une part. MM. Marc Michel et Labiche: de l'autre, MM. Cormon et Dupeuty. Le tout forme un quadrille. Bulletin bibliographique _Études sur les Réformateurs ou Socialistes modernes_, par M. M. LOUIS REYBAUD. Tome second.--Paris, 1843. Guillaumin. 7 fr. 50. Ce volume complète l'examen que M. Louis Reybaud s'était proposé de faire des diverses sectes ou théories qui ont cherché, depuis l'origine du siècle, à s'emparer de l'attention et à se créer un auditoire. Il est le résumé et la critique de quelques vues collectives, comme le premier volume était le résumé de quelques inspirations individuelles. Le chapitre 1er, qui a pour titre: _La Société et le Socialisme_, forme une espèce d'introduction. M. Louis Reybaud ne croit pas, ainsi que certains détracteurs de l'ordre social essaient de le prouver, «que les efforts des générations, le travail des siècles, n'aient abouti qu'à transformer notre globe en un vaste dépôt de mendicité ou en une léproserie immonde.» Dans son opinion, les sociétés modernes ont été calomniées; elles sont au-dessus des sociétés anciennes, comme intelligence, comme bien-être. La misère, le vice et le crime, ces trois fléaux, accessoires obligés de toute civilisation humaine, n'augmentent pas, ils diminuent. Notre siècle vaut mieux sous tous les rapports que les siècles qui l'ont précédé. Est-ce à dire pour cela qu'il n'y ait rien à faire? Nullement. Sans doute, ce monde, que le christianisme a bien jugé, sera éternellement le siège de la souffrance; et quand on songe qu'aucune classe ne se dérobe à cette loi, que les plus puissants comme les plus humbles lui paient un égal tribut, on s'étonne de voir encore tant de cerveaux en quête de cette chimère que l'on nomme la perfection absolue. Mais si le mal qui afflige l'humanité ne peut pas se guérir radicalement, du moins doit-on chercher des remèdes partiels et des moyens d'atténuation. C'est ce qu'a fait M Louis Reybaud. Ainsi, il demande l'abolition de la prostitution indirecte, en commandite, collective ou enrégimentée; l'établissement du régime cellulaire dans les prisons; la destruction du compagnonnage; la création de conseils de prud'hommes, etc.; mais il recommande surtout aux classes laborieuses de savoir se contenir et se conduire. «Ce qui manque à l'ouvrier, dit-il, c'est l'esprit de calcul et de prévoyance. Avec le temps son éducation se complétera. Il a eu ses jours d'enfance et d'adolescence, il aura sa période de maturité. C'est à lui d'entrevoir déjà cet avenir et d'y aspirer, pour s'en montrer digne, il faut qu'il éteigne en lui les prétentions inquiètes et sans but, la soif des réformes impossibles, le besoin d'agitations ruineuses. Il a pour lui le titre de noblesse des sociétés modernes, le travail; soldat de l'armée industrielle, son avancement est dans ses mains, et il n'est point de haut grade auquel il ne puisse prétendre.» Comme on le voit par ce passage que nous venons de citer, M. Louis Reybaud ne s'agite pas dans un cercle d'illusions et ne court jamais après des fantômes; aussi n'hésite-t-il pas à se déclarer l'adversaire de tous les socialistes en général, c'est-à-dire de tous les rêveurs qui cultivent avec plus ou moins de succès l'art d'improviser des sociétés irréprochables. Du reste, il n'a pas de luttes sérieuses à soutenir; sa tâche se borne pour ainsi dire à enregistrer les noms des morts. On a offert à la société, durant ces dernières années, tant de recettes du parfait bonheur, que, fort embarrassée de choisir, elle est restée ce qu'elle était, mêlée de mauvais et de bon, s'appuyant sur le passé en regardant vers l'avenir. Les écoles et les églises nouvelles se sont éteintes peu à peu dans le choc des rivalités et les défaillances de l'isolement. Toutefois, si le socialisme avoué est fini ou bien près de finir, il veut laisser une dernière empreinte dans le monde scientifique et littéraire. M. Louis Reybaud a donc cru devoir signaler trois catégories d'écrivains qui, plus ouvertement que les autres, ont sacrifié ou sacrifient encore aux chimères et aux déclamations du socialisme: les statisticiens, les philosophes et les romanciers. Quelques pages éloquentes et que tous les honnêtes gens approuveront vengent la société des calculs mensongers de quelques statisticiens, des erreurs prétentieuses de certains philosophes et des divagations intéressées de la plupart de nos romanciers. «Si les enfants perdus de la philosophie, du roman et de la statistique veulent continuer cette croisade insensée, ajoute M. Louis Reybaud en terminant, la société les laissera achever leur suicide sans s'émouvoir, sans s'irriter. A une démence obstinée et volontaire, elle ne doit répondre que par la pitié et le dédain. Tout ce qu'il lui reste à faire, c'est de souhaiter à ses détracteurs un peu de ce bon sens, présent du ciel, et dont il est plus avare qu'on ne se l'imagine; le bon sens quitte toujours les hommes qui s'enivrent d'eux mêmes et de leurs idées: c'est le premier châtiment de leur vanité et la cause d'une irrémédiable impuissance.» Les chapitres suivants ne sont pour ainsi dire que le développement de cette espèce d'introduction. M. Louis Reybaud analyse et critique successivement les systèmes des principaux socialistes contemporains. Son second chapitre est consacré _aux idées et aux sectes communistes_, le troisième aux _Chartistes_, le quatrième à _Jérémie Bentham_ et _aux Utilitaires_, le cinquième aux _Humanitains_. Cette suite de déviations et d'écarts auxquels notre temps est en butte, M. Louis Reybaud les rattache, dans sa conclusion, à deux causes dominantes: les inspirations de l'orgueil et les calculs de l'intérêt.--Cependant, il est trop juste pour les confondre dans une même condamnation: il fait une réserve en faveur des Utilitaires, qu'il traite peut-être trop sévèrement, et chez lesquels des qualités supérieures s'unissent à des intentions saines,--et en faveur des Humanitaires, qui, au milieu de bien des folies, ont su néanmoins se tenir en garde contre la provocation directe et la déclamation turbulente. Dans la courte préface de ce deuxième volume, M. Louis Reybaud a cru devoir répondre à un reproche auquel il avait raison de s'attendre: «On trouvera, dit-il, que le ton de ce deuxième volume est plus sévère que ne l'était celui du premier, et que je n'ai aujourd'hui que du blâme pour des tentatives auxquelles je n'ai pas refusé naguère des encouragements et des éloges. J'irai au-devant d'une explication, et elle sera courte. Je croyais alors ces aberrations sans danger; je suis convaincu maintenant, après en avoir mieux étudié les effets, qu'elles sont dangereuses. Sans doute, au premier coup d'oeil, ces excursions dans le domaine de l'imagination peuvent être regardées soit comme une diversion innocente, soit comme un exercice utile à la pensée. L'esprit humain doit agiter des problèmes, même sans espoir de les résoudre, et souder l'inconnu, fut-ce avec témérité. Dans tous les temps il s'est produit des hommes qui se vouaient à cette tâche ingrate, et dont les convictions méritaient le respect. Leurs rêves ne troublaient ni n'empêchaient rien, et leur candeur commandait l'indulgence. Cependant, quand les chimères prennent trop d'ambition et aspirent à de trop grandes destinées, un autre devoir est tracé aux écrivains, c'est de ramener les esprits au sentiment des réalités et d'assigner des limites à la fantaisie. Voilà ou nous en sommes aujourd'hui, et pourquoi je me suis armé de plus de rigueur. Il m'a semblé que ces doctrines aventureuses n'éclairaient aucune question et les dénaturaient toutes; que, sans profit pour elles-mêmes, elles nuisaient aux notions les plus saines, les mieux vérifiées; que, par la déclamation et la jactance, elles agissaient sur quelques têtes ardentes et crédules, et que, sans faire précisément un grand mal, elles étouffaient et paralysaient le bien qui aurait pu se faire.» Le second volume des _Réformateurs contemporains_ obtiendra, nous en sommes certain, un aussi grand succès que le premier, couronné,--est-il nécessaire de le rappeler?--par l'Académie française.--Les qualités dont M Louis Reybaud avait donné des preuves si éclatantes se sont encore perfectionnées: le style est devenu plus net et plus vigoureux, l'argumentation plus serrée et plus claire, la critique plus mordante et plus juste. Nous laisserons les sectes attaquées par M Louis Reybaud se défendre si elles l'osent ou si elles le peuvent; mais, tout en espérant que, la plupart d'entre elles ne se relèveront pas du rude coup qui vient de leur être porté, nous ne pouvons nous empêcher de regretter que leur vainqueur ait parfois... un peu trop de raison. L'excès en tout est un vilain défaut, a dit le poète. Que M. Louis Reybaud profite désormais de cet avis; qu'il prenne garde, en combattant les pessimistes, de devenir optimiste.--Nous l'engagerons beaucoup à lire trois charmants volumes publiés à la librairie Paulin sous ce titre: _Jérôme Paturot à la recherche d'une position sociale et politique_--Cette spirituelle critique des vices et des ridicules de notre époque lui prouvera, s'il pouvait jamais en douter, que tout n'est pas pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. _Les Colonies françaises, Abolition immédiate de l'Esclavage_; par VICTOR SCHOELCHER. 1 vol. in-8.--Paris, 1842, _Pagnerre_. 6 fr. «Emancipation des noirs, tel est notre premier voeu, dit M. Victor Schoelcher au début de son introduction; prospérité des colonies, tel est notre second voeu. Nous demandons l'une au nom de I humanité, l'autre au nom de la nationalité; toutes deux au nom de la justice.» Bien qu'il ait paru il y a plus d'un an, cet ouvrage de M. Victor Schoelcher a donc conservé un intérêt d'actualité, car la Chambre des Députés s'occupe en ce moment d'une loi qui intéresse au plus haut degré la prospérité des colonies, et la question de l'émancipation des noirs, toujours pendante, va enfin être soumise,--assure-t-on,--à l'appréciation et au vote de la législature. M. Victor Schoelcher n'a traité avec une étendue suffisante qu'une seule des deux graves questions qu'il semblait se proposer de résoudre. Sans doute, dans son introduction, il indique en passant quelques moyens de régénérer les colonies; mais la pensée qui le préoccupe avant toutes les autres ne lui permet pas de s'arrêter longtemps à ces préliminaires.--L'auteur des _Colonies françaises_ est le plus sincère et le plus zélé de tous les abolitionnistes français. Ce grand acte d'humanité et de justice auquel il a consacré sa fortune et sa vie entière,--l'émancipation des noirs,--il désire si ardemment le voir s'accomplir, qu'il lui tarde, dès les premières lignes, d'appeler l'esclavage dans la lice et de lui déclarer une guerre à mort. D'abord M. Victor Schoelcher examine la condition présente des nègres, En les suivant dans les diverses phases de leur existence actuelle, il espère pouvoir préjuger de leur existence future, et trouver la solution du problème colonial.--Puis, cette étude achevée,--et elle a été faite d'après nature sur les lieux mêmes,--il expose et réfute l'opinion des créoles sur la nature de leurs esclaves noirs; il signale l'existence et les effets déplorables du préjugé de couleur--Le terrain ainsi exploré, il y marche suis trop de crainte de s'égarer, et il aborde la question de l'esclavage. Après avoir longuement discuté les divers moyens proposés pour amener l'abolition de l'esclavage, M. Victor Schoelcher déclare que, dans son opinion, celui qui offre le plus de chances favorables est l'émancipation en masse pure et simple.» Cette émancipation, dit-il, a pour elle la convenance, l'utilité, l'opportunité; ses résultats immédiats seront pour les nègres faits libres; la probabilité de ses heureuses conséquences finales doit fixer les colons sur la réalité de ses avantages. Il n'est pas vrai que le travail libre soit impossible sous les tropiques; il ne s'agit que de savoir déterminer les moyens de l'obtenir. Toute la question se réduit donc là: organiser le travail libre.» En conséquence, M. Victor Schoelcher expose dans le vingt-cinquième et dernier chapitre de son ouvrage un _Essai de législation propre à faciliter l'émancipation en masse et spontanée._ Sans doute il n'a pas la prétention de construire le code des provinces d'outremer; mais il manquerait de véracité, «s'il dissimulait sa confiance dans les moyens qu'il indique pour laver les terres coloniales de la tache qui les souille, sans mettre en péril leur société, pour substituer sans trouble, ou du moins sans violence, le brillant ordre libre à l'ignoble ordre esclave.» _Chants de l'Exil_: par LOUIS DELATTRE. 1 vol. in-18.--Paris, 1843. Gosselin. 3 fr. 50 c. La plupart des poésies contenues dans ce recueil sont nées sur la terre étrangère, en Italie, en Allemagne, en Belgique en Russie, et surtout en Suisse. «Elles sont, dit leur auteur, le fruit de mes voyages dans ces divers pays, et presque toutes ont été inspirées par le spectacle des grandes scènes de la nature.» Les _Chants de l'Exil_ se divisent en deux parties: la première et la plus considérable se compose de poésies objectives, narratives, épiques, légendes et ballades; la seconde contient les poésies intimes. M. Louis Delattre prie la critique de ne pas condamner ses efforts, et le public d'accueillir avec indulgence ce volume, où il a _jeté tout ce que son âme a d'énergie et de douleur, de colère et d'amour._ Nous accédons d'autant plus volontiers à sa demande, que nous avons remarqué çà et là, en parcourant ce volume, des vers qui nous ont paru mériter nos éloges. Puisse le public se montrer aussi bienveillant, et recevoir avec reconnaissance les dons de M. Louis Delattre!--Nous nous bornerons à faire une seule observation, qui s'adresse généralement à tous les jeunes gens qui se prétendent poètes: pourquoi se croient-ils obligés d'imprimer tout ce qu'ils composent, et ne comprennent-ils pas qu'il faut songer quelquefois au fond autant qu'à la forme?--Quel mérite et quelle utilité y a-t-il à écrire et à publier des vers comme ceux-ci, par exemple, qui commencent la première strophe de la première pièce de _Chants de l'Exil_: L'azur de l'éternelle voûte Sourit à l'homme jeune encor, Et l'espérance, sur sa route, Sème des fleurs de pourpre et d'or. Ou bien encore, à la seconde strophe: Aux plaines, aux forêts profondes, Un vaisseau verse ses trésors Les cygnes voguent sur ses ondes, La violette orne ses bords. Ne serait-il pas temps, enfin, de renoncer à tout ce verbiage insignifiant, qui n'a plus même l'intérêt de la nouveauté? Et quand un jeune écrivain veut que le public reçoive avec indulgence tout ce que son âme a d'énergie et de douleur, de colère et d'amour, ne devrait-il pas, en vérité, se montrer plus sérieusement digne des suffrages qu'il ambitionne? _Le Hachych_; 1 vol. in-18.--Paris, 1843. _Paulin_. 3 francs. Le hachych est une plante de l'Orient qui a la même forme, le même aspect, la même odeur que le chanvre. A en croire les savants de l'expédition d'Égypte, c'est du chanvre dont les propriétés se sont affaiblies dans le Nord. Le hachych produit des effets extraordinaires sur toutes les personnes qui en prennent une infusion. Il exalte leurs idées dominantes, il leur montre d'une manière claire leurs plans les plus compliqués se débrouillant sans difficulté, leurs projets les plus chers se réalisant sans obstacle; il leur procure l'intuition précise de ce qu'ils cherchent; «enfin, dit l'auteur du petit livre qui a pris pour titre le nom de cette plante remarquable, il leur fait savourer par la pensée la possession anticipée et sans mélange de tout ce qui est suivant leurs goûts, leurs voeux, leurs passions habituelles, ou plutôt suivant leurs désirs et la direction de leurs pensées au moment où le hachych agit sur eux. C'est ce qui explique les effets différents qu'on en rencontre; car ils varient beaucoup suivant les individus et même suivant les dispositions du moment..» Il y a quelques mois, douze convives réunis à Marseille autour de la table d'un médecin causaient entre eux de la condition et des besoins de la société actuelle. Un jeune docteur qui arrivait d'Égypte les engagea à prendre une infusion de hachych au lieu de café. «C'est le remède à la nostalgie, au découragement, aux déceptions de toute espèce, leur dit-il. J'ai pensé qu'en France j'en aurais encore besoin pendant bien longtemps; c'est pourquoi j'en ai rapporté une ample provision, et je vous en offre. Essayez-en, quand ce ne serait que par curiosité. Que risquez-vous? Une petite dose, une seule tasse de cette précieuse infusion ne peut vous donner que de la gaieté, des consolations; vos prévisions les plus agréables se transformeront, pour un moment, en réalités; vous posséderez le don de seconde vue; vous serez élevés au rang des prophètes.» Quelques-uns des convives cédèrent aux instances du jeune docteur; mais l'auteur anonyme du _Hachych_, se défiant de sa susceptibilité nerveuse, se contenta d'abord de fumer un peu de hachych mêlé avec du tabac très-doux, pendant que la discussion continuait bruyante, confuse et bientôt inextricable; puis, se sentant trop agité, il avala une grande tasse de cette bienheureuse infusion. Enfin il se retira Mais à peine fut-il couché, il tomba dans un profond sommeil, et il fit un rêve étrange qu'il raconte aujourd'hui au public. Il parcourut successivement l'Abyssinie, l'Inde, le Tibet, la Chine, le Japon, les colonies anglaises de l'Australie et tout l'archipel de l'Océanie. Arrivé en Amérique par la Californie, il traversa les montagnes Rocheuses sur un _railway_. Il passa un des premiers par le canal de Panama; ayant ensuite débarqué au cap de Bonne-Espérance, il visita toute l'Afrique centrale, Tombouctou et les montagnes de la Lune, et il revint à Alexandrie en descendant le Nil-Blanc et les cataractes.--Le canal de communication du Nil avec la Mer-Rouge par Suez était alors en pleine activité: un chemin de fer reliait Bagdad, Saint-Jean-d'Acre et le Caire.--Surpris de toutes ces améliorations, il s'embarqua pour revenir en France sur un navire qui marchait par l'électricité.--Quand il arriva à Marseille, il ne fit pas quarantaine, et à l'entrée de la Canebière il vit la foule attroupée autour d'une immense affiche, au haut de laquelle il lut en gros caractères: Bande du congrès ibergallitale, 27 juillet 1843. Ici doit s'arrêter notre analyse. Révéler le mot de l'énigme serait faire tort au livre dont nous venons de résumer la première partie. Si quelques-uns des lecteurs de _l'Illustration_ désirent savoir ce que seront la France et l'Europe dans cent ans, quelles révolutions politiques, sociales, économiques, un siècle verra s'accomplir, selon les utopies assez raisonnables d'un médecin célèbre qui désire garder l'anonyme, ils n'ont qu'à se procurer un exemplaire du _Hachych_.--L'ouvrage de M. le docteur..... les fera jouir,--sans les endormir toutefois,--de rêves étranges dont la réalisation très-désirable ne leur semblera pas impossible. _Le Jardin des Plantes_, description et moeurs des mammifères de la Ménagerie et du Muséum d'Histoire naturelle, par M. BOITARD; précédé d'une notice historique, anecdotique et descriptive du Jardin, par J. JANIN. Nouvelle édition avec les _figures coloriées_, illustrée de 400 gravures sur acier, sur cuivre et sur bois, planches à l'aquarelle, etc.; publiée en 64 livraisons, à 50 c.--Le volume complet, figures noires, 16 fr.--_Dubochet et Cie._. Les figures qui représentent les sujets que l'histoire naturelle a pour but de décrire ne remplissent qu'en partie leur destination, si elles se bornent à donner la forme sans y joindre la couleur. Le _Jardin des Plantes_, dont MM. Dubochet et comp. avaient publié une première édition avec les figures _en noir_, paraît aujourd'hui avec les figures coloriées, amélioration dont le public se montrera certainement reconnaissant. La perfection des dessins faisait regretter qu'on n'eut pas rendu la représentation des animaux plus complète, et les éditeurs ont cédé à de nombreuses observations en faisant colorier les figures dans cette nouvelle édition. L'auteur du _Jardin des Plantes_. M. Boitard, a réuni dans ce volume ce qu'on chercherait vainement ailleurs: l'histoire morale, qu'on nous passe cette expression, des animaux, leur instinct, leur intelligence, leurs habitudes quelquefois si extraordinaires, leur caractère, leurs ruses, les singularités de leurs actions, leurs affections, leurs haines, leurs moyens d'attaque et de défense, leur industrie, leurs travaux si merveilleux quand on les compare aux facultés qu'ils possèdent pour les exécuter; en un mot, leurs moeurs sauvages ou sociales. Cet intéressant travail est précédé d'une introduction, dans laquelle M. Jules Janin a raconté, avec son style pittoresque et animé, l'histoire du _Jardin des Plantes_, et esquissé les scènes diverses dont il est chaque jour le théâtre. Enfin, le Jardin des Plantes ne serait qu'un excellent livre d'histoire naturelle et ne justifierait pas son titre spécial si le dessin et la gravure n'y avaient ajouté tout ce qui attire les regards et la curiosité des visiteurs et des promeneurs: monuments, constructions, sites pittoresques, tableaux délicieux, connus de tous ceux qui ont visité le Jardin des Plantes, bons à rappeler à ceux qui les connaissent, à faire connaître à ceux qui n'ont pu les visiter. Modes. Ce n'est pas à l'incommodité déjà soufferte de la chaleur que nous devons ces jolies et étranges coiffures qu'Alexandrine, dans son goût artistique, a prises aux modes italiennes; c'est à l'incommodité prévue de la chaleur prochaine. On va bientôt partir pour la campagne: les femmes qui ne connaissent pas les capelines sont menacées du chapeau à la suissesse, à bords ronds et plats, à calotte de chapeau, coiffure dont les jeunes pensionnaires mêmes sont lasses et qu'il était bien temps de renouveler. Alexandrine a rencontré la plus heureuse de toutes les innovations, le chapeau de paille primitif, souple, léger, naïf de forme; elle y a pincé quelques ornements d'un style pittoresque, petites bouffettes de ruban ou de velours, et, selon la mode italienne, des fleurs posées avec une sorte d'ingénuité contre les cheveux. Les capelines sont de ces créations que l'artiste conçoit dans ses jours d'inspiration, et qui plaisent à toutes les femmes d'un goût distingué, comme tout ce qui sort de la vulgarité sans tomber dans la bizarrerie. De plus, il n'existe pas de chapeau qui gêne moins la personne, qui charge moins la tête et préserve mieux le visage. L'une de nos figurines porte une robe de batiste à double manche. Son tablier de taffetas vert-myrte entoure une partie de sa taille: son col plat est en fine toile de Hollande. L'autre, à manches demi-longues plates, a une robe de nankin. Son col, soutenu par une cravate écossaise, est en linon rayé, et ses mitaines sont en taffetas. Mayer enferme dans la scie noire, pure ou gros-bleu, les petites mains les plus élégantes de Paris, de Londres et de Saint-Pétersbourg. Quand une nouveauté sort des magasins de la rue de la Paix, elle a bientôt fait le tour du monde. C'est dire qu'il suffit de s'appuyer d'une telle autorité pour recommander aveuglément une innovation. Les mitaines de taffetas sont comme celles de velours, d'autant plus recherchées que M. Mayer ne peut en faire autant qu'il lui en est demandé. La douairière est une ombrelle commode pour la campagne. Sa canne est utile pour débarrasser la marche des herbes et des branches que l'on rencontre dans le parc, sous les avenues ombreuses ou dans la prairie à hautes fleurs. La marquise y est insuffisante, et l'anglaise gêne la main sans aucun avantage. Napoléon adoré dans un temple chinois.--Dessin fait par un témoin oculaire. Amusements des sciences. Le succès des rébus nous a donné l'idée d'ajouter à ces problèmes d'autres questions, quelquefois moins amusantes, mais plus instructives, sur toutes sortes de sujets. Nous poserons donc, chaque semaine, des questions de ce genre, dont nous donnerons les solutions la semaine suivante. En voici quelques-unes: I. Comment pourra-t-on faire, dans une balance ordinaire, toutes les pesées possibles d'un nombre entier de grammes avec la série des poids 1, 2, 4, 8, 16, 32, etc., grammes? La série de ces poids allant jusqu'à 1,024 grammes, quel est le plus grand poids que l'on puisse évaluer directement? II. Une personne ayant un cruchon de huit litres d'un excellent vin, voudrait en donner exactement la moitié à un ami; mais elle n'a, pour le mesurer, que deux autres vases, l'un de cinq, l'autre de trois litres. Comment doit-elle s'y prendre: 1º pour mettre quatre litres dans le vase de cinq; 2º pour les laisser dans le vase de huit litres? III. On prend une boule d'ivoire ou de bois bien sphérique et bien homogène sur laquelle on trace, comme sur un globe céleste ou terrestre, des pôles, un équateur, des cercles de longitude et de latitude. On lance ce globe au hasard, et, après chaque jet, on marque soigneusement son point de contact avec le sol, lorsqu'il est parvenu au repos. On demande les valeurs vers lesquelles tendront les moyennes des longitudes et des latitudes? Rébus. EXPLICATION DU DERNIER REBUS. Ci-gît Raphaël. [Illustration.] End of Project Gutenberg's L'Illustration, No. 0012, 20 Mai 1843, by Various *** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 0012, 20 MAI 1843 *** ***** This file should be named 35166-8.txt or 35166-8.zip ***** This and all associated files of various formats will be found in: http://www.gutenberg.org/3/5/1/6/35166/ Produced by Rénald Lévesque Updated editions will replace the previous one--the old editions will be renamed. 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