The Project Gutenberg EBook of La comédie de celui qui épousa une femme muette, by Anatole France This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you'll have to check the laws of the country where you are located before using this ebook. Title: La comédie de celui qui épousa une femme muette Author: Anatole France Release Date: November 17, 2020 [EBook #63794] Language: French Character set encoding: ISO-8859-1 *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA COMEDIE DE CELUI QUI EPOUSA *** Produced by Laurent Vogel and the Online Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by The Internet Archive/Canadian Libraries) LA COMÉDIE DE CELUI QUI ÉPOUSA UNE FEMME MUETTE COMÉDIE EN DEUX ACTES représentée pour la première fois le 21 mars 1912 au Café Voltaire, par les soins de la Société des Études Rabelaisiennes, sur l'initiative de M. G. Cohen, reprise au Théâtre de la Porte-Saint-Martin le 23 mai 1912 et aux matinées des «Samedis de la Parisienne», au Théâtre de la Renaissance, le 9 novembre 1912. CALMANN LÉVY, ÉDITEURS DU MÊME AUTEUR THÉATRE AU PETIT BONHEUR, comédie en un acte. Droits de traduction, de reproduction et de représentation réservés pour tous les pays. Copyright, 1913, by CALMANN-LÉVY. 518-15.--Coulommiers. Imp. PAUL BRODARD.--P4-13. ANATOLE FRANCE DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE LA COMÉDIE DE CELUI QUI ÉPOUSA UNE FEMME MUETTE Utinam aut hic surdus, aut hæc muta facta fit! (Davus dans l'_Andrienne_ de Térence.) PARIS CALMANN-LÉVY, ÉDITEURS 3, RUE AUBER, 3 Il a été tiré de cet ouvrage SOIXANTE-QUINZE EXEMPLAIRES SUR PAPIER DE HOLLANDE et VINGT-CINQ EXEMPLAIRES SUR PAPIER IMPÉRIAL DU JAPON tous numérotés. A MADAME GASTON CALMANN-LÉVY _Très respectueusement et très affectueusement._ A. F. PERSONNAGES A la Porte Saint-Martin. A la Renaissance. MONSIEUR LÉONARD BOTAL, juge MM. Decaye. MM. Decaye. MAITRE ADAM FUMÉE, avocat Vilbert. Cognet. MAITRE SIMON COLLINE, médecin Galipaux. Cousin. MAITRE JEAN MAUGIER, chirurgien-barbier Bacqué. Géo Leclercq. MAITRE SÉRAPHIN DULAURIER, apothicaire Koval. Scott. LE SIEUR GILLES BOISCOURTIER, secrétaire de M. Léonard Botal Rablet. Paul. UN AVEUGLE, qui joue de la musette Dutilloy. Constant. CATHERINE, femme de M. Léonard Botal Mlle de Pouzols Saint-Phar. ALIZON, servante de M. Léonard Botal Mlles M. Yrven. Mlles Lutzi. MADEMOISELLE DE LA GARANDIÈRE G. Gravier. Y. Daumont. Une salle du rez-de-chaussée, en la maison de M. Léonard Botal. A gauche l'entrée sur la rue Dauphine à Paris; quand la porte s'ouvre on aperçoit le Pont-Neuf. A droite une porte donnant sur la cuisine. Au fond un escalier de bois conduisant aux chambres du premier étage. Aux murs pendent des portraits de magistrats en robe et se dressent de vastes armoires remplies et surchargées de sacs, de livres, de papiers et de parchemins. Une échelle double, à roulettes permet d'atteindre au haut des armoires. Une table à écrire, des chaises et des fauteuils de tapisseries, un rouet. LA COMÉDIE DE CELUI QUI ÉPOUSA UNE FEMME MUETTE ACTE PREMIER SCÈNE PREMIÈRE GILLES BOISCOURTIER, ALIZON, puis MAITRE ADAM FUMÉE et M. LÉONARD BOTAL Gilles Boiscourtier est occupé à griffonner et à bâiller lorsque entre la servante Alizon, un grand panier sous chaque bras. Dès qu'il la voit, Gilles Boiscourtier saute sur elle. ALIZON. Sainte Vierge, est-il permis de se jeter comme un loup-garou sur les créatures, dans une salle ouverte à tout venant? GILLES, qui tire de l'un des paniers une bouteille de vin. Ne crie donc pas, petite oie. On ne songe pas à te plumer. Tu n'en vaux pas la peine. ALIZON. Veux-tu bien laisser le vin de monsieur le juge, larron! Elle pose ses paniers à terre, rattrape sa bouteille, soufflette le secrétaire, reprend ses paniers et s'enfile dans la cuisine, dont on voit la cheminée par la porte entr'ouverte. Entre maître Adam Fumée. MAITRE ADAM. N'est-ce point ici que demeure monsieur Léonard Botal, juge au civil et au criminel. GILLES. C'est ici, monsieur, et vous parlez à son secrétaire, Gilles Boiscourtier, pour vous servir. MAITRE ADAM. Eh! bien, mon garçon, va lui dire que son ancien condisciple, maître Adam Fumée, avocat, vient l'entretenir d'une affaire. On entend du dehors une voix qui chante: «du mouron pour les petits oiseaux». GILLES. Monsieur, le voici lui-même. Léonard Botal descend l'escalier intérieur. Gilles se retire dans la cuisine. MAITRE ADAM. Salut, monsieur Léonard Botal, j'ai joie à vous revoir. LÉONARD. Bonjour, maître Adam Fumée, comment vous portez-vous depuis le long temps que je n'ai eu le plaisir de vous voir? MAITRE ADAM. Fort bien! Et vous de même, j'espère, monsieur le juge. LÉONARD. Quel bon vent vous amène, maître Adam Fumée? MAITRE ADAM. Je viens tout exprès de Chartres pour vous remettre un mémoire en faveur d'une jeune orpheline dont... LÉONARD. Vous souvient-il, maître Adam Fumée, du temps où nous étudiions le droit à l'université d'Orléans? MAITRE ADAM. Oui, nous jouions de la flûte, nous faisions collation avec les dames et nous dansions du matin au soir... Je viens, monsieur le juge et cher condisciple, vous remettre un mémoire en faveur d'une jeune orpheline dont la cause est présentement pendante devant vous. LÉONARD. Donne-t-elle des épices? MAITRE ADAM. C'est une jeune orpheline... LÉONARD. J'entends bien. Mais donne-t-elle des épices? MAITRE ADAM. C'est une jeune orpheline dépouillée par son tuteur, qui ne lui a laissé que les yeux pour pleurer. Si elle gagne son procès, elle redeviendra riche et donnera de grandes marques de sa reconnaissance. LÉONARD, prenant le mémoire que lui tend maître Adam. Nous examinerons son affaire. MAITRE ADAM. Je vous remercie, monsieur le juge et cher ancien condisciple. LÉONARD. Nous l'examinerons sans haine ni faveur. MAITRE ADAM. Vous n'avez pas besoin de le dire... Mais répondez-moi. Tout va-t-il bien comme vous voulez? Vous paraissez soucieux. Pourtant vous êtes nanti d'une bonne charge? LÉONARD. Je l'ai payée comme bonne et n'ai point été trompé. MAITRE ADAM. Peut-être êtes-vous las de vivre seul. Ne songez-vous point à vous marier? LÉONARD. Eh! quoi? maître Adam, ne savez-vous point que je suis marié tout de frais; j'ai épousé, le mois dernier, une jeune provinciale de bonne maison et bien faite, Catherine Momichel, la septième fille du lieutenant criminel de Salency. Malheureusement elle est muette. C'est ce qui m'afflige. MAITRE ADAM. Votre femme est muette? LÉONARD. Hélas! MAITRE ADAM. Tout à fait muette? LÉONARD. Comme un poisson. MAITRE ADAM. Ne vous en étiez-vous pas aperçu avant de l'épouser? LÉONARD. Il était bien impossible de ne pas en faire la remarque. Mais je ne m'en sentais pas affecté alors comme aujourd'hui. Je considérais qu'elle était belle, qu'elle avait du bien, et je ne pensais qu'aux avantages qu'elle m'apportait et au plaisir que je prendrais avec elle. Mais maintenant ces considérations ne me frappent pas autant et je voudrais bien qu'elle sût parler; j'y trouverais un plaisir pour mon esprit et un avantage pour ma maison. Que faut-il dans la demeure d'un juge? Une femme avenante, qui reçoive obligeamment les plaideurs et, par de subtils propos, les amène tout doucement à faire des présents pour qu'on instruise leur affaire avec plus de soin. Les gens ne donnent que lorsqu'ils y sont encouragés. Une femme, adroite en paroles et prudente en action, tire de l'un un jambon, de l'autre une pièce de drap; d'un troisième, du vin ou de la volaille. Mais cette pauvre muette de Catherine n'attrape jamais rien. Tandis que la cuisine, le cellier, l'écurie et la grange de mes confrères regorgent de biens, grâce à leur femme, je reçois à peine de quoi faire bouillir la marmite. Voyez, maître Adam Fumée, comme il me porte tort d'avoir une femme muette. J'en vaux la moitié moins... Et le pis est que j'en deviens mélancolique et comme égaré. MAITRE ADAM. Vous n'en avez pas sujet, monsieur le juge. En y regardant bien, on trouverait dans votre cas des avantages qui ne sont pas à dédaigner. LÉONARD. Vous ne savez pas ce que c'est, maître Adam. Quand je tiens dans mes bras ma femme qui est aussi bien faite que la plus belle statue, du moins me le semble-t-il, et qui n'en dit certes pas davantage, j'en éprouve un trouble bizarre et un singulier malaise; je vais jusqu'à me demander si je n'ai pas affaire à une idole, à un automate, à une poupée magique, à quelque machine enfin due à l'art d'un sorcier, plutôt qu'à une créature du bon Dieu et, parfois, le matin, je suis tenté de sauter à bas de mon lit pour échapper au sortilège. MAITRE ADAM. Quelles imaginations! LÉONARD. Ce n'est pas tout encore. A vivre près d'une muette, j'en deviens muet moi-même. Parfois, je me surprends à m'exprimer, comme elle, par signes. L'autre jour, au tribunal, il m'arriva de rendre une sentence en pantomime et de condamner un homme aux galères, au seul moyen du geste et de la mimique. MAITRE ADAM. Vous n'avez pas besoin d'en dire davantage. On conçoit qu'une femme muette soit d'une pauvre conversation. Et l'on n'aime pas à parler, quand on ne reçoit jamais de réponse. LÉONARD. Vous savez maintenant quelle est la cause de ma tristesse. MAITRE ADAM. Je ne veux pas vous contrarier et je tiens cette cause pour juste et suffisante. Mais peut-être existe-t-il un moyen de la faire cesser. Dites-moi: votre femme est-elle sourde comme elle est muette? LÉONARD. Catherine n'est pas plus sourde que vous et moi; elle l'est même moins, si j'ose dire; elle entendrait l'herbe pousser. MAITRE ADAM. En ce cas, il faut prendre bon espoir. Les médecins, apothicaires et chirurgiens, s'ils parviennent à faire parler un sourd-muet, ce n'est jamais que d'une langue aussi sourde que son oreille. Il n'entend ni ce qu'on lui dit ni ce qu'il dit lui-même. Il en va tout autrement des muets qui entendent. C'est un jeu, pour un médecin, que de leur délier la langue. L'opération coûte si peu qu'on la fait journellement sur les petits chiens qui tardent à aboyer. Fallait-il donc un provincial tel que moi pour vous apprendre qu'un fameux médecin, qui demeure à quelques pas de votre logis, au carrefour Buci, dans la maison du Dragon, maître Simon Colline, est renommé pour couper le filet aux dames de Paris. En un tournemain, il fera couler de la bouche de madame votre épouse le flot clair des paroles bien sonnantes, comme en tournant un robinet on donne cours à un ruisseau qui s'échappe avec un doux murmure. LÉONARD. Vous dites vrai, maître Adam? Vous ne me trompez point? vous ne plaidez point? MAITRE ADAM. Je vous parle en ami et vous dis la vérité pure. LÉONARD. Je ferai donc venir ce célèbre médecin. Et sans tarder d'un instant. MAITRE ADAM. A votre aise! Mais avant de l'appeler, vous réfléchirez mûrement sur ce qu'il convient de faire. Car, tout bien pesé, si une femme muette a ses inconvénients, elle a aussi ses avantages. Bonsoir, monsieur le juge et ancien condisciple. Croyez-moi bien votre ami et lisez mon mémoire, je vous prie. Si vous exercez votre justice en faveur d'une jeune orpheline dépouillée par un tuteur avide, vous n'aurez point à vous en repentir. LÉONARD. Revenez tantôt, maître Adam Fumée; j'aurai préparé mon arrêt. Maître Adam sort. SCÈNE II LÉONARD, puis GILLES, puis CATHERINE LÉONARD, appelant. Gilles! Gilles!... Le paillard ne m'entend pas; il est dans la cuisine en train de culbuter, à son ordinaire, la marmite et la servante. C'est un goinfre et un débauché. Gilles!... Gilles!... drôle! coquin!... GILLES. Me voici, monsieur le juge. LÉONARD. Mon ami, va de ce pas chez ce fameux médecin qui demeure au carrefour Buci, dans la maison du Dragon, maître Simon Colline, et dis-lui de venir tout de suite donner, en ce logis, ses soins à une femme muette. GILLES. Oui, monsieur le juge. LÉONARD. Suis droit ton chemin et ne va pas sur le Pont-Neuf, voir les bateleurs. Car je te connais, mauvais pèlerin. Tu n'as pas ton pareil pour ferrer la mule... GILLES. Monsieur, vous me jugez mal... LÉONARD. Va! et amène ici ce fameux médecin. GILLES. Oui, monsieur le juge. Il sort. LÉONARD, assis devant sa table, couverte de sacs de procédure. J'ai quatorze arrêts à rendre aujourd'hui, sans compter la sentence relative à la pupille de maître Adam Fumée. Et cela est un grand travail, car une sentence ne fait point honneur à un juge quand elle n'est pas bien tournée, fine, élégante et garnie de tous les ornements du style et de la pensée. Il faut que les idées y rient et que les mots y jouent. Où mettre de l'esprit, sinon, dans un arrêt? Catherine, descendue par l'escalier intérieur, vient se mettre à son rouet, tout près de la table. Elle sourit à son mari et se prépare à filer. Léonard, s'interrompant d'écrire: Bonjour m'amour... Je ne vous avais pas seulement entendue. Vous êtes comme ces figures de la fable qui semblent couler dans l'air ou comme ces songes que les dieux, au dire des poètes, envoient aux heureux mortels. On entend un villageois qui passe dans la rue en chantant: «Du bon cresson de fontaine, la santé du corps. A six liards la botte! A six liards la botte!» M'amour, vous êtes une merveille de la nature; vous êtes une personne accomplie de toutes les manières; il ne vous manque que la parole. Ne seriez-vous pas bien contente de l'acquérir? Ne seriez-vous pas heureuse de faire passer sur vos lèvres toutes les jolies pensées qu'on devine dans vos yeux? Ne seriez-vous pas satisfaite de montrer votre esprit? Ne vous serait-il pas agréable de dire à votre époux que vous l'aimez? Ne vous serait-il pas doux de l'appeler votre trésor et votre coeur? Oui sans doute!... On entend un marchand qui passe dans la rue en criant: «Chandoile de coton! Chandoile qui plus ard clair que nulle étoile!» Eh! bien, je vous annonce une bonne nouvelle, m'amour... Il va venir tantôt ici un bon médecin qui vous fera parler... Catherine donne des marques de satisfaction. Il vous déliera la langue sans vous faire de mal. Catherine exprime sa joie par une gracieuse impatience des bras et des jambes. On entend un aveugle qui passe dans la rue en chantant la bourrée sur la musette: _Dans l'eau l'poisson frétille, Qui l'attrapera? La déra; Dans l'eau l'poisson frétille, Qui l'attrapera? Vous, la jeune fille, On vous aimera._ L'aveugle d'une voix lugubre: «La charité pour l'amour de Dieu, mes bons messieurs et dames.» Puis il se montre sur le seuil et continue de chanter: _Passant vers la rivière, Nous donnant le bras La déra! Passant vers la rivière, Nous donnant le bras, Trouvons la meunière, Avec nous dansa La déra!_ Catherine se met à danser avec l'aveugle la bourrée. L'aveugle reprend: _Trouvons la meunière, Avec nous dansa La déra!_ L'aveugle s'interrompt de jouer et de danser pour dire, d'une voix caverneuse et formidable: «La charité pour l'amour de Dieu, mes bons messieurs et dames.» LÉONARD, qui enfoncé dans ses papiers, n'a rien vu, chasse l'aveugle en l'appelant: Truand, ladre, malandrin, et en lui jetant des sacs de procès à la tête. A Catherine qui s'est remise à son rouet. M'amour, depuis que vous êtes descendue près de moi, je n'ai pas perdu mon temps; j'ai envoyé au pilori quatorze hommes et six femmes, distribué entre dix-sept individus... (Il additionne.) Six... vingt-quatre... trente-deux... quarante-quatre... quarante-sept et neuf, cinquante-six, et onze, soixante-sept, et dix, soixante-dix-sept, et huit, quatre-vingt-cinq, et vingt, cent cinq. Cent cinq ans de galères. Cela ne donne-t-il pas une haute idée du pouvoir d'un juge, et puis-je me défendre d'en ressentir quelque orgueil? Catherine, qui ne file plus, s'appuie contre la table et regarde son mari en souriant. Puis elle s'assied sur la table couverte de sacs de procès. Léonard feignant de tirer les sacs de dessous elle: M'amour, vous dérobez de grands coupables à ma justice. Des larrons, des meurtriers. Je ne les poursuivrai pas: ce lieu de refuge est sacré. On entend un ramoneur qui crie du dehors: «Ramonez vos cheminées, jeunes dames, du haut en bas.» Léonard et Catherine s'embrassent par-dessus la table. Mais voyant venir la Faculté, Catherine se sauve par l'escalier intérieur. SCÈNE III LÉONARD, GILLES, MAITRE SIMON COLLINE, MAITRE SÉRAPHIN DULAURIER, puis MAITRE JEAN MAUGIER, puis ALIZON GILLES. Monsieur le juge, voici ce grand docteur que vous avez fait appeler. MAITRE SIMON. Oui, je suis maître Simon Colline en personne... Et voici maître Jean Maugier, chirurgien. Vous avez réclamé notre ministère? LÉONARD. Oui, monsieur, pour donner la parole à une femme muette. MAITRE SIMON. Fort bien. Nous attendons maître Séraphin Dulaurier, apothicaire. Dès qu'il sera venu, nous opérerons selon notre savoir et entendement. LÉONARD. Ah! vraiment il faut un apothicaire pour faire parler une muette? MAITRE SIMON. Oui, monsieur, et quiconque en doute ignore totalement les relations des organes entre eux et leur mutuelle dépendance. Maître Séraphin Dulaurier ne tardera pas à venir. MAITRE JEAN MAUGIER, soudain beugle d'une voix de Stentor. Oh! qu'il faut être reconnaissant aux savants médecins qui, tels que maître Simon Colline, travaillent à nous conserver la santé et nous soignent dans nos maladies. Oh! qu'ils sont dignes de louanges et de bénédictions ces bons médecins qui se conforment dans la pratique de leur profession aux règles d'une savante physique et d'une longue expérience. MAITRE SIMON, s'inclinant légèrement. Vous êtes trop obligeant, maître Jean Maugier. LÉONARD. En attendant monsieur l'apothicaire, voulez-vous vous rafraîchir, messieurs? MAITRE SIMON. Volontiers. MAITRE JEAN. Avec plaisir. LÉONARD. Ainsi donc vous ferez, maître Simon Colline, une petite opération qui fera parler ma femme? MAITRE SIMON. C'est-à-dire que je commanderai l'opération. J'ordonne, maître Jean Maugier exécute... Avez-vous vos instruments maître Jean? MAITRE JEAN. Oui, maître. Il présente une scie de trois pieds de long avec des dents de deux pouces, des couteaux, des tenailles, des ciseaux, une broche, un vilebrequin, une gigantesque vrille, etc. Entre Alizon, avec le vin. LÉONARD. J'espère, messieurs, que vous n'allez point vous servir de tout cela? MAITRE SIMON. Il ne faut jamais se trouver démuni auprès d'un malade. LÉONARD. Buvez, messieurs. MAITRE SIMON. Ce petit vin n'est pas mauvais. LÉONARD. Vous êtes trop honnête. Il vient de mes vignes. MAITRE SIMON. Vous m'en enverrez une barrique. LÉONARD, à Gilles qui se verse un rouge bord. Je ne t'ai pas dit de boire, fripon. MAITRE JEAN, regardant par la fenêtre dans la rue. Voici maître Séraphin Dulaurier, apothicaire! Entre maître Séraphin. MAITRE SIMON. Et voici sa mule!... Non, vraiment: C'est maître Séraphin Dulaurier lui-même. On s'y trompe toujours. Buvez maître Séraphin. Il est frais. MAITRE SÉRAPHIN. A votre santé, mes maîtres! MAITRE SIMON, à Alizon. Versez la belle. Versez à droite, versez à gauche, versez ici, versez là. De quelque côté qu'elle se tourne elle montre de riches appas. N'êtes-vous pas glorieuse, ma fille, d'être si bien faite? ALIZON. Pour le profit que j'en tire, ce n'est pas le cas d'être glorieuse. Les appas ne rapportent guère quand ils ne sont pas recouverts de soie et de brocart. MAITRE SÉRAPHIN. A votre santé, mes maîtres! ALIZON. On aime à rire avec nous. Mais _gratis pro Deo_. Ils boivent tous et font boire Alizon. MAITRE SIMON. Maintenant que nous sommes au complet nous pouvons monter auprès de la malade. LÉONARD. Je vais vous y conduire, messieurs. Il monte par l'escalier intérieur. MAITRE SIMON. Passez, maître Maugier, à vous l'honneur. MAITRE MAUGIER, son verre à la main. Je passe, sachant bien que l'honneur est de marcher derrière. MAITRE SIMON. Passez, maître Séraphin Dulaurier. Maître Séraphin monte, une bouteille à la main. MAITRE SIMON, ayant fourré une bouteille dans chaque poche de sa robe et embrassé la servante Alizon, gravit les montées en chantant: _A boire! à boire! à boire! Nous quitt'rons-nous sans boire? Les bons amis ne sont pas si fous Que d'se quitter sans boire un coup._ Alizon, après avoir donné un soufflet à Gilles qui voulait l'embrasser, grimpe la dernière. On les entend qui reprennent tous en choeur: _A boire! à boire! à boire!_ ACTE DEUXIÈME SCÈNE PREMIÈRE LÉONARD, MAITRE ADAM MAITRE ADAM. Bonsoir, monsieur le juge. Comment vous portez-vous? LÉONARD. Assez bien. Et vous? MAITRE ADAM. De mon mieux. Excusez mon importunité, monsieur le juge et cher ancien condisciple. Avez-vous examiné l'affaire de ma jeune pupille dépouillée par son tuteur. LÉONARD. Pas encore, maître Adam Fumée... Mais que me dites-vous là? Vous avez dépouillé votre pupille?... MAITRE ADAM. N'en croyez rien, monsieur. Je dis «ma pupille» par amitié pure. Je ne suis point son tuteur, Dieu merci! Je suis son avocat. Et si elle rentre dans ses biens, qui sont grands, je l'épouserai: j'ai déjà eu la précaution de lui donner de l'amour pour moi. C'est pourquoi je vous serai reconnaissant d'examiner son affaire le plus promptement possible. Vous n'avez, pour cela, qu'à lire mon mémoire: il contient tout ce qu'il faut savoir. LÉONARD. Votre mémoire, maître Adam, est là, sur ma table. J'en aurais déjà pris connaissance, si je n'avais eu des affaires. J'ai reçu chez moi la fleur de la Faculté de médecine, et c'est par votre conseil que m'est venu ce tracas. MAITRE ADAM. Que voulez-vous dire? LÉONARD. J'ai fait appeler le fameux médecin dont vous m'aviez parlé, maître Simon Colline. Il est venu avec un chirurgien et un apothicaire; il a examiné Catherine, ma femme, des pieds à la tête, pour savoir si elle était muette. Puis, le chirurgien a coupé le filet à ma chère Catherine, l'apothicaire lui a donné un remède et elle a parlé. MAITRE ADAM. Elle a parlé? Lui fallait-il un remède pour cela? LÉONARD. Oui, à cause de la sympathie des organes. MAITRE ADAM. Ah!... Enfin, l'essentiel est qu'elle a parlé. Qu'a-t-elle dit? LÉONARD. Elle a dit: «Apportez-moi le miroir!» Et, me voyant tout ému, elle a ajouté: «Mon gros chat, vous me donnerez pour ma fête une robe de satin et un chaperon bordé de velours.» MAITRE ADAM. Et elle a continué de parler? LÉONARD. Elle ne s'est plus arrêtée. MAITRE ADAM. Et vous ne me remerciez pas du conseil que je vous ai donné; vous ne me remerciez pas de vous avoir fait connaître ce grand médecin. N'êtes-vous pas bien content d'entendre parler madame votre épouse? LÉONARD. Si fait! je vous remercie de tout mon coeur, maître Adam Fumée, et je suis bien content d'entendre parler mon épouse. MAITRE ADAM. Non! vous ne montrez pas autant de satisfaction qu'il faudrait. Il y a quelque chose que vous ne dites pas et qui vous chagrine. LÉONARD. Où prenez-vous cela? MAITRE ADAM. Sur votre visage... Qu'est-ce qui vous fâche? Madame votre épouse ne parle-t-elle pas bien? LÉONARD. Elle parle bien et beaucoup. Je vous l'avoue, l'abondance de ses discours m'incommoderait si elle se maintenait longtemps au point qu'elle a atteint d'emblée. MAITRE ADAM. J'en avais eu tantôt quelque prévision, monsieur le juge. Mais il ne faut pas désespérer si vite. Ce flux de paroles décroîtra peut-être. C'est le premier bouillonnement d'une source brusquement ouverte... Tous mes compliments, monsieur le juge. Ma pupille se nomme Ermeline de la Garandière. N'oubliez point son nom; soyez-lui favorable et vous n'aurez point affaire à des ingrats. Je reviendrai ce soir. LÉONARD. Maître Adam Fumée, je vais tout de suite étudier votre affaire. Maître Adam Fumée sort. SCÈNE II LÉONARD puis CATHERINE LÉONARD, lisant. Mémoire pour la demoiselle Ermeline-Jacinthe-Marthe de la Garandière. CATHERINE, qui est venue s'asseoir à son rouet, contre la table. Avec volubilité: Qu'est-ce que vous faites-là, mon ami? Vous paraissez occupé. Vous travaillez beaucoup. Ne craignez-vous pas que cela vous fasse du mal? Il faut se reposer quelquefois. Mais vous ne me dites pas ce que vous faites-là, mon ami? LÉONARD. M'amour, je... CATHERINE. Est-ce donc un si grand secret? et dois-je l'ignorer? LÉONARD. M'amour, je... CATHERINE. Si c'est un secret ne me le dites pas. LÉONARD. Laissez-moi du moins le temps de vous répondre. J'instruis une affaire et me prépare à rendre une sentence. CATHERINE. C'est important de rendre une sentence. LÉONARD. Sans doute. Non seulement l'honneur, la liberté et parfois la vie des personnes en dépendent, mais encore le juge y montre la profondeur de son esprit et la politesse de son langage. CATHERINE. Alors instruisez votre affaire et préparez votre sentence, mon ami. Je ne dirai rien. LÉONARD. C'est cela... La demoiselle Ermeline-Jacinthe-Marthe de la Garandière... CATHERINE. Mon ami, que croyez-vous qui me sera le plus séant, une robe de damas ou bien un habit tout de velours à la Turque? LÉONARD. Je ne sais, je... CATHERINE. Il me semble que le satin à fleurs conviendrait mieux à mon âge, surtout s'il est clair et les fleurs petites... LÉONARD. Peut-être! mais... CATHERINE. Et ne pensez-vous pas, mon ami, qu'il serait malséant d'outrer l'ampleur du vertugadin? Sans doute il faut qu'une jupe bouffe; l'on n'aurait pas l'air vêtue sans cela et l'on ne doit point lésiner sur le tour de jupe. Mais voudriez-vous, mon ami, que je pusse cacher deux galants sous mon vertugadin? Cette mode tombera; il viendra un jour où les dames de qualité l'abandonneront, et les bourgeoises suivront cet exemple. Vous ne croyez pas? LÉONARD. Si! mais... CATHERINE. Quant aux mules il en faut soigner la façon. C'est au pied qu'on juge une femme et la vraie élégante se voit à la chaussure. N'est-ce pas votre avis, mon ami? LÉONARD. Oui, mais... CATHERINE. Faites votre sentence. Je ne dirai plus rien. LÉONARD. C'est cela! (Lisant et prenant des notes.) Or le tuteur de la dite demoiselle, Hugues Thomassin seigneur de Piédeloup a dérobé à la dite demoiselle son... CATHERINE. Mon ami, s'il en faut croire la présidente de Montbadon, le monde est bien corrompu; il court à sa perte; les jeunes gens d'aujourd'hui préfèrent à un honnête mariage le commerce des vieilles dames cousues d'or; et pendant ce temps-là, les filles honnêtes restent en friche. Est-ce possible? répondez-moi mon ami. LÉONARD. Ma mie, consentez à vous taire un moment ou bien allez parler ailleurs. Je ne sais où j'en suis. CATHERINE. Soyez tranquille, mon ami. Je ne dirai plus un mot. LÉONARD. A la bonne heure. (Écrivant.) «Ledit seigneur de Piédeloup, tant en fauchées de pré qu'en hottes de pommes...» CATHERINE. Mon ami, nous avons aujourd'hui pour souper un hachis de mouton avec le reste de l'oie qu'un plaideur nous a donnée. Est-ce assez, dites-moi; cela vous suffit-il? Je déteste la lésine et j'aime l'abondance de la table, mais que sert de faire servir des plats qu'on remporte tout garnis à l'office. La vie est devenue fort coûteuse. Au marché de la volaille, au marché aux herbes, chez le boucher, chez le fruitier, tout a tellement enchéri qu'on aura bientôt meilleur compte à commander les repas chez le traiteur. LÉONARD. Je vous prie... (Écrivant.) «Orpheline de naissance.» CATHERINE. Vous verrez qu'on y viendra. C'est qu'un chapon, une perdrix, un lièvre, coûtent moins, lardés et rôtis, qu'en les achetant tout vifs au marché. Cela vient de ce que les rôtisseurs, qui les prennent en gros, les ont à bas prix et peuvent les revendre très avantageusement. Je ne dis pas pour cela qu'il faille faire venir notre ordinaire de chez le rôtisseur. On fait bouillir sa marmite chez soi, c'est le mieux; mais quand on veut régaler des amis, quand on donne un dîner prié, le plus expéditif et le moins dispendieux est de faire venir le dîner du dehors. Les rôtisseurs et les pâtissiers, en moins d'une heure vous apprêtent un dîner pour douze, pour vingt, pour cinquante personnes; le rôtisseur vous donne la chair et la volaille, le cuisinier, les gelées, les sauces, les ragoûts; le pâtissier les pâtés, les tourtes, les entrées, les desserts. C'est bien commode. Vous n'êtes point de cet avis, Léonard? LÉONARD. De grâce! CATHERINE. Ce n'est pas étonnant que tout enchérisse. Le luxe de la table devient chaque jour plus insolent. Dès qu'on traite un parent ou un ami, on ne se contente pas de trois services, bouilli, rôti, fruit. On veut encore avoir des viandes de cinq ou six façons différentes, avec tant de sauces, de hachis ou de pâtisseries que c'est un vrai salmigondis. Vous ne jugez pas cela excessif, mon ami? Moi, je ne conçois pas le plaisir qu'on trouve à s'empiffrer de tant de viandes. Ce n'est pas que je dédaigne les bons plats, je suis friande. Il me faut peu mais fin. J'aime surtout les rognons de coq et les fonds d'artichaut. Et vous Léonard, n'avez-vous pas un faible pour les tripes et les andouilles. Fi! fi! peut-on aimer les andouilles? LÉONARD, se prenant la tête dans les mains. Je vais devenir fou! Je sens que je vais devenir fou. CATHERINE. Mon ami, je ne vais plus rien dire, parce qu'en parlant, je pourrais vous déranger de votre travail. LÉONARD. Puissiez-vous faire ce que vous dites. CATHERINE. Je n'ouvrirai pas la bouche. LÉONARD. A merveille. CATHERINE. Vous voyez mon ami; je ne dis plus rien. LÉONARD. Oui. CATHERINE. Je vous laisse travailler bien tranquille. LÉONARD. Oui. CATHERINE. Et rédiger en paix votre sentence. Est-elle bientôt faite? LÉONARD. Elle ne le sera jamais si vous ne vous taisez. (Écrivant.) «Item, cent vingt livres de rentes que cet indigne tuteur a soustraites à la pauvre orpheline...» CATHERINE. Écoutez! Chut! Écoutez! Est-ce qu'on ne crie pas au feu? Il m'a semblé l'entendre. Mais peut-être me serai-je trompée. Y a-t-il rien d'effrayant comme un incendie? Le feu est plus terrible encore que l'eau. J'ai vu brûler l'année dernière les maisons du Pont-au-Change. Quel désordre! Quels dégâts! Les habitants jetaient leurs meubles dans la rivière et se précipitaient eux-mêmes par les fenêtres. Ils ne savaient ce qu'ils faisaient; la peur leur ôtait la raison. LÉONARD. Seigneur, ayez pitié de moi! CATHERINE. Pourquoi gémissez-vous, mon ami? Dites-moi ce qui vous importune. LÉONARD. Je n'en puis plus. CATHERINE. Reposez-vous, Léonard. Il ne faut pas vous fatiguer ainsi. Ce n'est pas raisonnable, et vous auriez tort de... LÉONARD. Ne vous tairez-vous donc jamais? CATHERINE. Ne vous fâchez pas, mon ami. Je ne dis plus rien. LÉONARD. Le ciel le veuille! CATHERINE, regardant par la fenêtre. Oh! voici madame de la Bruine, la femme du procureur qui approche; elle porte un chaperon bordé de soie et un grand manteau puce par-dessus sa robe de brocart. Elle est suivie d'un laquais plus sec qu'un hareng saur. Léonard, elle regarde de ce côté: elle a l'air de venir nous faire visite. Dépêchez-vous de pousser les fauteuils pour la recevoir: il faut accueillir les personnes selon leur état et leur rang. Elle va s'arrêter à notre porte. Non, elle passe; elle est passée. Peut-être me suis-je trompée. Peut-être n'est-ce pas elle. On ne reconnaît pas toujours les personnes. Mais si ce n'est pas elle, c'est quelqu'un qui lui ressemble, et même qui lui ressemble beaucoup. Quand j'y songe, je suis sûre que c'était elle, il ne peut se trouver à Paris une seule femme aussi semblable à madame de la Bruine. Mon ami... mon ami... est-ce que vous auriez été content que madame de la Bruine nous fît une visite? (Elle s'assied sur la table.) Vous qui n'aimez pas les femmes bavardes, il est heureux pour vous que vous ne l'ayez pas épousée; elle jacasse comme une pie, elle ne fait que babiller du matin au soir. Quelle claquette! Et elle raconte quelquefois des histoires qui ne sont pas à son honneur. Léonard, excédé, monte à son échelle avec son écritoire et s'assied sur un échelon du milieu, où il tâche d'écrire. D'abord elle énumère tous les présents que son mari reçoit. Le compte en est fastidieux. Elle monte de l'autre côté de l'échelle double et s'assied en face de Léonard. En quoi cela nous intéresse-t-il que le procureur de la Bruine reçoive du gibier, de la farine, de la marée, ou bien encore un pain de sucre? Mais madame de la Bruine se garde bien de dire que son mari a reçu un jour un grand pâté d'Amiens, et que, quand il l'ouvrit, il ne trouva que deux grandes cornes. LÉONARD. Ma tête éclate! (Il se réfugie sur l'armoire avec son écritoire et ses papiers.) CATHERINE, au plus haut de l'échelle. Avez-vous vu cette procureuse, car enfin, elle n'est que la femme d'un procureur? Elle porte un chaperon brodé, comme une princesse. Ne trouvez-vous pas cela ridicule; mais aujourd'hui tout le monde se met au-dessus de sa condition, les hommes comme les femmes. Les jeunes clercs du palais veulent passer pour des gentilshommes; ils portent des chaînes d'or, des ferrements d'or, des chapeaux à plumes; malgré cela on voit bien ce qu'ils sont. LÉONARD, sur son armoire. Au point où j'en suis, je ne réponds plus de moi, et je me sens capable de commettre un crime. (Appelant.) Gilles! Gilles! Gilles! le fripon! Gilles! Alizon! Gilles! Gilles! Entre Gilles. Va vite trouver le célèbre médecin du carrefour Buci, maître Simon Colline, et dis-lui qu'il revienne tout de suite pour une affaire bien autrement nécessaire et pressante que la première. GILLES. Oui, monsieur le juge. Il sort. CATHERINE. Qu'avez-vous, mon ami? Vous paraissez échauffé. C'est peut-être le temps qui est lourd. Non?... C'est le vent d'Est, ne croyez-vous pas? ou le poisson que vous avez mangé à dîner. LÉONARD, donnant sur son armoire des signes de frénésie. _Non omnia possumus omnes._ Il appartient aux Suisses de vider les pots, aux merciers d'auner du ruban, aux moines de mendier, aux oiseaux de fienter partout et aux femmes de caqueter à double ratée. Oh! que je me repens, péronnelle de t'avoir fait couper le filet. Mais, sois tranquille, ce grand médecin va bientôt te rendre plus muette qu'auparavant. Il prend à brassées les sacs de procès entassés sur l'armoire où il s'est réfugié et les jette à la tête de Catherine qui descend lestement de l'échelle et se sauve épouvantée, par l'escalier intérieur, en criant: --Au secours, au meurtre! Mon mari est devenu fou! Au secours! LÉONARD. Alizon! Alizon! Entre Alizon. ALIZON. Quelle vie! monsieur, vous êtes donc devenu meurtrier? LÉONARD. Alizon, suivez-la, tenez-vous auprès d'elle et ne la laissez pas descendre. Sur votre vie, Alizon, ne la laissez pas descendre. Car de l'entendre encore je deviendrais enragé et Dieu sait à quelles extrémités je me porterais sur elle et sur vous. Allez! Alizon monte l'escalier. SCÈNE III LÉONARD, MAITRE ADAM, MADEMOISELLE DE LA GARANDIÈRE suivis d'un laquais portant un panier. MAITRE ADAM. Souffrez, monsieur le juge, que, pour attendrir votre coeur et pour émouvoir vos entrailles, je vous présente cette jeune orpheline qui, dépouillée par un tuteur avide, implore votre justice. Ses yeux parleront mieux à votre âme que ma voix. Mademoiselle de la Garandière vous apporte ses prières et ses larmes; elle y joint un jambon, deux pâtés de canard, une oie et deux barbots. Elle ose espérer en échange, une sentence favorable. LÉONARD. Mademoiselle, vous m'intéressez... Avez-vous quelque chose à ajouter pour la défense de votre cause? MADEMOISELLE DE LA GARANDIÈRE. Vous êtes trop bon, monsieur; je m'en réfère à ce que vient de dire mon avocat. LÉONARD. C'est tout? MADEMOISELLE DE LA GARANDIÈRE. Oui monsieur. LÉONARD. Elle parle bien, elle parle peu. Cette orpheline est touchante. (Au laquais.) Portez ce paquet à l'office. Le laquais sort. A maître Adam: Maître Adam, quand vous êtes entré je rédigeais le jugement que je rendrai tantôt dans l'affaire de cette demoiselle. Il descend de son armoire. MAITRE ADAM. Quoi, sur cette armoire? LÉONARD. Je ne sais où j'en suis; j'ai la tête bien malade. Voulez-vous entendre le jugement? J'ai moi-même besoin de le relire. (Lisant:) «Attendu que la demoiselle de la Garandière, orpheline de naissance a soustrait frauduleusement et dolosivement au sieur Piédeloup son tuteur, dix fauchées de pré, quatre-vingts livres de poisson d'étang, attendu qu'il n'y a rien d'effrayant comme un incendie, attendu que monsieur le Procureur a reçu un pâté d'Amiens dans lequel il y avait deux cornes... MAITRE ADAM. Ciel que lisez-vous là? LÉONARD. Ne me le demandez pas; je n'en sais rien moi-même. Il me semble qu'un diable m'a, deux heures durant, mis la cervelle au pilon. Je suis devenu idiot... Et c'est par votre faute, maître Adam Fumée... Si ce bon médecin n'avait pas rendu ma femme parlante... MAITRE ADAM. Ne m'accusez pas, monsieur Léonard. Je vous avais prévenu. Je vous avais bien dit qu'il fallait y regarder à deux fois avant de délier la langue d'une femme. LÉONARD. Ah! maître Adam Fumée, combien je regrette le temps où Catherine était muette. Non! la nature n'a pas de fléau plus terrible qu'une femme bavarde... Mais je compte bien que les médecins révoqueront leur bienfait cruel. Je les ai fait appeler et voici justement le chirurgien. SCÈNE IV LES MÊMES, MAITRE JEAN MAUGIER, puis MAITRE SIMON COLLINE et MAITRE SÉRAPHIN DULAURIER suivi de deux petits garçons apothicaires. MAITRE JEAN MAUGIER. Monsieur le juge j'ai l'honneur de vous saluer. Voici maître Simon Colline qui s'avance sur sa mule, suivi de maître Séraphin Dulaurier, apothicaire. Autour de lui se presse un peuple idolâtre; les chambrières, troussant leur cotillon et les marmitons portant une manne sur leur tête lui font cortège: (Entre maître Simon Colline et sa suite.) Oh! qu'avec justice maître Simon Colline fait l'admiration du peuple quand il va par la ville portant la robe, le bonnet carré, l'épitoge et le rabat. Oh! qu'il faut être reconnaissant à ces bons médecins qui travaillent à nous conserver la santé et à nous soigner dans... MAITRE SIMON, à maître Jean Maugier. Assez; cela suffit... LÉONARD. Maître Simon Colline, j'avais hâte de vous voir. Je réclame instamment votre ministère. MAITRE SIMON. Pour vous, monsieur? Quel est votre mal? Où souffrez-vous? LÉONARD. Non! pour ma femme: celle qui était muette. MAITRE SIMON. Éprouve-t-elle quelque incommodité? LÉONARD. Aucune. C'est moi qui suis incommodé. MAITRE SIMON. Quoi! C'est vous qui êtes incommodé et c'est votre femme que vous voulez guérir? LÉONARD. Maître Simon Colline, elle parle trop. Il fallait lui donner la parole, mais ne pas la lui tant donner. Depuis que vous l'avez guérie de son mutisme, elle me rend fou. Je ne puis l'entendre davantage. Je vous ai appelé pour me la faire redevenir muette. MAITRE SIMON. C'est impossible! LÉONARD. Que dites-vous? Vous ne pouvez lui ôter la parole que vous lui avez donnée? MAITRE SIMON. Non! je ne le puis. Mon art est grand, mais il ne va pas jusque-là. MAITRE JEAN MAUGIER. Cela nous est impossible. MAITRE SÉRAPHIN. Tous nos soins n'y feraient rien. MAITRE SIMON. Nous avons des remèdes pour faire parler les femmes; nous n'en avons pas pour les faire taire. LÉONARD. Vous n'en avez pas? Que me dites-vous là? Vous me désespérez. MAITRE SIMON. Hélas! monsieur le juge, il n'est élixir, baume, magistère, opiat, onguent, emplâtre, topique, électuaire, panacée pour guérir chez la femme l'intempérance de la glotte. La thériaque et l'orviétan y seraient sans vertu, et toutes les herbes décrites par Dioscorides n'y opéreraient point. LÉONARD. Dites-vous vrai? MAITRE SIMON. Vous m'offenseriez, monsieur, d'en douter. LÉONARD. En ce cas, je suis un homme perdu. Je n'ai plus qu'à me jeter dans la Seine, une pierre au cou. Je ne peux pas vivre dans ce vacarme. Si vous ne voulez pas que je me noie tout de suite, il faut, messieurs les docteurs, que vous me trouviez un remède. MAITRE SIMON. Il n'y en a point, vous ai-je dit, pour votre femme! Mais il y en aurait un pour vous, si vous consentiez à le prendre. LÉONARD. Vous me rendez quelque espoir. Expliquez-vous, je vous prie. MAITRE SIMON. A babillage de femme, il est un remède unique. C'est surdité du mari. LÉONARD. Que voulez-vous dire? MAITRE SIMON. Je veux dire ce que je dis. MAITRE ADAM. Ne le comprenez-vous pas? C'est la plus belle invention du monde. Ne pouvant rendre votre femme muette, ce grand médecin vous offre de vous rendre sourd. LÉONARD. Me rendre sourd tout de bon? MAITRE SIMON. Sans doute. Je vous guérirai subitement et radicalement de l'incontinence verbeuse de madame votre épouse par la cophose. LÉONARD. Par la cophose? Qu'est-ce que la cophose? MAITRE SIMON. C'est ce qu'on appelle vulgairement la surdité. Voyez-vous quelque inconvénient à devenir sourd? LÉONARD. Oui, j'en vois; car vraiment il y en a. MAITRE JEAN MAUGIER. Croyez-vous? MAITRE SÉRAPHIN. Lesquels? MAITRE SIMON. Vous êtes juge. Quel inconvénient y a-t-il à ce qu'un juge soit sourd. MAITRE ADAM. Aucun. L'on peut m'en croire: je suis du Palais. Il n'y en a aucun. MAITRE SIMON. Quel dommage en résulterait-il pour la justice? MAITRE ADAM. Il n'en résulterait nul dommage. Au contraire, monsieur Léonard Botal n'entendrait ni les avocats, ni les plaignants, et il ne risquerait plus d'être trompé par des mensonges. LÉONARD. Cela est vrai. MAITRE ADAM. Il n'en jugera que mieux. LÉONARD. Il se peut. MAITRE ADAM. N'en doutez pas. LÉONARD. Mais comment s'opère cette... MAITRE JEAN MAUGIER. Guérison. MAITRE SIMON. La cophose ou surdité peut être obtenue de plusieurs manières. On la produit soit par l'otorrhée, soit par les oreillons, soit par la sclérose de l'oreille, soit par l'otite, ou encore par l'ankylose des osselets. Mais ces divers moyens sont longs et douloureux. LÉONARD. Je les repousse!... Je les repousse de toutes mes forces. MAITRE SIMON. Vous avez raison. Il vaut bien mieux obtenir la cophose par l'influence d'une certaine poudre blanche que j'ai dans ma trousse et dont une pincée, introduite dans l'oreille, suffit pour vous rendre aussi sourd que le ciel dans ses jours de colère, ou qu'un pot. LÉONARD. Grand merci, maître Simon Colline; gardez votre poudre. Je ne veux pas être sourd. MAITRE SIMON. Quoi, vous ne voulez pas être sourd? Quoi, vous rejetez la cophose? Vous fuyez la guérison que vous imploriez tout à l'heure? C'est un spectacle trop fréquent et bien fait pour porter la douleur dans l'âme d'un bon médecin, que celui du malade indocile qui repousse le remède salutaire... MAITRE JEAN MAUGIER. ... Se dérobe aux soins qui soulageraient ses souffrances... MAITRE SÉRAPHIN. ... Et refuse d'être guéri. MAITRE ADAM. Ne vous décidez pas si vite, monsieur Léonard Botal, et ne repoussez pas si délibérément un mal qui vous garde d'un plus grand. LÉONARD. Non! je ne veux point être sourd; je ne veux point de cette poudre. SCÈNE V LES MÊMES, ALIZON, puis CATHERINE ALIZON dévalant l'escalier, en se bouchant les oreilles. Je n'y puis tenir. Ma tête en éclate. Il n'est pas humainement possible d'entendre bourdonner de cette sorte. Elle n'arrête pas. Il me semble que je suis depuis deux heures dans la roue d'un moulin. LÉONARD. Malheureuse! Ne la laissez pas descendre. Alizon! Gilles! Qu'on l'enferme! MAITRE ADAM. Oh! monsieur! MADEMOISELLE DE LA GARANDIÈRE. Oh! monsieur, pouvez-vous avoir l'âme si noire que de vouloir séquestrer cette pauvre dame. CATHERINE. Quelle belle et nombreuse compagnie. Je suis votre servante, messieurs. (Elle fait la révérence.) MAITRE SIMON COLLINE. Eh! bien, madame? N'êtes-vous pas contente de nous, et ne vous avons-nous pas bien délié la langue? CATHERINE. Assez bien, messieurs, et je vous en suis fort obligée; dans les premiers moments, je ne pouvais articuler beaucoup de mots. Mais maintenant, j'ai assez de facilité à parler; j'en use modérément, car une femme bavarde est un fléau domestique. Messieurs, je serais désolée si vous pouviez me soupçonner de loquacité et si vous pensiez qu'une démangeaison de discourir me tourmente. C'est pourquoi je vous demande la permission de me justifier tout de suite aux yeux de mon mari qui, sur je ne sais quelle apparence, prévenu contre moi, a pu s'imaginer que mes propos lui donnaient de fâcheuses distractions pendant qu'il rédigeait une sentence... C'était une sentence en faveur d'une jeune orpheline, privée à la fleur de ses ans de ses père et mère. Mais il n'importe. J'étais assise auprès de lui et je ne lui adressais autant dire pas la parole. Mon seul discours était ma présence. Un mari peut-il s'en plaindre? Peut-il trouver mauvais qu'une épouse se tienne auprès de lui et recherche sa compagnie, comme elle le doit? (A son mari.) Plus j'y songe et moins je puis concevoir votre impatience. Quelle en est la cause? Cessez d'alléguer le prétexte de mon bavardage. Il n'est pas soutenable. Mon ami, il faut que vous ayez contre moi quelque grief que je ne sais pas, je vous prie de me le dire. Vous me devez une explication, et quand je saurai ce qui vous a fâché, je ferai en sorte de vous épargner à l'avenir la contrariété que vous m'aurez fait connaître. Car j'ai à coeur de vous éviter tout sujet de mécontentement. Ma mère disait: «Entre époux, on ne doit pas se faire de mystères.» Elle avait bien raison. Souvent un mari ou une femme, pour ne s'être point confiés l'un à l'autre, ont attiré sur leur maison et sur eux-mêmes des catastrophes terribles. C'est ce qui est arrivé à madame la présidente de Beaupréau. Pour surprendre agréablement son mari, elle avait enfermé dans un coffre de sa chambre un petit cochon de lait. Le mari l'entendit crier et, croyant que c'était un galant, il tira son épée et en perça le coeur de son épouse avant même d'entendre les explications de sa malheureuse femme. Quand il ouvrit le coffre, jugez de sa surprise et de son désespoir. C'est pourquoi il ne faut pas faire de cachotteries, même à bon escient. Vous pouvez vous expliquer devant ces messieurs. Je n'ai point de torts et tout ce que vous pourrez dire ne fera que faire éclater mon innocence. LÉONARD, qui depuis quelques instants essaie vainement par ses gestes et ses cris d'arrêter les paroles de Catherine et qui a déjà donné les signes d'une extrême impatience. La poudre! La poudre! Maître Simon Colline, votre poudre, votre poudre blanche, par pitié! MAITRE SIMON. Jamais poudre à rendre sourd ne fut en effet plus nécessaire. Veuillez vous asseoir monsieur le juge. Maître Séraphin Dulaurier va vous insuffler la poudre assourdissante dans les oreilles. MAITRE SÉRAPHIN. Bien volontiers, monsieur. MAITRE SIMON. Voilà qui est fait. CATHERINE, à maître Adam Fumée. Faites entendre raison, à mon mari, monsieur l'avocat. Dites-lui qu'il faut qu'il m'écoute, qu'on n'a jamais condamné une épouse sans l'entendre, dites-lui qu'on ne jette pas des sacs à la tête d'une femme (car il m'a jeté des sacs à la tête), sans y être poussé par un violent mouvement du coeur ou de l'esprit... Mais non! je vais lui parler moi-même. (A Léonard:) Mon ami, répondez, vous ai-je manqué en quelque chose? Suis-je une méchante femme? Suis-je une mauvaise épouse? J'ai été fidèle à mon devoir; je vous dirai même que je l'ai aimé... LÉONARD, son visage exprime la béatitude, et tranquille, il se tourne les pouces. Cela est délicieux. Je n'entends plus rien. CATHERINE. Écoutez-moi, Léonard, je vous aime tendrement. Je vais vous ouvrir mon coeur. Je ne suis pas une de ces femmes légères et frivoles qu'un rien afflige, qu'un rien console et qui s'amuse de bagatelles. J'ai besoin d'amitié. Je suis née ainsi: dès l'âge de sept ans j'avais un petit chien, un petit chien jaune... Vous ne m'écoutez pas... MAITRE SIMON. Madame, il ne saurait vous écouter, vous ou tout autre. Il n'entend plus. CATHERINE. Comment il n'entend plus. MAITRE SIMON. Non, il n'entend plus par l'effet d'une médication qu'il vient de prendre. MAITRE SÉRAPHIN. Et qui a produit en lui une douce et riante cophose. CATHERINE. Je le ferai bien entendre moi. MAITRE SIMON. Vous n'en ferez rien, madame; c'est impossible. CATHERINE. Vous allez voir... (A son mari.) Mon ami, mon chéri, mon amour, mon coeur, ma moitié. Vous n'entendez pas. (Elle le secoue.) Olibrius, Hérode, Barbe-Bleue, cornard. LÉONARD. Je ne l'entends plus par les oreilles. Mais je ne l'entends que trop par les bras, par les épaules ou par le dos. MAITRE SIMON. Elle devient enragée. LÉONARD. Où fuir? Elle m'a mordu, et je me sens devenir enragé comme elle. On entend l'aveugle au dehors.--Il entre dans la salle en chantant: _Passant vers la rivière, Nous donnant le bras, La déra; Passant vers la rivière, Nous donnant le bras, Trouvons la meunière, Avec nous dansa, La déra; Trouvons la meunière, Avec nous dansa._ Catherine et Léonard vont en dansant et en chantant mordre tous les assistants, qui devenus enragés, dansent et chantent furieusement et ne s'arrêtent que pour dire, par la bouche de M. Léonard Botal: --Mesdames et messieurs, excusez les fautes de l'auteur. FIN End of the Project Gutenberg EBook of La comédie de celui qui épousa une femme muette, by Anatole France *** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA COMEDIE DE CELUI QUI EPOUSA *** ***** This file should be named 63794-8.txt or 63794-8.zip ***** This and all associated files of various formats will be found in: http://www.gutenberg.org/6/3/7/9/63794/ Produced by Laurent Vogel and the Online Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by The Internet Archive/Canadian Libraries) Updated editions will replace the previous one--the old editions will be renamed. Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright law means that no one owns a United States copyright in these works, so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United States without permission and without paying copyright royalties. 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It exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from people in all walks of life. Volunteers and financial support to provide volunteers with the assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will remain freely available for generations to come. In 2001, the Project Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit 501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by U.S. federal laws and your state's laws. The Foundation's principal office is in Fairbanks, Alaska, with the mailing address: PO Box 750175, Fairbanks, AK 99775, but its volunteers and employees are scattered throughout numerous locations. Its business office is located at 809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up to date contact information can be found at the Foundation's web site and official page at www.gutenberg.org/contact For additional contact information: Dr. Gregory B. Newby Chief Executive and Director gbnewby@pglaf.org Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide spread public support and donations to carry out its mission of increasing the number of public domain and licensed works that can be freely distributed in machine readable form accessible by the widest array of equipment including outdated equipment. Many small donations ($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt status with the IRS. The Foundation is committed to complying with the laws regulating charities and charitable donations in all 50 states of the United States. 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