The Project Gutenberg EBook of Poesies du troubadour Peire Raimon de Toulouse, by Joseph Anglade This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org Title: Poesies du troubadour Peire Raimon de Toulouse Texte et traduction Author: Joseph Anglade Posting Date: May 31, 2013 [EBook #9053] Release Date: October, 2005 First Posted: September 1, 2003 Language: French Character set encoding: ISO-8859-1 *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK POESIES DU TROUBADOUR PEIRE *** Produced by David Starner, Anne Dreze, Marc D'Hooghe and the PG Online Distributed Proofreaders. Html-version, thanks to David Widger. JOSEPH ANGLADE PROFESSEUR DE LANGUE ET DE LITTÉRATURE MÉRIDIONALES A L'UNIVERSITÉ DE TOULOUSE POÉSIES DU TROUBADOUR PEIRE RAIMON DE TOULOUSE TEXTE ET TRADUCTION (Extrait des _Annales du Midi_, 1919-1920.) _Tiré à cent vingt-cinq exemplaires dont dix sur papier de Hollande._ JOSEPH ANGLADE POÉSIES DU TROUBADOUR PEIRE RAIMON DE TOULOUSE J'avais commencé, en 1916, la publication des poésies de Peire Raimon de Toulouse dans la revue l'_Auta_, organe de la _Société des Toulousains de Toulouse_. Malgré la bonne volonté de la Société et de son président, les circonstances ne se prêtèrent pas à la continuation de ce travail. Je l'arrêtai donc, après avoir publié quatre pièces[1]. Cette édition était destinée à des lecteurs non initiés, en général, à la philologie romane, mais connaissant leur langue maternelle. Il nous faudrait bien décider, en attendant des éditions critiques qui ne paraissent qu'à de longs intervalles et qui ne paraissent pas toutes en France, à avoir des éditions provisoires de nos troubadours, dont le texte serait emprunté à quelques bons manuscrits. Nos troubadours--et je dis _nos_ à dessein--ne sont pas faits exclusivement pour servir de thème à des exercices philologiques. Ce sont des poètes, facilement abordables, et dont la poésie n'est pas tout à fait éteinte, malgré les ans. Nous ne savons quand tous nos troubadours, même quelques-uns des plus grands, seront édités d'une manière critique. Faut-il se résigner jusque-là à les lire dans les recueils introuvables--et d'un si joli aspect typographique!--de Mahn ou dans le recueil, plus beau typographiquement, mais aussi rare, de Raynouard? Nous ne le croyons pas. Une _Bibliothèque Romane_, où seraient publiés les vingt ou trente troubadours les plus marquants, serait la bienvenue[2]. Elle n'empêcherait pas la préparation des éditions critiques, qui arrivent à leur heure, et elle procurerait de belles joies aux amoureux de notre poésie. Notre édition n'a pas d'autre ambition. Nous pensons qu'elle rendra des services à nos études; et on ne sera plus obligé, en ce qui concerne Peire Raimon, d'aller chercher les _membra disjecta poetae_, et d'un bon poète, dans les recueils les plus disparates et les plus rares. Notes: [1] Elles ont paru dans les numéros suivants de l'_Auta_: mars 1916; juillet 1916; janvier 1917; juin 1917. Avec tirage à part. Par suite d'une erreur qui n'est pas imputable à l'imprimeur, le titre du tirage à part portait: Peire _Guilhem_ de Tolosa; un papillon a rectifié sur la plupart des exemplaires cette erreur. Quatre autres pièces ont été publiées dans le _Bulletin de la Société Archéologique du Midi de la France_, nouv. série, no. 45 (Toulouse, 1919); il a été fait de cet article un tirage à part à un très petit nombre d'exemplaires, dans notre publication intitulée: _A propos des troubadours toulousains_, Toulouse, 1917. [2] Le fondateur de la _Bibliothèque Méridionale_, M. Antoine Thomas, écrivait, en 1888, dans la préface de son édition de Bertran de Born: «Nous nous proposons de faire pour les principaux troubadours ce que nous venons de faire pour Bertran de Born.» Idée et programme excellents, qui pourraient être repris. BIOGRAPHIE. La biographie suivante de Peire Raimon nous a été conservée par cinq manuscrits.[3] «Peire Raimonz de Tolosa lo vielz si fo fillz d'un borzes, e fetz se joglars, et anet s'en en la cort del rei N'Anfos d'Aragon; e·l reis l'acuilhic e·il fetz grant honor. Et el era savis hom e sotils, e saup molt ben chantar et trobar, e fetz de bons vers e de bonas chansos e de bons mots; e estet en la cort del rei, e del bon comte Raimon de Tolosa, lo sieu seignor, et en la cort d'En Guilhem de Monpeslier, longa sazon. Pois tolc moiller a Pamias, et lai definet.» «Peire Raimon de Toulouse, le Vieux, était fils d'un bourgeois. Il se fit jongleur et s'en alla à la cour du roi Alfonse d'Aragon (1162-1196); et le roi l'accueillit et lui fit grand honneur. Il était savant (en poésie) et subtil; il savait bien chanter et bien trouver, et il fit de bons vers, de bonnes chansons et de bonnes compositions; et il resta à la cour du roi et du bon comte de Toulouse, son seigneur, et à la cour du seigneur Guilhem de Montpellier, longtemps. Puis il prit femme à Pamiers, et c'est là qu'il mourut.» Sur les cinq manuscrits, deux (_A_ et _B_) remplacent la mention de la cour du «seigneur de Montpellier» par celle de «de Saint-Leidier»; le fait n'aurait rien d'invraisemblable, le troubadour Guilhem de Saint-Leidier ayant été en même temps un grand seigneur qui pouvait avoir une «cour»; cependant, nous croyons que cette mention de _cour_ fait plutôt penser à Guilhem de Montpellier,[4] à la cour duquel nous savons que plusieurs troubadours furent accueillis avec faveur.[5] Le roi d'Aragon est le roi Alfonse II, mort en 1196, père de Pierre II. Quant au seigneur de Toulouse, il s'agit vraisemblablement de Raimon VI (1194-1222). On remarquera le détail qui nous est donné sur le mariage[6] de Peire Raimon. Quelque défiance qu'on ait, à bon droit, pour les biographies des troubadours, il ne semble pas qu'on puisse mettre en doute la valeur de ce renseignement. On remarquera de plus qu'il n'est fait aucun allusion, dans la biographie, au séjour de Peire Raimon en Italie; ce silence est surprenant, si les biographies sont dues à un troubadour qui séjournait en Italie, ou même à un Italien; mais il est vraisemblable qu'une partie des biographies a été composée dans le Midi de la France, assez loin de l'Italie; celle-ci nous paraît être du nombre. Si la biographie mérite quelque créance, c'est en Aragon que se serait passée la première partie de la vie de Peire Raimon; quelques allusions à ce séjour se retrouvent dans son oeuvre. Un roi d'Aragon est cité, IV, str. 6 et VIII, str. 6; une allusion à un amour dont l'objet est à Barcelone se trouve ch. X, str. 7. Ces chansons paraissent d'ailleurs avoir été composées en dehors de l'Aragon, à moins que la formule d'envoi ne soit, comme il arrive souvent, une fiction du poète. En ce qui concerne Toulouse, Peire Raimon a écrit quelques chansons en l'honneur d'une noble dame qui y habitait. Les deux chansons sur l'amour médecin paraissent être du nombre (ch. II et VI). La _Comtessa_, qui est citée dans cette dernière, ne peut guère être que la comtesse de Toulouse, mais laquelle? Nous pensons que le «bon seigneur Raimon» est le comte Raimon VI (1194-1222). La comtesse pourrait être «Éléonore», soeur du roi d'Aragon Pierre II, la dernière des cinq épouses du comte Raimon VI; le contrat qui l'unissait au comte de Toulouse fut fait en 1200, mais, à cause de la jeunesse de la princesse, le mariage n'eut lieu que trois ou quatre ans plus tard (_Hist. Gén. Lang_., VI, 190).[7] Ceci nous mènerait, en ce qui concerne Peire Raimon, en 1204 environ. Trois manuscrits de la biographie[8] sur cinq, donnent à Peire Raimon le surnom de «lo Vieil», le Vieux; ce qui laisserait supposer qu'il y a eu un troubadour du même nom, mais plus jeune. Chabaneau est disposé a l'admettre, en faisant remarquer que l'hypothèse de deux troubadours expliquerait mieux une partie de l'oeuvre de Peire Raimon[9].M. Bertoni après avoir été d'abord de cet avis, est aujourd'hui d'une opinion contraire[10] et nous partageons sa manière de voir. L'hypothèse de deux troubadours de la même famille n'a rien d'impossible; nous en avons deux de la famille de Saint-Didier, l'aïeul, Guilhem, et le petit-fils Gauseran; et nous avons deux Bertran de Born, le père et le fils. Mais, en ce qui concerne Peire Raimon, l'epithete de _vieil_ ne suffit pas pour lui attribuer un fils ou tout autre parent, poète comme lui. Nous expliquerons plutôt cette désignation en disant que pour l'auteur de la biographie, qui peut-être écrivait assez tard après la mort de Peire Raimon, ce troubadour lui paraissait appartenir à l'ancienne génération. Nostredame appelle Peire Raimon _Lou Proux_, le Preux[11]; ce mot se trouve à la suite du nom du troubadour dans le ms. _f_. Les renseignements que donne Nostredame sur Peire Raimon sont un mélange de vérités et de mensonges. Ainsi: «Plusieurs belles chansons» de Peire Raimon auraient été adressées à une noble dame de Toulouse qui s'appelait _Jausserande del Puech_, nom inconnu dans l'onomastique des troubadours, et d'autres auraient été composées en l'honneur d'une «gentil femme» de Provence, de la maison de Codollet. La seule donnée vraisemblable qui se trouve dans la biographie de Nostredame, c'est la date de 1225, qui serait celle de la mort de Peire Raimon. Quant à l'imitation que Pétrarque aurait faite de l'une de ses poésies, dans son sonnet _Benedetto sia_ (Son. XLVII), il s'agit d'une chanson attribuée par un manuscrit (P) à Giraut de Borneil et par un autre (C) à Peire Vidal. Le séjour de Peire Raimon à Montpellier doit se placer avant 1202, date de la mort de Guilhem VIII (1177-1202); mais nous ne pouvons pas préciser davantage. La tenson de Peire Raimon avec Bertran de Gourdon doit se placer avant l'année 1211, date à laquelle le seigneur de Gourdon fit hommage de sa ville an roi Philippe-Auguste.[12] Il n'est pas probable que Peire Raimon fût encore, à cette date-là, dans le Midi de la France, où la Croisade était déchaînée depuis 1209. Cependant on pourrait admettre que Peire Raimon, ayant quitté le comte de Toulouse à cette époque, fut pendant quelque temps l'hôte de ce seigneur besogneux avec lequel il tensonna. PÉRIODE ITALIENNE.--La période «italienne» de la vie de Peire Raimon nous paraît pouvoir être reportée à la fin de sa vie. On peut fixer certaines dates de ses chansons aux environs des années 1218 et 1221. Il est vraisemblable que notre troubadour quitta la France soit avant la tourmente albigeoise, soit, par exemple, après la bataille de Muret (1213). C'est dans la première période de son séjour en Italie que nous placerions la composition de son _descort_: le «comte vaillant de Savoie» auquel il est dédié ne peut être que Thomas 1er, qui fut aussi chanté par Pistoleta.[13] Ce prince (1178-1233), nous dit la _Généalogie des comtes de Savoie_, «était jeune et beau et dansait et chantait mieux que nul autre».[14] Peire Raimon fut ensuite en relations avec la cour d'Este, si on en juge par l'envoi de la chanson _Totztemps auch dir_ (no. XVI de notre édition). Béatrix d'Este, à qui est adressée cette chanson, était née en 1191; elle était la fille d'Azzo VI d'Este. Un chroniqueur du temps nous dit qu'elle était _mira pulcritudine corporis et virtute multipliciter decorata_.[15] Après avoir passé sa jeunesse, ajoute le chroniqueur, _in pompis et favoribus seculi, in ornamentis et vanitatibus diversi generis, sicut mos est nobilium et secularium feminarum_, elle prit le voile entre 1218 et 1220 et mourut en 1226. Telle est la femme extrêmement belle et vertueuse que chanta Peire Raimon et que chantèrent aussi Rambertino Buvalelli, Aimeric de Pégulhan, Guilhem de la Tour et Falquet de Romans.[16] La composition de Peire Raimon serait d'avant 1218. C'est vers la même époque que Peire Raimon fut en relations avec un autre prince italien protecteur des troubadours, Guilhem de Malaspina, mort en 1220. La chanson _Pos vei parer la flor_ lui est adressée et son nom se retrouve dans la chanson _Ara pus iverns_ (str. IV). La chanson _Si com celuy_ est adressée à Conrad d'Auramala, marquis de Malaspina, qui fut aussi chanté par Guilhem de la Tour;[17] la pièce est, au plus tôt, de 1221, date où Conrad succède à Guilhem de Malaspina; il est vraisemblable qu'elle n'est pas de beaucoup postérieure à cette date. C'est aux environs de 1221 (mais avant cette date) que nous ramène la chanson[18] adressée par Peire Raimon au troubadour italien Rambertino Buvalelli, originaire de Bologne, mort en 1221. Les strophes, assez obscures, d'Uc de Saint-Cyr sur Peire Raimon ont été sans doute écrites en Italie après 1220, date à laquelle Uc de Saint-Cyr alla dans ce pays[19]. Je crois, avec les auteurs de l'édition de ce troubadour, qu'il s'agit de notre poète. Je ne sais pas d'ailleurs à quoi Uc de Saint-Cyr fait exactement allusion, dans ses plaisanteries sur Peire Raimon; il est question de «racines» et de «syllabes» que Peire Raimon se vante de savoir trouver mieux qu'aucun autre troubadour. Quelques-unes de ses poésies sont écrites avec une certaine recherche de la difficulté, dans les rimes ou dans les mots, en particulier les pièces _Ara pus iverns_ et _Pos vezem_ [20]; mais je ne sais si tout cela est suffisant pour justifier les plaisanteries d'Uc de Saint-Cyr et expliquer ses allusions; je croirais plutôt que les unes et les autres s'adressent à des poésies perdues de Peire Raimon, des pièces de circonstance, comme les deux pièces de son critique. La seconde (XXIX) rappelle d'ailleurs par le ton et, en partie par le mètre, la tenson de Peire Raimon et de Bertran de Gourdon. Quand notre poète revint-il dans le Midi pour se marier à Pamiers? C'est ce que nous ne savons pas. Nous connaissons les dates approximatives de plusieurs des chansons écrites en Italie, mais il n'est pas possible d'établir, même approximativement, de quelle date sont ses premières compositions. Une date _ante quam_ nous est fournie seulement par la mort d'Alfonse II d'Aragon, 1196; d'autre part la date de 1221 (avènement de Conrad de Malaspina, mort de Rambertino Buvalelli) nous paraît marquer à peu près la fin de l'activité poétique de Peire Raimon en Italie. Il est probable que ses premières poésies sont antérieures à 1196, mais de combien? Nous n'avons aucun moyen de fixer ce point. Diez donne comme dates de son activité poétique 1170-1200[21], mais ce sont des dates erronées; Chabaneau[22] donne les mêmes dates, mais en marquant, entre parenthèses, qu'il les emprunte à Diez. Il me semble qu'en faisant remonter les premières compositions de Peire Raimon aux environs de 1190 et en plaçant les dernières aux environs de 1121-1222 nous ne serons pas trop éloignés de la vérité. Peire Raimon aurait pu, entre cinquante et soixante ans, revenir dans le Midi et prendre femme à Pamiers. Peire Raimon emploie deux fois le _senhal_ d'_Ereubut_. _Ereubut_ se trouve dans les chansons: _Enquera·m vai recalivan_ et _Non puese suffrir_. D'après l'envoi de la première, il semble que nous ayons affaire à un jongleur; mais, d'après la seconde, il semble qu'il s'agisse d'une dame; dans la première des deux chansons elle est chargée de présenter la composition du poète à la «noble comtesse», qui pourrait être la comtesse de Toulouse; dans la seconde pièce, c'est, au contraire, le poète qui a reçu «des prières et une demande» de faire une chanson. Nous ne savons si ce _senhal_ désigne une des épouses de Raimon VI ou une de celles de Raimon V. Bartsch attribue à Peire Raimon vingt compositions; mais celle qui porte le numéro 2, dans sa liste, est une partie du numéro 9, et son numéro 11 correspond à 330, 12, et appartient à Peire Bremon. Nous la donnons en appendice. Le ms. _a_ attribue à Peire Raimon la pièce _Mas camjat ai de far chanso_ (qui est d'Elias de Barjols; Bartsch, 132, _8_). Deux mss., _Sc_, lui attribuent la pièce _Ses alegratge_, qui est de Guilhem Augier (Bartsch, 205, _5_). Le ms. _N_ lui attribue la pièce unique de Jordan de l'Isla de Venaissi (Bartsch, 276, _1_). De même _T_ lui attribue la pièce unique de Peire Bremon lo Tort (Bartsch, 331, _1_). Enfin le ms. _M_ lui attribue la célèbre chanson de R. de Barbezieux, _Tuit demandon qu'es devengud' Amors_. Nostredame attribue à notre troubadour la chanson _Non es savis ni gaire ben apres_, qui est donnée à P. Vidal par le ms. _c_ et à Giraut de Borneil par le ms. _P_, ainsi qu'une chanson qui aurait commencé ainsi: _Amour, si ton poder es tal, Ensins que cad'un ho razona_, et qui paraît être de l'invention de Nostredame.[23] Peire Raimon mérite une bonne place à côté des grands noms de la poésie méridionale. Moins original que Peire Vidal, et moins varié, au moins dans l'état actuel de son oeuvre, qu' Aimeric de Pégulhan, il peut aller cependant de pair avec ses deux compatriotes. Il a, comme la plupart des troubadours, le culte de la forme et il nous laisse voir, à plusieurs reprises, quelle est sa conception de l'art poétique; mais il ne tombe pas dans un excès ridicule et puéril, comme d'autres troubadours. Il a de la grâce et de l'élégance, et plus d'une fois laisse percer sa sensibilité. Ses descriptions du printemps, quoique conventionnelles, sont fraîches et pittoresques. Son oeuvre est, dans l'ensemble, remarquable par la finesse de la pensée et la grâce du style. Et c'était un vrai poète celui qui savait si bien dire comment le coeur des poètes se consume en chantant (_Atressi com la candela_) et si bien exprimer comment naît la poésie, non des aspects les plus variés de la nature, mais de la sincérité du coeur (_S'ieu fos aventuratz_); par là il se rapproche de celui qui reste pour nous le maître de la poésie méridionale, de Bernard de Ventadour.[24] Notes: [3]_ABIKN_(2); Chabaneau, _Hist. Gén. Lang_., X, 271. [4] Guilhem VIII, 1172-1202. [5] Cf. Ch. Brun, _Les troubadours à la cour des seigneurs de Montpellier_. (Extr. du _Félibrige latin_, Montpellier, 1893.) [6] _N_(2): _tolc moiller a paruias_... [7] Éléonore a été nommée par les troubadours suivants: Guilhem de Berguedan, Raimon de Miraval, Cadenet, Gaubert de Puycibot, Elias de Barjols, Arnaut Catalan, Aimeric de Belenoi, Aimeric de Pegulhan; peut-être aussi est-ce Éléonore qui est désignée par _reina_ dans la pièce de Guilhem de Baux, _Gr_., 209, 2. Cf. sur tout ceci: F. Bergert, _Die von den Trobadors gefeierten Damen_, p. 26. [8] _A B N_(2); les autres mss. contenant la biographie sont _I_ et _K_, qui proviennent de la même source. La biographie de N(2) est publiée dans _l'Archiv. f. d. Studium d. n. Sprachen_, t. CII (1899), p. 204. [9] «Il paraît difficile que toutes les pièces qui portent ce nom aient été composées par la même personne.» _Hist. Gén. Lang_., X, 373, n. 2. La difficulté disparaît, en ne faisant pas commencer trop tôt--et il n'y a aucune raison pour le faire--la carrière poétique de Peire Raimon. [10] _Trovatori d'Italia_, p. 14. [11] _Vies_, éd. Chabaneau-Anglade, p. 48. Le ms. _D_, dans la suscription de la chanson _Encara·m vai recalivan_, appelle Peire Raimon _lo Gros_; Bertoni, _Trovatori d'Italia_, p. 14, n. 2. [12] Chabaneau, _Hist. Gén. Lang_., X, 340. [13] Dans sa chanson: _Mainta gen fatz meravilhar_. [14] _Genealogia comitum Sabaudiae_, c. 66; cité par Bertoni, _Trovatori d'Italia_, p. 8, n. 3. [15] _Rerum ital. Script_., VIII, 720, in Bergert, _Die... gefeierten Damen_, p. 81 sq. [16] Bergert, _Die... gefeierten Damen_, p. 81 sq. [17] Bertoni, _Trovatori d'Italia_, p. 13. [18] _De fin' amor son tuit mei pensamen_, no. V de notre édition. M. Bertoni a remarqué que le ms. _D_ (_D_(a)), d'origine italienne, attribue deux pièces de Peire Raimon à R. Buvalelli (_Pos vei parer; Us novels pensamens_). Il est probable que le manuscrit primitif dont s'est servi l'auteur du chansonnier contenait des poésies des deux troubadours; ce n'est pas le seul hasard qui les avait réunies. [19] Ed. Jeanroy et De Grave, XXVII, XXIX; cf. pp. 161, 204. [20] Jeanroy, De Grave, _Op. laud_., p. 204. [21] Diez, _Leben und Werke_, p. 92. [22] Chabaneau, _Hist. Gen. Lang_., X, 373. [23] Nostredame, _Vies_, éd. Chabaneau-Anglade, pp. 48 et 312. [24] On trouvera, à la fin de notre édition, la pièce du poète valencien Auzias March imitée de Peire Raimon. Voir sur cette imitation: A. Pagès, _Auzias March et ses prédécesseurs_, p. 286 sq. BIBLIOGRAPHIE ANGLADE (J.).--_A propos des troubadours toulousains_. Toulouse, 1917. (Extr. du _Bulletin de la Société Archéologique du Midi de la France_, nouvelle série, no. 45. Toulouse, 1919, p. 195-245.) ANGLADE (J.).--_Quatre poésies du troubadour Peire Raimon de Tolosa_. Toulouse, 1917. APPEL (C.)--_Provenzalische Inedita aus Pariser Handschriften_. Leipzig, 1892 (et _Altfr. Bibliothek_, t. XIII). P. 244, _Ar ai ben d'Amor apres_; p. 246, _Pois lo bels temps_; p. 248, _Si com l'enfans_. BARBIERI (G.-M.).--_Origine della poesia rimata_. Modène, 1790. P. 129. BARTSCH (K.).--_Chrestomathie provençale_. 6e éd. Marbourg, 1904. C. 95, _Atressi com la candela_. BASTERO.--_La Crusca provenzale_. Rome, 1724. P. 80 et 91. BERGERT (FRITZ).--_Die von den Trobadors genannten oder gefeierten Damen_. Halle, 1913. (_Beihefte zur Zeitschrift from. Phil_., XLVI.) P. 62, 63, 65, 83, 117. BERTONI (G.).--_Rambertino Buvalelli_. Dresde, 1908. (_Gesellschaft für rom. Literatur_, no. 17.) P. 11. BERTONI (G.).--_I Trovatori d'Italia_. Modène, 1915. CHABANEAU (C.).--_Biographies des Troubadours_, in _Hist. Gén. Lang_., éd. Privat, X, 271, 373. CHABANEAU (C.) et ANGLADE (J.).--_Essai de reconstitution du chansonnier de Sault_, in _Romania_, 1911, p. 297. DIEZ (F.).--_Leben und Werke der Troubadours_. P. 97, 267. _Histoire littéraire de la France_, XV, 457; XVII, 419; cf. encore XVIII, 641. La notice du tome XV est de Ginguené; celles des tomes XVII et XVIII sont d'Emeric-David. JEANROY (A.) et S. DE GRAVE.--_Poésies de Uc de Saint-Circ_. Toulouse, 1913. (BIBL. MÉRID., 1re série, t. XV.) P. 161, 204. KOLSEN (A.).--_Dichtungen der Troubadours_. Halle, 1916, 1917 (2 fascicules parus). P. 132, _Era pus l'iverns_, texte et traduction). MAHN (C.-A.-F.).--_Gedichte der Troubadours_. Berlin, 1856-1873. (Trois pièces: _Ara pos iverns_, no. 790, 791; _Lo dous chan_, no. 611; _Pos vezem boscs_, no. 942.) MAHN (C.-A.-F.).--_Die Werke der Troubadours_. Tome I, Berlin, 1846. P. 133-147. Neuf poésies complètes empruntées au _Choix_ et au _Lexique Roman_ de Raynouard, avec des fragments plus ou moins importants de cinq autres tirées des mêmes recueils. MAUS (F.-W.).--_Peire Cardenal's Strophenbau_. Marbourg, 1884. (_Ausgaben und Abhandlungen_... no. V.) P. 24, 63. MILÁ Y FONTANALS.--_De los Trovadores en España_. Barcelone, 1861. P. 108. MILLOT.--_Histoire littéraire des Troubadours_. Paris, 1774; 3 vol. P. 1, 114 et 1,442 (B. de Gourdon). NOSTREDAME (Jean de).--_Les vies des plus célèbres et anciens poètes provençaux_. Ed. CHABANEAU-ANGLADE, p. 50, 166, 177, 224, 241, 270, 290, 311. RAYNOUARD (F.).--_Choix de poésies originales des troubadours_. Paris, 1816-1821; 6 vol. (T. III, p. 120-132, cinq pièces: _Atressi com la candela_; _Enquera'm vai recalivan_; _No·m puesc sufrir_; _Pessamen ai e cossir_; _Pus vey parer la flor_. Tome V (fragments): _Ar ai ben d'Amor apres_, p. 325; _Si com celui qu'a servit_, p. 323; _Si com l'enfans_, p. 326.). Même tome, p. 102, B. de Gourdon (fragment); _ibid_., autres fragments assez nombreux. RAYNOUARD.--_Lexique Roman_. Paris, 1844; 6 vol. Le tome 1 contient un _Nouveau Choix des poésies originales des Troubadours_ (p. 1-580). P. 334, _Us novels pessamens_; p. 513, _Ab son gai plan e clar_. [DE ROCHEGUDE].--_Parnasse Occitanien_. P. 29. Une seule pièce: _Us novels pessamens m'estai_. TASSONI.--_Considerazioni sopra le rime del Petrarca_. Modène, 1609. P. 356. MUSIQUE.--Les manuscrits ne nous ont conservé qu'une mélodie de Peire Raimon; c'est celle de sa célèbre chanson: _Atressi com la candela_. Cette mélodie se trouve dans le ms. _G_, f(o) 52(b). Cf. J. Beck, _Melodien der Troubadours_, Strasbourg, 1908, p. 33. I [No. 1 de Bartsch]. I. Ab son gai plan e car Fas descort leu et bon, Avinen per chantar E de bella razon; 4 E s'eu pogues trobar A leis, cui Dieus bes don! Chausimen, ges no·m par Agues ren si ben non. 8 II. Car cela m'a conqes On son tuit faich preisan, E anc tan bella res No fo on vir e m'an; 12 Car son fin pres cortes Puoja e creis e s'espan; E s'eu ren far saubes Qe il venghes en talan! 16 III. Ben fora rics e gais, Ses pen' e ses dolor, Si cela cui bons prez nais Mi volgues dar s'amor, 20 Q'aisi·l sui fis e verais E ses cor trichador; Et a cen tan e mais Q'eu vos die de valor. 24 IV. Tan m'agenza Sa parvenza Que d'al no consire; Penedenza 28 Et abstinenza Ai c'altra non mire; Mantenenza Ab sovinenza 32 Ai gran del martire. Car plivensa Ses fallensa Que ja no traire, 36 V. Farai sos mans a mon poder, Car ren mai Tan no·m plai, Sitot mi fai doler; 40 E s'eu n'ai Un dolz bai, Ren no·m pot dan tener. 43 VI. Bella domna, aiaz chausimen De mi q'eu non ai mais secors, Et ja per malvais parlamen No·us bais ni 'streing vostras lauzors. 47 VII. Descors, vai al conte valen De Savoia, car sa valors Meillora tot jorn e no men, Sos ries pres val mai dels meillors. 51 I.--Avec une mélodie gaie, facile et rare, je fais un descort léger et bon, avenant pour chanter et sur un beau thème; et si je pouvais trouver pitié auprès de ma dame (--puisse Dieu la combler de faveurs!--), il me semble que je n'en obtiendrais que du bien. II.--Car celle-là m'a conquis, dont toutes les actions sont si distinguées; et jamais n'exista si bel objet où que je me tourne ni où que j'aille; car son noble mérite et sa courtoisie montent, croissent et se répandent; si je savais faire quelque chose dont elle eût envie! III.--Je serais riche et heureux, sans peine et sans douleur, si celle en qui bonne renommée prend naissance me voulait donner son amour, car je suis pour elle un (amant) si parfait et si sincère et sans coeur trompeur. Elle a cent fois et plus de valeur que je ne vous dis. IV.--Tant me plaît son image que je ne pense pas à d'autre objet; je me repens et je m'abstiens d'en regarder une autre; je continue à me souvenir longuement de mon martyre; car je promets sans tromperie que jamais traître. V.--Je ferai ses commandements de tout mon pouvoir, car nulle autre chose ne me plaît tant, quoiqu'elle me fasse souffrir; et si j'en ai un doux baiser, rien ne peut me causer de dommage. VI.--Belle dame, ayez pitié de moi, car je n'ai pas d'autre secours; et jamais par de mauvaises paroles je n'abaisse ni ne diminue vos louanges. VII.--Descort, va-t-en auprès du vaillant comte de Savoie, car sa valeur augmente tous les jours et ne se dément pas: son noble mérite vaut mieux que celui des meilleurs. Notes: Le texte que nous publions est celui de Raynouard, _Lexique Roman_, I, 513; nous donnons quelques leçons des mss. _G_ et _c_. V. 10 prisan _Rayn_. preisan _G_. V. 12 Zous iur e man _G_ sous iur eus man _c_. V. 34. Lire _qu'a_? c-à-d. car elle a? V. 36 Qe je traire nol (le vers précédent manque) _c_ Qe ia _non_ traire _G_. V. 47 bais _Rayn_. baiss _c_. V. 49, 51 valor, meillor _Rayn_. valors... del meillors _G_ valors... dels milhors _c_. V. 48-49. Le comte de Savoie est le comte Thomas I (1188-1233). II [No. 3 de Bartsch]. I. Ar ai ben d'amor apres Cum sap de son dart ferir; Mas cum pueys sap gent guerir, Enqueras no sai ieu ges. 4 Lo metge sai ben qui es, Que·m pot sols salut donar, Mas que·m val, s'ieu demostrar Ja non l'aus ma mortal playa? 8 II. Morrai per mon nescies, Quar no·l vau mostrar e dir La dolor que·m fai sofrir, Dom no·m pot cosselhar res 12 Mas quan sos gais cors cortes, Qu'ieu tan desir e tenc car Que non l'aus merce clamar, Tal paor ai que·l desplaya. 16 III. Gran talan ai cum pogues De ginols yes lieys venir De tan luenh cum hom cauzir La poiria, que vengues 20 Mas juntas far homenes, Cum sers a senhor deu far, Et en ploran merceyar Ses paor de gent savaya. 24 IV. Bona dona on totz bes Vezem granar e florir, Pus tan vos am eu·s dezir, Merce vos clam que merces 28 Mi valha e ma bona fes, Qu'ieu serai de bon celar E plus fis, si Dieus m'ampar, Que no fo Landrix a N'Aya. 32 V. Ja no·m digua lipaudes Nulhs hom per mon cor auzir, (Qu'ieu l'en sabrai gent mentir), Que pus trahit me·n agues, 36 En crides pueys mon fades. Mas tan suy greus a proar, Qu'ans poiratz mi·l bureus far De presset dir que fos saya. 40 VI. Mon Diaman, que tenc car, Vuelh de ma chanso pregar Qu'a Toloza la·m retraya. 43 I.--Maintenant j'ai bien appris d'Amour comment il sait frapper de son dard; mais comment ensuite il sait gentiment guérir, cela je ne le sais pas encore. Je connais le médecin qui seul peut me donner la santé, mais à quoi cela me sert-il, si je n'ose lui montrer ma plaie mortelle? II.--Je mourrai par ma sottise, car je ne vais pas lui montrer et dire la douleur qui me fait souffrir; personne ne peut me donner un remède contre cette douleur sauf la dame gaie et courtoise, que j'aime et que je chéris tant que je n'ose lui crier pitié, tellement j'ai peur que cela lui déplaise. III.--J'ai un grand désir de pouvoir venir à genoux vers elle, d'aussi loin qu'on pourrait la voir, de venir vers elle mains jointes, lui faire hommage, comme un serf doit le faire à son seigneur, et en pleurant implorer sa pitié sans crainte des mauvaises gens. IV.--Bonne dame où nous voyons tous biens naître comme graines et fleurs, puisque je vous aime et vous désire tant, je vous crie pitié; que pitié et ma bonne foi me viennent en aide auprès de vous, car je garderai bien mon secret et je vous serai plus fidèle--que Dieu me protège!--que Landric ne le fut à Aye. V.--Qu'aucun homme ne me dise de flatterie pour entendre mon coeur (_c.-à-d_. le fond de ma pensée, de mon coeur) (--car je saurai lui dire gentiment un mensonge!--) pour que après qu'il m'aurait trahi il criât ensuite ma sottise. Mais je suis si dur à l'épreuve que vous pourriez me faire dire plutôt que la bure de _presset_ est de la laine. VI.--Je veux prier Mon Diamant, que j'aime tant, de réciter ma chanson à Toulouse. Notes: Texte du ms. _C_, d'après C. Appel, _Provenzalische Inedita aus Pariser Handschriften_, p. 244. La chanson n'existe que dans ce manuscrit; les trois premières strophes se retrouvent dans le _Breviari d'Amor_, v. 31564. Aux vers 12 et 39 nous avons remplacé la graphie _ll_ par _lh_. V. 32. Landric et Aya: Aye d'Avignon est l'héroïne d'une chanson de geste française; Landric est le héros d'une chanson qui ne nous est pas parvenue. V. 40. _Presset_ ou _perset_, sorte de laine, opposée souvent chez les troubadours à _saia_. III [No. 4 de Bartsch]. I. Era pus hyverns franh los brotz E pareysson florit li ram, E·l gibres e·l neus son a floxs Pels termes e pels playssadencx, 4 Be·s tanh [doncs l] qu'ieu me lueng d'enueg. Chantan e no pareys ges pecx, Sitot s'es braus et enuios lo temps, Pus d'aitals digz sai far chanso ni vers. 8 II. Ben sai parelhar e far motz Plas e clars, d'un semblan d'estam; Mas que val? qu'eras non es locx, E·ls tersols mal azautz ramencx 12 Be sai que son de bon art vueg, De trics qu'an afilatz lurs becx; E·ls pros cortes [adreg I] fan plors e gems, Quar pretz es mortz e cazuts en evers. 16 III. Jurar vos puesc per Santa Crotz Qu'un non vey que pretz entier am, Que d'avareza·ls art lo focx; E tug lor fait son de fadencx, 20 E mant hom pert lo gran e·l glueg; Doncx per que·s fai quecx sorts ni secz Pel mal [astre I] que los te vuetz e sems De tots bos ayps don elh van ras e ters? 24 IV. Ah! Malvestatz, non prendas totz Los ricx baros en ton liam, Ni Malespina ges non tocx Per ren, qu'ans t'es ben mielhs que·t trencx, 28 Qu'a totz jors vuelh que sos bes pueg. E doncs, Valors, ja no l'abnecz. Quar ieu aug dir que totz bos faitz essems Renhon ab lui, per qu'es bes si·ls sufers. 32 V. D'aver la bella suy tan glotz Cui pessan dezir, don ai fam, Que no·m platz tan nul autre jocx; Ni no vuelh aver Foys ni Brencx, 36 Si·lh platz que no·m meta en refueg Tan cum lieys; e si mos fis precx No·m val, mal fas, Amors, quar aissi·m prems, Que fis amans adreitz sui totz convers. 40 VI. E pos tan fort mas nien consecs, Be·m deurias far un ben calque temps Entre .C. mals, que del dan tu·m malmers. I.--Maintenant que l'hiver brise les branches, que les rameaux paraissent fleuris et que le givre et la neige sont répandus à flocons sur les tertres et les haies, il convient que je m'éloigne d'ennui en chantant; et je ne parais pas maladroit, quoique le temps soit rude et ennuyeux, puisque sur de tels propos je sais faire vers et chansons. II.--Je sais bien accoupler les mots et les rendre unis et clairs, semblables à une chaîne (de tisserand); mais à quoi cela me sert-il? Maintenant ce n'est pas le moment, et les tiercelets mal élevés, vivant dans les branches, je sais qu'ils sont dépourvus de bon art, et qu'ils ont, en se dissimulant, aiguisé leurs becs; et les preux courtois et bien élevés font pleurs et gémissements, car Mérite est mort et tombé à la renverse. III.--Je puis vous jurer par la Sainte Croix que je n'en vois pas un seul qui aime le mérite parfait, car le feu d'avarice les brûle; toutes leurs actions sont celles d'hommes fous et maint homme perd le grain et la paille; donc pourquoi chacun se fait-il sourd et aveugle par la mauvaise chance qui les fait vides et dénués de toutes bonnes qualités dont ils sont privés et dénués? IV.--Ah! Méchanceté, ne prends pas tous les puissants barons dans ton lien, et ne touche en rien à Malaspina; il vaut mieux que tu te brises; car je veux que son bien croisse tous les jours. Et toi, Vaillance, ne l'abandonne pas, car j'entends dire que toutes les nobles actions réunies vivent auprès de lui: aussi est-il juste que tu les soutiennes. V.--Je suis si désireux d'avoir la belle que je désire et dont j'ai si fort envie (faim) qu'aucune autre joie ne me plaît autant; et j'aime mieux la posséder que d'avoir Foix ni Brens, s'il lui plaît de ne pas me dédaigner (=de m'aimer); et si mes sincères prières ne me secourent pas, vous faites mal, Amour, de me tourmenter ainsi, car je suis un amant parfait tout tourné vers elle. VI.--Et puisque, malgré ces durs tourments, tu n'obtiens rien, Amour, tu devrais bien pendant quelque temps me faire du bien, parmi cent maux, car du dommage c'est toi qui es coupable. NOTES Texte de _C_ (Mahn, _Gedichte_, no. 790) sauf les cinq derniers vers et quelques leçons empruntées à _I_ (Mahn, _Ged_., 791). La pièce se trouve encore dans les mss. _D_(a) et _K_. V. 2 _florit I, floritz C_. V. 10 _en ram C, etam I_; je lis _estam_, chaîne du tisserand. V. 12 _eus ren bocx C, eus tersols malazautz I_; je lis _e·ls tersols_. V. 14 _Ve nicx C, uetrics I_; l. _Phénix_? ou _de trics_? V. 19 _que davas ren C, d'avareza I_. V. 21 _e mas hom per los grans els glotz C, ema hom pert lo gran el glueg I_; cf. Levy, _Suppl. W_. IV, 138-139, et Raynouard, _Lex. Rom_., 479, où est cité le présent exemple; la même opposition de _gran_ et de _glueg_ se retrouve dans la pièce de Peire Bremon attribuée faussement à Peire Raimon, _Pois lo bels temps_; le mot _glueg_ s'y présente sous la forme _glui_. V. 24 _rars CI sers C_. V. 25 _A m. I De m. C_. V. 29 _lor bes I_. V. 30 _nols CI_. V. 32 _sil I, sils C_. V. 34 _don ai fam I, ai gran fam C_. V. 35 _nous C, non I_. V. 36 _Berens I_. V. 37 _refocx C, refueg I_; la forme ordinaire du mot est _refug, refui_. V. 39 _nom val om. C_. V. 40-42 dans _I_ seulement. NOTE SUR LES MOTS-RIMES I II III IV V brotz motz crotz totz glotz (_o_ fermé) ram estam am liam fam flox locs focs tocs joc (_o_ ouvert) encs encs encs trencs Brencs enocs nec glotz pueg refogs pecs becs secs abnecs precs consecs (_e_ ouvert) temps gems sems essems prems prems vers vers ters supers convers mers Telles sont les rimes dans _C_: on voit qu'il y a des différences dans la cinquième rime de chaque vers. La correction est facile et est indiquée par le texte de _I_, qui donne des rimes en -_ueg_: nous écrivons donc _enueg, vueg, glueg, pueg, refueg_. IV [No. 5 de Bartsch]. I. Atressi com la candela Que si meteissa destrui Per far clartat ad autrui, Chant, on plus trac greu martire Per plazer de l'autra gen. 5 E car a dreit escien Sai qu'eu fatz folatge, C'ad autrui don alegratge Et a mi pen'e tormen, Nulha res, si mal m'en pren, 10 No·m deu planher del damnatge. II. Car ben conosc per uzatge Que lai on Àmors s'aten Val foudatz en loc de sen. Doncs pos tant am e dezire 15 La gensor qu'el mon se mir Per mal que·m deia venir No·s tanh que·m recreia; Car on plus m'auci d'enveia, Plus li dei ma mort grazir, 20 Si·l dreit d'amor voill seguir, Qu'estiers sa cortz non plaideia. III. Doncs pos aisso que·m guerreia Conosc que m'er a blandir, Ab honrar et ab servir 25 Li serai hom e servire; E s'aissi·m vol retener, Vec me tot al seu plazer, Fin, franc, ses bauzia. E s'ab aital tricharia 30 Posc en sa cort remaner, El mon non a nulh saber Per qu'eu camjes ma folia. IV. Lo jorn que sa cortezia Mi mostret e·m fetz parer 35 Ab un amoros plazer Que·m fetz me cujet aucire: Qu'ins el cor m'anet sazir, E'l cor mi mes un dezir Que m'auci d'enveia; 40 Et eu, com fols que foleia, Fui leus ad enfoletir, Car cujei so per albir Qu'eu eis no·m pens qu'esser deia. 45 V. Si per nulh' autra que seia Mi pogues plus enriquir, Be·m n'agr'a cor a partir; Mas com plus fort m'o consire, En tant quant lo mons perpren, Non sai una tant valen 50 De negun paratge; Per qu'eu el seu senhoratge Remanh tot vencudamen, Pos non trob melhuramen Per fors'o per agradatge. 55 VI. Cansos, al port d'alegratge On Pretz e Valors s'aten, Al Rei que sap et enten, M'iras en Arago dire C'anc mais tant jauzens non fui 60 Per fin' amor com er sui; C'ab rems et ab vela Poj'ades so que no·s cela; E per so non fatz gran brui Ni volh c'om sapcha de cui 65 M'o dic, plus que d'un' estela. VII. Mas vos am, ges un' amela No·m pretz, car ab vos non sui. Pero als ops vos estui Que·m siatz governs e vela. 70 I.--Semblable à la chandelle, qui se détruit elle-même pour faire clarté aux autres, je chante, plus je souffre un dur martyre, pour le plaisir d'autrui. Et quoique je sache parfaitement que je fais folie, car aux autres je donne allégresse et à moi peine et tourment, personne, s'il m'en arrive du mal, ne doit me plaindre de mon malheur. II.--Car je sais bien par expérience que là où Amour porte son attention folie vaut mieux que sens; donc puisque j'aime et désire tant la plus belle qui puisse se voir dans le monde, quelque mal qui puisse m'en arriver, il ne convient pas que je cesse de l'aimer; car plus elle me fait mourir d'envie, plus je lui dois être reconnaissant de ma mort, si je veux suivre le droit d'amour, car sa cour ne plaide pas autrement. III.--Donc, puisque je reconnais que je devrai flatter ce (_c'est-à-dire_ celle) qui me combat, je serai, en l'honorant et la suivant, son homme-lige et son serviteur; et si elle veut me retenir dans ces conditions, me voici tout entier à son plaisir, fidèle, franc, sans tromperie. Et si par un tel subterfuge je puis rester en sa cour, il n'y a au monde aucun savoir pour lequel je voulusse changer ma folie. IV.--Le jour où elle me montra sa courtoisie et me la témoigna par l'accueil amoureux qu'elle me fit, elle pensa me tuer; car au fond du coeur elle alla me saisir et me mit au coeur un désir qui me tue d'envie; et moi, comme un fou qui fait des folies, je devins fou rapidement, car je pensai dans mon esprit ce que moi-même je ne crois pas qui doive arriver. V.--Si par nulle autre femme qui soit je pouvais obtenir plus de bonheur, j'aurais bien à coeur de me séparer d'elle; mais plus je réfléchis en moi-même, dans tout ce que le monde embrasse je n'en sais aucune, de quelque noble origine qu'elle soit, qui l'égale en distinction; aussi je reste en sa seigneurie, complètement vaincu, puisque je ne trouve aucune amélioration de gré ou de force. VI.--Chanson, au port d'allégresse, vers lequel Mérite et Valeur se tournent, tu iras dire en Aragon, au Roi qui sait et qui comprend, que jamais je ne fus aussi heureux d'amour parfait comme maintenant; car avec les rames et la voile monte maintenant ce qui ne peut pas se cacher; et pour cela je ne mène pas grand bruit et je ne veux pas qu'on sache de qui je parle pas plus que d'une étoile. VII.--Depuis (?) que je vous aime, je ne m'estime pas une amande, car je ne suis pas près de vous. Cependant je vous cache pour que en cas de besoin vous me serviez de gouvernail et de voile. Notes: Texte de Bartsch, _Chrestomathie provençale_, 6e éd., col. 95-98. Nous écrivons au v. 67 _un' amela_ au lieu de _ana mela_. On remarquera an vers 22 une allusion à la «cour» (_cortz_) qui pourrait donner quelque créance à la légende des «Cours d'amour». Il ne peut pas y avoir autre chose qu'une métaphore. J'ai trouvé, dans les papiers de Chabaneau, la note suivante, que je transcris: «_Lou Brusc_, du 18 avril 1880; traduction en vers français de _Atressi com la candela_, par Ch. D. de la _Société des Langues Romanes_; à citer dans mon travail sur Richard de Barbezieux.» Je ne sais qui est Ch. D. Le ms. T attribue cette chanson à Rigaut de Barbezieux; ce dernier était célèbre par sa recherche des comparaisons et plusieurs pièces qui commençaient par _Aissi com, Atressi com_, lui ont été attribuées de ce chef. On les trouvera énumérées dans notre édition de Rigaut de Barbezieux, actuellement sous presse. Cette pièce est une des plus célèbres de Peire Raimon; elle se trouve dans dix-neuf manuscrits. V [No. 6 de Bartsch]. I. De fin'amor son tot mei pensamen E mei desir e mei meillor jornal E pres d'Amor voill aver mon ostal, Per so car fis ab fin cor finamen 4 Li·m sui renduz, setot ben no m'acoil; E ges per tan de leis servir no·m toil, Setot son greu e perillos li fais Qe fai als seus soven Amors sofrir. 8 II. Pero m'a fait Amors tan d'onramen Qe mai e mels ab ferm cor natural Am qe nuls hom; ni non dic qom ni qal, Tot per paor de malvais parlamen; 12 Mas lo dolz ris e la faz e·ill beil oil E sa faichos plaisenz de bel escoil E·l gai solaz e·l gen parlar no·m lais Mostra[r] quals es a cel qi sap chausir. 16 III. E car tan son vostre ric faiç valen, Humils temen vos port amor coral; Q'el mon non a amador tan leial Qom eu vos sui, dompna, ses falimen. 20 E sai qe faiz ardimen et orguoil, S'eu dic qe·us am, per qe·s taing q'eu en moil Mos oilz soven, car anc de mi no·s tais Q'en tan ric loc per amar mon cor vir. 24 IV. Las! non pot hom retener son talen Q'ades no an lai don plus fort li cal, E si non a mais dolor e gran mal, E seg ades son mal ad escien; 28 E sapiaz, domna, qe om plus mi doil Ades mi creis l'amor[s] e·1 bes qe·us voil; C'us dolz pensar[s] plaisenz del cor me nais Qe noit ni jor no·s pot de vos partir. 32 V. No·us aus merce clamar mo chausimen, Car de valer no·us trob par ni egal; Pero qan hom als seus socor e val, Bella domna, fai son pro veramen. 36 E car tenez de pretz l'auzor capdoil E de beltat, ades mais q'eu non soil Vos voil servir, et no·m part ni·m biais De vostr'onor amar e car tenir. 40 VI. Domna valens, mais vos désir e·us voilh Que tot lo mon, qar fin'amors m'atrais Vostre bel cors don me lau de cauçir. 43 VII. Ser Rambertis de Buvalel acoil Prez et valor et anc jorn no s'estrais De granz solaz e de joi mantenir. 46 I.--Vers l'amour parfait vont toutes mes pensées et mes désirs et mes meilleures journées, et près d'Amour je veux bâtir ma maison, parce que je me suis rendu à lui, sincère et d'un coeur fidèle, simplement; quoiqu'il m'accueille mal, je ne veux pourtant cesser de le servir, bien qu'ils soient pénibles et dangereux les tourments qu'Amour fait souvent souffrir à ses fidèles. II.--Cependant Amour m'a fait tant d'honneur que j'aime d'un coeur sûr et sincère plus et mieux qu'aucun autre homme; si je ne dis pas qui j'aime, c'est surtout par peur de la médisance; pourvu que son doux sourire, son visage et ses beaux yeux, ses manières agréables et distinguées, sa gaieté, son aimable entretien ne me laissent pas montrer qui elle est aux connaisseurs qui savent choisir! III.--Vos actions sont si nobles et si belles qu'humble et craintif je vous porte un amour sincère; car il n'y a pas au monde d'amant aussi loyal ni aussi sûr que je le suis envers ma dame. Et je sais que je pèche par hardiesse et orgueil, si je dis que je vous aime; aussi convient-il que j'en mouille souvent mes yeux, car jamais je n'aurais dû tourner mon coeur si haut pour aimer. IV.--Hélas! on ne peut retenir son désir et l'empêcher d'aller là où il veut énergiquement; aussi n'en retire-t-il que douleur et grand mal et il cherche aussitôt et sciemment son dommage. Et sachez, dame, que plus je me plains, plus s'accroissent aussitôt l'amour et le bien que je vous veux; car un doux et agréable penser me naît au fond du coeur, qui nuit ni jour ne peut se séparer de vous. V.--Je n'ose implorer votre grâce et votre pitié, car je ne trouve personne qui vous soit égale en distinction; cependant quand on secourt les siens et qu'on leur vient en aide, belle dame, on travaille vraiment à son avantage; et comme vous tenez du mérite et de la beauté le sommet le plus élevé, je veux vous servir toujours plus que je n'ai coutume de le faire; et je ne cesserai d'aimer votre honneur et de le tenir cher. VI.--Noble dame, je vous désire et vous veux plus que tout au monde, car amour parfait m'a entraîné à remarquer votre beau corps, choix dont je me loue. VII.--Le seigneur Rambertin de Buvalel donne asile au mérite et à la valeur et jamais il ne cessa de maintenir grande gaîté et grande joie. Notes: Texte du ms. G, publié par G. Bertoni [Note: _Il Canzoniere provenzale della Biblioteca Ambrosiana_ R. 71 Sup. Dresde, 1912, p. 157. (_Gesellschaft für romanische Literatur_, t. XXVIII.)], sauf aux vers: 5 _setot_ (ms. _setat_), 8, où nous lisons _Amors_; 15, où nous lisons _nom_ avec c; 16, où nous lisons _mostrar_; 29, _qe om_ (ms. _qom_); et 41, où nous lisons _Ser Rambertis_ au lieu de _Ver R'bertis_. (La correction _Ser_ a été déjà faite par M. Bertoni, _Rambertino Bavalelli_, p. 11.) De plus, nous avons modifié le premier vers de la str. V, où nous adoptons la leçon du ms. c. La deuxième _tornada_ n'existe pas dans le ms. _G_; nous l'empruntons au ms. c. Ramberti de Buvalel est un troubadour italien du début du treizième siècle qui a exercé dans sa patrie de hautes fonctions administratives et judiciaires (podestat de Milan, Mantoue, Vérone). Ses poésies ont été publiées en dernier lieu par M.G. Bertoni [Note: _Rambertino Buvalelli trovatore bolognese e le sue rime provenzali_. Dresde, 1908. (_Gesellschaft für romanische Literatur_, t. XVII.)]. Il fut peut-être en relations avec le troubadour toulousain Aimeric de Pégulhan. Il mourut à Vérone en 1221. VI [No. 7 de Bartsch]. I. Enquera·m vai recalivan Lo mals d'amor qu'avi'antan; Qu'una dolor mi sent venir Al cor d'un angoyssos talan, 4 E·l metges que·m pogra guerir Vol me per traitura tenir, Aissi cum l'autre metge fan. 7 II. E pogra·m guerir ses afan, Que ja non traysses pauc ni gran; Pero sitot mi fai languir, En re no·lh port pejor talan; 11 Mas si m'alongues de morir, Ma vida for'al sieu servir, E ma mort conosc a son dan. 14 III. E ja no·m desesper per tan, Qu'anc de re non passei son man, Ni·m vuelf per nulh autre dezir; De so gart que·lh n'er benestan; 18 Qu'Ipocras, so ai auzit dir, Ditz que metges non deu fallir De nulh cosselh qu'om li deman. 21 IV. Doncx, pus pres m'a en son coman, Ja no m'anes plus languian, Ni no·m volgues del tot aucir; Quar no·s cug, si be·m ri ni·m chan, 25 Qu'o puesca longamen sufrir; Ni no·s poira tostemps cubrir La dolors qu'ins el cor s'espan. 28 V. Mas ieu atendray merceyan, Sirven e sufren e preyan, Tro que denh mos precx eyssauzir; Mas d'una ren vauc trop doptan, 32 Si·m fai trop dieta tenir; Si·m sen lo cor afrevolir Que paor ai l'arma s'en an. 35 VI. Mas si·m fezes un bel semblan Que m'anes mon cor adoussan, Enquer cugera revenir; Quar s'ieu muer, colpa n'aura gran; 39 Per so deu guardar e chauzir. E s'en cor m'a pro a tenir, Per Dieu no m'o anes tarzan. 42 VII. Que·l febles cors vai sospiran, Quar conois qu'ieu mezeis m'engan, E·m vey tot dia magrezir; Aissi·m va·l cors e·l sens camjan, 46 Com si l'arm' en devi' issir; Tan fort m'anguoysson li sospir, Qu'a pauc tro al derrier no·m van. 49 VIII. A Mon Ereubut prec e man Qu'a la pro Comtessa prezan Fassa ma chansonet' auzir; E si a nul mot malestan, 53 No m'o deu hom a mal tenir: Que tant ai d'ira e de cossir Que re no sai que·m vau parlan. 56 I.--Le mal d'amour que j'avais antan va encore se ravivant; car je me sens venir au coeur une douleur et un désir angoissants, et le médecin qui pourrait me guérir veut me traiter par la diète, comme font les autres médecins. II.--Et il pourrait me guérir sans peine, de manière que je ne souffre ni peu ni prou; cependant, quoiqu'il me fasse vivre dans la douleur, je ne lui en veux nullement; mais s'il retardait ma mort, ma vie serait à son service et je reconnais que ma mort lui causerait du tort. III.--Et jamais cependant je ne me désespère, car en rien je n'ai jamais enfreint ses ordres et nul autre désir ne me fait changer; qu'il prenne garde à sa bonne renommée (_m. à m_.> à ce qui lui sera convenable): car Hippocrate, à ce que j'ai entendu dire, dit qu'un médecin ne doit pas se tromper, quelque conseil qu'on lui demande. IV.--Donc, puisqu'il m'a pris en son pouvoir, qu'il n'aille plus me faire souffrir et qu'il veuille bien ne pas me faire mourir complètement; car qu'il ne pense pas, quoique je rie et que je chante, que je puisse le supporter longtemps; et elle ne pourra pas se cacher toujours la douleur qui se répand dans le coeur. V.--Mais je patienterai en suppliant, en servant, souffrant et priant, jusqu'à ce qu'il daigne écouter mes prières; mais je crains bien une chose, s'il me fait observer la diète trop longtemps: je sens que mon coeur s'affaiblit au point que j'ai peur que l'âme s'en aille. VI.--Mais s'il me faisait un bon accueil qui me mît du baume au coeur, encore je penserais pouvoir me remettre; car si je meurs, il sera bien coupable; aussi doit-il prendre garde et faire attention. Et s'il a le désir de me secourir, pour Dieu! qu'il ne tarde pas à le faire! VII.--Car mon faible coeur va soupirant; il reconnaît que je me fourvoye et il me voit maigrir tous les jours; ainsi mon intelligence et mon corps vont changeant, comme si l'âme devait sortir du corps; et mes soupirs m'angoissent au point que peu s'en faut qu'ils ne viennent au dernier. VIII.--Je prie Mon Ereubut et je lui mande qu'il fasse entendre ma chansonnette à la noble Comtesse honorée; et s'il s'y trouve quelque mot malséant, qu'on ne m'en tienne pas rigueur; car j'ai tant de tristesse et de souci que je ne sais ce que je dis. Notes: Texte de Raynouard, _Choix_, III, 130; reproduit dans Mahn, _Werke der Troubadours_, I, 134-136. Au v. 18 nous changeons _qu'il_ en _que·lh_. Diez (_Leben und Werke_, 2e éd., p. 100) voit une obscénité dans le dernier vers de la strophe VII, où _derrier_ signifierait _le derrière_: et il en rapproche le mot _malestan_ du v. 53; nous ne sommes pas de son avis. Le mot _malestan_ pourrait s'appliquer aux termes médicaux _dieta, traitura; derrier_ ne parait pas avoir eu en ancien provençal le sens de _derrière_. La mention de Mon Ereubut, qui était peut-être un jongleur, se retrouve dans la chanson _Non puesc sofrir_. La Comtesse pourrait être la comtesse de Toulouse. On remarquera, au point de vue de la syntaxe, l'emploi fréquent, dans cette pièce, du verbe _anar_ avec un gérondif: il n'y en a pas moins de huit exemples. Hippocrate (v. 19) est cité plusieurs fois dans des traités didactiques (cf. notre _Onomastique des Troubadours_), mais non dans des textes lyriques. VII [No. 8 de Bartsch]. I. Lo dolz chan qu'au de la calandra Qu'en preisen chant'e la douchor Del temps novel e·l fin'odor 3 De las flors mi dona talent De chantar; per qu'eu eissamen Voill un novell vers comensar 6 Per conortar mi meteis, car Amor Mi destreing fort e·m dona grant dolor; Mas eu ades chant e·m deport e·m joc. 9 II. E fatz si com la salamandra, Quar es de tan fera fredor Que viu en foc e la chalor 12 Esteing si que no·il notz nient; Et eu per bon entendimen Estreing cho que·m degra bruslar; 15 E s'al cujar no·m faill, mais amillior. Non ac home el mont tant grant seingnor Com eu aurai quant midons veira loc. 18 III. Pero qui·m dones Alixandra No volgra camiar leis qu'es flor De Jovent et e de Joi sabor 21 Per nuill'autra; qu'en mon vivent No pogra trobar tan plazent Ni cointa d'amoros parlar; 24 Per qu'eu amar la voill, quar en valor M'a fait entendre e pojar en honor, Et encara, si·ll platz, donar mi poc. 27 IV. Que zo que mais val qu'Alixandra E meill de nuill'autra ricor S'amor que·m tolra duel e plor 30 E·m donara joi covenent E·m fara estar baut e jauzent; Donc me dei eu ben alegrar 33 E mais onrar leis cui ai socor... I.--Le doux chant que j'entends de l'alouette qui chante en ce moment, la douceur du printemps et la fine odeur des fleurs me donnent envie de chanter; aussi je veux aussitôt commencer un nouveau _vers_ pour me réconforter moi-même; car Amour me presse fortement et me donne grande douleur; et cependant toujours je chante, je me réjouis et folâtre. II.--Et je fais comme la salamandre, qui est d'une «froideur» si rude qu'elle vit dans le feu et qu'elle éteint la flamme sans en avoir nul dommage; ainsi moi, par bonne affection, j'étreins ce qui devrait me brûler; et il me semble que, si je ne me trompe pas, je m'améliore. Il n'y a pas eu au monde de si grand seigneur, comme je le serai quand ma dame en verra l'occasion (_ou plutôt_: quand il plaira à ma dame). III.--Cependant, si on me donnait Alexandrie, je ne voudrais pas changer pour nulle autre celle qui est fleur de Jeunesse et saveur de Joie; car de mon vivant je ne pourrais en trouver d'aussi agréable, ni d'aussi aimable en paroles amoureuses: aussi je veux l'aimer, car elle m'a fait gagner en valeur et monter en honneur; et s'il lui plaît, elle peut encore me faire d'autres dons. IV.--Car ce qui vaut mieux qu'Alexandrie et mieux que nulle autre richesse, c'est son amour qui m'enlèvera deuil et pleurs, qui me donnera joie convenable et me fera rester gai et joyeux. Aussi dois-je bien me réjouir et honorer davantage celle dont j'ai la faveur... Notes: Texte du ms. _I_, d'après Mahn, _Gedichte der Troubadours_, no. 611. Le texte ne se retrouve que dans le ms. _K_ (apparenté à _I_) et dans _D_(a). Voici les principales corrections que nous avons faites au texte de _I_: V. 5, Eissamen _manque dans le ms_. V. 6, _ms_. neu. V. 8, _ms_. grat nat dolor. V. 12, _ms_. es foc en la ch. V. 13, _ms_. estreing si que uoïl uotz ment. J'adopte la correction de M. Jeanroy, _Annales_, XXXI, 220. V. 15, _ms_. que debra brusar. V. 16, _ms_ et al. Au v. 27, la rime paraît avoir amené la forme _poc_ an lieu de _pot_. La 4(o) strophe est incomplète; il y a anacoluthe dans les cinq premiers vers; mais on peut l'éviter en lisant _me_ an lieu de _quem_, au v. 30. VIII [No. 9 de Bartsch]. I. No·m puesc sufrir d'una leu chanso faire, Pus prec e man n'ai de Mon Ereubut; Qu'apres lo dan e·l mal qu'ieu n'ai agut, Coven qu'ab joy m'esbaudey e m'esclaire: Quar segon l'afan 5 Qu'ai sufert tan gran, Non agra razo Qu'ieu cantes oguan; Mas quar fin'amors Mi mostr'e m'ensenha 10 Que·ls mais no·m sovenha E torn en mon chan, Farai derenan Un non chantaret prezan. 14 II. Anc per ren al de mon major maltraire De tan bon cor non desirey salut, Mas sol qu'a lieys cui Amors m'a rendut Pogues ancar servir, petit o guaire; Quar tot l'autre dan 19 Non prezera un guan, S'ieu moris o no, Sol leis pogues tan Servir que l'honors Ar parra que·m fenha 24 Per qu'ela m'estenha Que non digu' enan; Mas al sieu coman Sui e serai on qu'ieu m'an. 28 III. Las! que faray, pois non li aus retraire, Ans quan la vey, estau a ley de mut; E per autruy no vuelh sia saubut, S'aqui mezeis sabi' estre emperaire. A Dieu mi coman 33 Cum vau trebalhan; Qu'ab la sospeisso N'aurai atretan, Quar tan grans ricors Non cug que·m n'avenha; 38 Mas vas on qu'ieu teinha, Fis e ses enguan L'amarai quad'an, De jorn en jorn melluyran. 42 IV. Que·l cors e·l cor e·l saber e·l vejayre E l'ardimen e·l sen e la vertut Ai mes en lieys e non ai retengut Ni pauc ni pro per negun autr'afaire; Ni als non deman, 47 Ni vau deziran, Mas que Dieus me do Vezer l'or'e l'an Que sa grans valors Tan vas mi·s destrenha 52 Qu'en mos bratz la seinha, E qu'ieu, en baizan, Tot al mieu talan Remir son cors benestan. 56 V. Ai! franca res, cortez' e de bon aire, Merce n'ajatz que veus m'aissi vencut; Qu'aissi vos ren lo basto e l'escut, Cum selh que plus non pot lansar ni traire: Vostr' huelh belh truan 61 Que tot mon cor m'an Emblat, non sai co, No·m van confortan. Ja castels ni tors No·us cugetz que·s tenha, 66 Pus gran forsa·l venha, Si secors non an Sylh que dins estan: Mas a mi vai trop tarzan. 70 VI. Esta chansos vuelh que tot dreg repaire En Arago, al rey cuy Dieus ajut; Que per lui son tug bon fan mantengut, Plus que per rey que anc nasquet de maire: Qu'aissi·s vai trian 75 Sos pretz, e s'espan Sobr'autres que so, Cum sobre·l verjan Fai la blanca flors: Per qu'ieu on que·m venha 80 Ades crit sa senha, E vau razonan Son pretz, e non blan Duc ni rey ni amiran. 84 VII. Et ab ma chanso, Enans qu'alhor an, M'en vau lai de cors On Jois e Pretz renha, 88 E vuelh que l'aprenha, Cobletas viulan, E puois en chantan De qual guiz' hom la·i deman. 92 I.--Je ne puis m'empêcher de faire une chanson légère, puisque j'en ai reçu prière et commandement de mon _Ereubut_; car après le dommage et le mal que j'en ai eus, il convient qu'avec joie je me réjouisse et je m'éclaire; car après le chagrin si grand que j'ai souffert, je n'aurais pas de raison pour chanter cette année; mais puisque Amour parfait me démontre et m'enseigne que je ne dois pas me souvenir des maux et que je revienne à mon chant, je ferai aussitôt une nouvelle chansonnette prisée. II.--Jamais pour rien autre je ne désirai de si bon coeur me sauver de mon plus grand tourment, mais pourvu seulement que je pusse encore servir peu ou prou celle à qui Amour m'a soumis; car tout l'autre dommage, je ne l'estimerais pas un gant, que je mourusse ou non, pourvu seulement que je puisse tellement la servir qu'il paraîtrait honorable pour elle que je me vante afin qu'elle m'anéantisse et dise non auparavant (?), mais je suis et je serai à son commandement où que j'aille. III.--Las! que ferai-je, puisque je n'ose lui parler, mais quand je la vois, je suis comme un homme muet; et je ne veux pas que mon amour soit connu d'autrui, même si je savais être sur-le-champ empereur. Je me recommande à Dieu, [en lui montrant] comme je vais souffrant; car avec l'attente, j'en aurai autant: je ne pense pas qu'un aussi grand bonheur m'en advienne; mais où que j'aille, parfait et sans tromperie, je l'aimerai chaque année, m'améliorant tous les jours. IV.--Car je lui ai donné mon corps et mon coeur, mon talent et mon jugement (?), hardiesse, prudence et courage, et je n'en ai retenu ni peu ni prou pour aucune autre affaire; je ne demande et ne vais désirant nulle autre chose, si ce n'est que Dieu me donne de voir l'heure et l'année où sa grande valeur fasse un tel effort sur elle que je la tienne en mes bras, et que, en l'embrassant, je contemple son beau corps tout à loisir. V.--Ah! noble créature, courtoise et de bonne naissance, ayez pitié de moi, car me voici vaincu; je vous rends la lance et l'écu comme un homme qui ne peut plus frapper de la lance ni jeter des traits. Vos beaux yeux trompeurs qui, je ne sais comment, m'ont pris tout mon coeur, ne me réconfortent pas. Ne pensez pas que jamais château ni tour attaqués par une grande force résistent, si les assiégés ne sont pas secourus; mais pour moi cela tarde trop. VI.--Cette chanson, je veux qu'elle aille tout droit en Aragon, au roi que Dieu veuille protéger; car pour lui sont tous hauts faits maintenus plus que par aucun roi qui jamais soit né de mère. Car ainsi va se distinguant son mérite et il se répand au-dessus de tous les autres, comme au-dessus du verger fait la blanche fleur. C'est pourquoi, quelque part que j'aille, je pousse aussitôt son cri de guerre, je vais exposant son mérite et je ne crains ni duc, ni roi, ni amiral. VII.--Et avec ma chanson, avant que j'aille en un autre pays, je m'en vais en courant là-bas, où Joie et Mérite règnent; et je veux qu'elle l'apprenne, en accompagnant les couplets sur la viole, et puis en chantant, de quelque manière qu'on la lui demande. Notes: Texte de Raynouard, _Choix_, III, 124, reproduit dans Mahn, _Werke der Troubadours, I_, 139. La chanson a été conservée par quatorze manuscrits; parmi les chansons de Peire Raimon, seule celle qui commence par _Atressi com la candela_ a été conservée par un nombre de manuscrits plus grand (dix-neuf). Au vers 25, le texte de Raynouard donne: _Per qu'ela m n'estrenha_, dont le sens ne me satisfait pas; je lis, avec _B_ et _C: per qu'ela m'estenha_; le sens ne me satisfait guère plus d'ailleurs; j'ai longuement hésité pour la traduction de _fenher_. IX [No. 10 de Bartsch]. I. Pessamen ai e cossir D'una chanso faire Qu'a lieys denhes abelhir Cuy suy fis amaire; E s'ieu pogues avenir 5 En bos digz retraire, Far pogra saber Que ieu plus fin joy esper, Que nuls natz de mayre. 9 II. Lo cors e·l sen e l'albir Ai mes e·l vejaire En lieys honrar e servir, Quar es la belhaire Qu'om pogues el mon chauzir, 14 Don no·m puesc estraire Ni mon cor mover; Qu'Amors me fai tan temer Lieys qu'als non am guaire. 18 III. La fina vera valors Plus d'autra valensa, E·l pretz, e·l fresca colors Me platz e m'agensa: Que si me valgues Amors 23 Tan que m'entendensa Mi dons abelhis, Plus ric joy que Paradis Agr' a ma parvensa. 27 IV. Nulh' autra no·m pot secors Far ni dar guirensa; Et on plus en sen dolors Plus n'ai sovinensa; Mas ges dire mas clamors 32 No l'aus per temensa; Tan li sui aclis Qu'on plus vas me s'afortis, Mai l'am ses falhensa. 36 V. E fora li benestan Si·m des alegransa, Tan qu' aleuges mon afan Ab douss' acoindansa: Qu'ieu li suy senes enguan, 41 E non ai membransa D'als, mas quom fezes Tot so qu'a mi dons plagues; Pero pauc m'enansa. 45 VI. Qu'ades m'en vauc meluyran On plus n'ai pezansa Vas lieys, e suefri mon dan Ab bon' esperansa; E doblera mon talan 50 Sil belha semblansa, Gentils cors cortes, Si·t prezes de me merces O qualsque pitansa. 54 I.--J'ai souci et désir de faire une chanson qui pût plaire à celle dont je suis l'amant parfait: et si je pouvais réussir à le dire en belles paroles, je pourrais faire savoir que j'attends une joie plus parfaite que nul homme né de mère. II.--J'ai mis mon corps, ma raison et mon jugement à l'honorer et à la servir, car elle est la plus belle que l'on pourrait distinguer dans le monde; je ne puis ni m'en éloigner ni en retirer mon coeur; car Amour me la fait tellement craindre que je n'aime aucune autre personne. III.--Sa valeur, plus parfaite et plus vraie qu'aucune autre, son mérite, sa fraîche couleur, me plaisent et m'agréent; et si Amour daignait me secourir au point que ma requête amoureuse plût à ma dame, il me semble que j'aurais une joie plus parfaite que le Paradis. IV.--Aucune autre ne peut me secourir on me guérir; plus j'en éprouve de douleurs, plus j'en ai souvenance; mais, par timidité, je n'ose lui faire entendre mes plaintes; je lui suis tellement soumis, que plus elle s'obstine envers moi, plus je l'aime sans défaillance. V.--Il lui serait bienséant de me donner tant d'allégresse, qu'elle allégeât mon chagrin avec ses douces manières: car je lui appartiens sans tromperie; et je ne pense pas à autre chose, si ce n'est comment je ferai tout ce qui pourrait plaire à ma dame; mais cela m'avance peu. VI.--Car je vais toujours en m'améliorant, quand j'ai plus d'irritation envers elle, et je souffre mon dommage en conservant bon espoir: et ce bel accueil, ces belles manières doubleraient mon désir, ô noble corps courtois, si tu avais de moi quelque pitié ou quelque commisération. NOTES Texte de Raynouard (ms. _C_), _Choix des Poésies originales des Troubadours_, III, 120. La chanson se trouve encore dans le ms. _a_; texte publié par Stengel, _Rev. lang. rom_., XLV (1902), p. 132. X [No. 12 de Bartsch]. I. Pos lo prims verjans brotona De que nais lo frug e·l fuelh, E·l rossinhols s'abandona 3 De chantar per mieg lo bruelh, Bela m'es la retindida Que fai per mieg la giardina. 6 II. Drutz que pros don' abandona Ben laus que·s gart de jangluelh, Que lauzengier, bec d'ascona, 9 (Car son plan en far lur truelh) Ab lor mensonja forbida Cujon falsar amor fina. 12 III. Qui de joi porta corona Ben es dreg c'om l'en despuelh, Si ves sa dona tensona 15 O totz sos fatz non acuelh, Que amors es tan chauzida C'ab humilitat s'aizina. 18 IV. Gellosia·m tol e·m dona So que pus am e mais vuelh; A me non cal, qui q'en grona, 21 Pueys que dossamens m'acuelh Ma domna cui fin Joys guida E Pretz e Jovens aclina. 24 V. Si ma domna no·m perdona, Grieu viurai mais ses corduelh, E vueilh q'om viu me repona, 27 Qar anc li mostriei ergueilh; Mas dretz es qi merce crida Que trueb de son mal mescina. 30 VI. Tan com la mars avirona N'ay triat, ses dig baduelh, La gensor e la pus bona 33 C'oncas vezesson miey huelh, Blanca, fresc' e colorida, Et es de bona doctrina. 36 VII. Lai al renc de Barsalona Estay l'amors c'amar suelh; E qui d'autr'amor me sona 39 Perda Dieus que non l'acuelh; Qu'ieu non partray a ma vida, Tant es de bona razina. 42 VIII. Le vers s'a hueimais fenida Q'En Gintartz d'Anton l'afina. 44 I.--Au moment où la première branche fait éclore ses bourgeons, d'où naît le fruit et la feuille, et où le rossignol s'abandonne au chant, au milieu du bocage, il m'est agréable d'entendre l'écho de ce chant qu'il fait retentir dans le jardin. II.--A un amant qui abandonne une noble femme je conseille qu'il se garde de bavardage, car les médisants au bec affilé (et ils sont habiles à faire leur tromperie) avec leurs mensonges doucereux pensent fausser l'amour parfait. III.--Qui porte une couronne de joie, il est bien juste qu'on l'en dépouille, s'il se querelle avec sa dame ou s'il n'approuve pas tous ses actes; car Amour est si indulgent qu'il vit avec la bonté. IV.--Jalousie m'enlève et me donne ce que j'aime et désire le plus; peu m'importe, qui qu'en grogne, puisqu'elle m'accueille doucement, ma Dame, qu'Amour partout guide et devant qui s'inclinent Mérite et Jeunesse. V.--Si ma Dame ne me pardonne, je vivrai désormais difficilement sans chagrin; et je veux qu'on m'ensevelisse vivant, car jamais je ne lui témoignai de l'orgueil; mais il est juste que celui qui crie pitié trouve un remède à son mal. VI.--Par toutes les terres que la mer environne, j'ai choisi, sans exagération (sans mentir?) la plus noble et la meilleure que jamais aient vue mes yeux, blanche, fraîche, colorée, et de si bonnes manières! VII.--Là-bas, au royaume de Barcelone, se trouve l'Amour que j'ai coutume d'aimer, et qui me parle d'autre amour, que Dieu le confonde, car je ne l'accueille pas; je ne m'en séparerai pas de toute ma vie, tellement il est bien enraciné. VIII.--Le vers a maintenant sa fin, car Gintartz d'Anton le termine (?). NOTES Nous donnons le texte de cette pièce d'après Raynouard, _Choix_, V, 326 (reproduit dans Mahn, _Werke_, I, 138); nous complétons le texte de Mahn-Raynouard en ajoutant la strophe V et la tornada d'après Mahn, _Gedichte der Troubadours_, no. 792 (ms. _M_). La pièce se trouve dans les mss. _D_(a) _M R_ sous le nom de Peire Raimon, et dans les mss. _l K d_ (qui forment un même groupe) sous le nom de Uc de la Bacalaria. L'attribution à Peire Raimon paraît sûre. V. 6. _Giardina_ ne paraît pas se trouver ailleurs que dans ce passage. V. 9. _Ascona_, dard, lance; cf. sur ce mot la note de F. Michel, dans _Hist. de la guerre de Navarre_, de Guilhem Anelier, note à la p. 367. Le mot a existé en ancien espagnol: _azcon, azcona_; en a. fr. _asconne; asc_, lance, en anglo-saxon. On rattache le mot au germ. _Esche_, frêne, la lance étant souvent en frêne; cf. a. fr. _fraisnine_. V. 44. Gintart d'Anton doit être le nom d'un chevalier catalan; mais je ne sais rien sur ce personnage. XI [No. 13 de Bartsch]. I. Pos vei parer la flor e·l glay É dels auzels m'agrada·l chans, De far chanso m'es pres talans 3 Ab motz plazens et ab so guay; E pus de ben amar melhur, Segon razo, 6 Trop en dey mielhs far motz ab so: E si per ma domn' es grazitz Mos chans, ben er mielhs enantitz. 9 II. Fis e francs ab fin cor veray Suy ves lieys qu'es guay' e prezans, Bel' e plazens e benestans 12 Mil tans plus que dire no say, E te son cors ferm e segur De falhizo: 15 Que de nulh preyador fello Per cuy fis domneys es delitz Non es per lieys sos pretz auzitz. 18 III. E pus fin'amors la m'atray, Per Deu no m'en deu venir dans, Qu'ieu li suy tan fizels amans 21 Que re al cor tan no m'estay; Per que ja lauzengier tafur, Cui Dieus mal do! 24 No·m degran neguna sazo Tener dan, c'usquexs gab'e ditz, Que per luy es Joys desconfitz. 27 IV. Dona promet e don' estray, E mostr' erguelh e bels semblans, E ditz per guab e per bobans 30 Mayntas res ab certes essay, E siey fait son leyal e pur Ses aunit do; 33 E son mayntas d'aytal faisso En cui Pretz entiers es complitz, E d'autras en cuy es aunitz. 36 V. Belha domna, ja no serai Jauzens ses vos, ni benanans; Qu'ieu suy selh que vostres comans 39 Tostemps a mon poder faray: Aisso vos man per ver e·us jur Qu'anc hom no fo 42 Plus leyals ves amor qu'ieu so; E fuy per vos servir noyritz E suy d'autras amors fayditz. 45 VI. Ja no·m tenran fossal ni mur Que ma chanzon Non port al valen et al pro 48 Guillem Malaspina q'es guitz De Pretz, c'us no·ill lo contraditz. 50 I.--Puisque je vois paraître la fleur an glaïeul et que le chant des oiseaux me plaît, il m'a pris un désir de faire une chanson avec des mots agréables et une mélodie gaie; et puisque en aimant bien je m'améliore, suivant raison, je dois en faire mieux mots et mélodie; et si mon chant est agréé par ma Dame, il aura beaucoup plus de succès. II.--Je suis sincère et franc, avec un coeur sincère et vrai, envers celle qui est belle, agréable et parfaite mille fois plus que je ne saurais le dire et elle se tient fermement éloignée de tromperie; car d'aucun suppliant félon, par qui la parfaite courtoisie est détruite, elle n'écoute l'éloge de son mérite. III.--Et puisque Amour parfait l'attire à moi, par Dieu il ne doit pas m'en venir du dommage, car je lui suis un amoureux si fidèle que rien ne me tient tant au coeur; c'est pourquoi jamais les vils médisants--que Dieu les confonde!--ne devraient me causer quelque dommage, car chacun fait le fanfaron et dit qu'Amour est vaincu par lui. IV.--Femme promet et femme retire sa promesse; elle se montre orgueilleuse ou accueillante; elle dit par plaisanterie et par ostentation maintes choses avec courtoisie et ses actes sont loyaux et purs, sans don avilissant; et il y a beaucoup de femmes de ce naturel, en qui Mérite parfait est accompli et d'autres où il est honni. V.--Noble dame, sans vous jamais je ne serai joyeux ni heureux; car je suis celui qui toujours et de tout mon pouvoir exécuterai vos ordres; c'est la déclaration sincère que je vous envoie, et je vous jure que jamais homme ne fut plus loyal que moi envers amour; je fus élevé pour vous servir et j'ai quitté (pour vous) d'autres amours. VI.--Jamais fossés ni murs ne m'empêcheront de porter ma chanson au vaillant et au preux Guilhem Malaspina, qui est le guide de la valeur, car personne ne le lui conteste. NOTES Texte de Raynouard, _Choix_, III, 122, réimprimé dans Mahn, _Werke der Troubadours_, I, 144. L'envoi (str. VI), dont l'importance historique est grande pour la biographie de Peire Raimon, ne se trouve que dans le ms. _D_, comme l'a fait observer M.G. Bertoni, qui en donne le texte (_Trovatori d'Italia_, p. 14). Ce ms. _D_ (Modène) attribue d'ailleurs la chanson par erreur à Rambertino de Buvalel. Guillem de Malaspina, à qui est adressée la présente chanson, régna de 1194 à 1220. Il fut chanté par Albert de Sisteron, Aimeric de Pégulhan, qui fit un _planh_ sur sa mort, et peut-être par Falquet de Romans. XII [No. 14 de Bartsch]. I. Pos vezem boscs e broils floritz E·il prat son groc vert e vermeil, E·l chant e·l refrim e·l trepeil Auzem dels auzellos petitz, 4 Be·s taing c'un novel chan fabrec En aquest bel douz temps d'avril; E si be so·ill mot maestril, Leu seran d'entendr' a unquec. 8 II. E quar non trop gair on desplec Mon ferm natural sen sotil, Per tan non clam mon saber vil, Sitot enquer grans non parec; 12 C'aissi com si trobav' escritz Bons motz, tan gen los appareill Que no·m par que ja trop pareil Qu'en chantan formes meillors ditz. 16 III. Mas uns gens cors, francs e grazitz, C'anc tan bels no·s vie en espeill, Per cui pes e fremisc e veill, M'es e mon cor tant abellitz 20 Que d'alre servir no m'embrec Mas ma domna franqu'et humil; Per qu'eu ses tot enjan m'apil Ens'amor que·m ten cobes lec. 24 IV. Anc om en ben amar non crec Tan con en midonz, don m'apil En leis servir, c'ab un pauc fil M'a pres e cug qu'e[n] pauc m'eisec; 28 Mas ges non tem parliers ni critz, Tant esper son liai conseill; E si·l platz qu'ella m'aconseill, Gen serai de fin joi garnitz. 32 V. Ades es lai mos esperitz On il es, don non meraveill; C'aitan con fer rais de soleill, Non es tan de bos aips complitz 36 Nul' autra ni par c'ab leis s'ec De beutat, s'eran d'autras mil; Don prec midonz que no m'avil, Se mos cors vol mais que non dec. 40 VI. Per ma domna maigrisc e sec, Car son gen cors format gentil Non vei; e fora mortz de gil Tro qu'un pauc mos cors s'esperec. 44 I.--Puisque nous voyons les bois et les bocages fleuris, et que les prés sont jaunes verts et vermeils, et puisque nous entendons le chant, le refrain et le tapage des oisillons, il convient bien que que je fabrique un chant nouveau en ce beau doux temps d'avril; et quoique les mots soient excellents, ils seront faciles à entendre pour tout le monde. II.--Quoique je ne sache guère où déployer mon sens subtil, ferme et naturel, cependant je n'appelle pas mon savoir commun, quoiqu'encore il n'ait pas paru grand; car, comme si je trouvais écrits les beaux mots, je les accouple si bien qu'il ne me semble pas que jamais je trouve un poète semblable qui en chantant formât de meilleures paroles. III.--Mais un gentil corps, noble et aimé--tel que jamais aussi beau ne se vit dans un miroir--pour lequel je pense, je frémis et je veille, m'a tellement plu en mon coeur que je ne m'embarrasse pas de servir d'autre objet que ma dame douce et bienveillante; c'est pourquoi, sans tromperie, je m'enracine en son amour, qui me maintient dans le désir. IV.--Jamais homme ne fit de progrès en amour parfait comme j'en fais à propos de ma dame; et je m'affine à son service; car elle m'a pris avec un petit fil et je crois qu'en peu de temps je me dessècherai; mais je ne crains pas du tout ni les bavards ni leurs cris, tellement j'espère son loyal secours; et s'il lui plaît de me conseiller, je serai noblement orné de joie, parfaite. V.--Mon esprit est toujours là où elle est; cela ne m'étonne pas, car aussi loin que frappe le rayon du soleil il n'y en a pas d'autre qui possède autant de bonnes qualités accomplies; et il ne semble pas qu'aucune autre puisse l'égaler en beauté, même si les autres étaient au nombre de mille; aussi je prie ma dame qu'elle ne m'avilisse pas, si mon coeur veut plus qu'il n'aurait dû. VI.--Pour ma dame je maigris et je me dessèche, quand je ne vois pas son gentil corps noblement formé; et je serais mort de froid jusqu'an moment où mon coeur se réveilla. Notes: Nous avons pris pour base le texte de _I_ (Mahn, _Gedichte der Troubadours_, no. 942); nous avons corrigé plusieurs passages à l'aide de c(a); la chanson se trouve encore dans les mss. _D_(a) _K R_. Voici les corrections que nous avons introduites dans le texte: V. 3, eill _I_; v. 4, auzels los _I_; v. 13, don _I_, com _a_; trop aues critz _I_, fi trobau escritz _a_; v. 15, j'ai _I_; _c_ et _a_ ont omis ce vers; v. 18, bel _I_; non vic _a_; v. 19, fremics _I_, fremisc _a_; v. 21, non m. _I_, no membrec _a_; v. 24, que _I_; v. 28, texte de _a_ (sauf _me sec_ que nous changeons en _m'eisec_), don non par que me fec _I_; v. 29, gen. cen _I_, pero non tem parlers meriz _a_, ni criz _c_; v. 32, qen _I_, gent _a_; v. 36, non regna _a_; v. 40, s. m. c. v., q'autra non dec _c_; v. 42, formatz _I_. Les strophes se correspondent deux par deux (1, 3. 5; 2, 4); les rimes en _ec_ sont en _e_ fermé; au v. 37, si la leçon _s'ec_ de _s'egar_ (_se acquare_) est la bonne, le changement d'_e_ ouvert de _egar_, en _e_ fermé pourrait être dû à la rime; les confusions de _e_ fermé et de _e_ ouvert à la rime ne sont pas rares chez les troubadours. V. 12. Ce vers pourrait laisser entendre que le talent de Peire Raimon est encore peu connu et cette pièce pourrait être de la jeunesse du poète. V. 21. Du verbe _s'embregar_; vers cité par Raynouard, _Lex. Rom_., II, 256. V. 28. Nous rattachons _eisec_ au verbe _eisegar_, formé sur _sec_, quoique la suite des images ne nous satisfasse pas; si on garde _sec_ et qu'on se rattache à _segar_, on a encore ici une rime en _e_ ouvert. V. 37-38. Mêmes expressions dans deux passages cités par Raynouard, _Lex. Rom_., III, 136 (P. Bremon et Arnaut Daniel). V. 44. _Esperec_, parf., 3e p. sing., de _espereisser_: autres formes _esprec, espric, esperic_. Cf. Levy, _Suppl. W_., au mot _espereisser_. XIII [No. 15 de Bartsch]. I. S'ieu fos aventuratz De domna ni d'amor, De tot' altra ricor Fora manentz assatz; Mas lausenger truan 5 Mi tolon joi e chan, Per q'eu son tant iratz C'ab pauc desesperatz Non muer; et es non senz Qi s'aïra per autrui faillimenz. 10 II. Mas granz es lo pechatz A tot mal parlador Qe si met en amor Don ja non er laudatz; Qe mentir ab enjan 15 Tol honor et fai dan, Don es deseretatz Mainz hom pros e cochatz. Ai! Deu(s), per que consentz C'om sofra·ls tortz don non es malmerenz. 20 III. Vergiers ni flors ni pratz No m'an fait chantador, Mas per vos cui ador, Domna, si m'allegratz; Q'eu non chantera onguan, 25 Mas lo gent cors preisan E vostra gran beutatz M'abelis tant e·m platz Q'a mils vers sagramenz No·us puesc mostrar com vos sui benvolenz. 30 IV. Se ma fia 'amistatz Vos avia sabor Tan qe per servidor Vostr' on fos reclamatz, Ben agra meinz d'afan, 35 Qe ren als no deman. E rics dons qant es datz Es grazitz et presatz Trop mais pels conoiscenz Qe per malvais parliers desavinenz. 40 V. Domna, ben voil sapchatz Qe la fina color E·l sen e la valor E·l vostre pretz hondratz Mi fan far desiran 45 Maint sospir, per q'eus man Qe vostre endomenjatz Son com serf qu'es compratz: E qui·l sieu meteis venz, Non par sia ges si bons afortimenz. 50 I.--Si j'étais heureux en femmes et en amour, de toute autre richesse je serais suffisamment riche; mais les médisants mauvais m'enlèvent joie et chant. Aussi suis-je si irrité qu'il s'en faut de peu que je ne meure presque désespéré; et pourtant c'est de la folie de s'irriter pour les fautes d'autrui. II.--Mais la faute est grande pour tout médisant qui se met à aimer [une personne] dont il ne sera jamais loué; car le mensonge et la ruse enlèvent l'honneur et causent du dommage, par suite de quoi maint homme preux et pressé (?) est déshérité. Ah! Dieu, pourquoi consens-tu qu'on supporte les torts dont on n'est pas coupable? III.--Ce ne sont ni les vergers, ni les fleurs, ni les prés qui m'ont fait poète, mais c'est vous, vous que j'adore, dame, tellement vous me mettez en joie (_ou_: si vous me mettez en joie?); car cette année je n'aurais pas chanté, mais votre gentille et agréable personne et votre grande beauté me plaisent tant qu'avec mille serments sincères je ne saurais vous témoigner mon amour. IV.--Si ma parfaite amitié avait pour vous assez de saveur pour que je fusse proclamé votre serviteur, j'aurais bien moins de chagrin, car je ne demande pas autre chose. Et un riche don accordé est loué et prisé par les connaisseurs beaucoup plus que par les médisants déplaisants. V.--Dame, je désire que vous sachiez que votre fine couleur, votre intelligence et votre distinction et votre mérite honoré me font faire maints soupirs de désir; aussi je vous envoie que je suis votre serviteur, comme un serf acheté; et celui qui détruit son propre bien, il ne semble pas que ce soit là un bon accroissement. Notes: Texte de _c_ avec les corrections indiquées par Stengel (_Die altprovenzalische Liedersammlung_ c, no. CXVII). Nous avons fait, en dehorsdes changements purement orthographiques (_lz_ pour _z, s, z_ pour _ç_), les corrections suivantes: v. 8, _c'ab pauc_ manque dans le ms.; v. 20, ms. _borç_ (l. _tortz_), _malmenenç_ (l. _malmerenç_); v. 26, ms. _plesan_ (l. _preisan_). Au v. 46, nous lisons _q'eus_ an lieu de _q'eu_. Au v. 49, faut-il entendre _lo sieu_ comme un neutre ou le faire rapporter à _serf_? XIV [No. 16 de Bartsch]. I. Si cum seluy qu'a servit son senhor Lonc temps e·l pert per un pauc falhimen, M'aven per so qu'avia leyalmen Fagz sos comans de ma dona e d'amor 4 E ja d'aisso nom degr' ocaizonar Ni mal voler ma dona, si·l plagues; Pero be sai, quant hom plus savis es, Adoncx si deu mielhs de falhir guardar. 8 II. Tan tem son pretz e sa fina valor E tant ai cor de far tot son talen, E tan mi fan lauzengier espaven, Per qu'ieu non aus de lieys faire clamor 12 Ni mon fin cor descobrir ni mostrar, Mas mil sospirs li ren quec jorn per ces; E veus lo tort de qu'ieu li suy mespres, Quar anc l'auzei tan finamen amar. 16 III. E si·l plagues que·m fezes tan d'onor Qu'a genolhos sopleyan humilmen Son belh cors guay, gen format, avinen, E·l dous esguart e la fresca color 20 Mi laissesson sospiran remirar, Ben cre que mais no·m falhira nulhs bes; Quar tant fort m'a s'amor lassat e pres Que d'als non pes ni puesc mon cor virar. 24 IV. De paratge no suy ni de ricor Que ja·m tanhes que·l fes d'amar parven, Mas quan lo ricz sos menors acuelh gen Dobla son pretz e·l creys mais de lauzors; 28 Per que feira ma dona ben estar, Si qualque belh semblan far mi volgues, Qu'en tot lo mon non es mais nulla res Que ja ses lieis mi pogues joy donar. 32 V. Be sai qu'ieu fatz ad escien folhor, Quar ai en lieis mes mon entendemen, Mas non puesc als; cum plus li vau fugen, Mais la dezir e dobli ma dolor. 36 So q'om vol fort no pot hom oblidar; S'apres cen mals un be de lieis agues, Be fora ricz, e sol qu'a lieis plagues Iria·l tost denan merce clamar. 40 VI. Sa gran beutat, son gen cors nou e clar, Son pretz, s'onor sal Dieus e·ls digz cortes, Que res de be no·y falh mas quan merces, Qu'ab sol aitan no·lh trobari' hom par. 44 VII. Canso, vai mi tost retrair' e comtar Ad Auramala e di m'al pros marques Mecier Colrat qu'en luy a tans de bes Per qu'om lo deu Sobretotz apellar. 48 I.--Il m'en prend comme à celui qui a servi son seigneur longtemps et qui le perd par une petite faute, parce que j'avais exécuté loyalement les commandements de ma dame et d'amour; mais pour cette faute ma dame ne devrait pas, s'il lui plaisait, me reprendre ni me vouloir du mal; cependant je sais que plus un homme est sage, mieux il devrait se garder de faillir. II.--J'ai tant de souci de sa réputation et de sa parfaite valeur (morale) et j'ai tant à coeur d'accomplir tous ses désirs, et (d'autre part) les médisants me font tant peur que je n'ose me plaindre d'elle ni découvrir et montrer le fond de mon coeur; mais tous les jours je lui donne mille soupirs comme rente; voilà la faute dont je suis coupable envers elle, c'est d'avoir osé l'aimer si parfaitement. III.--Et s'il lui plaisait de me faire tant d'honneur qu'elle et amour me laissassent considérer en soupirant, à genoux et en suppliant humblement, son beau corps gai, bien formé, avenant, son doux regard et sa fraîche couleur, je crois bien que jamais ne me manquerait aucun bien. Car son amour m'a si bien enlacé et pris que je ne pense pas à autre chose et que je n'en peux éloigner mon coeur. IV.--Je ne suis ni assez puissant ni d'assez haute naissance pour qu'il me convienne de lui témoigner mon amour, mais quand l'homme puissant accueille gentiment ses inférieurs, il double sa renommée et augmente sa réputation; aussi mettrais-je ma dame en haut renom, si elle voulait me témoigner quelques égards, car dans le monde entier il n'y a pas d'autre créature qui sans elle pût me donner la joie. V.--Je sais que sciemment je fais une folie, pour avoir mis en elle mon affection, mais je ne puis faire autrement; plus je vais la fuyant, plus je la désire et plus je double ma douleur. Ce qu'on veut fortement, on ne peut l'oublier; si, après cent maux, j'avais un bien d'elle, je serais bien riche, et si seulement cela lui plaisait, j'irais rapidement devant elle lui crier pitié. VI.--Que Dieu protège sa grande beauté, son gentil corps, jeune et frais, son grand mérite, sa réputation, ses propos courtois, car aucun bien n'y manque, sauf un peu de pitié, car si elle en avait, on ne lui trouverait pas sa pareille. VII.--Chanson, va-t-en vite dire et raconter (tout ceci) à Auremale et dis-moi au preux marquis Messire Colrat qu'en lui il y a tant de qualités qu'on doit l'appeler _Sobretotz_ (Au-dessus de tous). Notes: Texte de Raynouard, _V_, 223, reproduit dans Mahn, _Werke der Troubadours_, I, 136. A la strophe VII, il s'agit du marquis Conrad de Malaspina; Auramala était un fief de la famille de Malaspina. Conrad succède à Guilhem de Malaspina en 1221. Au _v_. 26, le ms. _G a taisses (avec_ signe d'abréviation de _n_ sur _i_) au lieu de _tanhes_, et le ms. _a taisses (= taisses_). XV [No. 17 de Bartsch]. I. Si com l'enfans qu'es alevatz petitz En cort valen et honratz del seingnor, Pois, quant es grantz, se·n part e quer meillor, No·l pot trobar, ten se per escarnitz, 4 Vol s'en tornar, non a tant d'ardimen, Aitals son eu, que·m parti follamen Da lleis, cui ren merces, se·m vol sofrir, Que venjament en prend'; al no desir. 8 II. Venjar s'en pot de mi, qu'er'afollitz. Mais hom qu'es fols, cho dizon li autor, Non er jujatz, tan que·l ten be iror, Del mal qu'il fai, ni per raison punitz; 12 Mas quant n'er for, er jujatz, s'il mespren, O s'il avia enanz fait faillimen. E se·l fis anc, ben vos dic ses mentir, Il sap lo ver, fassa·m totz temps languir. 16 III. Ben o pot far e totz sera grazitz Lo mals; l'afan, la pena e la dolor Suffr'eu en pais, e semblara·m doussor; Mais il gart sei, qu'al seu bon pretz floritz 20 Ges non eschai ni non es avinen De totz mals faitz qu'il prenda venjamen; Mais val perdos e mielz fai a grazir, E sel qui·l prent en val mais per servir. 24 IV. Eu valgra mais per servir; e garitz M'agra merces, pietatz et amor, S'omilies midons sa grant ricor Qu'il mandes chai saluz en breu escritz; 28 E sui trop fols, quant ai tal pensamen Qu'ill mandes chai man; sofra·n solamen ...Ver leis mains jonchas obezir Tot son coman, si·l platz viure o morir. 32 V. Per son coman no fo mortz ni traïtz . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Que·m parti de la flor De tot lo mon, que m'avia noiritz. 36 Puois me·n parti, fui en tal marrimen Don fora mortz, si no fos jauzimen Q'atent merce, per cho qu'al departir Me dis ploran: «Deus te lais revenir!» 40 I.--Je suis semblable à l'enfant qui a été élevé tout jeune dans une noble cour et y a été honoré de son seigneur; puis, devenu grand, il la quitte et en cherche une meilleure; il ne peut la trouver et se croit trompé; il veut s'en revenir, mais il n'a pas assez de hardiesse; je suis semblable à lui, car je quittai follement celle que je remercierai de s'en venger, pourvu qu'elle veuille me supporter près d'elle; je ne désire pas autre chose. II.--Elle peut bien s'en venger, de moi, car j'étais devenu fou. Mais un homme fou, disent les auteurs, ne sera pas condamné pour le mal qu'il fait et il ne sera pas juste de le punir, tant que la folie le tient bien; mais quand la folie lui aura passé, il sera condamné, s'il commet une faute, ou s'il en avait commis quelqu'une auparavant. Et si jamais j'en ai commis une, je vous le dis en vérité, et elle sait que je ne mens pas, qu'elle me fasse languir éternellement. III.--Elle peut bien le faire et béni sera le mal; je supporterai silencieusement chagrin, peine et douleur et tout cela me semblerait bien doux; mais qu'elle remarque bien qu'il ne convient pas et qu'il n'est pas avenant pour sa bonne renommée en fleur de prendre vengeance de tous les méfaits; pardon vaut mieux et mérite mieux la louange et celui qui le reçoit en devient meilleur pour servir. IV.--Je serais meilleur pour servir; Pitié et Amour m'auraient guéri, si ma dame inclinait son orgueil au point de m'envoyer ici des «saluts» écrits en forme de lettre; mais je suis trop fou, quand je lui mande cette pensée de m'adresser ici (ses saluts); qu'elle supporte seulement que j'aille vers elle, mains jointes, obéir à tous ses ordres, qu'il lui plaise de me faire vivre ou de me faire mourir. V.--Je ne fus ni tué ni trahi par son ordre, [mais je fut pris de tristesse depuis le jour où] je me séparai de celle qui est la fleur du monde et qui m'avait élevé. Après l'avoir quittée, je fus dans une telle tristesse que je serais mort, si ce n'était la joie qui espère en la pitié, parce qu'elle me dit à mon départ en pleurant: «Que Dieu te laisse revenir!» Notes: Texte de Appel, _Provenzalische Inedita_, p. 248, d'après les manuscrits _I_ et _K_, qui se ressemblent. V. 7, je mets une virgule après _sofrir_; v. 11 et 12, j'adopte les corrections proposées par Appel: v. 11, _tan_ au lieu de _tro_ (et _que·l_ pour _que llo_), v. 12, _ni_ au lieu de _n'es_; ces corrections paraissent assurées. V. 13, j'écris: _quant n'er for_, au lieu de _n'es_ des mss; v. 15, mss. _il saup lo ver, fatz om_... Appel propose: _E·n... fassa·m_; j'adopte _fassa·m_, mais je garde _il saup_ sous la forme du présent: _il sap_; v. 19, l. _patz_? V. 19: mss. _petitz_; il faut une rime en -_or_; j'adopte _doussor_ avec Appel. V. 20, lire: _que·l seus bos pretz floritz_? Mais au v. 38 on a _jauzimen_ au lieu de _jauzimens_ à cause de la rime; peut-être ici aussi la rime a amené _floritz_. V. 28, _salutz en breu escritz_: saluts (_saluts d'amour_, au sens de genre poétique ou _saluts_ tout court) écrits en lettre, en forme de lettre; cf. J. Rudel, _Senes breu de pergamina_ (_Quan lo rius_). v. 27: mss. _s'omielis tant sa gran ricor_; Appel propose de lire _granda_, ce qui me paraît peu probable; je propose _midons_ avec suppression de _tant_. V. 30, la leçon du ms. ne me satisfait pas; c'est la répétition du v. 28; on attendrait: «Je suis trop fou d'avoir une telle pensée» (il faudrait lire: _ai tal pensamen_); «je ne lui demande pas cela» ou «je ne demande rien de sa main, mais qu'elle souffre seulement...»; _man_ me paraît devoir être changé en: _mas_ (_sofra solamen_); v. 31, [_quez an_] _ver_ [s] _leis_? Appel: _Ans vuelh_; v. 34-35, le sens des vers manquants paraît être: «Je fus saisi d'une profonde tristesse depuis le jour (_depois cel di_?)» etc. V. 39: la joie qui attend la pitié, qui attend, qui espère de la pitié. Cette pièce a été imitée par le grand poète valencien Auzias March: _Nom pren axi com al petit vaylet_. On trouvera cette poésie à la fin de l'édition. XVI [No. 18 de Bartsch]. I. Totztemps auch dir q'us jois un autre adutz, Per que non voill nuill temps de joi partir, Q'ab joi fui natz et ab joi, on qe·m vir, 3 Soi et serai, q'aissi·m soi captengutz; E si·l fin joi de lei en cui enten. Q'eu plus aten, 6 Pogues aver, ben fora plus joios; Que dobles jois es rix e cabalos E qi joi sec jois li ve ses doptansa. 9 II. Per q'eu me soi autrejatz e rendutz A fin' Amor et a lei cui desir, Que finamen m'an fach mi oill chausir 12 La bella q'es flors e mirailz e lutz E caps e guitz de tot ensegnamen; E pos tan gen 15 Nafret mon cors d'un esgart amoros, D'al no·m soven ni no·m fo saboros Nuilz altre bes ni d'al non ac membransa. 18 III. Bona domna, vostre rix pretz saubutz E las faissos e·ill plazen acuoillir E la bocha don tan gen vos vei rir 21 M'an tan sobrat qe soven deveing mutz E la on cuch gent parlar pert lo sen; Q'ab espaven 24 Qer hom ric do, per qu'eu soi temoros; Mas eu auch dir q'hom savis, a sazos, Conqer mainz bes sofren ab esperansa. 27 IV. De vos amar non serai recrezutz, Anz m'abelis mil tanz qu'eu non sai dir; Et si·us plagues c'o volguessetz sofrir 30 Q'eu vos ames, ja non fora vencutz De vos servir mos fis cors leialmen; Anz m'er parven 33 Q'engals sia l'afanz de nos amdos; Et er merces, si de tan m'es faitz dos, Qe mos volers no·s fraing ni no·s balansa. 36 V. Mas fis amanz no·s taing qe leve brug, Ans deu son cor celar et escondir, E·l ben e·l mal qi·ll ve d'amor grazir; 39 Q'ab certes aibs es hom per pro tengutz; E qe·s gart be de far tot faillimen Ab escien, 42 Qe de bon luoc ave bos guierdos; Qe si domneis e cortejars non fos, Non fora pretz ni servirs ni honransa. 45 VI. Domna, per so·m sui a vos atendutz Qe·m detz conseil, q'a pauc no·m fan morir La fin' amors q'eus ai e·ill greu sospir; 48 E si mos cors fos per vos conogutz, Be m'es semblan que n'agratz jausimen, Qe no consen 51 Nuill' altr' amor, ni ma bona razos No·m pot sebrar ni delonhar de vos, Tan m'es el cor vostra gaia semblansa. 54 VII. Pretz e valor, beltat, joi et joven Ses faillimen, E toz bos aibs, totas belas faissos 57 Ha Na Beatritz d'Est, q'anc non er e fos Don'ab tant bes ses tota malestansa. I.--J'entends dire toujours qu'une joie en amène une autre; c'est pourquoi je ne veux jamais m'éloigner de la joie; car je suis né avec la joie, et, où que je me retourne, je suis et serai avec la joie: c'est ainsi que je me suis conduit dans ma vie; et si je pouvais avoir joie parfaite de celle en qui j'ai mis mon amour, joie que je désire le plus, je serais bien plus heureux; car une joie double est chose précieuse et supérieure; et à qui suit la joie, joie lui vient sans aucun doute. II.--Aussi me suis-je soumis et rendu à l'amour parfait et à celle que je désire; car avec perfection mes yeux m'ont fait choisir la belle qui est fleur, miroir, lumière, chef et guide de toute perfection; et depuis que si gentiment elle m'a blessé d'un regard amoureux, je ne me souviens pas d'autre chose et aucun autre bien n'eut pour moi de saveur. III.--Noble dame, votre haut mérite connu de tous, vos manières, votre accueil si aimable et la bouche dont je vous vois rire si gentiment m'ont tellement vaincu que souvent je deviens muet et que lorsque je pense bien parler je perds le sens; c'est avec crainte qu'on cherche un beau don, aussi suis-je craintif; mais j'entends dire qu'un homme avisé conquiert parfois maints biens en supportant avec espoir des souffrances. IV.--De vous aimer je ne serai jamais fatigué; car cet amour m'est cher mille fois plus que je ne saurais dire; et s'il vous plaisait de vouloir souffrir que je vous aime, mon coeur parfait ne serait jamais fatigué de vous servir loyalement; au contraire il me semblera que la fatigue serait la même pour nous deux; et ce sera une grâce si pour tant (de patience) il m'est fait un don, car mon amour ne diminue ni n'hésite. V.--Mais il ne convient pas à un parfait amant de soulever une querelle; il doit cacher les sentiments de son coeur, accepter avec reconnaissance le bien et le mal qui lui vient d'amour; car avec des qualités courtoises un homme est tenu pour excellent; et qu'il se garde bien de faire sciemment quelque faute, car d'un bon lieu vient une bonne récompense; et si galanterie et courtoisie n'existaient pas, il n'y aurait ni mérite, ni service d'amour ni honneur. VI.--Dame, si je me suis adressé (?) à vous, c'est pour que vous me donniez conseil, car il s'en faut de peu que l'amour parfait que je vous porte et mes profonds soupirs ne causent ma mort; et si vous connaissiez mon coeur, il me semble bien que vous en auriez de la joie, car il ne consent à aucun autre amour; et ma bonne raison ne peut me séparer ni m'éloigner de vous, tant votre image gaie m'est au fond du coeur. VII.--Dame Béatrix d'Est possède mérite et valeur, beauté, joie et jeunesse, sans nul défaut, et toutes belles qualités et toutes belles manières; jamais Dame ne sera ni ne fut avec tant de qualités sans aucun défaut. Notes: Texte du ms. c, d'après Stengel, _Die altprovenzalische Liedersammlung_ c, no. CXXI. Nous avons fait quelques changements purement orthographiques: nous rendons _ç_ du ms. par _tz_ ou simplement _z_ (après une nasale). Ex. ms. _toç, aduç_ = _totz, adutz_; ms. _amanç_ = _amanz_. A l'intérieur des mots nous rendons _ç_ par _ss, s_ ou _z_, suivant les mots: _doplança = doplansa, graçir = grazir_, etc. Nous rendons _z_ final du ms. par _tz_: ms. _renduz = rendutz_. Quelques variantes sont empruntées au ms. _U_, publié dans l'_Archiv für das Studium der neueren Sprachen_, XXXIII, p. 421. Enfin nous avons fait quelques corrections, qui sont les suivantes: v. 5, ms. _jor_, corr. _joi_ (avec Stengel); v. 30, ms. _sos_ plagues co volgressetz (sis... volgressetz _U_), Stengel a déjà corrigé _sos_ en _sius_; v. 17, ms. _non_; v. 37 _leu_ (au lieu de _leve_) _c_ et _U_; faut-il écrire _brug_ ou _brugz_? Probablement la première forme (bruç c/b>, bruz _U_); v. 53 non per c, nom pot _U_. V. 18. Le second hémistiche paraît une répétition du premier hémistiche du vers précédent; il vaudrait peut-être mieux donner à _membransa_ son sens assez ordinaire _d'intelligence, jugement_ (cf. v. 19); mais dans ce cas le double sens du mot, qui est peut-être dans l'intention du troubadour, n'apparaît plus. V. 26. Ms. _e sazos_. V. 58. Il s'agit de Béatrix d'Esté, fille d'Azzo VI, marquis d'Esté, née en 1191. Après avoir vécu dans le monde elle prit le voile entre 1218 et 1220 et mourut en 1226. Elle a été chantée par Rambertino Buvalelli, Aimeric de Pégulhan, Guilhem de la Tour, Falquet de Romans. Cf. Bergert, _Die von den Trobadors genannten oder gefeierten Damen_, p. 81. XVII [No. 19 de Bartsch]. Tenson de Peire Raimon et de Bertran de Gourdon. I. Totz tos afars es nienz, Peir Raimonz, e·l sens frairis; E non val dos anjevis Tos sabers mest bonas genz; E tenc per desconolscenz 5 Qi be ni honor ti fai; Et sapchas qu'ieu non darai Per nuil mestier qu'en tu sia, Mais qar venguist per mi sai. 9 II. Seigner, flacs e recrezens Estatz mest vostres vezis, E sofranh vos pans e vis E fail vos aurs et argens; E·l meus mestiers es valenz 14 Si·l vostre dig son savai; E s'ieti ja ren de vos hai, Jamai en home qi sia A mon jor no faillirai. 18 III. Peire, mal m'avondet senz, Qar de tenzo vos comis; Qe·l vostre mestiers es fis E vos etz bons e plazentz; E·l vostre arezamentz 23 Es grans e·il chantar son gai; E negus joglars non vai Qe plus tard fezes follia Ni plus tost fezes bon plai. 27 IV. Tant es larcx e conoissenz Qe tot l'aver de Paris Darias en dos matis; E plai vos Jois e Joventz, Seigner; e·l vostre ardimentz 32 Es grantz on faitz maint assai; E plus franc de vos non sai, E s'ieu mal dig vos avia, Tot sabchon qe mentit n'ai. 36 V. Vejas del tafur dolentz Qe·s cuidet q'eu l'esqarnis E qe·il lauzes e·l grazis Sos malvais captenemenz; E s'anc li passet las dentz 41 Bos motz, a negun jor mai Ja cella que am no·m bai; E si·m dis mal per feunia, Perdon lo, qar s'en estrai. 45 VI. Chaitivez'e marrimenz Es tot l'an en vos assis; E qi·l vostre fag resis Mentau e·ls envelzimentz, Ben par com es conoiscentz, 50 Ni qi·us honra qe·l meschai; Qe·us onrei tant qe·m desplai, Et on plus vos honraria, Adoncs i perdria mai. 54 I.--Tu n'as aucun talent, Peire Raimon, et ton esprit est vil; ton savoir ne vaut pas deux deniers angevins parmi les gens bien élevés; je tiens pour ignorant celui qui te fait du bien ou te donne des honneurs; et sache que je ne te donnerai rien, quelque besoin que tu en aies, mais (je te donnerai) parce que tu es venu ici pour moi. II.--Seigneur, vous êtes mou et lâche an milieu de vos voisins; le pain et le vin nous manquent, ainsi que l'or et l'argent; mais moi, mon talent est noble, si vos paroles sont méchantes; et si j'ai jamais quelque chose de vous, jamais, auprès de quelque homme que ce soit, jamais, dis-je, je n'essuierai de refus. III.--Pierre, mon sens me fut peu utile, quand je vous provoquai à une tenson; car votre talent est parfait, vous êtes distingué et aimable; votre équipement (?) est grand (votre préparation est grande?) et les chants sont agréables; et il n'y a pas de jongleur qui fît des folies aussi tard, ni qui fît plus tôt de bons discours. IV.--Vous êtes si large et si bon connaisseur que vous donneriez en deux matins tout l'avoir de Paris; Joie et Jeunesse vous plaisent, seigneur, et votre hardiesse est grande, où vous faites mainte entreprise; je ne connais pas d'homme plus affable que vous, et si jamais j'ai dit du mal de vous, que tout le monde sache que j'en ai menti. V.--Voyez le misérable truand qui s'est imaginé que je me moquais de lui et que je louais et que j'approuvais ses mauvaises façons d'agir. Si jamais un bon propos lui passa par les dents, je veux que jamais celle que j'aime ne m'embrasse; et s'il a dit du mal de moi par ressentiment, je lui pardonne, car il y renonce. VI.--Misère et ennui sont logés toute l'année chez vous; et celui qui vante votre conduite sans énergie ainsi que votre avilissement, celui-là montre bien comment il est connaisseur; et celui qui vous honore n'y gagne rien; pour moi je vous ai tant honoré que je le regrette; et plus je vous honorerais, plus j'y perdrais. Notes: Texte de _O_ publié dans _l'Archiv für das Studium der neueren Sprachen_, XXXIV, p. 382. En dehors de quelques changements simplement orthographiques, nous avons corrigé les passages suivants: v. 2, ms. _Peire_; v. 3, ms. _ameunis_, l. _anjevins_ (déjà corrigé d'ailleurs par Raynouard, qui a publié la première strophe de cette composition, _Choix_, V, p. 101; v. 5, ms. _tengi_; v, 18, l. _anc mon jorn_?; v. 35, ms. _raal_; v. 49, _ben_, l. _e·ls_? Levy, _Suppl. W_. (_envelzimen_), se demande si on pourrait changer _ben_ en _beu_; mais cela ne servirait à rien; v. 52, ms. _onre_; la correction _onrei_ est de Levy, _Suppl. W., Mescazer_. Bertran de Gourdon, seigneur de cette ville, fait hommage de cette ville à Philippe-Auguste en 1211 et à Simon de Montfort en 1218. Il tensonna aussi avec le troubadour Mathieu de Quercy (texte dans Kolsen, _Dichtungen der Troubadours_, no. 44), qui lui reprocha d'avoir vendu sa ville. (Cf. _Hist. Gén. Lang_., X, 340.) La tenson de Peire Raimon est sans doute antérieure à 1211. XVIII [No. 20 de Bartsch]. I. Us novels pessamens m'estai Al cor, per qu'eu n'ay greu cossir, Don fas mant angoissos sospir; E n'ai soven mon cor plus guay, E·m gart miels de far desplazer, 5 E m'esfors en ben captener, Quan vey que n'es luecx e sazos; E selh qu'a son poder es bos, Ben deu aver mais d'onransa. 9 II. Onramens grans cre que·l n'eschai A celh que sap en patz sufrir Son dan, o belhamen cubrir, Mantas vetz, so qu'al cor no·l play; Et qui sobr'ira·s sap tener 14 De far e de dir non dever, Ges non s'en merma sa razos; Per qu'om non deu esser coytos De far gran desmezuransa. 18 III. Desmezura conosc hueymai Que fai ma dona, ses mentir, Pus que a se·m fetz aissi venir, E so que·m promes er m'estray; Que qui non a vezat aver 23 Gran be, plus leu sap sostener Afan, que tals es belhs e bos, Que·l maltraitz l'es plus angoissos, Quan li sove·l benanansa. 27 IV. Benanans' e fin joi verai Aic ieu de midons al partir. Partiz non suy, per qu'ieu m'azir, Quar a mos precs braus respos fay, Denan sos pes l'irai cazer, 32 S'a lieys platz que denhe voler Que de lieys fassa mas chansos, Quar de me no suy poderos Qu'en autra paus m'esperansa, 36 V. Ben esper, per l'afan que n'ai, Que·m vuelha midons mantenir, Que non es autr', al mieu albir, Ni fon tan belha, sotz lo ray. Sopleian quier que·m denh valer; 41 Qu'ieu conosc, segon mon saber, Qu'ab los melhors se fai hom bos; Et es assatz belha razos Aver joy de fin'amansa. 45 VI. Mans jointas e de genolhos Mi rent a vos qu'etz bel' e pros, Domna de gaia semblansa. 48 I.--J'ai au coeur un nouveau chagrin, qui me donne grand souci et dont je fais maint pénible soupir; et j'en ai souvent mon coeur plus gai et je me garde mieux de faire déplaisir; je m'efforce de me bien tenir, quand je vois que c'est le lieu et le moment; et celui qui est bon quand et comme il veut, doit bien avoir plus d'honneur. II.--Je crois qu'un grand bonheur échoit à celui qui sait souffrir en paix son malheur ou qui sait cacher habilement maintes fois ce qui ne plaît pas à son coeur; et pour celui qui sait se modérer pour faire et pour dire ce qu'il ne faut pas, son compte (= son bénéfice?) ne diminue nullement; c'est pourquoi on ne doit pas se hâter de faire grande _desmesure_ (orgueil). III.--Je sais désormais que ma dame fait, sans mentir, grande _desmesure_, puisqu'elle me fît venir ici vers elle et qu'elle me retire maintenant ce qu'elle m'a promis; celui qui n'est pas accoutumé à avoir grand bien sait supporter plus facilement sa misère; tel est beau et bon, à qui le malheur est plus pénible, quand il se souvient du bonheur. IV.--Le bonheur et la joie parfaite et sincère, je les eus de ma dame quand je la quittai. Je ne suis pas parti, c'est pourquoi je m'irrite, parce qu'elle ne fait à mes prières que de dures réponses. J'irai tomber à ses pieds, s'il lui plaît qu'elle daigne vouloir que je fasse d'elle mes chansons, car pour moi je n'ai pas le courage de placer en une autre mon espérance. V.--J'espère bien, pour le chagrin que j'en ai, que ma dame daignera me conserver; car, à mon avis, il n'y en a pas et il n'y en eut jamais d'autre qui soit si belle sous le rayon du ciel; je lui demande en suppliant de me secourir; car je sais, suivant ma connaissance, qu'avec les meilleurs on devient bon; et d'ailleurs il est assez juste que l'on ait la joie du parfait amour. VI.--Mains jointes et à genoux, je me rends devant vous, qui êtes belle et distinguée, dame à l'accueil si gai. Notes: Texte de Raynouard, _Lexique Roman_, I. 334. _Parnasse Occitanien_, p. 29. Au v. 14, Raynouard a _sobritas_ pour _sobriras_; cf. Levy, _Suppl. W., sobritas_. La _tornada_ est empruntée au ms. c (Stengel, _Die altprov. Liedersammlung_ c, no. cxv); je ne connais pas le texte des autres manuscrits; elle s'y trouve sous la forme suivante: Humils mans joingç de genoillos Maren a vos qeç bel e pros Domna de gaia semblança. De plus, le ms. c a, comme fin de la strophe V, le texte suivant: Qeu conosc segon mon saber Qe pauc conqer hom nuaillos E ual trop mais bes per un dos Car compraz qe qa senança. Il est possible que la pièce de Peire Raimon ait eu d'abord six strophes et que nous ayons, dans le texte de c, la fin de la sixième. APPENDICES I.--Peire Bremon [Bartsch, 355, 11]. I. Pois lo bels temps renovella E fai de novel renverdir Tot qant es, voilh de novel dir C'uns novels volers m'apella 4 E·m di qe chant novellamen D'un gen cors novel avinen, A cui me sui de novel ferm fermatz, Qar sui per lui de nou renovellatz. 8 II. Gen renovellet la bella Mon gen cor al gent acuillir Qe·m fes gen, per q'ades consir Qon gen fins pretz la capdella 12 E com ab gen acuillimen M'a del cors mon fin cor trait gen; Sens brui refui gen, qe, si·m plac, no·m plaz Desdui d'autrui, si·m lia ab gen latz. 16 III. Tant l'am qe·l cors me travella Amors e·m fai lo cor languir. E si·m vol far aman morir Amors, q'enaisi·m martella, 20 Far o pot, tant am fermamen Lei, qe aman me et mon sen Destrui, q'abdui l'aman ples traenz tratz; Q'ab glui m'estui tan l'am ab gran senz gratz. 24 IV. Grat li·n sai qar es isnella E sap grat dels pros retenir E·s fa' gradan son pretz grasir, E grat, qar aissi·m cenbella, 28 Qar, s'ab lei trob merce grasen, Grat n'aura; e merces eissamen Sen trui s'endui leis ab grat, on jois jatz, Per cui relui ab grat rics pretz presatz. 32 V. Pretz fins fai Audiart valent Del Bauz, il et el' eissamen, Don cui sens trui certz pretz s'es encertatz En lui per cui viu pretz d'onor onratz. 36 I.--Puisque le temps «nouveau» (le printemps) revient et fait de nouveau reverdir tout ce qui existe, je veux dire de nouveau qu'un nouveau désir m'appelle et me dit que je chante à nouveau d'un gentil corps nouveau (jeune) avenant, à qui je me suis de nouveau fermement attaché, car je suis par lui de nouveau renouvelé. II.--Elle renouvela gentiment, la belle, mon gentil coeur, an gentil accueil qu'elle me fit; c'est pourquoi je réfléchis aussitôt combien gentiment la valeur parfaite la guide et comment avec un gentil accueil elle m'a tiré gentiment du corps mon coeur parfait. Sans querelle, je la repousse gentiment, car si jamais plaisir d'autrui me plut, maintenant il ne me plaît pas, quoiqu'elle me lie avec un gentil lacet. III.--Je l'aime tant qu'Amour traverse mon corps et me fait languir le coeur. Et si Amour me veut faire mourir en aimant, puisqu'il me martelle ainsi, il peut le faire, tellement je l'aime fermement celle qui, par suite de mon amour, me détruit et m'enlève la raison; car tous deux (_c'est-à-dire_ moi et ma raison) nous l'aimons à pleins traits; je l'aime tellement avec grain (?) sans récompense que je m'enferme avec la paille (?). IV.--Je lui sais gré d'être aimable (vive?), de savoir plaire aux bons et de savoir faire valoir son mérite agréable; je lui sais gré aussi de me leurrer ainsi, car si je trouve auprès d'elle une pitié reconnaissante, elle en aura la récompense; et pitié également (aura sa récompense?) assurément (?), si elle enduit de reconnaissance celle où siège la joie, par qui reluit avec reconnaissance le noble mérite honoré. V.--Noble Mérite fait la valeur d'Audiart du Baux, d'elle et de lui également, où je pense assurément (?) que le mérite certain s'est établi et par qui vit le Mérite honoré. Notes: Cette chanson ne se trouve que dans les manuscrits _T_ et c; la rareté des rimes en _ui_ et l'emploi du vers de deux syllabes, joint à la recherche de l'allitération, sont des causes d'obscurité. Un mot comme _trui_, qui est employé deux fois, n'apparaît que dans cette pièce. Nous empruntons le texte à Appel, _Provenzalische Inedita_, p. 246. Nous nous en éloignons, en dehors de quelques changements purement graphiques, sur plusieurs points. V. 9, _Gen_ au lieu de _Ben_; v. 10, nous lisons _cor al gent acuillir_ avec _T_; v. 13-14, nous lisons _ab gen acuillimen... m'a_ (au lieu de _ma_) et _trait_ au lieu de _trai_ (ms. c _trag_); v. 15, Appel met entre parenthèses _sens brui refui gen_; v. 23, _ples_ c, _pleis T_ (peu lisible); nous maintenons _ples_ et nous entendons: «tirant à pleins traits»; v. 27, nous lisons _e·s fa'gradan_ (= _agradan_); v. 31, mss. _latz; jatz_ prop. Appel; v. 33, _Apres fins naudiarc T, A pres fins fai neudiarc_ c; nous gardons _fai_ en supprimant _a_; v. 35, _en certatz_ c; _enteratz T_. Il est probable que la pièce n'est pas de Peire Raimon. Le ms. _T_ la lui attribue, mais le ms. c l'attribue à Peire Bremon [Note: _Peire Breumon_ dans le ms.] Ricas Novas; et il semble bien qu'elle doive être attribuée à ce dernier, car dans une pièce du même, conservée par le ms. Cámpori [Note: _Studj Fil. romanza_, VIII, 458.], il est question aussi d'Audiart del Baus, tandis qu'il n'est pas question de la même personne dans les autres poésies de Peire Raimon. Audiart du Baux, qui est nommée plusieurs fois par les troubadours [Note: Cf. Bergert, _Die von den Troubadours genannten Damen_, pp. 62-65.], était l'épouse de Bertran du Baux et mourut en 1257. C'est peut-être elle que chanta Pons de Capdeuil aux environs de 1220, date où elle était encore fort jeune [Note: Bergert, _ibid_., p. 63.]. On pourrait alléguer en faveur de Peire Raimon qu'une au moins de ses poésies (_Ara pos iverns_) rappelle la manière de celle-ci (même recherche des mots rares), que la comparaison du _glueg_ (chaume) et du _gran_ (grain) s'y retrouve, et que, dans une pièce d'Uc de Saint-Cyr, cette recherche et cette subtilité lui sont reprochées [Note: Ed. Jeanroy-De Grave, no.(2) XXVII, XXIX.]. De plus, il n'y aurait rien d'extraordinaire à ce que Peire Raimon, qui a séjourné en Italie, qui a chanté le comte de Savoie et le marquis de Malaspina, ait eu l'occasion de séjourner à Marseille et d'y chanter Audiart du Baux. Mais la tornade de la pièce du ms. Cámpori paraît trancher la question en faveur de Peire Bremon; car elle est rédigée à peu près dans les mêmes termes que la tornade de la présente composition. La voici: N'Audeiart del Baus certana Valors e fin[s] pres certans Fan vostre[s] faigz sobeiranz E vos de pretz sobeirana. V. 7, _De novel_ serait en faveur de Peire Bremon, car il nous reste une autre chanson de lui adressée à Audiart. V. 24, le vers n'est pas clair; il y a opposition entre le grain et la paille, comme dans la pièce de Peire Raimon: _Ara pos hiverns_ (_E mant hom pert lo gran el glueg_, v. 21). Doit-on entendre: «Je l'aime tellement que je m'enferme avec le chaume, avec grain sans récompense; au lieu d'avoir le grain (le profit réel), je me contente de la paille avec ses balles, sans grain, c'est-à-dire sans récompense réelle?» Au v. 23, Appel entend: «puisque tous deux l'aiment (l'Amour), Amour prit (_pres_) en trompant les trompés.» (_Ap_. Levy, _Suppl. W_., IV, 139(a).) Cette interprétation ne me paraît pas probable pour de multiples raisons. J'entends: «_à pleins traits tirant_»; il s'agirait d'une expression populaire (comme l'opposition entre le _glui_ et le _gran_) se rapportant aux chevaux tirant à pleins traits, à plein collier. _Trui_ (v. 31, 35) ne paraît pas se rencontrer ailleurs qu'ici. Levy (_Petit Dict_.) traduit: _sen trui_, assurément, avec un point d'interrogation. Faut-il rattacher le mot à un hypothétique _truchar_ [Note: La forme _trucar, truchar_ existe, mais avec le sens d'échanger, troquer; est-ce à ce mot qu'on peut rattacher _trui_ pour _truch_?] pour _trichar? Tric_, substantif verbal de _trichar_, existe: _truch, trui_ aurait pu être formé sur le modèle de mots comme _refug, refui, estuch, estui_. Voici d'ailleurs un exemple de Sordel qui paraît contenir la même expression: Ses truc Val mens c'om mort en taüc. (Sordel, _Non pueis_.) Raynouard, qui cite cet exemple (_Lex. Rom_., V, 436(a)), traduit ainsi: «Sans choc il vaut moins qu'homme mort en bière»; mais je ne crois pas qu'il faille traduire avec cette précision: je serais disposé à voir ici l'équivalent de _ses trui_, ou _sens trui_. II.--Auzias March. I. No·m pren axi com al petit vaylet Qui va cercant senyor qui festa·l faça, Tenint lo calt en lo temps de la glaça E fresch d'estiu, com la calor se met, 4 Preant molt poch la valor del senyor E concebent desalt de sa manera, Vehent molt clar que té mala carrera De cambiar son estat en major. 8 II. Com se farà que visca sens dolor, Tenint perdut lo bé que posseya? Clar e molt bé ho veu, si n(o) ha follia Que may porà tenir estat millor. 12 Donchs que farà, puix altre bé no·l resta, Sinó plorar lo bé del temps perdut? Vehent molt clar per si ser decebut, May trobarà qui·l faça millor festa. 16 III. Yo son aquell qui'n lo temps de tempesta. Quant les més gents festegen prop los fochs E pusch haver ab ells los propris jochs, Vaig sobre neu, descalç, ab nua testa, 20 Servint senyor qui jamés fon vassall Ne·l vench esment de far may homenatge. En tot leig fet hagué lo cor salvatge; Solament diu que bon guardó no·m fall. 24 IV. Plena de seny, leigs desigs de mi tall; Erbes no·s fan males en mon ribatge; Sia entés com dins en mon coratge Los pensaments no·m devallen avall. 28 (Ed. A. Pagès, t. I, p. 401). I.--Il ne m'en prend pas comme au petit écuyer qui va cherchant un seigneur qui lui fasse fête, en le tenant chaud au temps de la froidure et frais en été quand la chaleur arrive, prisant fort peu le mérite du seigneur et concevant mépris pour sa manière (de vivre?), voyant parfaitement qu'il suit une mauvaise route (en essayant) de changer sa situation pour une situation plus élevée. II.--Comment pourra-t-il se faire qu'il vive sans douleur, ayant perdu le bien qu'il possédait? Il le voit parfaitement, s'il n'est pas fou, que jamais il ne pourra avoir un état meilleur. Donc que fera-t-il, puisque il ne lui reste pas d'autre bien que de pleurer le bien du temps perdu? Voyant très bien qu'il est trompé par lui-même, jamais il ne trouvera personne qui le traite mieux. III.--Je suis celui qui, au temps de la tempête, quand les plus nobles festoyent auprès du feu et que je puis avoir près d'eux leurs propres jeux, vais sur la neige, pieds nus et tête nue, servant un seigneur qui jamais ne fut vassal et à qui ne vint jamais l'intention de faire jamais hommage. A l'égard de toute malhonnête action j'ai eu le coeur sauvage; je dis seulement que bonne récompense ne me manque pas. IV.--Pleine-de-sens, je coupe en moi les vilains désirs; des mauvaises herbes ne croissent pas en mon rivage; qu'il soit entendu que dans mon coeur les pensers ne descendent pas bas. Notes: Cette pièce n'est pas une imitation à proprement parler de la pièce de Peire Raimon; mais l'inspiration, surtout dans le premier couplet, est évidente. Il semble d'ailleurs qu'il y ait d'autres souvenirs de troubadours, peut-être de Peire Vidal. Les derniers vers rappellent aussi la fin de la pièce de Peire Raimon: _Enquera·m vai recalivan_. M. Pierre Vidal, bibliothécaire de la ville, à Perpignan, a bien voulu m'aider à interpréter quelques passages de ce texte; je lui en exprime mes meilleurs remerciements. GLOSSAIRE abnegar, _abandonner_, III, 30. afrevolir, _devenir faible_, VI, 34. aib, _qualité_, XVI, 40, 57. aizinar (s'), _habiter avec_, X, 18. al, _autre chose_, I, 27. amela, _amande_, IV, 67. amiran, _amiral_, VIII, 81. angevin, _monnaie angevine_, XVII, 3. apilar (s'), _s'enraciner_, XII, 23. arezamen, _équipement_, XVII, 23. ascona (bec d'), _bec affilé_, X, 9; voir la note. autor, _auteur, juriste_, XV, 10. auzello, _oiselet_, XII, 4. avondar, _aider, être utile_, XVII, 18. baduelh, _sot, fanfaron_ (?), X, 32. bai, _baiser_, I, 42. balansar (se), _balancer, hésiter_, XVI, 36. basto, _lance_, VIII, 59. bauzia, _tromperie_, IV, 29. belhaire, _plus belle_, IX, 13. biaissar (se), _se détourner_, V, 39. bobans, _orgueil_, XI, 30. breu, _lettre_, XV, 28. broil, _forêt_, X, 4; XII, 1. brot, _branche_, III, 1. brotonar, _produire des boutons_, X, 1. brug (levar), _faire du bruit_, XVI, 37. brui, _bruit_, IV, 64 (à la rime). brui, _bruit, querelle_? _App_., I, 15. bureu, _bure_, II, 39. calandra, _alouette calandre_, VII, 1. candela, _chandelle_, IV, 1. capdoil (auzor), _sommet_, V, 37. cenher, _entourer_, VIII, 53. chaitiveza, _misère_, XVII, 46. chanso, VIII, 1; IX, 2; XI, 3; XIV, 41; XVIII, 34. chansoneta, _chanson_, VI, 52. chantador, _chanteur, poète_, XIII, 22. chantar, _chant_, XVII, 24. chantaret, _chansonnette_, VIII, 14. chausimen, _pitié_, I, 7; V, 33. chauzir, _choisir, voir_ (?), II, 19. chauzir, _remarquer_, V, 43. cobletas, _couplets_, VIII, 90. cochat, _pressé_ (?), XIII, 18. cor (aver en), _désirer_, VI, 41. cor (aver a), _avoir à coeur_, IV, 48. cor (aver), _désirer_, XIV, 12. corduelh, _chagrin_, X, 26. cort, _cour_, IV, 22. derrier, _dernier_, VI, 49; cf. la note sur ce mot. descort, I, 1. dieta, _diète_, VI, 33. duc, VIII, 84. egar (s'), _s'égaler_, XII, 37. eisegar, _dessécher_ (?), XII, 28. embregar (s'), _s'occuper_, XII, 21. enfoletir, _devenir fou_, IV, 42. ensenhamen, _perfection_, XVI, 14. envelziment, _avilissement_, XVII, 49. escarnit, _trompé_, XV, 4. escut, _bouclier_, VIII, 59. escoil, _manières, conduite_, V, 14. espelh, _miroir_, XII, 18. essay, _manière_, XI, 31. estam, _chaîne de tisserand_, III, 10. estenher, _éteindre_, VII, 13; _confondre_ (?), VIII, 25. estraire (s'), _renoncer à_, v, 45; prét., 3e p. sg., _estrais_ (à la rime), IX, 15. estrenher, _diminuer_, i, 47; _étreindre_, VII, 15. estujar, _cacher_; ind. prés., 1e p. sg., _estui_ (à la rime), IV, 69. fadenc, _homme fou_, III, 20. fades, _folie_, II, 37. faidit, _exité_, XI, 45. fenher (se), _se vanter_ (?), VIII, 24. fossat, _fossé_, XI, 46. gab, _plaisanterie_, XI, 30. gems, _gémissements_, III, 15. genolhos (a), _à genoux_, XIV, 18. genolhos (de), _à genoux_, XVIII, 46. giardina, _jardin_, X, 6. glay, _glaïeul_, XI, 1. glui, _chaume_, III, 21; _App_., I, 24. gran, _grain_, III, 21; _App_. I, 24. groc, _jaune_, XII, 2. gronir, _grogner_; subj. prés., 3e p. sg., _grona_, X, 41. jangluelh, _bavardage_, X, 8. joglar, _jongleur_, XVII, 25. jornal, _journée_, V, 2. languiar, _alanguir_, VI, 23. lec, _désireux_, XII, 24. lipaudes, _flatteur_, II, 33. maestril (mot), _excellent_, XII, 7. magrezir, _maigrir_, VI, 45. malestan (mot), _qui ne convient pas_, VI, 53. malmerenz, _coupable_, XIII, 20. mecina, _guérison_, X, 30. melhorar, _s'améliorer_, I, 50. membransa, _pensée_, ix, 42; _souvenir_, XVI, 18. metge, _médecin_, II, 5; VI, 5, 21. mirail, _miroir_, XVI, 13. mot, _parole_, XI, 4, 7. motz (bons), _paroles_, XII, 14; XVII, 41. non (dire), VIII, 26. ocaizonar, _reprocher_, XIV, 5. om, _homme lige_, XIII, 34. ostal, _maison_, V, 2. paratge, _noble origine_, IV, 51; XIV, 25. pareisser, _paraître_; prét., 3e p. sg., _parec_, XII, 12. parlador (mal), _médisant_, XIII, 12. parlamen, _parole_, I, 46; V, 12. parlier, _bavard_, XII, 29. parlier (malvais), _médisant_, XIII, 40. pec, _sot, maladroit_, III, 6. pitansa, _pitié_, IX, 54. playssadenc, _haie_, III, 4. poc (à la rime), forme du prétérit, 3e p. sg., en fonction de présent, VII, 27. premer, _tourmenter_, III, 39. presset, _sorte de laine_, II, 40. ramenc, _qui vit dans les branches_, III, 12. ras, _privé de_, III, 24. recalivar, _brûler_, VI, 1. recreire, _se fatiguer_; _recreia_, subj. prés., 1e p. sg., IV, 18 (à la rime). recrezut, _fatigué_, XVI, 28. refrim, _refrain_, XII, 3. renc, _royaume_, X, 37. renhar, _vivre_, III, 32. repondre, _ensevelir_, X, 27. resis, _sans énergie_, XVII, 48. retindida, _écho_, X, 5. rossinhol, X, 3. salamandra,VII, 10. salut, _salut d'amour_,XV, 28. saya, _laine_, II, 40. sems, _privé de_, III, 23. senha, _cri de guerre_, VIII, 81. serf, XIII, 48. servire, _serviteur_, IV, 26. so, _mélodie_, I, 1; XI, 4, 7. tafur, _vil_, XI, 23; _traand_, XVII, 37. talan, _désir_, I, 16. tanher, _convenir_; imp. du subj., 3e p. sg., _tanhes_ et _taisses_, XIV, 26; cf. la note. Prét., 3e p. sg., _tais_, V, 23 (à la rime). tener (se) sobre ira, _se modérer_, XVIII, 14. ters, _dénué de_, III, 24. tersol, _tiercelet_, III, 12. tolre (se), _cesser de_, V, 6. traïre, _traître_, I, 36. traire, _supporter, souffrir_, IV, 4; VI, 9; _tirer_, VIII, 60. traitura, _diète_, VI, 6. tratz (traenz), _traits_ (?). _App_., I 23; cf. la note. travellar, _traverser_, _App_., I, 17. trencar (se), _se briser_, III, 28. trepelh, _agitation, tapage_,XII, 3. trics (de), ?, III, 14. truelh, _tromperie_, X, 10. trui; _App_., I, 31, 35; cf. la note. usquec, _chacun_, XI, 26; XII, 8. vers, _vers_, III, 8. vers, _vers_ (genre), VII, 6. vezat, _habitué_, XVIII, 23. viular, _jouer de la viole_, VIII, 90. INDEX DES NOMS PROPRES ALIXANDRA, Alexandrie, VIII, 19, 28. ANTON; cf. GINTARTZ. ARAGO, IV, 59; VIII, 72. AUDIART DEL BAUS, _App_., I, 33. AURAMALA, XIV, 46. AYA, II, 32. BARSALONA, X, 37. BEATRITZ D'EST, XVI, 58. BRENS, Brens (Tarn), III, 36. BUVALEL; cf. RAMBERTI. COLRAT, CONRAD DE MALASPINA, XIV, 47. COMTESSA, VI, 51 (comtesse de Toulouse?). CROTZ (SANTA), III, 17. DIAMAN (MON). II, 41. EREUBUT (MON), VI. 50; VIII, 2. EST; cf. BEATRITZ. FENIX? III, 14. FOYS, FOIX, III, 36. GINTARTZ D'ANTON, X, 44. IPOCRAS, Hippocrate, VI, 19. LANDRICS, II, 32. MALESPINA, III, 27. MALASPINA (GUILLEM), XI, 49. Mecier. _messire_, XIV, 47. PARADIS, IX, 26. PARIS, XVII, 29. PEIR RAIMON, XVII, 2. RAMBERTI DE BUVALEL, V, 44. REI (D'ARAGO), IV, 58; VIII, 72. SAVOIA, I, 49. SOBRETOTZ, XIV, 48, surnom donné à Conrad de Malaspina. TOLOZA. II, 43. End of the Project Gutenberg EBook of Poesies du troubadour Peire Raimon de Toulouse, by Joseph Anglade *** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK POESIES DU TROUBADOUR PEIRE *** ***** This file should be named 9053-8.txt or 9053-8.zip ***** This and all associated files of various formats will be found in: http://www.gutenberg.org/9/0/5/9053/ Produced by David Starner, Anne Dreze, Marc D'Hooghe and the PG Online Distributed Proofreaders. Html-version, thanks to David Widger. Updated editions will replace the previous one--the old editions will be renamed. Creating the works from public domain print editions means that no one owns a United States copyright in these works, so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United States without permission and without paying copyright royalties. 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Redistribution is subject to the trademark license, especially commercial redistribution. *** START: FULL LICENSE *** THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free distribution of electronic works, by using or distributing this work (or any other work associated in any way with the phrase "Project Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project Gutenberg-tm License available with this file or online at www.gutenberg.org/license. Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm electronic works 1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to and accept all the terms of this license and intellectual property (trademark/copyright) agreement. 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There are a lot of things you can do with Project Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic works. See paragraph 1.E below. 1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation" or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the collection are in the public domain in the United States. If an individual work is in the public domain in the United States and you are located in the United States, we do not claim a right to prevent you from copying, distributing, performing, displaying or creating derivative works based on the work as long as all references to Project Gutenberg are removed. 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Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be freely shared with anyone. For forty years, he produced and distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper edition. Most people start at our Web site which has the main PG search facility: www.gutenberg.org This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, including how to make donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.